Just be an us

Chapitre 1 : L'un et l'autre

1384 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/08/2023 00:37

Bonjour, bonsoir,

Une envie soudaine de les écrire tous les deux. Ce n'est pourtant pas une chose que je fais régulièrement, écrire une continuation d'épisode comme ça. Pourtant, ces deux-là, ils me hantent. Alors je les écris et cela me rend heureuse.

Il y aura certainement trois chapitres, peut-être quatre. Ce ne sont que de simples retrouvailles.


______________________________________




La main accrochée au volant de sa Bentley, Crowley se persuadait que tout allait bien. Aussi roulait-il sans se préoccuper ni de sa vitesse, ni des coups de klaxon qu’il laissait derrière lui. Sur la banquette arrière, ses plantes frémissaient à chaque virage serré — à chaque virage, donc. Mais il les fusillait si bien du regard dans le rétroviseur qu’aucune n’osait laisser trembler une seule de ses feuilles. Et inlassablement, la Bentley grillait feu rouge et stop, soumise aux coups de volant furieux de son maître qui gardait une main devant sa bouche, la pulpe des doigts caressant sans y penser ses lèvres. L’autoradio restait résolument silencieuse tandis qu’il sillonnait la ville en sachant pertinemment où il allait. 

Quelque part sur Saint-James Street, la Bentley pris un virage soudain qui fit crisser les pneus sur la route et roula à une vitesse indécente sur plusieurs mètres. Elle s'arrêta brusquement devant le 150, Piccadilly Street. Crowley sortit de la voiture de sa démarche chaloupée, claqua la porte derrière lui et arrangea sur son nez les verres obscurs qui cachaient son regard — entre autre chose. Il leva les yeux sur le magnifique bâtiment et renifla avec hauteur : des pensées troublées l’envahirent à cette vue familière. Ce n’était pas lui qui aimait le Ritz, il trouvait le bâtiment beaucoup trop clinquant. 

Il entra pourtant et se fit conduire à la table qu’il avait réservée pour le petit-déjeuner très alcoolisé qu’il avait vanté à Muriel, il y a moins d’une heure. Le temps qu’on lui amène la bouteille qu’il avait commandée et qu’on lui en serve un verre, un homme engoncé dans son uniforme s’approcha et fit mine de récupérer les couverts de la seconde place, diaboliquement vide. 


« Non, laissez ! »


L’idée qu’on ôte les couverts d’Aziraphale — Satan, il ne méritait pas qu’il prononce son prénom ! — lui était insupportable. 


« Une autre personne se présentera-t-elle, monsieur ? demanda poliment l’employé. 

— Évidemment, » cracha Crowley. 


Et il avala le fond de son verre, qui était en fait remplit plus haut que la moitié. Il commanda une seconde bouteille, puis une troisième et renvoya à la cuisine tous les plats qui auraient dû contenter les papilles de... Enfin, des papilles qui n'étaient pas les siennes et qui s’élevaient actuellement vers un Ciel qui était beaucoup plus important que lui. Une vague de désespoir secoua Crowley — il lui fallut commander une quatrième bouteille pour supporter les lamentations de son âme. 

Ce nombre de commandes expliquait pourquoi, moins d’une heure plus tard, le démon légendaire criait des insanités au milieu du Ritz, seul à sa table de deux. Il finit par jeter une bouteille qui s’éclata contre le mur en répandant sur la moquette et la peinture une nuée de gouttes écarlates. 


« Vous ne dîtes jamais ce que vous pensez ! s’égosilla-t-il en répétant les paroles de Maggie. Et bla-bla-bla ! Je vous en foutrais, du…

— M-monsieur, vous devriez… 

Quoi ? » s’exclama Rampa, furieux, en se retournant brusquement. 


Le serveur déglutit péniblement, incapable d’articuler le moindre mot. Le démon s’affala de nouveau dans son siège, les mains négligemment abandonnées par-dessus les accoudoirs et le regard levé vers le ciel. 


« Oh, foutu Aziraphale, » siffla-t-il en s'adressant au plafond. 


