Blaireaux : sorciers de l'ombre

Chapitre 1 : Une lettre mouvementée

1878 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 23/04/2020 23:15

Quand son réveil sonna pour la cinquième fois de la semaine, Pete eut enfin un vague sourire aux lèvres. On était le 5 juillet, 1991. Pour certaines personnes, le 5 juillet était simplement une belle journée d’été ; pour d’autres, c’était un jour d’anniversaire ; mais pour d'autres, et c'était le cas de Pete, il s'agissait surtout du dernier jour de classe.

- Dernier jour de torture, marmonna Pete, en s’extirpant difficilement de son lit.

 - Bonjour mon chéri !

 - Bonjour maman.

La cuisine était embaumée d’odeurs de bacon grillé et d’œufs brouillés. Pour une fois, Pete n’avait pas l’estomac complètement noué et mangea sans trop de difficultés.

 - Je suis contente de voir que tu as enfin de l’appétit, déclara sa mère qui l’observait affectueusement.

Pete la regarda et sourit. Il s’étonnait toujours de la beauté de sa mère. Elle était grande, élancée, et ses très longs cheveux entretenus masquaient sa fraîche cinquantaine.

Un bruit de moteur résonna depuis le garage.

 - Zut, tu as raté ton père, remarqua la mère de Pete.

 - On… On va toujours dîner, ce soir… ? interrogea Pete d’une voix hésitante.

Sa mère eut un sourire radieux :

 - Bien sûr, mon ange ! On va fêter cette belle fin d’année au resto. Les bonnes notes méritent de bons petits plats !

Oh, les notes, pensa Pete. Comme si c’était compliqué de passer des heures à relire des leçons qu’on avait entendu le jour-même ; relire pendant des heures, parce qu’on n’a pas un ami pour interrompre sa lecture. Comme s’il était difficile de se concentrer sur le cours d’un maître, quand la place du voisin du table était toujours vide, et qu'on n'avait personne pour nous distraire.

Pete ne s’était jamais senti anormal. Il adorait ses parents, Christine et John ; il chérissait son petit frère, Matthiew et sa petite sœur Andréane ; et tous ensemble, ils passaient des après-midis merveilleuses à la plage ou dans le jardin, à jouer et à rire. Pete, comme tous les garçons de son âge, c’est-à-dire 11 ans, aimait rire, sortir, s’amuser, apprendre et faire des bêtises.

Mais à l’école, c’était très différent.

Son travail sérieux et ininterrompu l’avait rendu brillant et il était souvent meilleur que les autres élèves, ce qui soulevait régulièrement l’animosité générale. Il parlait parfois aux animaux, comme les hiboux, les chats ou les serpents, et ceux-ci semblaient le comprendre – et lui répondre. Or cela effrayait beaucoup les autres élèves… et les surveillants, ou les maîtres. Enfin, tout le monde le prenait pour un fou ou un menteur ou les deux, depuis ce fameux jour où il avait juré avoir vu passer, juste au-dessus de l’école, une immense et majestueuse créature qui ressemblait à un cheval, mais un cheval doté de longues et puissantes ailes, comme celles d’un aigle.

Christine et John ne le prenaient pas pour un fou. Ils voyaient en leur aîné un petit garçon brillant, pétillant d’intelligence et d’esprit vivace. Ils admiraient son imagination sans limite. Mais les enfants de 11 ans n’avaient pas la même indulgence envers ceux qui croyaient en l’impossible. Aussi Pete rentrait-il souvent chez lui avec des affaires en moins, des tatouages de paquet de chewing-gum sur la joue et des insultes taguées sur sa trousse.

Ce 5 juillet marquait la fin d’une longue année de moqueries, de bizutages et de solitude. Mais si la primaire n’avait pas été simple, qu’allait donner sa rentrée au collège ?

« Au collège, les enfants sont plus grands, plus matures » lui avait expliqué sa mère quelques mois plus tôt. « Ils ne sont pas tous gentils, mais les écarts sont plus larges, plus variés. Tu rencontreras plus d’enfants comme toi avec qui tu deviendras ami. »

Pourtant, malgré tous les efforts de ses parents pour le rassurer, Pete ressentait toujours le même picotement au creux de son estomac quand on lui évoquait le collège – comme si le plus terrible était à venir.

Ressassant probablement les mêmes pensées inquiètes que son fils, sa mère était restée silencieuse tandis que Pete mâchait ses œufs sans mot dire. Il observait distraitement le ciel par la fenêtre de la cuisine depuis quelques minutes, c’est pourquoi il ne réagit pas quand sa mère murmura soudainement :

- Tiens… C’est curieux…

Au bout de quelques secondes, Pete finit par sentir son regard sur lui et il tourna la tête pour le vérifier. Elle le regardait en effet, mais pas directement. Elle tenait entre ses mains une enveloppe de papier légèrement jauni avec une belle écriture manuscrite à son dos. Sa mère semblait le fixer, lui, au travers de cette lettre, comme si elle était transparente.

- Beurk ! fit-elle soudain en secouant vivement sa main qu'elle alla essuyer sur un torchon. Chéri, je…

Il posa ses couverts et se tourna complètement vers elle, l’estomac à nouveau noué.

- Mon cœur, je crois que tes camarades de classes t’ont encore fait une mauvaise blague… Je viens de trouver cette lettre à ton nom dans le courrier, et elle est pleine de crottes de pigeon ou de je n’sais quel oiseau.

