Get thee behind me, fool friend – 7 Sins Challenge

Chapitre 2 : La colère - I want to break free

2357 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/02/2024 22:31

Cette fanfiction est une réponse au challenge "7 sins : les sept péchés capitaux" qui se déroule actuellement sur le forum de FFR

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LA COLÈRE

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I WANT TO BREAK FREE

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« Donnez-moi le café, ou donnez-moi la mort ».

Ce n'était pas juste le nom spirituel ou amusant d'un petit établissement de Soho, gambergeait sombrement Crowley, en regardant la rue sans la voir, un gobelet refroidi dans la main. S'il avait fait des lieux son quartier général après la perte de son appartement de fonction, quelques mois plus tôt, ce n'était pas un hasard. Si Aziraphale et lui s'y étaient retrouvés aussi souvent après le fossoyage de la Mission Apocalypse par ce jeune et brave Adam, ce n'était toujours pas un hasard.

En tous cas, en son for intérieur, le démon espérait que son comparse le savait lui aussi. Aziraphale était un érudit. Avec tout ce qu'il avait lu, il y avait une petite chance qu'il ait la référence.

Peu importait ce que les gens du quartier attendris ou salaces voulaient voir comme signification cachée derrière l'âpre breuvage comme métaphore de l'amour ou du sexe. Mme Sandwich était la première à alimenter les ragots à son propos, en soulignant avec force moue entendue qu'il le prenait serré, très noir, abondamment et… souvent. Cela ne l'agaçait que modérément. Somme toute, cela servait ses intérêts. De la publicité gratuite qui entretenait vaguement son aura sulfureuse. Car, comme il aimait à le rappeler, particulièrement à lui-même, il n'était pas un gentil mais un abominable démon cruel, une engeance menteuse sans scrupules, tremblez pauvres mortels, et blablablablabla…

Non, si le café était une métaphore de quelque chose, c'était celle de la liberté. C'était ça, la formule originelle. « Donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort » *. Et si vous gardez ça en tête, vous comprenez soudain pourquoi ce démon encadré de ses deux ailes « Grogne » et « Sarcasme » s'avère de mauvaise humeur, quatre-vingt-dix pourcents du temps.

(Excepté quand il peut entarter méchamment le duc Hastur à l'eau bénite ou le coincer dans le réseau du téléphone et sur son répondeur. Ça soulage un peu.)

Donnez-moi la liberté ou la mort. Vivre libre ou mourir. Mais que reste-t-il aux anges et démons qui ne peuvent pas réellement faire le choix de perdre la vie éternelle ?

Puisqu'il n'avait pas le droit de réclamer cela à haute voix, la seule alternative était six shots d'expresso bien symboliques dans une grande tasse cartonnée. Et la fréquentation obstinée d'un petit repaire de caféinomanes où sur le comptoir et sur les murs, des statues de la Liberté brandissaient infatigablement le flambeau de ses espoirs pétrifiés et déraisonnables. Donnez-moi un petit espace du monde où je pourrais rêver d'être exactement qui j'ai envie d'être.

N'en déplaise, être ronchon n'est pas exactement un trait de caractère. "Oh la la, M. Crowley, il est chou mais trop bougon ! Il fait tout le temps la tête comme si on avait pissé sur ses bottes. Faudrait qu'il vienne se détendre un peu cinq minutes, c'est quoi son problème ?". C'était une fille du « Club Sandwich » qui avait dit ça à la cafetière, en prenant sa pause. Il n'avait pas tourné la tête mais son sourire s'était fait grinçant.

Ben voyons !

Le problème de Crowley, c'était qu'il était en pétard depuis des milliers d'années. On aurait pu croire qu'il aurait fini par devenir blasé. Que tout allait glisser sur lui comme l'eau sur les plumes d'un canard. Mais non ! La colère ne le quittait jamais. Ou alors seulement en de très rares occasions qui coïncidaient parfois avec l'entrevue inopinée de son homologue céleste.

Est-ce que ça datait de la Chute ? Possiblement.

En bon vieux routard de la colère, il la gérait de main de maître. Elle cuisait à petit bouillon. La plupart du temps, il la gardait sous le boisseau, en l'atténuant, en la déguisant, en louvoyant avec. Grogner, répondre du tac au tac, se moquer, taquiner parfois (car qu'est-ce que la taquinerie sinon la forme la plus gentille de l'agressivité ?). Et tout ce que d'autres voyaient comme son problème, c'était en réalité sa solution pour essayer de supporter la tyrannie. Cette évidence désolante que toutes et tous (même les grosses têtes de Là-Haut) étaient prisonniers du « système », qui dicte à chacun ce qu'il est, et comment il doit se comporter en fonction.

