Le Masque des Métamorphoses

Chapitre 17 : Le messager (avant dernier chapitre)

Chapitre final

2453 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/04/2021 20:35

Etalés sur le bureau, des articles de journaux relataient l’exceptionnelle arrestation de l’inspecteur Lazare. Henri Dessouche et Sarah Nicéphore étaient mentionnés à plusieurs reprises. Mais l’heure n’était pas aux réjouissances. Une journée d’hommage en l’honneur du ministre des Défenses Magiques avait été organisée. Le deuil, national, avait fait déplacer, comme on se déplace au théâtre, un tas de personnalités que Martin ne connaissait pas toujours. Alicius n’avait pas d’enfant.

Un chat blanc mangeait des croquettes dans une gamelle que Martin avait posée juste en dessous du perchoir à hibou. Quand il eut fini, le chat vint se blottir sur les genoux de l’inspecteur le dos rond et un ronron plein la bouche. Il n’oublia pas d’étirer ses griffes qui s’accrochèrent au pantalon du sorcier.

Martin referma le dossier scolaire d’Alicius Suspis, irréprochable ! Il n’arrivait pas à démêler le vrai du faux. Il faut dire qu’au début de sa propre carrière d’Auror, Alicius Suspis, comme un mentor, avait apporté une grande aide à Martin. C’est lui qui, très tôt, l’avait repéré, et lui avait permis de monter rapidement en grade. C’était un homme habile, un ambitieux à poigne, un sorcier intelligent qui avait su remanier de fond en comble le Département des Enquêtes Magiques en Département des Affaires de Criminalités Magiques. Néanmoins, Martin ne pouvait pas s’empêcher de penser que certains traits du personnage qu’Ovide avait dépeint correspondaient bien à l’idée qu’il se faisait de son supérieur. C’était un manipulateur qui savait embobiner les hommes par ses discours. Il arrivait à ses fins avec hargne, si bien qu’il fallait être de son côté pour espérer avancer. Celui qui ne le suivait pas dans ses idées était vite oublié.

Martin se remémora les mots élogieux du vieil ami d’Alicius, le jour de l’enterrement, devant une foule qui portait un mouchoir à l'œil. « C’était, avait-il dit, un homme dévasté que je récupérais en lambeaux, le jour où son meilleur ami Bernie Burnfire fut porté disparu ». Alicius avait-il dupé son monde ? Martin semblait convaincu d’une chose, si Alicius était un beau salaud, sans doute n’avait-il jamais prémédité ses crimes. La preuve en était que, dans son travail, Alicius avait toujours pris soin de ramener les criminels vivants, ce dont il aurait pu s’abstenir, parce que la loi pardonne facilement aux Aurors qui ont la main lourde ; voyez Bredole. La seule fois où il demanda à Martin de lui rapporter un cadavre plutôt qu’un homme, c’était pour cette histoire, pour Ovide, ce qui avait aussitôt fait tilt aux oreilles de l’inspecteur. Martin était plutôt droit dans ses bottes, le genre d’homme à croire qu’une fin ne peut pas être bonne si les moyens utilisés pour l’atteindre sont mauvais. Il ne put s'empêcher de penser aux accusations qu’Ovide pesta contre le ministre, avec une sorte de calme déroutant, sans doute à cause des effets de l’envoûtement qu’il subissait. Il avait paru si sûr de lui. Martin secoua la tête. Alicius avait peut-être commis des meurtres en outrepassant ses fonctions, néanmoins, l’inspecteur se convainquit que c’était davantage un homme dépassé par les évènements qu’un être assoiffé de sang. Le ministre avait traversé une époque où le mot de « concession » entraînait la mort. Il avait appris à être pragmatique, il avait été formé à cette rude école, dure au mal, mais visant l'essentiel. A l’inverse, aussi tragique que fut l’histoire d’Ovide, pour peu qu’elle fût véridique, ce dont Martin doutait fortement, le mal avait habité cet homme. Ovide Sancielo avait côtoyé la mort comme une bonne amie et avait fait du crime sa nécessité. Rien ne justifiait ses meurtres.

Martin, dubitatif, faisait les cent pas dans son bureau. Ovide s’était-il joué de lui jusqu’au bout ? Avait-il su contrecarrer le double ensorcellement qui lui avait été réservé ? En avait-il profité pour embobiner l’inspecteur ? Non, c’était impossible, pas complètement, pas totalement…

Il se rassit troublé par l’incertitude qui le rongeait. Fatigué, il n'avait pas le cœur à rire. La médaille honorifique de l’Ordre de Vidocq, que le Premier Ministre lui avait remise en main propre, était flanquée dans le coin d’une étagère. Il n’arrivait pas à en être fier, mais il ne voulait pas non plus priver ses deux acolytes, Sarah et Henri, de leur moment de gloire, eux qui avaient tant œuvré pour mener l’enquête à son terme. Il avait même été question de prendre le poste d'Alicius désormais vacant. Le ministre le recontacterait, mais Martin avait déjà prévenu, il s'y refuserait ; la politique ne l'intéressait pas. Puis Henri et Sarah avaient encore besoin de temps pour être formés, ils ne devaient pas brûler les étapes.

