Lettockar, tome 1 : la honte des écoles

Chapitre 17 : Tout va à vau-l'eau

6599 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/04/2022 01:15

17. Tout va à vau-l’eau


Lorsque Kelly était revenue au château avec le Grand livre des pentacles, John et Naomi ne l’avaient félicité pour cela que dans un second temps. Car dans le premier, ils lui étaient tombés dessus pour être partie sans crier gare et sans les prévenir.


- On était fous d’inquiétude ! On t’a cherché partout…. on a demandé à tout le monde si quelqu’un t’avait vue… à force, on a cru qu’il t’était arrivé quelque chose de grave ! Oh Kelly, par pitié, ne refais jamais ça ! avaient-ils assénés, presque à l’unisson.


Devant leur détresse, Kelly avait préféré ne pas mentionner sa rencontre avec les Mandragueuses. Durant le chemin de retour, elle avait fait un long détour pour ne pas avoir à repasser par l’étroit corridor dans lequel elles se terraient : à part quelques papillons aux ailes d’airain, elle n’avait rencontré aucune difficulté majeure, surtout en comparaison des sirènes végétales. Elle ne fut pas fâchée d’apprendre que ses efforts n’avaient pas été vains : une fois qu’elle l’eût étudié, Naomi confirma que Le Grand livre des pentacles contenait des formules extrêmement utiles. Bien que son journal ne fut pas la mine d’information idéale, Daniel Glover avait indiqué dans un extrait sur quels passages du grimoire il s’était appuyé, notamment des chapitres sur les pentacles maîtrisant l’espace-temps. Il n’avait certes laissé aucun dessin complet de celui qu’il comptait tracer, mais Naomi était persuadée qu’avec de la patience et de la réflexion, elle réussirait à créer son propre pentacle.


Quelques semaines plus tard, Naomi leur fit part de l’avancement de ses travaux alors qu’ils assistaient à un match de Crève-Ball, qui opposait PatrickSébastos et Becdeperroquet. ; ils s’étaient rendus compte que le tumulte tout autour d’eux rendait impossible d’entendre leur conversation. Par prudence, ils s’étaient placés à la rangée tout à l’arrière de la tribune. A force de rassembler les informations disséminées dans Le Grand livre des pentacles, le journal de Daniel Glover et Contrôle du chaos : étude des magies inclassables, Naomi était parvenue à concevoir...


- Un pentacle qui va nous téléporter sans dommages à Poudlard ? dit John, plein d’espoir.


- Encore mieux, répliqua Naomi avec un soupçon de vanité. Un pentacle qui n’obéira qu’à nous.


- Qui n’obéira qu’à nous ? répéta Kelly, les yeux ronds.


- Parfaitement ! affirma Naomi, toute excitée. On sera les seuls à pouvoir l’ouvrir, le fermer, et même les seuls à pouvoir le détruire. Pour cela, il faut créer un lien magique avec le portail, un lien qui le connecte à notre esprit. Grâce à ça, il pourra même ressentir nos émotions. Il saura si on a vraiment envie ou non de l’utiliser : ça évitera que quelqu’un de l’extérieur nous force à le faire pour lui.


Même le saut spectaculaire que fit le Crevard de Becdeperroquet à ce moment-là pour détruire trois balles d’un coup n’aurait pas pu autant impressionner John et Kelly.


- Mais où est-ce que t’as été chercher ça ? dit John à Naomi en lui donnant un petit coup de coude.


- C’était ce que voulait faire Daniel Glover lui-même. Il y avait un paragraphe de son journal qui en parlait, mais il manquait des bouts. Heureusement, Joe s’est souvenu de quelques bribes de ce que Glover disait quand il parlait tout seul en écrivant sur les murs.


En effet, Joe le Troué s’intéressait de plus en plus à leur entreprise. Il les questionnait sur leurs progrès, il leur partageait spontanément les rares souvenirs qui lui revenaient, il venait leur parler discrètement même lorsqu’ils ne se trouvaient pas au sous-sol.


- Pourquoi il fallait que le mec qu’on essaie à tout prix d’imiter soit un timbré ? se demanda John à haute voix avec philosophie, alors qu’il applaudissait négligemment le but à 7 points marqué par PatrickSébastos.


- Il voulait rester le seul maître de son vortex vers Poudlard, pour qu’on ne puisse pas le poursuivre… expliqua Naomi. Et c’est pareil pour nous, d’ailleurs. Ce serait regrettable qu’un préfet ou un prof prenne le passage dans notre sillage…


- Mais j’imagine que pour que nous soyons à ce point liés à ce cercle magique, il y a un prix à payer… devina Kelly.