Je suis un démon et les démons font le Mal, répandent le mensonge, sèment la corruption, tuent des innocents, et même des Justes. Tout ce qu'il faudra pour récolter le plus d'âmes possible qui iront souffrir éternellement en enfer. Et ils n'ont rien à dire, juste à faire ce qu'on attend d'eux. Super !

« Qui-suis-je ? » avait demandé Aziraphale, après avoir menti à Gabriel et aux autres lèche-culs à propos de la procréation humaine – sujet auquel, soit dit en passant, l'intégralité de la clique paradisiaque n'entendait fort heureusement strictement rien.

Ayant agi en dehors des clous (sans mauvais jeu de mot sur la Crucifixion), l'angelot avait pensé qu'il était déchu de fait « parce que mentir, eh bien, c'est ce qui définit les démons », ça pour sûr Crowley en savait quelque chose et il aurait eu du mal à l'oublier. Il se le répétait et répétait, comme si ça avait une chance de rentrer et de faire sens. Ce bêta blond tout rond l'avait pris au pied de la lettre ! Franchement, même avec le cœur sec qu'il avait aujourd'hui, ça lui faisait quand même toujours un peu mal au ventre de voir son pacifique ami ficelé par ce dogme comme un de ces rôtis qu'il aimait tant.

« Qui suis-je ? Dites-le-moi. » avait pareillement demandé un « Jim » vierge de tout souvenir, en débarquant à poil sur le pas de porte du plus mauvais vendeur de Londres.

Il aurait bien aimé voir sa tête, ça avait dû être hilarant. Un de ces petits moments qui rendaient son univers moins hideux, et ses instants moins lourds…

Stop. La colère oui, le spleen, non. Il avait sa dignité.*

Blague à part, Satan savait combien par deux fois, ce pur connard de Gabriel lui avait donné des envies de meurtre sauvage ! Si on lui avait posé la question, le déchu aurait dit que c'était l'Ange Suprême qui était malfaisant, froid, indifférent, égotique, etc, la liste n'étant pas exhaustive… En le trouvant amnésique et enrubanné dans un rideau sur le tapis usé de la boutique, il avait failli lui sauter à la gorge pour avoir tenté d'exterminer son ami de sang-froid, en le regardant bien dans les yeux, ce connard pompeux si imbu de lui-même...

Mais Jim ? Gabriel sans mémoire ? Pouvait-on lui reprocher d'avoir commandité la mort d'Aziraphale ? Eh bien non ! Jim l'avait énervé. Non pas parce qu'il était gentil et insignifiant. Mais parce qu'une fois débarrassé de sa mauvaise conscience, il était libre. Libre d'être qui il voulait, avec qui il voulait, et responsable de rien ! Gabriel et sa complice Belzébuth avaient fugué comme des gamins, et tout le monde s'en foutait complètement. Les autres avaient protesté pour la forme mais les effacer du Livre de la Vie ? Ah ça, non, certainement pas !

Une rage sourde avait dépiauté son cœur et ses entrailles. Deux poids deux mesures. Des représentants de camp opposés envoyés sur Terre qui font capoter un Grand Plan Fumeux et opèrent un petit miracle à cent mille lazari, et c'est l'annihilation totale garantie. Mais un Archange Suprême et un Duc des Enfers qui tombent amoureux et se barrent en envoyant tout valser, on s'en fiche parce qu'ils font de la place aux Iznogoods ? Oh, s'il avait été mortel, il s'en serait collé un ulcère tant il était… ulcéré. Et il en aurait ressenti une brûlante et violente envie aussi. Mais ceci est un autre péché dont il se foutait, lui aussi, éperdument car les démons ne sont pas concernés.

Ils en ont d'autres. La générosité, l'équanimité, la frugalité, le dévouement, l'amour, le désintéressement, l'industrie diligente et d'autres horreurs nauséabondes du même acabit.

Il soupira, en essayant d'avaler une gorgée froide.

Avec le coup de maître que lui avait joué Métatron en apportant à l'angelot le fallacieux café d'une fausse liberté, la colère amère de Crowley était au mieux de sa forme. En d'autres circonstances, il aurait été impressionné parce que là, c'était vraiment, une belle saloperie qu'il lui avait faite dans le dos. Ce n'était plus le Ciel qui lui avait pris Aziraphale contre son gré. C'était Aziraphale qui avait choisi d'y aller à peu près volontairement en se dépouillant de tout ce qu'il avait patiemment gagné en autonomie durant les millénaires. Sans voir que c'était un jeu de dupes.

