Blaireaux : sorciers de l'ombre

Chapitre 3 : Comment accepter que votre enfant soit un sorcier

2252 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 26/04/2020 11:33

Dans les jours qui suivirent leurs emplettes sur le Chemin de Traverse, la famille Doe connut une sorte de dérèglement psychologique assez incontrôlable.

Cela faisait plus d’une semaine que Pete avait reçu une lettre d’inscription à l’école des sorciers, mais une sorte de déni général s’était emparé d’eux. 

L’après-midi seule dans la galerie marchande, l’auberge, la banque et les boutiques, n’avait pas suffi à leur faire accepter cette découverte. Ils avaient simplement eu l’impression de tester un nouveau parc d’attraction et de se promener dans les décors très réalistes d’un film de science-fiction ; mais ils étaient restés persuadés que, de retour chez eux, les choses redeviendraient comme avant : les courriers leur seraient remis par un facteur ; la seule monnaie courante d’Angleterre serait la Livre Sterling ; les objets resteraient tous immobiles et fixes, quand bien même on agiterait frénétiquement un bâton en bois devant eux pour les déplacer ou pour les ouvrir de loin.

Ce ne fut qu’au moment de déballer leurs achats magiques que le petit foyer prit conscience de cette soudaine réalité : la magie existait ; un monde parallèle entier grouillait et s’organisait en secret autour d’eux, dans leur propre pays et dans le monde entier ; et l’un d’entre eux, leur fils, en ferait bientôt partie.

Pete eut pour la première fois d’étranges sautes d’humeur ; un instant heureux de se sentir spécial, et de partir à l’aventure dans une école lointaine ; le moment d’après, morose et paranoïaque, persuadé qu’on se moquait de lui et que tout ça n’était qu’une farce.

Paradoxalement, celle qui prenait la nouvelle avec le plus de détachement était Andréane. Du haut de ses six ans, elle n’avait jamais pris le temps d’étudier les probabilités liées à l’existence, ou non, d‘un monde parallèle magique. Ainsi, cette révélation ne venait pas bouleverser de quelconques préjugés. Matthiew n’était pas non plus réellement perturbé, mais il profitait de l’excitation générale pour faire de grandes scènes de désespoir où il se roulait par terre et s’époumonait à tout-va : « Les sorciers arrivent ! Les sorciers arriiiiiiivent ! ».


Son père, qui en temps normal lui aurait proposé de sortir jouer au ballon dans le jardin pour qu’il se calme, n’avait même plus le courage de réagir. Il était devenu inhabituellement muet depuis qu’ils étaient ressorti du Chaudron Baveur, et semblait perpétuellement errer dans ses pensées. Ce musicien de 38 ans qui enseignait la guitare pour gagner sa vie était arrivé aux limites de son imagination pourtant vaste et débordante. Pete le voyait régulièrement s’approcher de l’étui qui renfermait sa baguette magique, qu’on avait laissé sur la table basse du salon. Il restait contemplatif de longs instants devant l’artefact qu’ils avaient offert à leur fils, essayant d’imaginer les sortilèges et les pouvoirs qu’il pouvait bien renfermer.

Mais après quelques jours de refoulement épuisant, son attitude prit soudainement le chemin inverse.

Alors qu’ils allaient déjeuner et que Christine recherchait vainement la télécommande du téléviseur afin de pouvoir l’éteindre, John s’était tout à coup levé, et écrié : « Bientôt, on n’aura même plus besoin de la télécommande ! C’est Pete qui allumera la télé tout seul ! Ouah ha-ha ! ». Il s’était alors emporté dans un aboiement de rires à n’en plus finir, rapidement rejoint par ses trois enfants. Même Christine n’avait pas pu complètement masquer un sourire en coin, soulagée que l’un d’eux ait enfin brisé la glace.

Cet après-midi-là, ayant retrouvé toute son ardeur, John avait emmené la famille au parc pour jouer. Répartis en carrés, John lançait un ballon de toutes ses forces à Pete, puis la renvoyait gentiment à Matthiew, et enfin la faisait rouler doucement vers la petite Andréane qui se mettait à quatre pattes pour la récupérer. Il ressentait tout à coup l’irrésistible besoin de courir et de crier tout ce qui lui passait par la tête, un peu comme son fils Matthiew.

