Graphomane Solitaire, « Un monde à l’envers », traduction du russe

Chapitre 4 : Romano et le don de Melinda

2191 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/08/2025 13:08

Les jours suivants, Melinda était distraite. Elle repensait sans cesse à son étrange rêve. Elle n'oserait jamais en parler à Eli, et encore moins à Rick. Il ne restait que Delia : seule une amie proche avec qui elle pouvait partager ses inquiétudes et ses craintes.


— Je crois que Jim est jaloux. Il a voulu me le montrer à travers ce rêve, déduisit Melinda.


Elles étaient en train de terminer leur travail avant de fermer le magasin, que la jeune femme se décida enfin de tout raconter à Delia. Son amie l'écoutait attentivement. Un sourire malicieux apparaissait de temps en temps sur ses lèvres.


— Pire qu'un mari jaloux n’est qu’un mari jaloux mort, conclut Delia après avoir écouté son histoire. 


— Ah ! Delia, je ne comprends pas d'où il a tiré ça, Melinda hésita à terminer sa phrase. 


— Mais voyons ! s'esclaffa Delia. Tu as toi-même dit que les fantômes pouvaient utiliser notre subconscient pour nous montrer ou nous expliquer quelque chose, n'est-ce pas ?


— Eh bien oui.


— Voilà ! Apparemment, le professeur Payne est présent dans ton subconscient, sourit malicieusement Banks.


À ces mots, Melinda sentit qu'elle rougissait jusqu'aux bouts des oreilles.


— De quoi parles-tu ? 


— Ma chérie, ton mari est jaloux, dit Delia d'un ton sérieux, avant d'ajouter malicieusement : peut-être à juste titre. 


La médium voulut protester, mais son amie l'en empêcha d'un geste. 


— Je te connais depuis longtemps, Melinda. Je ne doute pas de ta fidélité envers Jim ! Je veux simplement dire qu'il se passe quelque chose entre toi et Rick en ce moment. J'ai vu comment vous vous regardiez.


— Oh mon Dieu ! Delia, qu'est-ce que tu racontes ! supplia Mel.


Delia poussa un soupir désespéré.


— Tu ne t'en rends peut-être pas encore compte, mais de l'extérieur, on voit clairement qu'il y a des étincelles entre vous.


Melinda resta bouche bée, comme frappée par la foudre. Était-ce vraiment le cas ? Avait-elle donné à Jim des raisons de douter ?


— Que faire ?


— Explique à Jim qu'il n'y a rien entre vous. Au fait, Rick est certes un peu bizarre, mais il t'apprécie vraiment. 


Delia lui fit un clin d'œil et Mel rougit à nouveau. 


Elles continuèrent à travailler, tandis que la propriété de la boutique se replongeait dans ses sombres pensées. Melinda fut tirée de ses réflexions par un coup de téléphone. C'était Eli. 


— Allô ?


— Melinda, peux-tu venir à mon bureau aujourd'hui ? L’inquiétude était perceptible dans la voix du professeur.


— C'est important ?


— Oui. Je t'expliquerai quand tu viendras. C'est urgent.


— D'accord.


Eli raccrocha et Melinda soupira. Après avoir attrapé son sac à main et demandé à Delia de surveiller le magasin, la jeune femme se rendit chez le professeur James.



L'Université de Rockland n'était pas loin, elle ne prit donc pas sa voiture. Sur le chemin, Melinda se replongea dans ses pensées et ne remarqua pas tout de suite la silhouette sombre portant un chapeau dans la foule des passants. Au carrefour, elle faillit le percuter, mais une seconde plus tard, il se trouvait à quelques mètres d'elle, près de la fontaine.


Melinda s'arrêta, surprise et en proie de l'effroi qui grandissait en elle. Elle s'efforça de contenir ses émotions.

Une pensée lui traversa l'esprit : « Romano ? » 

Cet homme étrange était également apparu de manière inattendue la dernière fois, puis avait disparu tout aussi soudainement. Melinda ne savait toujours pas qui il était ni ce qu'il voulait.


L'homme qui se tenait près de la fontaine était vêtu d'un manteau noir à col haut et d'un chapeau de la même couleur. Son visage était invisible et seuls ses yeux semblaient transpercer Melinda. Une seconde plus tard, l'inconnu avait disparu. La médium reprit son souffle, s'emmitoufla davantage dans son manteau et continua son chemin vers l'université.


— Melinda, enfin ! s'agita Eli lorsque la jeune femme entra dans son bureau et ferma la porte à clef.


— Qu'y a-t-il ?


Melinda décida de ne pas partager avec lui ses soupçons concernant Romano pour l'instant. 


