Eris Quod Sum

Il était à peine neuf heures du matin en ce samedi très gris. Une faible brise venait repousser les écharpes des quelques spectateurs installés sur les bancs en bois des gradins du stade, ces derniers étant encore dépourvus de bannières et autres banderoles aux couleurs de l’école. Sam et Rebecca se situaient derrière les buts adverses, prêts à encourager Tom et ses compagnons, au même titre que Wendy, la petite-amie de Mark, ou encore Eli, le petit frère de Rachel, tous deux assis non loin. Cette dernière se tenait justement à la droite de Tom, sur son propre balais, habillée – comme le reste de ses camarades – de sa robe de Quidditch bleu foncé. Elle arborait le numéro 4, floqué en bronze sur son dos, tout comme son nom écrit en lettres capitales juste au-dessus. Sa longue queue de cheval brune, presque noire, tourbillonna alors qu’elle lança à Tom un regard fier et assuré. Sur la gauche de ce dernier se trouvait Adam. La main droite reposée sur sa cuisse, il semblait s’impatienter. Juste derrière eux se trouvaient les deux batteurs, Caleb et Mark. Ce dernier arborait quant à lui le numéro 3. Tout en regardant Tom avec sérénité, il frappa son torse à l’aide de son poing, un geste que son meilleur ami reproduisit aussitôt en acquiesçant de la tête. Un peu plus excentrée, leur numéro 7 flottait quelques mètres plus hauts. C’était bien évidemment Alice, leur attrapeuse, qui sourit au moment où ses yeux croisèrent ceux de Tom. Enfin, loin derrière eux, dans la surface de but, se tenait Tobey, leur gardien.

En face, Robert Galloway et son équipe étaient également prêts. Le capitaine regardait Tom d’un air narquois. Ce dernier se permit d’entrer dans son jeu et le défia à son tour. Derrière lui, les frères Wilcox étaient tout aussi impatients d’en découdre. Ils jonglaient déjà avec leurs battes pour s’échauffer. Gareth Lougton, leur attrapeur, détourna du regard quand Tom se mit à l’observer. C’était peut-être le moins arrogant d’entre eux.

Sur la pelouse en contrebas, l’arbitre – un jeune gringalet de la maison Serpentard que les deux équipes avaient conjointement choisi pour la rencontre – déverrouilla le coffre en cuir retenant les quatre balles. Avant de libérer les Cognards de leurs sangles et d’activer le Vif d’or, il projeta haut dans les airs le Souafle.

Ça y est, nous y étions. Le jour J. Pour Tom et ses coéquipiers, il était enfin temps de montrer une bonne fois pour toute à ces types qu’ils étaient les meilleurs. Ces dernières journées passées à s’entraîner d’arrache-pied n’allaient certainement pas être vaines. Ils étaient prêts. Les stratégies de groupe avaient été revues, les gestes techniques retravaillés. Ce match était probablement le dernier qu’ils joueraient ensemble ici, dans cette école où ils s’étaient tous rencontrés. Il ne fallait absolument pas le perdre. Chaque passe, chaque tir, chaque action, tout devait être réalisé à la perfection. Ne pas laisser de répit à l’adversaire, les abattre d’entrée de jeu.

Tom s’élança rapidement vers le Souafle afin de s’en emparer lorsque ce dernier atteint leur hauteur, à mi-distance entre lui et Galloway. Celui-ci se projeta presque en même temps vers leur cible commune. Ayant été tout juste assez vif, Tom parvint à récolter la balle avant lui. Après l’avoir rudement bloqué entre sa poitrine et son avant-bras, il exécuta un bref tonneau avec son balai afin d’éviter la charge de son adversaire.

A présent dans l’autre moitié du terrain, il essaya de gagner un maximum de vitesse et fonça droit vers les buts du gardien de Poufsouffle. Ne pas laisser de répit à l’adversaire, les abattre d’entrée de jeu, répéta-t-il intérieurement.

Bientôt, Adam se rangea à quelques mètres sur sa gauche, chevauchant son balai avec une vitesse qui égalait la sienne. Il lui fit le signe du V inversé à l’aide de sa main droite. C’était leur code pour mettre en place une attaque en faucon, une stratégie offensive célèbre puisqu’elle était bien souvent efficace contre une équipe qui n’était pas encore bien rentrée dans son match, et donc organisée. Elle était cependant risquée car elle exigeait la présence des trois poursuiveurs, alors proches les uns des autres, sur un seul axe.