- Allez, Pete ! Eloigne-toi encore un peu, on va voir si t’arrives à me l’envoyer.

Reculant d’une bonne dizaine de mètres, Pete lança la balle de toute ses forces à son père qui la rattrapa en poussant un cri de joie.

- Champion ! Champion ! Mon petit garçon sera un sorcier ET un flanker* ! Ha-ha-ha ! 

(*Un flanker est un poste de troisième ligne au rugby, tenu par des joueurs à la fois très rapides et très costauds, et maniant bien le ballon).


Pete était aux anges. Si le début de ses vacances avait été violemment secoué par la révélation de la magie, les jours s’annonçaient enfin meilleurs. Son père était à nouveau rieur et bagarreur, et Andréane lui demandait de moins en moins de faire apparaître des animaux fantastiques ou des sucreries. Même si sa petite sœur ne pensait pas à mal, chacune de ses requêtes le ramenait systématiquement à l’angoisse de son avenir flou.


Il fut cependant refroidi par l’ombre d’un immense rapace qui passa au-dessus de sa tête et fit tomber de quelques mètres de haut une petite enveloppe marron, scellée par un sceau qu’il reconnut immédiatement.

Toute la famille s’interrompit et Christine, qui lisait silencieusement à l’écart, referma brusquement son livre et se leva d’un bond. Elle se précipita vers John qui avait ramassé la lettre d’un air interrogateur et qui rechignait à l’ouvrir.

Pete jeta un regard autour de lui. Personne n’avait remarqué le passage de l’oiseau, et encore moins la lettre qu’il avait déposée. Les autres enfants jouaient insouciamment avec leurs parents à plusieurs mètres d’eux.

- Donne, ordonna Christine. On dirait un autre courrier de Poudlard.

Elle savait d’expérience qu’un courrier non attendu n’était que rarement bon signe. Elle déchira brusquement l’ouverture et lut à voix haute :


Chers Monsieur et Madame Doe,

Nous vous rappelons qu’il est formellement interdit d’évoquer le monde magique à l’extérieur des zones de sorcellerie réglementées. Tout acte magique (potion, sortilèges, transformation animagique) et toute évocation des sorciers en un lieu public fréquenté par des moldus est passible d’une sanction par le Ministère de la Magie.

Nous comptons sur votre discrétion et sur le respect des lois en vigueur dans notre société.

Salutations,

Minerva McGonagall

Directrice Adjointe


- Comment ça « rappelons », demanda John en se grattant la barbe. Ils sont marrants, les sorciers quand même. Ils débarquent dans nos vies sans prévenir et s’attendent à ce qu’on connaisse toutes leurs règles… 

- Et puis ils nous espionnent, ou quoi ? fit Christine en regardant au-dessus d’elle, comme pour y trouver une caméra volante secrète.

- Bon, reprit John. Pas de sortilèges du coup. Désolé, Pete. Tu vas devoir subir la fureur ravageuse de ton père : RAAAAH !

John attrapa Pete à deux bras et courut à travers le parc à toute allure, rapidement suivi de Matthiew et d’Andréane qui poussaient des cris dans tous les sens. Pete pouvait à peine respirer mais ne s’était jamais senti aussi heureux.


Les journées suivantes reprirent leur cours habituel et l’humeur de la famille revînt à la normale. Le courrier du Professeur MacGonagall avait rendu clair le fait qu’il ne fallait pas trop évoquer la magie à l’extérieur, ce qui vint étonnamment soulager tout le monde. Matthiew cessa de jouer au magicien au moindre bâton ramassé par terre, et John acheta deux ravissantes poupées à Andréane pour lui sortir les monstres et les dragons de la tête.

La seule dont l’attitude réservée et calme n’avait pas bougé depuis le Chemin de Traverse, et encore plusieurs jours après l’épisode du parc, était Christine.

Elle avait gardé la tête froide à l’arrivée de la lettre et avait accepté la nouvelle de la Sorcellerie avec beaucoup de sang-froid. Le Chemin de Traverse avait bien confirmé l’existence de cet univers et il n’était plus question de le nier. Tous les vendeurs des magasins semblaient connaître Poudlard et son directeur renommé, un certain « Humbledore », ou certains professeurs émérites, comme Mrs. MacGonagall. Pete était donc le nouvel élève d’une grande école de sorcellerie, et rien désormais ne changerait cela. S’il avait des pouvoirs, il fallait qu’il apprenne à s’en servir et surtout à les contrôler, pour ne pas se mettre en danger.

