Les belles et bonnes fortunes d'un dé
Chapitre 7 : La quête d'Anathème
3680 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 02/10/2025 13:45
Cette fanfiction participe au jeu d'écriture du forum Fanfictions.fr "Les dés sont jetés" (octobre 2024)
Le but du jeu : lancer un dé à 20 faces pour chacun des six paramètres, ce qui nous donne les clés d’un one shot.
Mon tirage :
caractéristique du héros : 9 – une femme
un lieu : 10 – chaleureux
un objectif : 3 – une découverte
un objet : 10 – une pelle
une rencontre : 14 – du poison
un obstacle : 8 – un os
Anathème Bidule avait eu un véritable coup de cœur pour cette petite maison en lisière du bourg de Tadfield, au cœur de la campagne anglaise. Ses murs de pierre patinés par les années et mangés de lierre, son toit de tuiles anciennes, ses fenêtres à petits carreaux, dégageaient une impression de douce chaleur et de confort douillet. Une fois franchie la porte d'entrée protégée par un minuscule porche, on pénétrait directement dans la cuisine, simple mais fonctionnelle, qui sentait bon le thé et la tarte aux pommes. La vaisselle en faïence, délicieusement désuète, côtoyait d'anciens récipients de cuivre et une collection impressionnante de cuillers en bois. Dans le salon, une grande cheminée de briques invitait à la paresse devant un feu de bois, confortablement blotti dans le vieux fauteuil en velours élimé recouvert d'un plaid accueillant. Au sol, des tapis en laine réchauffaient le parquet ciré. Les fenêtres s’ouvraient à l'arrière sur un jardin de rosiers anciens et de jasmin, qui devaient être magnifiques en pleine saison, et à l'avant sur une pelouse impeccablement entretenue, ceinte d'un petit muret et d'une haie taillée au cordeau.
C’est Mr et Mme Banks, rencontrés par hasard à son arrivée à la gare routière de Tadfield, qui lui avaient conseillé cette location. Ils attendaient l’arrivée du car venant de Twyford, qui amenait pour une visite de quelques jours les parents de Madame. Grace et Oliver – c’est ainsi qu’ils se prénommaient – s’étaient montrés sensibles à l’air hésitant de la jeune femme à sa descente du bus, et s’étaient spontanément adressés à elle.
– Bonjour, veuillez pardonner mon audace, mais vous semblez perdue. Pouvons-nous vous aider ? s’enquit Grace.
– Eh bien, bonjour, et merci. Oui, je suis envoyée ici pour… hem… le travail, en quelque sorte. Je ne connais ni cette ville ni aucun de ses habitants, en fait. Et j’aurais besoin de conseils pour trouver un hébergement.
– Oh ! Un adorable petit cottage vient de se libérer. Nous connaissons bien la propriétaire, une charmante vieille dame passionnée de roses. C’est meublé, le logement est tout ce qu’il y a de cosy, avec un loyer très abordable. Nous pouvons lui en toucher un mot, si vous le souhaitez, ajouta Oliver.
La jeune femme à lunettes aux longs cheveux noirs leur avait tout de suite fait bonne impression. Elle avait l’air on ne peut plus sérieux.
Anathème avait volontiers accepté cet heureux coup de pouce du destin, même si elle n’en avait pas lu trace dans le Grand Livre de Prophéties qui ne la quittait jamais. C’est avec grand plaisir qu’elle visita la maison jusque dans ses moindres recoins. Adoptée. Après une première nuit à l’hôtel local, elle prenait possession, au matin suivant, du Jasmine Cottage. Quelques heures plus tard, une camionnette de Shift & Move lui livra les quelques cartons contenant ses affaires personnelles.
Elle irait rendre visite aux Banks à l’heure du thé. Elle apporterait un gâteau, pour les remercier.