L'inspecteur s’était bien gardé de tout leur raconter. Un jour prochain, peut-être, il le ferait, mais avant il avait besoin de savoir, de combler ce goût d’inachevé qui lui pesait sur la conscience depuis plusieurs nuits. Aucun des hommes concernés ne pouvaient plus parler. La vérité était-elle morte avec eux ? Ne devait-il pas y avoir quelque part une trace, ne serait-ce qu’un arbre ou des graines de cerises pour témoigner ? Cette question l’obsédait. Puis, c’était quoi, au juste, cette créature, ce loup blanc ? Un fantôme, un souvenir, un sortilège ? Il n’avait jamais vu en aussi peu de temps autant de sortilèges qu’il ne connaissait pas. Le monde magique est un monde bien mystérieux. Humblement, Martin s’était toujours estimé à sa juste valeur, c’est-à-dire comme un sorcier très doué. Pourtant, à présent, il avait compris qu’il ne savait pas grand-chose, que ce soit sur la magie, sur le monde, ou sur le cœur des hommes.

Il se servit un verre de Whisky-Caramel contenu dans une bouteille de verre blanc posée dans une corniche de sa bibliothèque, et il se prépara quelques olives vertes. Il rangea la bouteille à côté d’un livre intitulé L’art Vaudou Au Moyen-âge Dans Le Bocage Normand, ouvrage que lui avait prêté Ludmila et qu’il s’était promis de lire dès qu’il aurait fini Dialogue Ancestral, Petit Recueil Sur La Magie De Tombouctou à Kinshasa. Ce dernier livre décorait sa table de nuit depuis l’arrestation d’Ovide. C’était un ouvrage compliqué à lire, et Martin avait du mal à se concentrer. Il avançait lentement, page après page, phrase après phrase. Sa vieille croûte dormait paisiblement dans son cadre en face de sa tête de mort. Eux-mêmes n’avaient pas le cœur à taquiner l’inspecteur. Il regarda par la fenêtre, en quête d’un désir. N’y avait-il pas là, quelque part, dans un coin de ciel, une lueur d’espoir ? Ses troubles roulaient sur lui comme un rideau de vagues sur la rive. Il devait s’accrocher à une poignée de sable pour ne pas se laisser engloutir.

TOC, TOC, TOC.

Charlie venait d’arriver derrière la vitre, Martin alla ouvrir. Il s'engouffra par la fenêtre en même temps qu’un courant d’air frais, puis il fit un grand saut pour aller se poser sur son perchoir. Le chat essaya en vain de lui chiper quelques plumes. L’oiseau tendit la patte à l’inspecteur qui se saisit du parchemin. Il le déplia délicatement pendant que Charlie renversait sa gamelle sur la tête du félin qui attendait juste en-dessous, la moustache toute hérissée. Il remuait frénétiquement le bout de sa queue comme un métronome. Les graines à terre, il se jeta dessus pour en renifler le contenu.

 

 

 

Cher Martin,

 

Laissez-moi tout d’abord vous féliciter pour l’incroyable enquête que vous venez de mener à son terme. Je me suis longtemps intéressé à cette histoire qui a tenu en haleine l’ensemble des Aurors de Grande-Bretagne. Je suis véritablement navré pour tous les drames que vous avez connus, et croyez bien que je compatis à vos malheurs et comprends vos doutes.

Vous venez vers moi afin de solliciter mon aide. J’entends bien essayer, mais sachez que je ne suis pas en mesure de vous apporter des réponses claires sur ce que vous attendez. Vous comprenez que nous parlons là d’une magie si obscure et d’une grande rareté, que nul en ce monde ne devrait pouvoir prétendre si bien la connaître.

J’ai en vérité deviné le fond de votre question, et je comprends vos inquiétudes. Si je puis répondre, il me faudrait d’abord récapituler l’essentiel.

