Le Masque des Métamorphoses

Chapitre 2 : Voyage en terre inconnue

Chapitre final

4105 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/12/2020 18:08

De retour au Département, Martin prit le temps de féliciter chacun des membres qui avaient participé à l’arrestation. Pour l’occasion, l’équipe sortit des petits fours et fit sauter le bouchon d’une bouteille de Champagne-à-la-Rose. Chacun y allait de son petit mot, des félicitations par-ci, des applaudissements par-là, le tout dans une ambiance bon enfant, détendue, le sentiment du devoir accompli. Même le malfrat, menotté de la tête aux pieds derrière ses barreaux, eut le droit à sa pâte feuilletée fourrée d’une saucisse qu’il chipa discrètement au passage d’un plateau. Personne ne lui en tint rigueur.

—   Inspecteur, vous devriez envisager de venir jouer avec nous ce week-end ! s’exclama un homme de cinquante ans, son chapeau de sorcier de travers sur la tête, la bouche pleine, les joues empourprées, deux feuilletés dans la main et un tas de miettes à ses pieds. Le piquet, quel piquet ! On aurait dit Victor Krum dans ses plus beaux jours.

—   Je vous remercie, Arthur, répondit l’inspecteur, mais je ne ferai pas de vieux os. Je suis plus à l'aise quand je me fais transporter. N’oubliez pas de doubler la ration de Péguy, dit-il ensuite en croisant un des responsables de la volière, c’est elle qui a fait le plus gros du boulot, sans ça, le galopin nous filait entre les doigts.

Martin était satisfait, encore une enquête menée à bien, ce qui classait son équipe, en termes de réussite, loin devant les trois autres. Les dommages collatéraux étant minimes, une fois de plus, ses services avaient fait la preuve de leur efficacité.

—   Que fait-on des pièces à conviction ? lui demanda un agent qui s’affairait encore.

—   Descendez-les au cellier, conseilla l’inspecteur, je m’en chargerai plus tard.

Après deux flûtes à ras bord et quelques amabilités, Martin se retira dans son bureau. Il remercia au passage la statue d'un mousquetaire qui le salua. Il s'inclina si bas que son nez en forme de patate frôla son piédestal. Assis, devant la porte, un homme d'environ la trentaine attendait sur un banc en chêne verni. Il était parfaitement sapé dans un tailleur vert scindé par une cravate à rayures rouges qui s'enroulait dans le col haut de sa chemise blanche. Il avait sur la tête un béret jaune et bleu cousu dans un tartan écossais, et il portait une paire de boots noirs lustrée pour l’occasion. L’homme mordillait une fine tige de siwak qu’il mâchait du coin des lèvres comme un paysan au grand air, et la chaine argentée d’une montre pendouillait depuis la poche de son veston. Ce grand gaillard avait un air ridicule avec ses genoux repliés sur ce banc trop petit pour lui. Il discutait avec un elfe de maison, mais à la vue de l’inspecteur, il se leva pour le saluer et l’elfe s’esquiva.

—   Laissez-moi deviner, commença Martin en tendant la main, vous êtes…

Il s'interrompit pour rechercher ses mots.

—   Vous êtes Henri, l’Auror du Département d’Horkidor.

—   Lui-même, répondit poliment l'individu concerné d’une brève empoignade.

—   Vous attendez depuis longtemps ? s’inquiéta Martin.

—   Non, à peine deux heures, inspecteur, j’avais de quoi m’occuper. Félicitations pour votre arrestation !

Martin entra dans son bureau ovale en invitant l’autre à le suivre. Il ôta son manteau qu’il plaça entre sa cape de voyage et sa cape d’été, jeta son chapeau sur la boule supérieure de la patère, fouilla longuement dans une des poches intérieures de sa veste pour en retirer le journal du jour, un sac de potions, un petit livre de photos de suspects, un carnet de notes, une plume d’aigle et son encrier, ainsi qu’une paire de menottes sans serrure ni clef, puis il alla s’asseoir sur son luxueux fauteuil en invitant Henri à faire de même avec une chaise en paille. Il s’excusa par avance de ne point être vif d’esprit, mais la traque du matin l’avait fatigué et le Champagne-à-la-Rose lui montait légèrement jusqu’aux tympans. Henri comprenait parfaitement. L’inspecteur lui proposa néanmoins un verre que ce dernier refusa poliment.

—   Bon, reprit Martin, l’inspecteur Horkidor m’a demandé si je pouvais vous initier. J’ai vu que vous aviez un dossier intéressant.

—   Très intéressant…, ajouta en écho une peinture dans un petit cadre bleu.