- Oui, mais c’est pas trop grave… Pour qu’il les reconnaisse, les cocontractants doivent… doivent tous lui offrir un peu de leur sang en tribut.


- Bêêêêrk… lâcha distraitement John.


- Mais pas beaucoup, hein ! Un petit peu sur une partie du pentacle qui représente chacun d’entre nous. Je vous montrerai au château, j’ai fait trois croquis complets, pour qu’on ait chacun le sien…


- Ah ouais, carrément ! s’exclama leur ami. Dis donc, tu te démènes, Naomi… oublie pas de dormir de temps à autres, quand même...


Naomi ouvrit la bouche pour démentir, mais elle ne sut pas quoi répondre. Kelly aussi ressentit un certain malaise : en y faisait plus attention, elle remarquait qu’effectivement, Naomi avait le teint plus blafard, et que des poches violacées naissaient sous ses yeux. Elle se dit qu’elle aurait dû faire plus attention à son amie ces derniers temps… apparemment elle ne dormait pas autant qu’elle le devrait… Kelly voulut dire quelque chose, mais Naomi changea précipitamment de sujet :


- Bon, sinon, il y a un autre sujet qu’on doit aborder... on a un problème de taille : même s’il est stabilisé et praticable, on arrivera jamais à passer par le vortex.


- Quoi ? Mais comment ça ?


- Vous avez vu la taille qu’il fait ? Il n’y a qu’un Vif d’Or pour passer par là. Or j’ai beau chercher, je ne trouve aucun moyen d’élargir le trou.


Du coin de l’œil, Kelly vit les commissures des lèvres de John s’étirer dangereusement. Par respect pour Naomi qui ne riait pas du tout aux blagues de cul, elle se força à rester impassible.


- Je ne sais pas ce que Daniel Glover avait prévu pour passer à travers ce trou de souris, poursuivit Naomi, mais il n’y a aucun moyen de le savoir. J’ai relu tout son journal, il n’a pas laissé le moindre indice… ou peut-être qu’il n’a pas eu le temps de se pencher sur la question, c’est possible aussi. Quoiqu’il en soit, on est coincés.


Kelly réfléchit.


- Hmmmm… puisqu’on ne peut pas modifier la taille du vortex… et si on modifiait notre taille à nous, tout simplement ? Y’aurait pas un sortilège pour rapetisser ?


- Mais oui, pourquoi j’y ai pas pensé moi-même ! répondit Naomi après un bref silence. Je ne connais pas de sort, mais je sais qu’il existe la potion de Rétrécissement. Il faudrait consulter la recette...


- Ah non, intervint John avec fermeté, s’il faut encore chercher un foutu grimoire dans le cul d’une licorne, je déclare forf…


- Non, non ! La formule est dans le Manuel de potions pour noobs, à la toute fin. Normalement, c’est une potion de troisième année, mais je devrais m’en sortir avec un peu de….


- Comment ça, « je » devrais m’en sortir ? Naomi, tu vas pas t’ajouter ça comme travail, quand même ? la coupa Kelly d’une voix autoritaire.


- Ben si, il faut bien le f…


Mais elle n’acheva pas sa phrase, dissuadée par le regard incrédule de Kelly. Ses petits yeux bruns se baissèrent, à la fois de lassitude et d’embarras. Kelly se rendit compte qu’elle avait été un peu sèche. Aussi, elle lui passa le bras autour des épaules et elle lui chuchota d’une voix plus douce :


- Mimi… il faut que tu te ménages, là. Je commence à te connaître, tu sais. si tu continues, tu vas craquer. Déjà que tu te mets une pression énorme à propos du travail à l’école... et là tu nous parles d’une potion qu’on est pas censés être capables de préparer. Alors je t’en prie : épargne-toi ça. Je veux pas te retrouver en petits morceaux.


Naomi acquiesça de la tête. Elle ferma les yeux et poussa un profonde expiration. Kelly aperçut de petites larmes perler aux coin de ses paupières. Tout à coup, juste à côté d’elles, John se racla la gorge. Il bomba le torse, et déclara solennellement :


- Moi, je le ferai.


- De quoi ?


- Je vais vous la concocter, moi, votre potion de Rétrécissement ! Dès demain, j’irai installer un chaudron dans les catacombes, et je m’y attellerai.


- Si c’est une potion pour les troisième année, ça va pas être de la tarte, Johnny-boy.


- Oui, John, il faut pas que tu te lances dans un truc inconsid...


- Si si si si si ! rétorqua catégoriquement John. Vous verrez, avec ma potion vous allez tellement rapetisser que vous pourrez enfin voir le cerveau de Grog sans microscope.