— Ces fantômes sont tellement en colère ! s'exclama Eli James, désespéré. Y compris envers toi. Ils viennent chez moi et disent que tu ne les vois pas. Ils se plaignent et sont très fâchés.


Melinda déglutit.


— Mais je ne peux pas... 


— Tu le dois.


Eli s'assit sur le canapé et Melinda le suivit.


— Ils cassent les vitres et les miroirs et renversent les meubles dans ma maison... Je ne peux pas aider tout le monde. D'autant plus que j'ai moi-même beaucoup à apprendre.


Melinda regarda son ami avec culpabilité et regret.


— Tu es plus forte que moi. Tu as un don. Mes capacités ne sont qu'un hasard, dit-il avec un petit sourire amer.


— Peut-être pas… répondit Mel pensivement. 


Eli la regarda dans les yeux avec supplication.


— Je ne peux pas, Eli. Le temps que je ne vois pas Jim, répliqua Melinda avec fermeté.


— Je sais. Je vais te prescrire des antidépresseurs. Avec eux, ça ira plus vite. J'ai vu du progrès lors de nos séances. Il faut juste accélérer le processus. Es-tu d'accord ?


Melinda acquiesça lentement.


— Je vois Jim dans mes rêves...


— C'est bien, approuva Eli. Au fait, ces voix que j'entends répètent qu'il se passe quelque chose de mal à Grandview. De quoi parlent-elles ?


Ces mots firent frémir Melinda. 


— Je ne le sais pas encore.


***


De retour chez elle, Melinda décida d'appeler Payne pour lui demander de l'aide. Si Romano était de retour à Grandview, la situation serait grave. Il fallait comprendre au plus vite ce qui se passait dans la ville. 


— Rick, j'ai besoin de ton aide. Il semble que Romano soit de retour...


***


Pendant les deux semaines qui suivirent, Melinda partagea son temps entre le bureau du professeur Payne et son domicile. Ils étudièrent la bibliothèque de Rockland et les archives, fouillèrent Internet à la recherche de toute information sur le passé de Grandview. Rick apportait de vieux journaux et magazines qu'il trouvait Dieu sait où. Melinda passait ses journées et ses soirées à lire ces textes, désireuse de comprendre ce qui se cachait dans l'histoire de la ville. 

Pourquoi attirait-elle comme un aimant ces âmes tourmentées telles que Romano ? 


Il y avait une autre raison pour laquelle elle restait si longtemps chez Rick : ses cauchemars. Melinda soupçonnait qu'il ne s'agissait pas simplement de rêves, mais de fantômes qui frappaient à la porte de son subconscient. Les cauchemars de Mel étaient remplis de souffrance, de douleur, de désespoir et d'horreur qui ne lui appartenaient pas. Comme dans ce rêve avec Jim, Melinda revivait des événements qui ne lui étaient pas arrivés et ressentait des émotions qui ne lui appartenaient pas.


Elle était très fatiguée ces derniers temps, elle n'avait plus besoin de prendre de somnifères. Les antidépresseurs prescrits par Eli l'aidaient, mais Melinda se sentait mal à l'aise dans ses rêves. Elle savait qu'il suffirait d'un rien pour que l’interdiction d’utiliser son don qu’elle s’était imposée se brise. Mais elle ne pouvait pas imaginer quel serait cet événement. 


***


— Hé, tu es fatiguée ? On fait une pause ? demanda Rick en remarquant que Melinda commençait à somnoler. 


La jeune femme leva vers lui ses yeux fatigués, essayant de comprendre ce qu'il voulait dire. 


— Oui... répondit-elle, perplexe. Ce serait bien. 


Melinda se massa le cou endolori et se rejeta en arrière sur le canapé. 


— Veux-tu manger quelque chose ? demanda Rick. 


— Non, mais je prendrais bien un café.


Rick se rendit dans la cuisine, tandis que Mel fixait le plafond. Ses yeux étaient fatigués par les innombrables textes. Ils avaient appris tant de nouvelles informations sur l’histoire de Grandview des cent dernières années, mais cela ne les avait pas rapprochés de la résolution du mystère. Melinda avait envie d'un café. Ces derniers temps, elle était devenue accro à cette boisson. Elle en buvait des litres pour ne pas s'endormir et faire des cauchemars.


« Je me demande comment va Melissa. J'espère qu'elle ne meurt pas de faim. Lui ai-je assez donné à manger ? » pensa Mel à propos de son animal de compagnie. 

Elle s'allongea sur le canapé pour se reposer, mais ses paupières se fermèrent d'elles-mêmes. 


Quand Rick revint, Melinda dormait déjà. Il la contempla avec tendresse. Puis il rangea son ordinateur portable, tous les papiers et les coupures de journaux, couvrit la jeune femme d'un plaid et éteignit la lumière.