« On est avec toi, Tom ! lui lança Rachel, déterminée, alors qu’elle se plaça quelque peu en retrait sur sa droite. »

La formation étant opérationnelle, ils étaient désormais en supériorité numérique face à la défense adverse. Les poursuiveurs Poufsouffle étaient dans leur dos, en train de les chasser, mais Tom et ses camarades parvinrent à les tenir à distance aisément. L’avantage était à eux, il fallait maintenant le concrétiser. Mark, Caleb, vous avez intérêt à être près de nous, espéra Tom. Leurs deux batteurs agissaient comme un bouclier lors de leurs attaques, cependant, ils avaient l’habitude d’en garder toujours un devant eux, ce qui n’était pas le cas ici. Les avaient-ils semés eux aussi ? Tom n’eut pas le temps d’y réfléchir lorsqu’il aperçut, à quelques mètres, un Cognard. Cependant, ce dernier ne semblait pas vouloir interférer leur course, bien au contraire même, puisqu’il se dirigeait tout droit vers…

« Oh, merde. »

Un bruit assourdissant fendit l’air. Un bruit qui leur était malheureusement familier, à Tom et ses autres camarades poursuiveurs. Le fer poli de la sphère ensorcelée venait tout juste de rencontrer le dur bois des battes Wilcox. Toujours avec une puissance exceptionnelle et une précision chirurgicale, les deux frères venaient de repousser le Cognard, qui fusait désormais droit sur eux à pleine vitesse. La fameuse défense en double batte des frères Wilcox. Et ils avaient bien joué leur coup cette fois-ci, compte-tenu de l’absence des batteurs de Serdaigle.

Avec un léger effet, la balle vint sur le flanc gauche, du côté d’Adam, qui eut tout juste le temps de l’esquiver en plongeant vers le sol à l’aide de son balai. Etant le prochain sur la ligne directrice, Tom se contenta de freiner d’un coup sec, laissant le parasite filer devant lui. Rachel, quant à elle, eut un peu plus de temps pour anticiper. Elle trompa le Cognard en exécutant une vrille parfaitement maîtrisée. Bon, au moins on l’aura tous évité, pensa Tom.

Seulement voilà, la défense agressive des frères Wilcox avait complètement brisé leur formation et ralentit leur attaque. Il suffisait d’un coup d’œil par-dessus son épaule pour que Tom s’aperçoive que les poursuiveurs adverses les avaient rattrapés. La distance qui les séparait n’étant plus aussi importante, il fallait trouver un autre moyen pour tenter de les semer à nouveau. Tom ne pouvait me permettre de perdre davantage de temps à attendre ses camarades afin de reprendre l’attaque en faucon, cependant, étant donné que les buts n’étaient plus si loin, parcourir le reste de la zone adverse en zigzagant pouvait être une bonne solution, puisque cela compliquerait la tâche des joueurs Poufsouffle à lui subtiliser le Souafle.

Sans tarder, il se mit donc à réaliser plusieurs virages serrés tout en s’approchant volontairement vers le sol, dans l’optique de faire chuter les joueurs derrière lui. Une Tremblante de Wollongong, comme aimaient l’appeler les professionnels du Quidditch. Figure dont le nom faisait d’ailleurs référence aux Guerriers de Wollongong, une équipe australienne qui en était l’origine.

Alors que Tom s’apprêtait à pénétrer à l’intérieur de la surface de but adverse, le Vif d’or traversa soudainement son champ de vision tel un éclair. Ce dernier était pris en chasse par Alice qui, une fraction de seconde plus tard, manqua de peu à lui rentrer dedans avec son propre balai.

« Désolée ! cria-t-elle sans pour autant lâcher des yeux sa cible. »

Alors déconcentré, une tunique noire et jaune en profita pour lancer une charge contre lui. Sans hésiter, il s’élança de son balai, le tenant alors qu’à une main, et propulsa ses deux pieds joints vers le Souafle, qui était en la possession de Tom et que ce dernier avait jusqu’ici protégé avec succès. La balle lui échappa, au profit de son adversaire qui le récupéra en plein vol presque instantanément. Il venait là de réaliser une figure pour le moins surprenante et peu commune pour un jeune joueur : le Vol de Speelman. Speelman étant bien évidemment le nom du joueur à l’origine de ce geste technique, réputé dangereux, autant pour celui qui l’exécutait que pour son adversaire.

On la joue comme ça, hein ? murmura Tom tout en faisant demi-tour pour se mettre à la poursuite du voleur, qui avait déjà remonté la moitié du terrain. Celui-ci croisa de près Mark, qui était encore en retard sur son équipe. Un Cognard se dirigeait d’ailleurs droit vers lui, mais il en fallait bien plus pour intimider Mark. D’un revers, il frappa le métal de la balle pour l’envoyer sur le porteur du Souafle qui était à présent derrière lui.