Elle était restée volontairement vague avec Mr et Mme Banks. Mais elle n’avait menti pour autant : c’était bien pour le “travail” qu’elle avait quitté les États Unis pour l’Angleterre, Tadfield très précisément, où elle savait que des évènements importants allaient avoir lieu. Son job sortait cependant de l’ordinaire : une descendante professionnelle en quelque sorte, dont la tâche consistait à analyser et interpréter les prédictions de son illustre aïeule, Agnès Barge, sorcière de son état, qui s’était éteinte à l’âge de 56 ans. Enfin, éteinte, façon de parler, car elle fut la dernière sorcière d’Angleterre à brûler dans les flammes du bûcher de l’Inquisition (si l’on veut être encore plus précis, elle avait même littéralement explosé à l’approche des premières flammes, par l’entremise de cinquante livres de poudre à canon et trente livres de clous de charpentier dissimulés dans ses jupons, qui occasionnèrent des dégâts considérables aux alentours, ainsi que de nombreuses victimes collatérales).
Cet épisode tragique s’était produit au milieu du XVIIe siècle, et depuis, chaque génération de descendantes s’attelait au déchiffrage de son unique ouvrage “Les belles et bonnes prophéties d’Agnès Barge, sorcière”, qui avait traversé les années sans encombre, avec pour seule modification un joli dessin aux crayons de couleur que la petite Agnès avait réalisé sur la page de garde à l’âge sept ans.
Jadis, toutes ces prédictions avaient été recopiées sur des fiches cartonnées regroupées dans un coffret en bois et classées par ordre chronologique de formulation. Plus tard, c’est le disque dur de l’ordinateur familial qui avait pris le relais, mais Agnès restait fidèle au format papier, et souvent elle piochait un carton au hasard pour en relire le texte et les différentes annotations – parfois bien farfelues – rajoutées au fil des années.
Bien. Il était temps de se mettre au travail. Sur la petite table du salon, elle installa le coffret des fiches, le livre original, le gros cahier plein de ses notes diverses et son ordinateur. Elle sortit de sa pochette en velours son fidèle pendule, qu’elle entreprit de faire briller à l’aide d’un chiffon en microfibres. Elle ouvrit l’étui de sa lunette astronomique, pour vérifier qu’aucune pièce ne manquait. Au mur, elle punaisa une carte Michelin régionale n°504, ainsi qu’une carte d’état-major de l’Ordnance Survey, plus précise. Enfin, pour se motiver et s’inspirer dans ses futures recherches, elle afficha LA photo. L’illustration de la Bête, le Seigneur des Ténèbres, le Prince de ce monde, l'Ange de l'abîme sans fond, l'Adversaire , le Destructeur de roi. Bref : Satan au Sabbat, une eau-forte très ancienne reproduite au format A4, qui s’en vint rejoindre au mur les documents géographiques. Elle relut encore une fois, comme pour se convaincre qu’elle était sur la bonne piste, la prophétie n° 2315, qui affirmait en substance qu’elle devait quitter New York pour Tadfield, où allait se produire une tempête. La météo semblait pourtant clémente… “Wait and see !”
Satisfaite, elle enfila son manteau pour partir à la recherche d’une pâtisserie et se rendre chez les Banks, pour le thé. L’horloge de la cuisine indiquait quatre heures et demie.
Chez Sweet Delicacy, la boutique la plus en vue de Tadfiel, elle choisit une pavlova aux framboises des plus alléchantes, puis sonna chez ses aimables voisins.
C’est un petit garçon à lunettes qui lui ouvrit. Ses verres lui mangeaient une partie du visage, sans parvenir à cacher l’air à la fois ingénu et curieux de son expression.
– Junior, qui est-ce ? fit une voix féminine en provenance de la cuisine.
– C’est une dame, répondit le gamin, je la connais pas.
Grace sortit de son repaire en s’essuyant les mains sur son tablier.
– Oh ! Mme Bidule ! Soyez la bienvenue ! Junior, voici Anathème Bidule. Anathème, voici notre fils.
– Il s’appelle vraiment Junior ? demanda la jeune femme, amusée.
– Non, bien sûr. Son prénom, c’est Jérémy, mais ni son père ni moi ne l’utilisons, admit la maman en souriant.
Le papa les rejoignit et, un peu plus tard, attablés au salon devant une tasse de thé et une part de délicieux gâteau (auquel Jérémy faisait visiblement honneur), les langues se délièrent.
– Et qu’est-ce qui vous amène à Tadfield, exactement ? s’enquit Oliver.
– Eh bien je suis envoyée par ma… société, pour faire quelques recherches sur un projet… ésotérique, répondit Anathème, qui pensait qu’il n’était peut-être pas judicieux d’effrayer déjà ses nouveaux amis avec des sciences occultes ou la poursuite de l’Antéchrist.