***


— Grand-mère ?


— Ma chérie... 


Pour la première fois depuis longtemps, Mel vit sa grand-mère bien-aimée dans son rêve. Melinda se blottit contre la vieille femme et se mit à pleurer. Elle se sentait à nouveau comme une petite fille de huit ans.


— J'ai tellement de choses à te raconter…


Melinda leva les yeux vers sa grand-mère.


— Je sais, ma chérie, je sais, dit-elle en caressant les cheveux de sa petite-fille. Je sais tout.

Elle regarda Melinda droit dans les yeux. 

— Pourquoi ne veux-tu pas aider tous ces gens ? 


— Tu parles des fantômes ? 


— Oui. Je vois qu'il y en a beaucoup autour de toi. 


— Je ne peux pas, grand-mère. Je ne vois personne. J'ai perdu mon don. 


— Non, non. Ce n'est pas vrai. Tu ne peux pas le perdre. 


— Mais pourquoi ? Jim... Mon Jim, il n'est plus. Je sais qu'il n'est pas parti dans la Lumière, mais je ne peux pas lui parler. 


— Melinda, écoute-moi, sa grand-mère se pencha vers elle et la regarda à nouveau dans les yeux. Tu n'es pas une fille comme les autres. Tu ne sais pas encore de quoi tu es capable. 


— De quoi parles-tu, grand-mère ? 


— Je n'ai pas le temps de t'expliquer. Sache qu'ils ont besoin de toi. Ils ont tous besoin de toi. Jim est mort, mais c'était écrit. Son heure était venue. Il devait passer à autre chose, et toi, tu as une longue vie devant toi. Tu rencontreras des difficultés. C'est inévitable. Mais souviens-toi de qui tu es. 


Melinda retint son souffle et regarda sa grand-mère. 


— Qui suis-je, grand-mère ?


— Tu es celle qui communique. Tu as une mission sur cette terre. Ta vie ne t'appartient pas. Tu vis pour aider les autres.


Melinda sentit des larmes chaudes couler sur ses joues. 


— Et tu devras élever le prochain médium. 


— Quoi ?

Ses yeux s'écarquillèrent de surprise.

— Je ne veux pas les aider ! Non !

À cet instant, Melinda se sentait comme une petite enfant sans défense. 


— Je suis avec toi, ma chérie. N'aie pas peur, dit sa grand-mère en la serrant à nouveau dans ses bras. Tout ira bien. 


Sa grand-mère disparut. 

Une seconde plus tard, Melinda ouvrit les yeux et se redressa brusquement. 


***


« Souviens-toi de qui tu es... tu es celle qui communique… »

Les paroles de sa grand-mère résonnaient encore dans les oreilles de la jeune femme.


Melinda n'a pas tout de suite compris qu'elle s'était réveillée dans une maison inconnue. En se remémorant les événements de la veille, elle a compris qu'elle se trouvait chez Rick. Ils avaient prévu de prendre un café, non ? Pourquoi s'était-elle endormie ?


— Ah ! Voilà que la Belle au bois dormant se réveille, entendit-elle la voix enjouée du professeur.


Rick entra dans le salon, une tasse de café à la main.


— As-tu bien dormi ?


— J'ai rêvé de ma grand-mère, répondit Mel, perplexe. Désolée de m'être endormie ici.


— Tu peux disposer de mon canapé autant que tu veux, dit Payne en haussant les épaules. Mais pas maintenant. J'ai un cours à 9 h 00.


Melinda regarda sa montre. Il était 8 h 20.


— Mince ! D'accord, je comprends, je m'en vais.


Elle sortit de la maison du professeur et se retrouva sur le perron, où elle faillit pousser un cri de surprise. Une foule de fantômes renfrognés s'était rassemblée sur la pelouse devant la maison. Melinda se figea. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas ressenti une telle peur en les voyant. Leurs visages étaient sévères. Ils la regardaient d'un air accusateur.


— Toi… , commença l'un des défunts en pointant son long doigt maigre vers la jeune femme. 


— Excusez-moi… , l’interrompit Melinda en bredouillant. Vous avez tous besoin de mon aide ?


Les esprits errants acquiescèrent d'un air sombre.


— D'accord. Mais pas tous en même temps.


— Melinda… , entendit-elle murmurer sinistrement dans la foule. 


— Hé, pourquoi tu t’es figée comme ça ? entendit Melinda dans son dos la voix du professeur. 


Elle se retourna pour regarder Rick, puis à nouveau la pelouse. Les fantômes avaient disparu. Melinda déglutit nerveusement.


— Rick, mon don est revenu...


Laisser un commentaire ?