Elle était à peine éclairée par une torche et posé sur l’étagère en face du bureau.

—   Je dirai même plus : très intéressant ! répondit un crâne ensorcelé d’un ancien sorcier Wallon situé dans un autre coin de la bibliothèque. Je n’ai pas lu le CV, mais je peux vous dire, d’après ce que j’ai ouï dire…

Martin se saisit du dossier sans y prêter garde.

—   Je vois que vous avez réussi haut la main toutes les épreuves pour devenir Auror, vous êtes plutôt doué en magie contre les forces du mal, en potions, en maléfices, en contre maléfices, vous avez en bonus des notions d’architecture…

Il regarda Henri d’un œil étonné, la paupière en demi-lune, avant de laisser échapper un :

—   Pourquoi pas ! et vous avez résolu de nombreuses enquêtes. Je me souviens de vous pour l’arrestation de Rumeus Nige. Du beau travail ! C’était propre et sans bavure, sauf pour Nige qui mange toujours avec une paille. Aujourd’hui vous aspirez au grade d’inspecteur.

—   Très doué…ajouta le tableau.

—   Plus que doué, reprit le crâne.

Martin leur fit signe de se taire.

—   C’est cela même, confirma Henri.

—   Bon… Entendez bien qu’à l’ordinaire je préfère travailler seul, je n’ai pas envie d’avoir à assurer les arrières de mes adjoints.

—   Ah non, il n’aime pas ça, compléta le tableau.

—   Il ne vaut mieux pas, se permit le crâne.

—   Mes arrières s’assurent tout seul, répondit Henri avec aplomb.

—   Le grade d’inspecteur se mérite, ajouta Martin la voix sévère. Il peut être long à obtenir, très long. Ce n’est pas parce que vous irez au bout de la formation que vous l’aurez d’office, d’autres facteurs rentrent en jeu, les places sont chères, en avez-vous bien conscience ?

—   Oui, en avez-vous bien consci…

—   ASSEZ ! s’agaça Martin qui d’un roulement de baguette renversa le cadre et noua la mâchoire du crâne.

Les deux hommes entendirent rouspéter d'une voix étouffée.

—   Je suis une œuvre d’art, moi, tout inspecteur que vous êtes, je mérite un peu plus de considération !

—   Mmmmmmmmmmh !

—   Une croûte de jeunesse, expliqua l’inspecteur au jeune Auror en regardant le cadre.

Il dérida les plis de son front.

—   J’en suis plutôt fier, mais elle est un poil bavarde !

—   Je suis sensible à l’art, répondit Henri sans développer davantage.

—   Bon, bon, coupa Martin pris par un coup de pompe, affaire conclue. A partir de lundi vous serez mon adjoint. Vous pourrez poser vos affaires dans le Département. On vous trouvera un bureau. Je vous ferai signe quand je partirai en mission, je tiens d’abord à vous évaluer sur le terrain.

—   Je ne vous décevrai pas, monsieur Lazare, c’est mon métier.

—   Une chose, reprit l'inspecteur, si vous permettez que je vous appelle Henri, appelez-moi Martin, j’entends trop de monsieur à longueur de journée.

—   Entendu inspecteur, vous faites bien de me le dire.

Il s’inclina et se retira.

Martin remit le tableau en place. La peinture, abstraite, représentait un homme au visage déformé, composé par un enchevêtrement de rectangles et de carrés.

—   Tu en penses quoi ? demanda-t-il à la toile qui boudait.

—   Je pense que tu prends le melon, répliqua cette dernière en lui tournant le dos.

—   Je te parle d’Henri.

—   C’est un homme bien comme il faut, très doué en magie, et surtout, très raisonné. En théorie, il a toutes les qualités pour faire ton job, la grosse tête en moins.

—   Mmmmmmmmmh, s’excita le crâne toujours la bouche cousue.

—   Peut-être un peu trop sûr de lui, continua le tableau.

—   C’est important pour avancer, répondit Martin, puis il apprendra assez vite à se modérer.

Le tableau acquiesça. Martin se détourna et alla caresser Charlie.

—   Pas d’autre message ! s’exclama-t-il.