– Oh ! Ce doit être intéressant ! Et que recouvre donc ce projet ?
– Disons que je possède des dons que la plupart des mortels n’ont pas. Les prédictions de mon ancêtre, Agnès (paix à ses cendres) m’ont amenée à m’interroger sur la présence ici d’un… d’une jeune personne aux… hem… capacités… étonnantes.
– Je vois ! Vous recrutez pour une sorte d’école de surdoués, c’est ça ?
– Tout à fait ! admit la jeune femme en souriant, secrètement soulagée qu’une explication aussi simple pût être trouvée si facilement. Ce n’était pas vraiment un mensonge : l’Antéchrist était bien un surdoué. Et Anathème détestait mentir.
– Et vous ? questionna-t-elle à son tour.
– Oh ! Beaucoup plus classique. Nous sommes tous deux comptables agréés au sein de Reflexive Outlook, dans le centre-ville. Un métier passionnant, affirma Grace. J’espère que notre petit Junior embrassera la même carrière ! fit-elle en couvant sa progéniture d’un regard bienveillant.
La jeune femme quitta ses hôtes un peu plus tard, sur la promesse de se revoir bientôt.
– Passez donc au Jasmine Cottage, un de ces jours, avec Jérémy, proposa-t-elle en partant.
Une fois rentrée, elle se mit sérieusement à l’ouvrage. Elle relut attentivement la prophétie n° 3988, qui lui donnait du fil à retordre depuis un moment :
“Quand des hommes vêtus de crocus surgiront de la terre, et qu’un homme vert viendra du ciel, sans qu’on sache pourquoi, et que les barres de Pluton quitteront la lumière – châteaux de foudre, et que des terres englouties se relèveront, et Léviathan – et que le Brésil sera vert, alors trois comètes paraîtront ensemble puis une quatrième s’élèvera, montant des chevaux de fer. Je vous le dis : la fin sera proche.”
Celle-ci était sacrément dense, et la ponctuation laissait à désirer. Elle avait déjà identifié l’homme vert venu du ciel comme un extra-terrestre, les barres de Pluton comme le plutonium, un composant (avec l’uranium) du MOX, le combustible des centrales nucléaires, et le Léviathan comme une des manifestations de l’Apocalypse. Il lui restait pas mal d’éléments complètement obscurs, et surtout, le lien entre tous ces indices. Car si les prophéties d’Agnès s’étaient toujours révélées parfaitement exactes, il arrivait que, parfois, elles ne deviennent limpides qu’après coup.
On était en février, les crocus n’allaient pas tarder à montrer le bout de leur nez. Elle se promit se s’y atteler dès le lendemain. Si la propriétaire était une amoureuse des fleurs, il y avait sûrement des bulbes disséminés dans la pelouse. Peut-être trouverait-elle alors sa réponse.
Au matin suivant, elle alla inspecter la remise attenante à la maison, mais n’y découvrit qu’une brouette en bois hors d’âge, inutile. Elle se rendit donc à L’Arrosoir Souriant, la jardinerie en périphérie du bourg où Eyden, le gérant, lui indiqua le rayon des outils de jardin :
– Vous trouverez ici votre bonheur : pelles, râteaux, bêches, binettes, griffes et sarcloirs n’attendent que vous. Pensez aussi aux gants : ce serait dommage d’abîmer de si jolies mains ! ajouta-t-il en souriant.
Tout en pestant intérieurement contre ce vil coureur de jupons, elle fit l’acquisition d’une pelle ronde en acier avec manche en frêne, pas trop lourde, qui semblait convenir à merveille. De retour chez elle, elle rangea l’outil dans la remise et rentra consulter ses cartes et ses plans. Elle détacha la carte d’état-major de Tadfield, où était mentionné le cottage, qu’elle posa à plat sur la table. Puis elle entreprit de laisser parler son pendule. Au-dessus de la carte, l’instrument ne tarda pas à s’agiter en décrivant de petits cercles dans le sens des aiguilles d’une montre, au dessus de la pelouse. Elle sortit un agrandissement du jardin, pour plus de précision, et recommença. Là. C’était là. À dix pas au nord-ouest de la porte d’entrée.