La seule question à laquelle personne, ni Poudlard, ni le Chaudron Baveur, ni les vendeurs d’objets enchantés ne semblaient pouvoir répondre était celle-ci : qu’allait-il advenir de son petit garçon ?

Elle avait toujours su qu’il viendrait, ce temps où ses enfants grandiraient et n’auraient plus besoin d’elle ; ce moment que sa propre mère avait tant déploré, quand elle avait quitté sa maison pour l’Université. Elle n’avait déjà pas vu passer les onze premières années auprès de lui ; pourquoi lui enlevait-on ces précieux moments si tôt ?

De plus, malgré ses efforts démesurés pour appréhender les Sorciers avec respect et impartialité, elle ne cessait de repenser à ce moment où M. Ollivander avait remis à son enfant un outil technologique apparemment très puissant, dont elle ne savait pas elle-même se servir. Elle qui avait prévu de lui apprendre à bricoler, cuisiner, conduire… ne saurait même pas aider son fils à faire ses devoirs du soir.

Tandis qu’elle essuyait distraitement une assiette tout en ressassant ces pensées, elle fut parcourue d’un souffle glacé depuis ses épaules jusqu’à son ventre. Pete entra dans la cuisine, rongé d’inquiétudes similaires, au même moment. Il vint s’agripper à elle et posa sa tête contre sa hanche. Alors, aucune magie au monde n’aurait pu empêcher les larmes de cette femme de couler.


Près de deux mois plus tard, toute la famille était réunie dans la gare de King Cross, sur le quai 9 ¾ où une immense locomotive rouge fumante attendait impatiemment les élèves et futurs élèves de Poudlard. Christine avait eu la bonne idée d’envoyer un courrier à Poudlard afin de demander des précisions sur cette localisation loufoque et il s’y était rendu sans trop de difficultés – du moins géographique, car le passage de la barrière avait été l’un des pires moments de sa vie. Juste avant de s’élancer à travers la barrière qui séparait les quais 9 et 10, elle était persuadée qu’elle finirait la journée avec une commotion, ou la nausée, au minimum. Matthiew et Andréane, eux, ne cessaient plus de tirer sur son pantalon en criant « On peut r’commencer ? On peut r’commencer ? ».

Pete et John redescendirent de la locomotive rouge où ils étaient montés poser l’énorme valise de Pete. Redescendu auprès de sa mère, Pete se sentit tout à coup des larmes aux yeux. Il réalisa soudainement qu’il partait en terrain inconnu, et qu’il ne reverrait plus ni ses parents ni ses frères et sœurs, avant les vacances de Noël. Cette découverte le mina tant que ses jambes s’alourdirent comme deux blocs de béton. D'une voix étranglée, il tenta de leur dire qu’il ne voulait plus partir.

- Allez, mon bonhomme, dit son père en s’agenouillant près de lui. Soit fort. On s’écrit dès demain, c’est promis. Je suis sûr que tu vas adorer le monde des sorciers, et que tu vas te faire plein d’amis.

- Ecoute bien en classe, poursuivit sa mère. Respecte bien toutes les consignes, encore plus qu’avant… 

- Oui, maman… 

- Toutes les consignes, d’accord ? insista-t-elle 

Puis elle le serra de toutes ses forces dans ses bras. Andréane et Matthiew se jetèrent dans ce câlin collectif improvisé, et bientôt ce fut la famille Doe tout entière qui était agglutinée sur le petit Pete.


- Courage, mon ange !

- Fais bon voyage !

- Si te plait, envoie des photos de plantes qui parlent et de poneys magiques ! 

- Je peux venir avec toi ? 

- Non Matt, désolé…

- D’accord…


Pete ne se rappela jamais comment il monta dans le train. Il ne se souvint jamais du moment où ses yeux s’étaient détachés de ceux de sa famille, de comment ses jambes l'avaient éloigné d'eux, et de s’il leur avait fait un signe de la main par la fenêtre une fois à bord, ou non. La seule chose qu’il se rappela de cette séparation fut la robe de sa sœur ; elle était aussi rouge que le train où il prit place.

Laisser un commentaire ?