Love Ineffably

Chapitre 1 : Le démon s'habille en tenue d'Adam

2257 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/11/2023 13:05

  • « Oh yes, I'm the great pretender,
  • Pretending I'm doing well
  • My need is such I pretend too much
  • I'm lonely but no one can tell.
  • Oh yes, I'm the great pretender
  • Adrift in a world of my own
  • I play the game to my real shame
  • You've left me to dream all alone. »
  • The Great PretenderFreddie Mercury


Toutes les fois où je déprime en voyant ce qu'il se passe dans le monde que j'ai créé, je jette un œil à cette petite rue de Soho enveloppée dans une bulle d'amour : ici, point de crimes ou de conflits, les boutiques ne connaissent pas la crise et lorsqu'un commerçant décide de tirer le rideau, c'est parce qu'il vient de rendre l'âme, qu'il profite d'une retraite bien méritée ou qu'il vient d'ouvrir une maison d'hôtes en Normandie. Vous, êtres façonnés à l'une de mes images, vous pensez vivre dans un monde de haine et de cupidité. Je ne suis pas tout à fait d'accord : j'ai plutôt l'impression, et ce même si l'envie de vous exterminer me prend sept ou huit fois par jour, que l'amour est partout dans notre monde. Il n'y a pas toujours de quoi en écrire un roman d'amour ou d'en faire un film réalisé par Richard Curtis, mais il est bien là. Père et fils. Mère et fille. Frère et sœur. Mari et femme. Époux et mari. Femme et épouse. Copains, copines. Vieux amis. Ange et démon.

L'une de ces traîtresses créatures s'apprêtait à en ressentir les troublants effets, mais je m'égare et, comme toute bonne histoire qui se respecte, je me dois de vous relater les faits en respectant une certaine chronologie afin d'en garder tout le sel. Notre démon – jadis, il M'appartenait et il était l'un de mes meilleurs employés célestes –, en cette pluvieuse journée de décembre typiquement londonienne, roulait à plein gaz dans les rues, bien au-dessus de la vitesse autorisée tout en hurlant des insanités à ses pauvres plantes vertes tremblant sur la banquette arrière.

La perte de son appartement après son « petit écart apocalyptique » continuait de le contrarier et selon lui, le peu d'espace dont il disposait désormais nuisait à la croissance de ses plantes. C'est pourquoi, il avait pris l'habitude de rouler toute vitre ouverte afin de leur donner un semblant de vigueur. Sentant la colère de son propriétaire – qui n'était pas difficile à deviner au vu de la fumée lui sortant des oreilles –, la voiture se cabra et bien décidée à lui montrer sa propre irritation, tenta de ralentir la cadence imposée. Il laissa échapper un juron que je répéterai pas ici, mêlant Mon Nom et Celui de Vous-Savez-Qui, avant de braquer vers la droite, manquant d'écraser de peu un troupeau de scouts, pour s'engager en direction de Regent Street. La Bentley, comprenant qu'elle ne parviendrait pas à faire entendre raison à son maître, procéda autrement. Elle se mit à ronronner, actionna son autoradio et se mit à diffuser une chanson pour qui, elle éprouvait une passion pas si secrète.


I don't want a lot for Christmas

There is just one thing I need

I don't care about about the presents underneath the Christmas Tree

I just want you for my own

More than you could ever know

Make my wish come true

All I want for Christmas is you.


Le démon asséna un violent coup de poing contre le tableau de bord, la radio grésilla et la voix de Freddie Mercury, dirigeant à présent la Chorale du Très-Haut, entonnant Thank God It's Christmas s'échappa des haut-parleurs. Lassé d'avance par cet excès de chants de Noël, l'Ange-Dont-J'-Avais-Volé-Le-Nom éteignit l'autoradio et ralentit l'allure afin de mieux observer les vitrines aux alentours. Il claqua des doigts et remplaça la tête d'un mannequin par celle d'un monstre, correspondant davantage à ses goûts démoniaques.