- Donne, soupira tristement Pete.

Il lui prit la lettre des mains et lut l’espace destinataire :

M. Pete Doe,

3, Public Drive London

Dans la cuisine, près de la fenêtre

Il fouilla dans sa mémoire sans pouvoir se rappeler aucune personne à qui il aurait mentionné ni sa cuisine, ni ses fenêtres, et encore moins ses conditions de petit-déjeuner. Plus motivé par l'explication à ce mystère que par un intérêt réel sur son contenu, il ouvrit la lettre et la lut de ses petits yeux de CM2, lentement, et en déchiffrant chaque mot. Mais quand il l’eut terminée, il la tendit à sa mère avec étonnement :

- Maman, j’ai pas compris. Est-ce que tu peux me réexpliquer ?

Christine prit la lettre que son fils lui tendait et la parcourut rapidement. Puis elle décida de la relire une deuxième fois, plus lentement. Au bout de quelques minutes, et après l’avoir lu pour la troisième fois, elle retourna la lettre dans tous les sens, comme pour en trouver le « truc ».

- Mon ange, écoute-moi. Surtout, sache que je ne suis ni en colère ni fâchée. Mais j’aimerais juste que tu me dises si tu as parlé à des inconnus, dans un cybercafé par exemple ou par téléphone, et si tu leur as donné notre adresse…

- Non ! répondit Pete instantanément. Non maman, je te jure ! Je… je comprends pas, j’ai pas bien lu. Je peux la ravoir ?

Sa mère hésita un instant, puis la lui rendit. Il la relut une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième fois.


***

- Tu es un magicien ? hurla Andréane. Fais apparaître un poney ! Vas-y ! Vas-y !

- Andréane, du calme ! gronda son père qui avait, et c’était suffisamment rare pour le dire, les sourcils froncés jusqu’au nez.

John était un monsieur grand et rond, avec de larges épaules et un ventre de femme enceinte. Les week-end, il vivait de bières et de musique rock. Il se mettait rarement en colère et ne s’inquiétait qu’en cas de problèmes financiers ou de santé. Du haut de ses huit ans, Matthiew, le petit frère de Pete, pouvait bien voir aujourd’hui qu’il était inquiet, mais n’aurait su dire pourquoi.

- Mais regarde ça, commenta Christine… Le hibou est toujours là, devant la fenêtre. Et cette lettre a l’air sorti tout droit d’un conte médiéval… Ca ne peut être qu’une mise en scène…

- Mais, et le timbre ? Cette espèce de cachet… médiéval, comme tu dis… Il bouge tout seul, regarde ! rétorqua John

Christine ne sut rien répondre. Son époux et elle se fixèrent pendant un moment. Pete, lui, avait l’impression d’émerger d’un très long et très étrange rêve. Des souvenirs de sa vie, des souvenirs auxquels il n’avait jamais repensé jusqu’alors, émergeaient des quatre coins de sa mémoire, comme des dizaines de petites bulles de savon, qui s’élevaient discrètement puis explosaient sans bruit.

Un jour, alors qu'il était au parc avec sa mère, il s'était éloigné en suivant une grenouille dans l'herbe. Il l'avait suivi jusqu'à arriver au pied d'un arbre où était perché un corbeau noir, qui le fixait, immobile. Le corbeau semblait le regarder avec intérêt, alors Pete lui avait déclaré : "Tu es un bien bel oiseau, le corbeau ! Moi aussi j'aimerais savoir voler, comme toi !", et à sa grande surprise, le corbeau s'était incliné vers l'avant, comme dans une solennelle révérence.

Pete émergea de sa rêverie quand son père se mit à commenter la liste de fournitures scolaires jointe à la lettre :

- C’est impossible d’inventer tout ça… La baguette magique, ok, peut-être, mais ça : « Deux chaudrons… Deux paires de gants de botanique… Potions et préparations magiques niveau 1 par Zygmunt Budge… ».

Il s’interrompit soudainement. En tournant la page de fourniture scolaire, une écriture était soudainement apparue, comme si une plume invisible rédigeait des notes sous leurs yeux – et John se retint de penser « Comme par magie ! ».


La plume invisible écrivit rapidement :


Chers Monsieur et Madame Doe,


La découverte de la sorcellerie et des pouvoirs magiques de son enfant au sein d’une famille dépourvue de sorciers peut parfois être un moment étonnant. Sachez que vous pouvez nous adresser vos questions par courrier en renvoyant le hibou qui vous a transmis cette lettre à Poudlard, l’école de sorcellerie qui aura le plaisir d’accueillir votre fils à la prochaine rentrée scolaire.

Concernant l’achat des fournitures scolaires, nous vous recommandons de vous rendre au Chemin de Traverse. Il s’agit du centre commercial le plus important de Londres. Vous y accéderez depuis l’Auberge du Chaudron Baveur, via Charing Cross Road, Londres. Adressez-vous au gérant de l’auberge qui vous indiquera comment entrer.


Avec mes salutations distinguées,

S. Chica


Au bout de quelques minutes, les lettres disparurent à nouveau, mais John avait eu le temps de tout lire à voix haute.

- Et bien voilà, ajouta-t-il, là, au moins, on sera fixés. On va aller là où nous dit d'aller la lettre, et on saura enfin si toute cette histoire d'école et de sorcellerie est vraie ! En route pour l’auberge du… Du Chaudron Braveur !

- Baveur, rectifia Christine.

- Ouais, ce truc-là.

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