Le hibou ouvrit un œil, lança un regard noir pour faire comprendre qu’on le dérangeait, et le referma aussitôt. L’inspecteur se rassit derrière son bureau, prêt à roupiller. Il reconnut la lettre du matin posée à plat sur le bureau, celle-là même qui avait glissé sous le meuble, avec l’énorme tache sombre sur le papier. Quelqu’un l’avait ramassée. Perplexe, il la saisit, relut l’adresse, et s’apprêta à la jeter mais retint son geste. La tâche, sous cette triste écriture, l’intriguait. Il tourna d’un quart le parchemin. Elle prit la forme d’une empreinte, un chien ou, vu la forme, peut-être un loup. Il se souvint de l’histoire qu’il avait lue dans la Gazette du Pays la semaine précédente, à la rubrique animalière Mystère et Boules de Poils. Deux sorciers racontaient avoir aperçu un énorme loup blanc dans un château en ruine de la Vallée-des-Mille-Morts, une bête luisante comme la lune, tel un fantôme, qui s’était évaporée aussi vite qu’elle était venue. Mais les fantômes d’animaux, ça n'existe pas, concluait l’article, et la bête restait invisible aux yeux des petits curieux qui essayaient de l’apercevoir. Peut-être un Diablotin, expliquait un expert, sinon une hallucination. En tout cas, personne n’en avait retrouvé la trace. « Il n’y a rien de plus difficile que d’empêcher un fantôme de déranger les mortels », avait songé Martin à la lecture.

Hormis le « à l’attention de l’Auror en chef », le parchemin n’avait que cette adresse écrite en pattes de mouche : 26 bis, route de Nohant, Sarzay. Sarzay, Sarzay, il ne connaissait pas ce nom, et pour sûr, c’était un petit village entièrement peuplé de Moldus au fin fond du pays. « Demain c’est le week-end, je n’ai pas grand-chose à faire ». Poussé par la curiosité et l’envie de se balader, il décida de se rendre lui-même sur place afin de jeter un coup d’œil au 26 bis, route de Nohant, Sarzay. Après tout, il avait pour la première fois, depuis longtemps, quelques heures à perdre ; une promenade lui dégourdirait les jambes. En effet, durant le week-end, les bureaux étaient quasiment vides. Chacun profitait de ces jours de repos pour penser à tout, sauf au travail. Seul l’inspecteur passait régulièrement au Département à des heures où même les horloges sommeillaient encore. Martin sacrifiait son temps au boulot ; en dehors du bureau, il n’avait pas de vie.

Le lendemain, en milieu de matinée, l’inspecteur se décidait à visiter Sarzay quand il croisa dans une allée de bureau, les mains abandonnées dans les poches, Julien Montigue, un jeune sorcier du Cabinet des Affaires Moldues. Pour imiter une idole aperçue furtivement sur une photo de magazine, il avait encastré sa casquette à l’envers entre ses deux oreilles de koala, laissant une mèche rousse onduler au-devant de ses yeux depuis l’attache coulissante qu’il n’avait pas fermée. Elle lui fouettait le front à chaque fois qu’il hochait la tête. Cela ne le préoccupait guère. Ses pieds étaient chaussés d’énormes rangers d’un rouge pétant, reluisant comme une tomate peu naturelle. Julien se tournait les pouces, il était de permanence avec beaucoup de vide à brasser. L’inspecteur engagea la conversation.

—   Vous vous y connaissez en moldus ? demanda-t-il.

—   Un peu, répondit le sorcier intimidé par ce tête-à-tête avec monsieur Lazare. Je suis dans cette branche, mais j’aimerais essayer autre chose, confessa-t-il.

Après tout, peut-être que l’inspecteur pourrait le conseiller.

—   J’allais justement me promener chez eux pour une affaire, l’interrompit Martin, voulez-vous m’accompagner ? Vous pourriez m'y être utile.

Le jeune sorcier accepta sans broncher. C’était pour lui l’occasion d’interrompre la langueur monotone de cette ennuyeuse routine. Il espérait se faire remarquer.

Ils se posèrent tout près du village, derrière les haies d’un champ de vaches qui ruminaient, un brin étonnées, à l’arrivée de ces drôles d’oiseaux. Mauvaise pioche, Julien atterrit le pied gauche dans une déjection encore fraîche. Autant dire qu’il avait sauté dedans.

—   Ça porte chance, se moqua l’inspecteur.

Embarrassé, il se décrotta l’épaisse semelle en frottant ses grosses chaussures dans les fines tiges d’herbes, avant de se rappeler que c’était un sorcier.

« Recurvite ! »

D’un tour de poignet, avec sa baguette d’aubépine à crin de queue de Sombral, il élimina la saleté coincée dans les rainures, redonnant au cuir l’éclat de ses origines.

—   A quoi servent ces grands poteaux ? demanda Martin en désignant des blocs de béton qui s’élevaient droit vers le ciel à travers champs.

Ils étaient reliés les uns aux autres par trois câbles noirs tendus au-dessus du vide.