Cet amoureux de l'humanité ne partageait pas l'engouement général pour cette fête qu'on s'acharnait à faire passer pour celle célébrant la naissance de mon enfant divin. Soyons bien clairs : Je n'ai jamais aimé les enfants et surtout pas ceux conçus par mes trop nombreux acolytes des religions polythéistes et lorsque je les ai tous mis en retraite, je me suis assurée de faire disparaître leurs marmots trop encombrants. Je n'ai jamais voulu de divine progéniture mais Gabriel avait insisté, prétendant que cela serait bon pour nos affaires. Je ne suis pas toujours convaincue des retombées de ce plan marketing, mais tant mieux si cela vous permet de vous gaver chaque année de la dinde au curry de votre mère, de porter le pull moche tricoté par votre grand-mère sénile, d'être bercé(e) par les remarques de votre tante aigrie sur votre absence de vie sexuelle et d'avoir votre croupe flattée par le vieil ami de la famille.


Mon Talentueux ex-Ange s'apprêtait justement à recevoir la visite d'un « ami » qui s'y connaissait en séants. Tout occupé à faire claquer une à une les ampoules de la guirlande serpentant entre deux immeubles, il ne vit pas les feuilles de ses plantes frémir au contact d'une peau démonique. Lorsqu'il releva la tête pour profiter des effets de son méfait, il vit apparaître l'ami en question, en tenue d'Adam, sur sa banquette arrière. La Bentley s'arrêta dans un crissement de pneus furieux, manquant de peu de s'encastrer dans un Père Noël annonçant la fin du monde près de la devanture d'une boutique ésotérique.


– Bonjour ma couleuvre, siffla le bel éphèbe tout en caressant le Sanseviera.

– Kelen !? Qu'est-ce que tu fiches ici ! Et vous, hurla-t-il à ses plantes, arrêtez ça immédiatement!

Elles cessèrent leurs minauderies.

– Crowley, vile vipère, tu es bien dur avec ces charmantes demoiselles, murmura le démon au visage d'ange tout en titillant le Ficus du bout de son gros orteil charmant.

Il se redressa sur un coude, le Monstera abaissa l'une de ses feuilles afin de masquer l'entrejambe de leur visiteur (in)désirable.

– Tu ne pourrais pas t'habiller ? grogna le conducteur tout en détournant ses yeux du rétroviseur.

– Suffit de me le demander,


Le jeune démon claqua des doigts et se retrouva vêtu d'une tenue d'enfant de choeur. Il réajusta son col et lissa ses cheveux tout en dardant son regard d'un bleu chérubin vers son collègue infernal. Crowley se mit à renifler autour de lui : l'air s'était chargé d'une odeur étrange, un curieux mélange de sueur, de vin et d'autre chose indéfinissable. Cette odeur lui était quelque peu familière, mais il ne parvint pas à l'associer à un souvenir. Il lança un nouveau regard vers son passager qui faisait miroiter la petite chaîne dorée ornée d'une croix attachée à son cou gracile. 


– Que me veux-tu ? demanda le démon qui n'était plus en odeur de « démonité » . C'est eux qui t'envoient ?

– Pas du tout, disons que je suis en « mission personnelle », souffla Kelen en faisant effectuer un tour complet à sa petite croix. Sais-tu que dernièrement, j'ai séduit un pasteur ?

– C'est ton job, non ? ricana le démon.

– Pasteur, prête, moine, sœur, Mère Supérieure, séminariste... depuis des siècles, c'est un jeu bien trop facile ! geignit le jeune démon. Je m'ennuie !

– Que puis-je y faire !? marmonna Crowley, va demander une promotion.

– Je ne veux pas d'une promotion, répliqua Kelen en portant son pendentif à ses lèvres. J'ai besoin d'autre chose. J'ai envie de nouveauté.

– Envoie ton CV au Grand Patron.


Crowley tenta d'accélérer pour couper court à cette conversation mais la Bentley refusa de lui obéir ! Un bruit s'apparentant à celui d'un coup d'ailes furieux se fit entendre. Il tourna la tête et vit avec horreur que Kelen se tenait à présent sur le siège passager, occupant la place que seul un ange de sa connaissance était autorisé à occuper. Le mignon claqua des doigts et la voiture, échappant au contrôle de son fidèle propriétaire, fit une embardée avant de prendre l'allée réservée aux bus. Crowley tenta de reprendre le contrôle de la situation, mais bien décidé à lui mener la vie infernale, Kelen fit grimper la petite flèche kilométrique bien au-dessus du déraisonnable que s'autorisait Crowley. Le moteur vrombit, tandis que la voiture filait en direction d'une petite vieille traversant le passage piéton. Crowley appuya sur la pédale de frein et faisant appel à toute la puissance de son aura démoniaque, parvient à stopper la Bentley à quelques centimètres de la vieille dame. Celle-ci leva sa canne et frappa le capot de la voiture en se répandant en injures avant de poursuivre son petit bonhomme de chemin, alors qu'à quelques petits centièmes de secondes près, elle aurait pu rejoindre l'un des cercles des Enfers.


