Filament de lune

Chapitre 1 : Pourquoi est-ce si compliqué ?

1869 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 05/05/2020 12:23

 Il avait tourné comme un lion en cage toute la journée.

En ce morne samedi de novembre, Ron faisait les cent pas dans le dortoir des garçons. Il s’arrêtait de temps à autre pour observer la pluie au-dehors, qui martelait la fenêtre avec force, dévaler le vitrail en petits sillons comme autant de larmes amères. Ron, lui, ravalait les siennes, en tentant de trouver une solution à son épineux problème. Harry avait bien essayé de l’aider mais, exaspéré par l’attitude de Ron, il avait finit par partir à Pré-au-Lard avec Ginny et Neville, histoire de se changer les idées. Depuis plusieurs jours, Ron n’était plus que l’ombre de lui-même, et il était assez fatigant de le voir ainsi muré dans un silence dolent. Il ne desserrait les dents que lorsqu’il était interrogé en cours, avec tout le mal du monde, ou encore pour insulter les élèves de première année qui le bousculaient dans les couloirs. En-dehors de ça, pas un mot ne franchissait ses lèvres. A l’origine de cet état dépressif ? Une dispute, une de plus, avec Hermione.

Mais cette fois, les choses avaient été beaucoup trop loin.

Tout avait commencé lorsque Dumbledore avait lancé, quelques semaines auparavant, un bien étrange défi, qui devait se dérouler sur un mois. L’expérience avait pour but d’éprouver la solidité d’une alliance en formant des binômes sans distinction d’âge… ou de Maison. Dumbledore entendait ainsi prouver à chacun qu’ensemble on est toujours plus fort face à l’adversité, quel que soit notre allié mais que, seul, on demeure vulnérable. Le directeur tenait également à renforcer la cohésion de ses élèves en ces temps troublés par le retour de Voldemort. Le seul impératif qu’il avait posé, non sans quelque malicieux regard, était que chaque couple soit composé d’un garçon ET d’une fille, afin d’équilibrer les forces et d’allier les capacités des uns et des autres dans la plus pure équité.

Naturellement, ce défi avait fait débat. A Gryffondor, on s’étranglait déjà à l’idée de devoir partager son quotidien un mois durant avec un Serpentard. Dans les autres Maisons, c’était également la panique. Nul ne pouvait envisager, quoi qu’en pense Dumbledore, de pactiser avec un concurrent direct à la Coupe des Maisons. Selon un accord tacite, chaque Maison s’arrangeait donc pour former des binômes dans ses propres rangs, creusant d’avantage les clivages entre les élèves. C’est, du moins, ce qu’il advint au début…

Car les élèves commencèrent rapidement à déchanter. Coopérer avec l’un de ses camarades à longueur de journée s’avérait bien plus compliqué que prévu. Les tensions se faisaient ressentir dans tous les groupes, et de soudaines vagues d’humeur divisaient même les amis de longue date. L’exaspération face aux défauts insoupçonnés de leurs plus proches camarades éveillait chez les uns et les autres des rancœurs singulières, l’agacement atteignant parfois des sommets.

Dès la première semaine, les alliances se défirent, et l’on commença, un peu partout, à chercher un partenaire parmi ses adversaires. Quelqu’un dont on ne savait rien ou presque et qui pourrait se révéler plus intéressant à découvrir que ses camarades de classe habituels.

Dans un premier temps, Harry ayant spontanément choisi Ginny comme binôme – non sans quelque idée derrière la tête – Hermione avait nonchalamment proposé à Ron de faire équipe avec elle, quelque part entre la salade et le dessert.

- Tu es bien sûre de toi ?, s’était étonné le rouquin, non sans afficher un large sourire.

- Ne sois pas stupide, Ron, l’avait-elle sermonné en finissant son assiette. Il s’agit d’un projet de recherche, et il n’y a aucune raison de paniquer.

- Oui, enfin… ça dépend pour qui…, avait-il marmonné, plus pour lui-même que pour elle.

Hélas, Hermione l’avait parfaitement entendu. Croisant les bras sur sa poitrine d’un geste boudeur, elle avait plissé les yeux, l’air pincé, et toisé son ami.

- On peut savoir ce que tu entends par-là ?

Laissant retomber sa cuillère, Ron s’était empourpré, de telle sorte qu’on ne distinguait presque plus la peau pâle de son visage de ses cheveux flamboyants.

- Non, attends, ne t’énerve pas tout de suite, avait-il dit en levant les mains pour la calmer. Je suis sûr que tu as mal compris…

- Au contraire, Ronald, j’ai parfaitement compris, avait pesté Hermione avec aigreur. Tu as peur de ne pas pouvoir supporter Miss-je-sais-tout pendant un mois entier, voilà tout !

Ron lui avait souri d’un air moqueur.

- C’est marrant que tu en parles, parce que…

Mais Hermione s’était levée brusquement, visiblement hors d’elle.

- Tu sais quoi ? J’en ai marre de toujours faire des concessions pour toi, Ronald ! Si tu veux la vérité, je t’ai proposé de faire équipe avec moi uniquement parce que la dernière fois que j’ai eu le malheur de ne pas le faire, tu étais tellement jaloux que tu n’arrivais même plus à respirer ! Rappelle-toi Viktor…

- Krum ? Mais…, avait balbutié Ron en haussant les sourcils.