Parfois la colère de Crowley s'acharnait contre lui-même au lieu de trouver des boucs-émissaires extérieurs. Pourquoi avait-il refusé l'offre ? Comme si une nouvelle casquette et une toge à collerette dorée auraient eu le pouvoir de le redéfinir lui aussi ! Comme s'il n'était pas évident qu'il allait prendre un malin plaisir à flanquer des coups de santiags dans la ruche du paradis pour voir ses abeilles s'agiter partout... Il aurait pu vendre ça à Satan, tenez. Brillant ! « Monseigneur, faites-moi confiance, laissez-moi être le cheval de Troie qui va les faire exploser de l'intérieur. »

Il grinça des dents. L'angelot aurait vu ça comme un traître sabotage en règle, et peut-être aurait-il réussi à le mettre en colère. Peut-être. Mais bon, il ne pouvait pas l'initier à tout non plus ! La gourmandise, c'était déjà pas mal, et avec ça, ils avaient pu aller déjeuner et parler sans fin jusqu'à plus soif…

Crowley soupira et considéra son gobelet XXL vide, se demandant s'il devait le remplir discrètement de n'importe quel alcool fort. Croisant le regard interrogateur de Nina qui le surveillait comme le macchiato sur le feu, il lui adressa un sourire mécanique avec un petit signe indiquant qu'il allait payer ses trois chopines de café bien tassé.

Puis il traîna sa minceur dégingandée de désœuvré, défilant comme un top model des années 80 jusqu'à la caisse, avec un petit coup d'œil à cette allumeuse de Miss Liberty.

Une fois dehors, un peu étourdi, il tourna automatiquement les yeux sur la devanture de la boutique de livres. Derrière le verre fumé de ses lunettes, il distingua Muriel qui lui faisait de grands signes. Muriel au moins ne semblait pas lui tenir rigueur d'être un démon. C'était probablement parce qu'elle ne savait pas du tout ce que ça signifiait. Il hésita, uniquement certain d'une chose : il ne mettrait pas les pieds à l'intérieur de cette foutue ambassade du Paradis. Oh ça non, plus jamais.

— Monsieur Crowley, il y a une lettre pour vous qui est arrivée. Elle est apparue sur le bureau d'Aziraphale, dit-elle en faisant un pas sur le trottoir.

Avec précaution elle la lui tendit sur ses deux paumes à plat, le temps qu'il la prenne avant de reculer sans savoir comment cacher son excitation.

Il haussa un sourcil très arqué en prenant le pli qui consistait en une simple enveloppe de papier jauni portant la mention de son nom – avec le J. Sans expéditeur ni affranchissement non plus.

Devant les yeux pétillant d'impatience de la jeune sous-scribe céleste de 47e rang qui avouait ne jamais avoir reçu le moindre courrier, il décacheta et sortit une carte où il était inscrit une unique phrase à l'encre.

Sa lecture ne fit qu'accentuer la moue amère du démon qui s'assombrit davantage avant de la jeter par-dessus son épaule sous le regard effaré de Muriel. Elle le regarda monter dans sa grande voiture noire et écraser violemment l'accélérateur et le klaxon, pour s'ouvrir un passage dans la Mer Rouge de la circulation routière.

Incertaine de l'attitude à adopter quant aux usages papetiers, elle se rapprocha du carré de carton fin, pensant que le laisser dehors était vraiment dommage. Personne ne faisait attention à elle, ce qui lui permit de le subtiliser discrètement avant de rentrer vite à l'intérieur. De son mieux, elle le reglissa dans l'enveloppe un petit peu abîmée qu'elle lissa de son mieux pour la défroisser et, toute guillerette, la redéposa où elle l'avait trouvée.

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"L'homme qui réclame la liberté, c'est au bonheur qu'il pense" ***

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Dieu seule savait ce que cela voulait dire.

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Notes

Le titre est bien entendu le titre d'une chanson de Queen. Je suppose qu'il a été utilisé dans des dizaines de fanfics depuis, vu la façon dont ses paroles peuvent résonner après la fin de la s2.

* "Donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort" est tiré du discours de Patrick Henry en 1775 et qui portait sur droits des colonies, qui est devenu un cri de guerre révolutionnaire américain (contre l'impérialisme anglais) et qui sera repris quinze ans plus tard par les Révolutionnaires français sous la forme "Vivre libre ou mourir".

Vous noterez que les deux étaient présents la Révolution française.

** « L'univers moins hideux et les instants moins lourds » est un extrait de L'Hymne à la Beauté de Charles Baudelaire, à qui l'on doit également le concept du spleen.

*** Citation de Claude Aveline.

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L'idée de cette fanfiction a pris appui sur une vidéo de Sendarya intitulée "Good Omens : Life after Coffee" que l'on peut trouver sur YouTube

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