—   Ce sont des perchoirs pour oiseaux, expliqua Julien, c’est là que se regroupent les espèces migratrices avant le grand départ.

—   Ah, se réjouit l’inspecteur ravi d’en apprendre un peu plus sur la bienveillance des Moldus envers la nature.

Ils franchirent une clôture, sautèrent un fossé et longèrent le chemin goudronné jusqu’au petit bourg. Les rues étaient désertes, surveillées par les candélabres ; seul pétaradait au loin un cri d’engin mécanique. Un château, sobre, caché par un verger de pommiers et un troupeau de Shropshire qui broutait entre les rangs, se dressait à cent mètres derrière eux. Au pied du clocher, au centre du village, les Moldus avaient fabriqué un panneau de bois sur lequel était dessiné un plan des rues surplombé de gros caractères noirs au nom du patelin.

—   Ingénieux, commenta Martin en indiquant l’énorme point rouge suivi de la légende « Vous êtes ici ».

Il se pencha vers la carte.

—   Route de Nohant, prononça-t-il en prenant le soin d’articuler sa requête.

Il attendit mais rien ne se passa.

—   Pas au point, marmonna-t-il déçu. Ils sont capables de nous dire où nous sommes, mais pas où on veut aller. La prochaine fois, Julien, faites-moi penser à prendre ma Via-Romae.

—   Regardez inspecteur, intervint ce dernier content de se rendre utile, le nom des rues est écrit directement sur le plan. Il faut juste pencher la tête.

Les deux sorciers cherchèrent leur destination dans ce petit dédale de lacets.

—   Là, indiqua l’inspecteur qui pointa sa trouvaille du doigt. Sur notre droite. Je crois que la route s’en va vers la forêt.

Il repéra un panneau bleu « Route de Nohant » posé à hauteur d’un muret. La rue en question sortait du village. Ils la suivirent, passèrent devant le numéro 1, le numéro 3, ainsi de suite, jusqu'au numéro 25 où ils dépassèrent la limite du bourg. Ils marchèrent dix minutes sans croiser âme qui vive.

« Qui pourrait bien venir se terrer dans ce trou paumé ? » pensait Martin.

Mais ils ne trouvèrent pas le numéro 26. Ils étaient éloignés, désormais, de la place centrale, et le chemin se perdait plus loin dans un virage. Seul, isolé, on voyait à une centaine de mètres le toit d’un petit pavillon dépassant d’une haie de thuyas. Ils poussèrent l’excursion jusqu’au bout. Aucun numéro n’était accroché à l’entrée d’un portail pas plus large qu’un homme et encastré dans le cordon de la broussaille. Il n’y avait pas non plus de boite aux lettres, mais Martin n’en doutait pas, ça ne pouvait être que là. Une plaque blanche était vissée sur la colonne en brique jaune qui tenait les gonds. Y était écrit, en-dessous de l’image d’un féroce chien noir, « Attention, je mords ».

Martin jeta un rapide coup d’œil aux alentours, rien à signaler ; il étudia la demeure, rien à suspecter. Il ne détecta aucune trace de magie, ni même l’ombre inquiétante d’un chien susceptible de les mettre en danger. Un crachat d’eau, propulsé au-dessus du potager par une pompe, décrivait un demi-arc de cercle dans un rythme de locomotive. Les fines gouttelettes, comme suspendues dans le vide, reflétaient les couleurs de l’arc-en-ciel. A l’autre bout du lopin de terre, un corbeau noir picorait quelques graines dans les sillons. Il s’envola en croassant quand le portail s’ouvrit d’un grincement strident.

Des volets d’un rouge terne à la peinture émiettée encadraient les fenêtres gagnées par le lierre. Un chat d’un pelage blanc immaculé, que Martin trouva très beau, surveillait nonchalamment les nouveaux venus depuis l’intérieur de la maison. Il portait un collier rouge au bout duquel pendait un grelot doré. Martin toqua plusieurs fois aux carreaux opaques de la porte d’entrée, derrière les barreaux d’ornement qui empêchaient de passer complètement la main. Comme personne n’ouvrit, il secoua la petite cloche surmontée d’un coq en fonte. La sonnerie, retentissante, agressa l’oreille. Le son était plus proche d’un crissement de craies amplifié dans un mégaphone qu’un tintinnabulement harmonieux et cadencé du joyeux traineau de Saint-Nicolas. Le félin, le poil hérissé, déguerpit de son rebord pour disparaître sous les voilages des rideaux. Après de longues et silencieuses secondes, le temps que les tympans se soulagent, ils entendirent le déclic d’une clé que l’on tourne dans le creux de la serrure. La porte s’ouvrit, d’abord d’un quart, puis entièrement, pour laisser paraître un homme aux cheveux grisonnants mais avec, dans son regard d’un bleu glacé des grands froids, comme une nébuleuse cosmique en fleur qui vous hypnotise et vous captive.

