Graphomane Solitaire, « Un monde à l’envers », traduction du russe
— Mais, c'est une bonne chose, tenta de la convaincre Rick lors de sa énième visite chez Melinda. C'est exactement ce que nous recherchions.
— Oui, une bonne chose… , répéta comme un écho Melinda, le regard fixé sur sa tasse de thé.
— Tu vois, les méthodes du professeur Payne ont une nouvelle fois fonctionné. Eli nous a bien sûr aidés. Maudit soit-il, murmura-t-il entre ses dents.
— Merci, répondit la jeune femme avec un faible sourire.
Rick Payne lui rendit son sourire, néanmoins il sentait que quelque chose n'allait pas.
— Melinda, tu vas bien ? N'es-tu pas contente ?
— Je ne sais pas... J'ai tellement peur... Cela ne m'était jamais arrivé auparavant.
— Tu as été privée de ton don pendant trop longtemps. Tu as simplement perdu l'habitude.
Ils discutèrent encore un peu, puis Rick partit travailler. Melinda lava la vaisselle, puis décida d'aller mettre de l'ordre dans sa boutique. La journée se déroula sans incident particulier, mais la soirée réserva de nouvelles surprises à la jeune femme.
***
En entrant dans la maison, Melinda sentit immédiatement que quelque chose n'allait pas. L'atmosphère avait changé. Elle sentait littéralement la présence de quelque chose ou de quelqu'un de paranormal.
— Qui est là ?
Il n'y eut pas de réponse. Elle se rendit dans le salon et resta figée, sous le choc. Elle vit son défunt mari.
— Jim… , murmura Melinda, n'en croyant pas ses yeux.
Elle voyait son mari devant elle, comme s'il était vivant. Elle avait envie de s'approcher et de le serrer dans ses bras, mais elle savait qu'il n'était qu'un fantôme.
Jim restait silencieux et la regardait d'un air triste. Elle avait peur. Où était-il tout ce temps ? Et s'il ne l'aimait plus ? Et s'il la détestait ?
Melinda s'approcha de lui et le regarda dans les yeux.
— Jim, dis quelque chose, murmura-t-elle, la voix tremblante. Où étais-tu ?
— Ici, répondit Jim. Simplement tu ne me voyais pas.
Melinda expira et des larmes perlèrent le coin de ses yeux et coulèrent le long de ses joues.
— Je suis désolée… , chuchota-t-elle.
— Tu ne voulais pas me voir. Maintenant, je sais pourquoi. Tu as un autre homme, dit Jim d'un ton neutre, puis il disparut pour réapparaître derrière elle.
Les paroles de son défunt mari sonnèrent pour elle comme une insulte.
— Quoi ? Comment ? demanda-t-elle, indignée, en se retournant vers lui.
— J'ai tout vu, répondit Jim en serrant les lèvres pour contenir ses émotions.
— Qu'est-ce que tu as vu ? demanda Melinda d'un ton provocateur en s'avançant vers lui.
— Rick Payne qui passe la nuit chez nous ! s'écria-t-il avec indignation.
Puis il disparut et réapparut près du canapé.
— Et puis, quand vous avez essayé de m’invoquer à l’aide de cette maudite planche, qu'y avait-il entre vous ?
Il se matérialisa juste devant Mel.
— Réponds-moi.
— Tu es fou ? Il n'y a rien eu entre nous ! Il essayait juste de m'aider.
— Oh ! Comme c'est mignon ! Ton mari est mort et ton ami, qui a des sentiments pour toi, viens te réconforter, se moqua Jim.
— Des sentiments ? répéta Melinda. Mon Dieu, Jim, tu es cinglé !
— Moi, cinglé ? C'est toi qui a fait quoi ici ? Tu sais, de mon vivant, j'avais remarqué la manière dont il te regardait…
— Tais-toi, Jim ! Melinda le fixa avec indignation. Ne dis pas de bêtises !
Puis, d'une voix plus douce, elle ajouta :
— Je n'ai jamais aimé un autre homme que toi.
— J'en doute fortement, lança Jim avant de disparaître.
— Reviens ! cria Melinda. C'est toi qui as cassé des objets chez Rick ?
Au lieu de répondre, des livres tombèrent de l'étagère.
— Apparemment, oui ! lança Melinda dans le vide.
***
Plusieurs heures passèrent, mais Jim ne revint pas. Melinda eut de nouveau froid ; elle alluma la cheminée et prépara le dîner. La jeune femme réfléchissait à ce qu'elle allait faire. Elle repassait sans cesse dans sa tête les paroles de Jim au sujet de Rick.
« Comment a-t-il pu penser qu'il y avait quelque chose entre Rick et moi ? », se désolait la jeune femme.
Plus elle y pensait, plus elle se demandait ce que cela signifiait. Pourquoi Delia et Jim en parlaient-ils tous les deux ? Elle ne voulait pas admettre qu'il y avait eu une étincelle entre elle et le professeur.
Elle n'avait pas encore fini de dîner qu'un autre invité fit irruption dans la maison. Une silhouette sombre se détacha du coin du salon et se dirigea droit vers Melinda.
— Qui êtes-vous ? s'écria la médium en remarquant le mouvement de l'ombre. Que veux-tu ?