– Tu risques de t'attirer des ennuis, siffla Kelen en voyant la Bentley redémarrer. Tes gentillesses de petite fille allant au catéchisme vont finir par te perdre.

– Je ne suis pas gentil !

Le jeune démon s'agenouilla sur le fauteuil, sans se soucier des récriminations de son collègue lui ordonnant de ne pas abîmer son siège, il se pencha vers lui, pointant une petite langue pleine de douces promesses vers le petit tatouage reptilien lové près de son oreille.

– Un de ces quatre, ils te noieront dans une piscine d'eau bénite.

– Ça te ferait plaisir, pas vrai ?


La brusque proximité avec Kelen devenait inconfortable. Crowley s'était toujours tenu à l'écart de cette esquisse pourriture et s'était toujours assuré de ne jamais se retrouver dans son sillage. Bien des hommes et des femmes de foi ou de grande vertu avaient perdu leur raison au contact de cette beauté diabolique, et il faisait aussi tourner bien des têtes en Enfer. Le souffle aviné cognant contre sa peau lui arracha de légers frissons extatiques. Il n'était pas certain qu'un Ange puisse également résister à cette divine tentation... Comme sous l'emprise d'un puissant sortilège, il inclina la tête sur le côté, laissant les lèvres charnues effleurer sa peau.


– Je dois avouer que le maillot de bain désuet te sied à merveille, chuchota le jeune démon dans un petit rire délicieux.


Cette simple phrase suffit à faire reprendre possession de ses sens troublés au démon infréquentable. Il braqua son volant vers la droite. Kelen perdit l'équilibre, et se retrouva projeté contre la vitre. La charmante ordure, constatant les effets de son redoutable pouvoir, ne put réprimer un sourire que n'aurait pas renié Lilith. Il savait combien son attraction était puissante et ce démon à la beauté angélique avait toujours veillé à se parer d'enveloppes charnelles désirables. Il avait atteint le comble de ses espérances démoniaques lorsque sa ravissante image avait été figée pour l'humanité sous les traits d'un Jean-Baptiste bien plus que tentateur que Saint, quelques siècles auparavant.


– L'Enfer est d'un ennui mortel depuis le capotage de l'Apocalypse. Même Belzébuth est devenu(e) inintéressant(e), toujours à rêvasser et à chantonner un stupide refrain sur des rossignols et un square. Tu parles d'une immortalité !

– Tes états d'âme et ceux de ce papier à mouches ne m'intéressent guère ! Trouve-toi un monastère et laisse-moi tranquille !

– Je crois que tu ne m'as pas très bien compris, murmura le jeune démon. Je m'ennuie et j'ai besoin de saines distractions.

Kelen entrouvrit les lèvres, révélant ses adorables petites incisives ayant fait le malheur du cœur trop fragile d'un président français à la toute fin du dix-neuvième siècle.

– Et si on jouait, tous les deux ?

– Je ne joue pas avec les démons, Kelen !

– Mais tu fraternises bien avec les anges, fit la créature dans un murmure menaçant. Je me suis toujours demandé quelle sensation cela ferait, de perdre un Ange.


La Bentley s'immobilisa pour de bon sur une place pour handicapés. Crowley se retourna vers la gourmande rancissure qui se redressa, en recoiffant ses beaux cheveux ayant conduit la Mère supérieure d'un couvent irlandais à la folie.

– Joue le jeu, Archi-traître, et aucun mal ne sera fait à ton angelot...c'est quoi, déjà son petit nom ? Prise Péritel ? Quasi Minitel ?

– En quoi consiste ton jeu ? cracha un Crowley partagé entre l'envie de le plonger dans une cuvette d'eau bénite ou de le réduire en cendres.

– Juste un petit duel infernal.

Il se tourna et pointa son index délicat vers le bâtiment devant lequel la voiture était garée.

– Seras-tu capable de faire succomber le bon vieux Gordon au démon de midi ?


Crowley n'eut pas le temps de décliner ou d'accepter l'étrange proposition. Kelen disparut dans un claquement de doigts, ne laissant dans son sillage comme trace de son passage, que cette odeur poisseuse, fleurant bon la tentation. 

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