Martin dévisagea l’homme. Il bégaya, pataud. L’individu qui se tenait devant lui le troubla. Machinalement, par réflexe, il serra sa baguette dans sa poche. La porte lui claqua au nez, le frôlant d’un souffle proche de l’étincelle. Son cœur s’emballa, inondé par une injection de souvenirs un peu crasseux. Tous ses sens s’éveillèrent en sursaut tels des bidasses que l’on sort du lit au clairon. Il connaissait ce visage.

Sans réfléchir davantage, et par la force d’un sort, il dégonda la porte qui s’étala de tout son poids sur le carrelage.

—   Faut l’empêcher de s’enfuir ! ordonna-t-il à Julien qui avait la mine confuse et étonnée.

Le jeune sorcier contourna la maison sans se faire prier pendant que l’inspecteur se précipitait à l'intérieur. Il pénétra dans un vestibule duquel partait un escalier droit. Le chat, à ses risques et périls, effrayé, traversa d’un bond pour se réfugier dans une autre pièce. Du grabuge descendait du plafond comme de lourds meubles que l’on déplace en frottant les pieds au sol. Sans hésiter, le pas vif, Martin enjamba les marches. Il émergea dans un couloir éclairé par un oculus de lucarne. Le bruit cessa. Une des quatre portes était entrouverte. Prudent comme un tigre en chasse, Martin se tapit le long du mur, l’oreille dressée, la respiration basse. Il écouta mais n’entendit rien. Une présence se laissait pourtant deviner de l’autre côté, elle-même aux aguets, prête à se défendre. Martin ne voulait pas risquer de voir l’autre lui filer sous les yeux. S’appuyant sur l’effet de surprise, d’un brusque coup de pied, il fit valser la porte. 

—   EXPERLIAMUS ! cria-t-il sa baguette brandie en avant.

—   Protego ! répliqua une voix rauque pour se défendre.

Le sortilège ricocha sur sa cible mais l’impact l’obligea à reculer contre l’armoire. Martin n’eut pas le temps de souffler que, d’une surprenante rapidité, le lit s’envola à travers la pièce projetant l’Auror dans le couloir. Il chuta lourdement sur les coudes pendant que le sommier se coinçait dans le chambranle de la porte, obstruant le passage. Julien, alerté par les cris, accourut rouge de sueur en soulevant non sans effort ses grosses chaussures. Au même moment Martin était ramassé sur le sol. Il l’esquiva comme un skieur de slalom et s’assura à peine de l’état de son chef en fonçant tête baissée.

—    Destructum, lança-t-il pour dégager l’obstacle, se précipitant là où l’autre attendait.

—   ATTENTION ! hurla l’inspecteur qui retrouvait ses esprits.

Un flash aveugla l’air, suivi d’une détonation sèche mais assourdissante. La maison trembla, les murs se fissurèrent, des morceaux de plâtre fragilisés tombèrent par terre. Martin se releva, chancelant, protégeant sa tête avec sa cape couverte de poussière. Il fut pris de vertige et dut s’appuyer deux secondes contre la cloison, les oreilles bourdonnantes, un voile blanc devant les yeux. Il tâta son crâne pour s’assurer qu’il ne saignait pas. Un bain de lumière jaillissait depuis la chambre.

—   Julien, tout va bien ? s’écria-t-il terriblement inquiet.

Il ne s'entendit pas lui-même.

Pas de réponse. Il retourna dans la pièce, prêt à riposter, mais rien ne se passa. A la place du mur se tenait un trou suffisamment large pour laisser passer un ogre. Une armoire couverte de débris jonchait sur le parquet. L’étagère de la bibliothèque s’était effondrée, cédant sous le poids d’une collection complète de l’Encyclopédie en vingt-six volumes. Les livres éparpillés sur le sol formaient une pyramide de culture que personne ne lirait plus. Seule une lampe, un large allogène, tenait encore debout, bloquée entre le bureau et l’angle de la pièce. Il n’y avait, dans le foutoir ambiant, qu’un corps disloqué, comme une marionnette que l’on aurait posée là ; c’était celui de Julien. L’inspecteur se précipita vers lui. Son visage était noir, calciné, ses habits en lambeaux, tachés de sang, les paupières grandes ouvertes, il était mort.


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