La pièce se refroidit subitement. L’antiquaire avait l'impression d'être debout sur un glacier. Elle ne pouvait pas distinguer le fantôme qui ressemblait à une ombre informe coiffée d’un chapeau.
— Ne te mets pas en travers de mon chemin… , dit une voix grave, presque inhumaine. Quitte la ville.
— Pas question ! Pourquoi effraies-tu les fantômes ? Veux-tu leur faire du mal ?
À cet instant, Melinda eut de la difficulté à respirer. La silhouette ne s'approcha pas d'elle, mais la jeune femme sentit que cet étrange apparition l'étouffait.
— Tu es une puissante oratrice, mais je suis plus fort, dit le revenant avant de disparaître.
— Mel, ça va ?
Inquiet, Jim apparut à ses côtés.
— Pas vraiment...
— Je n'ai pas pu entrer dans la maison. C'était comme si elle était protégée contre l'intrusion des esprits.
— Tu le connais ? demanda Melinda.
— Je ne l'ai vu que deux ou trois fois.
— C'est Romano ?
— Non, mais il traîne avec lui.
— Que veut-il ?
— Je ne sais pas, mais il n'est pas venu avec de bonnes intentions…
Jim s'immobilisa un instant en tendant l'oreille.
— … Mel, on dirait que ton professeur a besoin d'aide...
— De quoi parles-tu ? s'étonna-t-elle.
— J'entends... Quelque chose qui ressemble à une radio fantomatique. Tout le monde dit qu'un esprit effrayant se trouve actuellement dans le cimetière et qu'il n'est pas seul. Il va tuer Rick.
— Quoi ? Oh mon Dieu !
Melinda attrapa son manteau et sortit en courant de la maison. La jeune femme s'assit au volant et démarra le moteur.
— Je ne suis certes pas fan de Payne, mais on ne peut pas le laisser mourir, dit Jim en apparaissant sur le siège voisin.
— Pourquoi ferait-il ça ?
— D'après ce que j'ai compris, il doit faire un sacrifice.
— Putain de taré ! jura Gordon.
Elle arriva rapidement au cimetière et aperçut la voiture du professeur.
— Pourquoi diable est-il venu ici tout seul ? Sans rien me dire !
La jeune femme courut vers le portail ouvert et se mit à chercher Richard Payne.
— Par là, Melinda, indiqua Jim en montrant une tombe.
La médium courut et vit le professeur Payne allongé sur le sol, pratiquement inconscient.
— Rick !
Melinda voulut s’élancer vers lui, mais l’homme au chapeau apparut à côté d'elle.
— Part ! Vite ! cria Jim en se précipitant vers le fantôme au chapeau. Je vais le retenir.
Melinda vit Jim entrer en lui, puis les deux silhouettes disparurent en se dissolvant dans l'air nocturne.
— Jim ! paniqua Melinda.
Elle voulait suivre son mari pour l'aider.
— Bien, bien, bien ... Reprends tes esprits, s’enjoignit dans un murmure la jeune femme.
Elle courut vers Rick et s'assit à côté de lui. Le professeur était inconscient. Il semblait avoir souffert d'hypothermie. Elle sortit son téléphone et composa le 911.
***
Rick Payne ne reprit conscience qu'une journée plus tard. Melinda resta à son chevet tout ce temps. Delia, Ned et Eli James étaient déjà passés prendre des nouvelles de la santé du professeur.
Jim la regardait à travers la fenêtre de la chambre d'hôpital. Son regard était triste, voire accusateur. Pour une raison quelconque, il n'osait pas entrer. Melinda était sur le point d’aller le voir quand soudain, Rick ouvrit les yeux et la vit.
— Dis-moi, suis-je au Paradis ? dit-il avec un faible sourire.
Melinda lui rendit un sourire radieux en lui prenant la main.
— Le Paradis devra attendre, répondit Mel en riant, les larmes aux yeux.
— Oh, merde ! C'est l'hôpital ? C'est ça ?
Melinda acquiesça.
— Comment ? Comment m'as-tu trouvé ?
Il avait encore du mal à parler.
— Ce n'est pas important. L'essentiel, c'est que tout aille bien.
— J'ai trouvé sa tombe...
— La tombe de qui ? Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?
— Désolé, je ne voulais pas te mettre en danger. Comment l'as-tu appris ?
— Jim me l'a dit.
— Oh ! fut tout ce que Rick parvint à dire. Je suis un idiot.
— Ce n'est pas grave, répondit Melinda. L'essentiel, c'est que tu sois en vie, sourit-elle à nouveau.
Le professeur lui serra doucement la main.
— Avec un ange gardien comme toi...
Il voulait ajouter quelque chose, mais sa langue lui obéissait mal.
Leurs regards se croisèrent et, pendant une fraction de seconde, l'air sembla scintiller. Rick était encore trop faible pour comprendre ce qui se passait, mais il crut voir quelque chose de magnifique dans les yeux de Melinda. L'espace d'un instant, il eut envie de se jeter dans ce tourbillon. Pris d'une étrange impulsion, la médium se pencha vers Rick et effleura ses lèvres. Son baiser était insistant et implorant. Le professeur fut d'abord déconcerté, puis il lui rendit son baiser. Ce dernier dura à peine une demi-minute, puis Melinda le rompit et se leva d'un bond.
Horrifiée, elle jeta un regard à Rick, puis sortit en courant de la chambre.