- Il n’y a pas de « mais », Ron ! Si tu me trouves si difficile à supporter, je me demande vraiment pourquoi tu continues à traîner avec moi ! Oh ! Mais j’y suis… (Ses traits se tordirent en une horrible grimace) Parce qu’il y a Harry, bien sûr !

- N’importe quoi…, était-il parvenu à articuler, complètement estomaqué.

Blême de rage, Hermione avait attrapé sa robe de sorcière d’un geste vif et s’apprêtait à quitter la table quand elle avait dardé Ron d’un regard dur.

- Tu n’as qu’à te débrouiller pour trouver une fille assez charitable qui voudra bien de toi Ronald, avait-elle articulé, les lèvres tremblantes. En ce qui me concerne, je vais tenter de convaincre la seule personne qui te rendra plus jaloux qu’un veracrasse !

Sur ce, elle avait tourné les talons, et avait quitté la Grande Salle, sans un regard en arrière. Ron l’avait suivie des yeux, visiblement accablé, trop dépité pour prêter attention aux autres, dont l’attention était fixée sur lui. Blafard, il s’était tourné vers Harry, complètement désorienté.

- Je voulais juste plaisanter ! Pourquoi elle prend toujours ce que je dis au pied de la lettre ?

Harry avait haussé les épaules, gêné pour son ami.

- Parce qu’elle adore… les livres ?, avait-il hasardé sans grande inspiration.

Ron s’était alors détourné de lui avec une expression horrifiée, avant de se prendre la tête à deux mains.

- Qu’est-ce qui cloche avec moi ? Je voulais juste plaisanter…

* * *

Mais Hermione n’en était plus au stade de la plaisanterie et ça, Ron ne l’avait toujours pas assimilé. Avant qu’il ait pu se remettre de leur altercation, une autre nouvelle lui était tombée dessus comme une bombe. Et quelle bombe ! Hermione faisait finalement équipe avec… Malefoy ! Le personnage le plus improbable au monde après Voldemort lui-même s’était associé à elle !

Hoquetant à moitié, Ron les avait regardés passer devant lui, éberlué. La tête haute, Hermione avait paru ne pas le voir, tandis que Malefoy affichait cet air suffisant qui le caractérisait si insupportablement. Il l’avait interpellé, manifestement très satisfait de son nouveau pouvoir sur Ron :

- Alors Weasmoche ? Qu’est-ce qui t’arrive ? On dirait que tu viens de tomber sur un coffre remplit de gallions ! Oh ! Mais suis-je bête… Tu ne sais pas à quoi ça ressemble, toi, un gallion !

Hermione l’avait tiré sèchement par la manche, tandis que Malefoy riait à gorge déployée. Tout autour de Ron, le décor s’était mis à tourner de façon effrayante. Il lui avait fallut tout son courage pour regagner la salle Commune des Gryffondors, en priant pour qu’Hermione ne s’y trouve pas. Par chance, lorsqu’il avait franchi le portrait de la Grosse Dame, il s’était aperçu qu’à l’exception d’Harry et Ginny, le salon était vide. Titubant à moitié, il s’était approché d’eux, et avait fait signe à Harry.

- Harry… Tu peux venir une minute, s’il te plaît ?

- Est-ce que ça va, Ron ?, avait demandé Ginny d’un air soucieux.

- JE T’EN POSE DES QUESTIONS, MOI ???, avait-il hurlé à l’adresse de sa sœur.

Harry s’était levé précipitamment du fauteuil dans lequel il était vautré près de la cheminée, et avait entraîné Ron vers les dortoirs avec un regard d’excuse à l’adresse de Ginny.

- Je te rejoins après, lui chuchota-t-il dans le dos de Ron.

Harry parvint à guider Ron jusqu’à son lit, sur lequel ils s’étaient assis tous les deux. A cette heure, le dortoir était encore désert. Hébété, Ron fixait le sol. Son apitoiement faisait peine à voir, et Harry avait sérieusement commencé à envisager de le conduire chez Madame Pomfresh.

- Pourquoi a-t-elle fait ça, Harry ? Et d’abord, comment se fait-il que Malefoy (il avait appuyé sur son nom de façon agressive) ait accepté de faire équipe avec elle ? Je croyais qu’il la détestait ! Qu’elle n’était rien d’autre qu’une Sang-de-Bourbe !

- Peut-être s’est-il mis en tête qu’il se ferait bien voir par les professeurs, avait avancé Harry d’un air songeur. Etant donnée la récente disgrâce de son père…

- Il ne l’appelle même pas par son prénom, avait soufflé Ron, blanc comme un linge.

- C’est vrai que c’est étrange, mais… Ron, écoute, il faut que vous arrêtiez vos bêtises, Hermione et toi ! Parle-lui, mon vieux ! Dis-lui…

Harry avait hésité un moment.

- Dis-lui que tu tiens à elle…

A ses mots, Ron avait grimacé et enfouit la tête dans son oreiller, y étouffant des sanglots de rage.

Depuis, Ron avait eu amplement le temps de réfléchir à sa relation avec Hermione. Il tenait à elle, c’était évident. D’un autre côté, il n’avait jamais voulu que les choses changent. Après tout, pourquoi auraient-elles dû changer ? N’étaient-ils pas bien ainsi ? Pourquoi les filles avaient-elles besoin qu’on leur dise qu’on tient à elles ? Elle aurait dû le savoir, depuis le temps… Elle le savait forcément.

Hermione…, pensa-t-il, le front appuyé contre le carreau froid de la fenêtre. Pourquoi est-ce si compliqué ?


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