Si la colère rendait son ton plus dur que la pierre, son cœur, lui, souffrait comme il n’avait pas souffert depuis… Depuis que la librairie avait été réduite en flammes, réalisa-t-il. Il était en colère contre l’ange, d’une colère si intense qu’il n’arrivait plus à savoir si c’était de la peine qu’il ressentait ou de la rage. 


*


L’ascenseur montait, montait, montait et Aziraphale se persuadait que tout allait bien. Tout était si lumineux ici, si angélique. Nous étions bien loin de la vieille librairie, des livres poussiéreux récupérés et entassés au fil des millénaires. Mais c’est bien, songea Aziraphale, je vais changer les choses, faire le Bien. Son regard restait coincé sur la partie inférieure droite de l'ascenseur qui n’avait rien de particulier : cela faisait un moment maintenant que la fenêtre donnant sur la librairie, et sur un morceau de rue dans laquelle se trouvait la Bentley, avait disparu. Mais Aziraphale ne pouvait détourner les yeux. Les mains plaquées contre le ventre, il entremêlait ses doigts et les tordait sans que cela n’apaise pour autant les sursauts désordonnés de son cœur. 

Un tas de choses lui passaient par l’esprit. « Le second avènement ! », « Il pourrait être votre bras droit », « nous aurions pu être un nous… », « pas un rossignol », « tu peux revenir au Ciel ! », « tu lui as dit où il pouvait se le me… ». Il entendait les voix dans sa tête et les mêmes scènes se rejouaient inlassablement dans son esprit.


« Vous allez faire un travail formidable, Archange Aziraphale ! » intervint soudainement le Métatron en lui souriant. 


L’ange se gribouilla un vaillant sourire sur le visage en se tournant vers lui. Il était à moitié persuadé que le mythique vieil homme avait entendu ses pensées, ou quelque chose dans ce goût-là. Et il s’en persuada si bien qu’il ne put empêcher d’autres pensées de s’imposer et tout à coup, ses lèvres se mirent à le brûler. Oh, mais qu’était-il donc passé par l’esprit de Crowley quand il s'était jeté sur lui ? Un ange et un démon !

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent dans un bruit sonore. Un hall plus blanc que blanc apparut devant les yeux émerveillés de l’Ange qui, pour la première fois depuis des semaines, pouvait de nouveau sillonner cet endroit en toute légalité. Cela lui faisait un bien fou de revenir ici ; les choses revenaient enfin à leur place ! Qu’importe que le démon n’ait pas voulu le suivre puisqu’il avait retrouvé sa place au Ciel ! 

Dans un tourbillon d’émotions et de vagues de joie entrecoupées seulement par quelques crispations affolées de son cœur, Aziraphale se vit présenter à de nombreux anges qu’il ne connaissait point et eut le plaisir — du moins, le pensait-il — de retrouver quelques têtes connues — qui, remarqua-t-il, ne lui avaient pas manqué outre mesure. Jamais son sourire ne quitta ses lèvres. Le regard qu’il posait autour de lui était brillant et pétillant. 

Ces bons sentiments perdurèrent jusqu’au moment où il se retrouva seul dans son bureau. Bureau qui se trouvait dans un hall blanc semblable à tous ceux qui composaient le Ciel et qui avait pour seul voisin des mètres et des mètres, des kilomètres pourrait-on croire, de vide. Aziraphale prit place sur le fauteuil, croisa les mains sur la paperasse qui occupait déjà le plateau de verre et regarda autour de lui sans trouver quoi que ce soit qui réussit à accrocher son regard. Alors il baissa les yeux sur ses mains et remarqua que ses doigts étaient crispés, ses phalanges blanchâtres. Tout à coup, ses poumons recrachèrent tout l’air qu’ils contenaient et ses épaules s’affaissèrent ; la solitude qui étreignait son cœur était plus douloureuse que tout ce qu’il avait pu connaître par le passé.



« Oh, Crowley ! se lamenta-t-il, attristé que son ami ait fait l’erreur de ne point accepter l’offre du Métatron. Nous aurions pu être des anges, ensemble… »

Laisser un commentaire ?