Elle enfila une paire de bottes et un pull de grosse laine, puis entreprit de creuser à l’endroit requis. De longs efforts ne furent pas nécessaires : elle aperçut au bout de quelques minutes la tache jaune d’un objet enfoui dans la terre, non loin de la surface. Posant sa pelle, elle se mit à retirer soigneusement la terre autour de la chose. Du bout de ses doigts gantés, elle finit par mettre au jour une forme en plastique, semblable à un jouet d’enfant. Un… canard ? Un canard en caoutchouc jaune ? Quelle vaste blague ! Furieuse, elle reprit sa pelle pour creuser un peu plus loin, puis plus loin encore. Elle se vit bientôt à la tête de toute une basse-cour virtuelle de petits palmipèdes, fort mignons au demeurant, mais parfaitement inutiles à sa quête. Ça n’avait aucun sens ! Elle reboucha rageusement les trous, puis s’en fut à l’intérieur potasser derechef ses sources.
Elle mit la bouilloire en route et sortit un sachet de thé noir aux agrumes. Elle savoura son thé, en essayant de se calmer et d’y voir plus clair. Après cette pause réconfortante, elle réitéra l’expérience du pendule. Il indiquait cette fois la direction nord-nord-ouest. Déterminée à venir à bout de cette maudite prophétie, elle s’en retourna dans le jardin, avec ses bottes et sa pelle, et se mit à arpenter le terrain, ses baguettes de sourcier en cuivre tenues lâche entre les mains. Au premier mouvement de celles-ci, elle stoppa pour creuser un nouveau trou.
C’était plus profond, ce coup-ci. Mais elle fut récompensée en voyant bientôt apparaître une trace translucide dans le sol, qui ressemblait à un récipient de verre. Une nouvelle fois, elle posa l’outil et continua son excavation du bout de ses doigts prudents. Tout doucement, elle ôtait la terre autour de l’objet, prenant garde à ne pas le malmener. Qui sait, c’était peut-être fragile ? Elle finit par mettre au jour une petite fiole, de la hauteur de sa main, en verre gravé de jolies volutes sur sa base et son goulot, lisse en son centre, avec les restes d’une étiquette à moitié mangée par l’humidité.
Elle ramena sa découverte à la maison, quitta ses bottes et se lava soigneusement les mains. Elle s’en fut quérir sa loupe, dans sa mallette d’instruments, pour examiner l’étiquette. Malheureusement, seules quelques lettres restaient discernables : “–au–––um”. En scientifique accomplie, elle pensa illico au laudanum. Très utilisé au XVIIᵉ siècle, c’était un analgésique puissant et un sédatif fort apprécié. À utiliser avec parcimonie, toutefois, car potentiellement mortel en cas de surdosage. Un médicament qui pouvait s’avérer poison. En France, on dit que Voltaire y succomba. Tout comme ici, l’écrivain Thomas Shadwell, en 1692. C’était là le vestige d’une époque révolue, fort intéressant pour la science, mais qui ne lui permettait en rien de progresser dans sa compréhension de la prophétie.
Elle décida que ça suffisait pour la journée.
Cette nuit-là, Anathème sortit le grand jeu. Certaine qu’un indice se cachait dans le sol, ici-même, au Jasmine Cottage, elle se munit de sa lunette pour observer la lune pleine et ronde, là-haut dans l’espace infini du cosmos. Ceux qui s’imaginent les sorcières officiant nues les nuits de pleine lune se leurrent. Sans doute parce que ce sont des hommes, la plupart du temps. La jeune femme était au contraire chaudement vêtue d’une douillette robe de chambre en polaire, sur un pyjama confortable en pilou, ses longs cheveux corbeau ramassés sous un bonnet de laine. Elle s’activait au petit bout de la lorgnette, tout en marmonnant des formules ancestrales sensées favoriser l’ouverture des chakras au don de double vue. Un quidam égaré sur les chemins nocturnes aurait été bien étonné de l’entendre psalmodier des « œil de triton et langue de chien » ou des indications du genre « nord- nord-ouest ».
Gribouillant des notes et des croquis sur son grand cahier, à la lueur d’une lampe frontale, elle en conclut que c’était au pied de ce pommier, tout près de l’entrée, que devait se trouver LA réponse. D’ailleurs, la terre à cet endroit semblait avoir déjà été fraîchement retournée. S’armant de sa pelle, elle creusa un nouveau trou.