« Où est-ce que t’étais, mec ? cria Tom en passant à son tour à côté de lui, on était tout seul dans leur moitié de terrain ! »

Alors qu’il venait à peine de rentrer dans leur propre surface de but, le poursuiveur de Poufsouffle, conscient du danger que représentait le Cognard à ses trousses, ne prit pas de risque et lança le Souafle par-dessus son épaule. A la réception : Robert Galloway, qui frappa la balle en pleine volée à l’aide de son balai. Cette Fourberie de Finbourgh, quelque peu improvisée mais parfaitement exécutée, mit alors en alerte Tobey, le gardien. Le Souafle semblait dans un premier temps se diriger vers lui, mais sa trajectoire changea à mi-distance, dû à l’effet qu’avait donné Galloway en brossant la balle. Celle-ci prit alors la direction de l’anneau située à l’opposé de là où Tobey se tenait. Mais le gardien de Serdaigle n’avait clairement pas l’intention de laisser l’avantage à Poufsouffle, pas d’entrée de jeu. Il se précipita vers le but en question et parvint à arrêter le Souafle de justesse à l’aide de son pied droit. La balle était à deux doigts de traverser l’anneau, mais c’était sans compter sur ce sacré numéro 1, qui avait encore fait preuve de son talent de gardien exceptionnel.

Il ne tarda pas à relancer le jeu en envoyant le Souafle à Adam, qui remonta à nouveau le terrain avant de faire la passe à Tom au niveau de la ligne médiane.

« Attention ! lui avertit Rachel tandis qu’il venait de réceptionner la balle. »

Un des frères Wilcox avait en effet envoyé un Cognard vers lui. Tom eut tout juste le temps d’exécuter une Roulade du Paresseux, qui consistait à basculer soudainement son corps vers le bas, en restant suspendu au balai à l’aide de ses pieds et de sa main inoccupée. Le Cognard siffla à quelques centimètres au-dessus de lui. C’était moins une, souffla-t-il.

Le temps de se remettre à l’assaut des buts adverses, une bonne partie de l’équipe de Poufsouffle s’était déjà regroupée devant eux. Galloway et son acolyte qui avait subtilisé le Souafle précédemment l’avaient quant à eux rattrapés. Tous deux se resserraient de plus en plus sur Tom, si bien que bientôt le bout de leurs manches se toucheraient presque. Ne pouvant virer ni à gauche ni à droite, le poursuiveur de Serdaigle essaya de gagner en hauteur pour essayer de semer ses adversaires, mais c’était comme s’ils étaient attachés à son balai par une corde invisible : il lui était impossible de se débarrasser d’eux.

« Tu comptes aller où comme ça, Bronks ? le défia Galloway. »

Tandis qu’ils arrivaient à la limite de la surface de but, Tom aperçut droit devant le troisième poursuiveur adverse, qui fonçait sur lui tête baissée. Il saisit alors ce qu’ils étaient en train de faire : une Pince de Parkin, formation défensive consistant à piéger le porteur du Souafle adverse en se refermant sur lui.

Il fallait que Tom trouve un moyen d’empêcher ses adversaires d’annihiler encore une fois leur offensive, et Rachel semblait être la solution. En effet, celle-ci s’était astucieusement placée quelques mètres en dessous de lui. Tom lança à son tour un regard narquois envers Galloway avant de laisser tomber volontairement le Souafle, qui atterrit pile dans les mains de Rachel. Pris au dépourvu, les poursuiveurs adverses n’eurent le temps de réagir tandis que Rachel se préparait déjà à tirer. Elle visa le but le plus à gauche, non défendu par le gardien. Au contraire de Tobey, le dernier rempart de Poufsouffle ne parvint pas à stopper la balle, dont le cuir frappa l’intérieur de l’anneau avant de rentrer entièrement dans celui-ci.

« 10 points pour Serdaigle ! cria l’arbitre après avoir sifflé. »

Il leur avait fallu un bel effort d’équipe pour avoir l’avantage, mais le plus dur était fait… du moins c’est ce qu’ils pensaient au départ, car l’équipe de Galloway – n’étant évidemment pas prête de baisser les bras si tôt dans la partie – haussa son niveau de jeu en leur mettant une pression extrême à chaque prise de balle. Leur occasion ratée suivie du but de Rachel les avait sûrement secoués, et leurs premiers points ne tardèrent pas à venir, rééquilibrant alors le match.

Le score était de 40 partout lorsque le capitaine de Serdaigle, Adam, tenta une percée en solitaire dans le camp adverse. Malgré leurs efforts, Tom et ses coéquipiers ne parvinrent à le rattraper. Il était définitivement lancé et rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Le chemin des buts lui était presque ouvert.

Alors qu’il ne lui restait plus qu’à armer son tir et tromper le gardien adverse, un Cognard surgit sur sa droite et vint frapper le manche de son balai. La puissance du choc était telle que le bois de son appareil se brisa. Surpris par ce qu’il venait de lui arriver, Adam perdit le contrôle et s’écrasa lourdement sur la pelouse du terrain, une quinzaine de mètres plus bas.