Un Horcruxe est une entité magique qui accueille en son sein une part de l’âme d’un sorcier. Ce peut être un simple bibelot, mais aussi un être vivant. Il serait pour nous quasiment impossible de retrouver un tel objet si les sorciers qui osent franchir le pas, et s’enfoncer dans l’horreur de la magie, acceptant de déchirer leur âme en deux pour atteindre leurs fins, n’avaient pas la mauvaise manie de choisir des réceptacles symboliques. C’est là la seule chance que nous avons quand nous partons à la recherche d’un tel artefact. Toutefois, cela nous oblige aussi à connaître notre adversaire aussi bien qu’il se connaît lui-même, afin de découvrir ses secrets et espérer pouvoir le vaincre. 

Comme vous l’avez compris, a priori, l’idée de l’Horcruxe est de permettre à l’âme de survivre si le corps est détruit. Mais l’âme n’est pas à concevoir comme un tout que l’on peut diviser en partie ; elle est quelque chose de beaucoup plus complexe. D’une certaine manière, elle est toujours une, même si une partie d’elle est enfouie dans autre chose. Retenez bien ce point, car c’est là un élément de réponse à votre question.

Avant de poursuivre, permettez que je mette un mot sur vos inquiétudes. Vous supposez, sans en avoir la preuve, que votre sorcier a su créer un Horcruxe, ou quelque chose qui y ressemble, et qu’il l’aurait caché quelque part. C’est une chose difficile à prouver, mais entendez que créer un Horcruxe demande néanmoins une certaine connaissance en magie, connaissance qui n’est pas à la portée de tous. Cependant, au regard de son passé et des récents évènements, cela n'est pas à exclure. A vous lire, c’était un sorcier très doué, trop doué pour tout le mal qu’il a causé, et visiblement plein d’imagination. Il a dû s’intéresser à la magie sous ses nombreuses formes. Capturer l’âme d’un autre pour le faire souffrir, n’est-ce pas le privilège d’un Détraqueur, ici d’un détraqué ?

Ce n’est pas un hasard si votre lettre questionne le sujet de la mémoire d’un Horcruxe. Voici ce que vous me demandez réellement : Un homme qui a perdu la mémoire suite au baiser du Détraqueur peut-il la retrouver si auparavant il avait créé un Horcruxe ? Ma réponse est claire : je l’ignore.

Néanmoins, je peux en dire deux mots. Je ne crois pas que tous les Horcruxes se valent. Gardent-ils des souvenirs ? Si oui lesquels ? Est-ce tout ceux d’avant leur création ? Comme je l’écrivais plus haut, l’âme est un tout, et un Horcruxe est comme un souvenir de ce tout. Aussi, la première fois que j’ai rencontré un tel artefact de magie noire, le morceau d’âme que j’ai affronté avait des connaissances qu’il aurait dû ignorer. D’où venaient ses connaissances ? Les tirait-il du savoir de sa jeune victime, ou bien serait-ce tout simplement le lien avec l’être originel qui serait si puissant que l’Horcruxe pense et connaît comme connaît et pense l’âme originelle ? Soyez convaincu d’une chose, un Horcruxe ne se déplace pas de lui-même. En revanche, il est capable d’influencer les être-vivants, dont les hommes, de les utiliser à son profit, et donc de les mouvoir.

Dans quel état serait la partie survivante de l’âme d’un homme, enfouie dans un Horcruxe, alors que ce même homme aurait subi le châtiment d’un Détraqueur ? Encore une fois, je l’ignore. Perdrait-elle toute connaissance ? Permettrait-elle à ce corps sans âme de retrouver sa force d’antan, ou pourrait-elle reprendre vie de manière indépendante ? J’espère ne jamais avoir de réponses à ces questions.

Toujours est-il que vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, car si Ovide a bel et bien laissé une part de lui-même dans un objet quelconque, qui serait en mesure de rapprocher le corps de son âme ? Nous sommes à ce jour, si je comprends bien, les deux seuls à avoir conscience de cette possibilité, ou devrais-je dire, de cette supposition. Je pense davantage que l’âme d’Ovide, s’il lui en reste une, sera à jamais prisonnière de son réceptacle, puisqu’elle n’aura plus rien à quoi se rattacher. N’est-ce pas pour elle un sort pire que la mort ?

J’espère vous avoir suffisamment éclairé sur la question et je suis par avance navré de ne pouvoir faire mieux. Nous aurons peut-être l’occasion, un jour, d’en reparler de vive voix, mais restons prudents en ce qui concerne ce domaine de la magie, tant le peu d’exemples que l’on connaît a toujours abouti à des actes terribles. Un hibou peut facilement être intercepté par des hommes de mauvaises intentions. Je partage avec vous cette conviction qu’il y aura toujours des hommes pour causer du mal, quand bien même ils auraient les meilleures intentions du monde.

 

Je vous souhaite une bonne continuation.

Au plaisir de vous lire.

 

Harry Potter 


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