Elle finit par mettre au jour une chose de couleur blanc-jaunâtre, maculée de terre, un truc épais, allongé et recourbé, d’environ sept pouces. Aucun doute possible : il s’agissait d’un os. Anathème s’affola : un cadavre se trouvait-il enterré dans le jardin de ce paisible cottage ? Impossible ! Agnès l’aurait prévenue ! Elle inspecta plus attentivement sa trouvaille : cette chose n’était pas humaine, manifestement, mais animale. Son aspect rugueux, sa taille, sa forme, tout portait à croire qu’elle était face à un os de bœuf. Un côte de bœuf, plus précisément. « Un chien vagabond l’aura enterré là, pensa-t-elle. Pas de quoi s’affoler. »
Il n’empêche. C’était ce qu’on appelle tomber sur un os, dans tous les sens du terme. Et cette découverte ne manquait pas de l’intriguer. Se pourrait-il qu’un bœuf soit concerné dans la formule lue dans une des prophéties : “La jeune bête et sa moindre bête” ? Un cheval, encore, elle comprendrait, rapport aux Quatre Cavaliers. Mais là : mystère...
Elle décida de finir tranquillement sa nuit au fond de sa couette. On verrait demain.
À la première heure, elle reboucha soigneusement le trou au pied du mur, puis s’en fut au bourg faire quelques emplettes. Devant le petit supermarché, elle croisa Grace Banks accompagnée de son fils.
– Bonjour, Grace. Bonjour Jérémy, les salua-t-elle.
– Oh ! Vous pouvez m’appeler Junior, comme tout le monde ! Ou bien Wensleydale, comme mes copains.
– Wensleydale ? s’étonna la jeune femme.
– C’est mon deuxième prénom, en fait. Ça vient du nom de jeune fille de ma maman, détailla-t-il.
– Et pourquoi avoir choisi Jérémy en premier, si je puis me permettre ? demanda Anathème à la maman.
– Son père et moi, on est fans des prénoms qui commencent par un J. Jérémy était notre préféré. C’était le nom d’un prophète, vous savez ? C’est lui qui a annoncé au monde l’arrivée d…
Mais elle fut interrompue dans son explication par un tonitruant coup de klaxon en provenance d’un bolide noir qui semblait surgir de nulle part à une vitesse totalement déraisonnable, avertissant ainsi les quelques piétons dans sa trajectoire afin qu’ils s’écartent de son passage.
– Encore un fou du volant ! s’indigna Grace. Qu’ils aillent au diable, tous ces conducteurs inconscients ! La pauvre Mme Fortescue a bien failli se faire renverser ! Et sinon, vous vous plaisez dans votre nouveau chez-vous ?
– Oh ! Absolument ! C’est tout bonnement parfait. J’y fais même des découvertes surprenantes. Un os de côte de bœuf dans le jardin, par exemple, pas plus tard qu’hier.
– Ah ben ça c’est sûrement un coup de Toutou, fit remarquer Junior.
– Toutou ? voulut savoir Anathème.
– C’est le petit chien d’Adam, mon copain. Il est super mignon, mais parfois il s’échappe de chez lui et part se promener où bon lui semble, dans le village ou dans la forêt. C’est sans doute un os qu’Adam lui a donné, ou ses parents. Il adore aller enterrer ses trésors un peu partout dans les jardins voisins.
– Je vois. Tout ceci me semble parfaitement inoffensif, fit la jeune occultiste en souriant. Je n’ai sûrement rien à craindre d’un ami à toi et de son petit chien, pas vrai ?
– Pour sûr ! Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, s’esclaffa le garçon.
– Eh bien, je vous laisse, ajouta la maman. J’ai quelques courses à faire. Je suppose que vous aussi ?
– En effet. Bonne journée, Grace. À la prochaine… Wensleydale !
Et Anathème s’en fut, toujours aussi perplexe.
En attendant, elle décida d’attendre que s’accomplisse la prophétie n° 3819 :
“Quand le chariot de Robin sera inversé, ses trois roues lancées vers le ciel, un homme meurtri reposera sur ton lit, la tête dolente en besoin de saule”.
Elle supposait que ce ne serait peut-être pas pour tout de suite.
Elle supposait mal.