- ATTENTIOOOOOOON ! retentit brutalement une voix caverneuse qui provenait de sous les gradins.


La tribune de Dragondebronze fut alors traversée par un fantôme qui fonçait vers le terrain. Un type maigrichon à lunettes, avec une grosse barbe et de très longs cheveux, et rien d’autre. Rien d’autre, car il était tout nu.


Des cris et des exclamations explosèrent au sein de la foule à la vue du nouveau venu. Le match de Crève-Ball, déjà bien chaotique, échappa à tout contrôle lorsque le spectre se mit à parcourir tout le terrain, sur la planche ou dans les airs, à toutes jambes, son engin ballottant au vent. Il zigzagua entre les Epuisatiers et les Indics. Si quelques spectateurs dans la foule le huaient ou le suppliaient de s’en aller, bien des autres l’encourageaient à grands cris. Rouge comme une tomate, Kelly se couvrit les yeux. Il fallut un quart d’heure pour faire déguerpir le fantôme, et le match se poursuivit dans une ambiance pour le moins étrange, car aucun joueur ni aucune personne du public ne parvenait à chasser de son esprit l’image d’un spectre flottant dans le plus simple appareil à travers le terrain de Crève-ball. En sortant du stade, Kelly réalisa avec consternation que la première fois qu’elle avait vu un homme nu s’était faite avec un fantôme exhibitionniste au beau milieu d’un match du sport le plus absurde du monde.


- Et encore, on a eu de la chance que Craignus le Streaker se résigne faire son jogging à Lettockar, raconta Peter Shengen le soir même. D’après Roselyne, avant que les autres fantômes ne l’en dissuadent, il projetait d’aller foutre le bordel au Tournoi des Trois sorciers.


- Le Tournoi des Trois sorciers ? C’est quoi ce truc ?


- Une compétition qui réunit trois écoles de magie : Durmstrang, Beauxbâtons – l’école française – et Poudlard. Chaque école est représentée par un champion, un de ses élèves les plus doués, qui participe à plusieurs épreuves de sorcellerie très difficiles. Ce tournoi avait été supprimé il y a quelques siècles – me souviens plus quand exactement -, mais cette année, ils ont décidé de retenter l’expérience. C’est à Poudlard que ça se passe. C’est Pavel Ossatrüvay qui m’en a parlé – il le tient du professeur Grog.


Kelly fronça le nez, comme à chaque fois qu’on lui parlait d’Ossatrüvay, le lèche-pompes de Grog. Néanmoins, cette histoire de tournoi international l’intéressa grandement. Cela ne fit que renforcer sa conviction de se rendre à Poudlard. « Au moins, ils voient du monde, eux ! »


Dès le lendemain, John tint sa promesse de préparer leur potion de Rétrécissement. Après avoir dérobé un des chaudrons inutilisés qu’on trouvait dans une salle du premier sous-sol, il avait rassemblé des ingrédients, du bois pour le feu, et les avait descendu dans les catacombes du château. Sur cette paillasse improvisée, il avait commencé à mélanger, touiller, saupoudrer. Kelly avait jeté un coup d’œil à la recette, pour des première année, elle était très compliquée. Elle ne fut donc pas surprise d’entendre John leur annoncer une première fois que sa potion avait échoué. Pas de quoi décourager le jeune homme, qui, après avoir affirmé qu’on ratait toujours la première crêpe, fit une nouvelle tentative dès le lendemain : elle ne s’avéra pas plus fructueuse, bien au contraire même, puisque lorsqu’il testa sa potion sur une stalagmite des catacombes, il lui poussa des écailles de pangolin. Quelques jours plus tard, quand John admit qu’il avait raté sa troisième préparation, Kelly lui demanda - en s’efforçant de rester diplomate :


- John, tu es vraiment sûr que tu ne veux pas qu’on t’aide, Naomi ou moi ?


- Tu insinues que je suis incapable de fabriquer cette potion ? répliqua John, irrité.


- Pas du tout ! Enfin… tu sais, y’a pas de honte à...


- Y’a pas marqué Milosz, là ! T’en fais pas pour moi, Kelly. La prochaine, ça sera la bonne.


La réalisation de la potion de Rétrécissement causa bien des tracas au jeune trio. Il leur fallait dérober des ingrédients dans les serres ou la salle de potions, et en plus, John avait du mal à trouver du temps pour faire ses préparations : la fin d’année approchant, les élèves avaient de plus en plus de travail. La quatrième potion, une substance crémeuse bleuâtre, n’eut d’autre mérite que d’avoir un bon goût sucré ; la cinquième fit fondre son chaudron.


- Tu veux vraiment pas de l’aide, John ?


- Non. J’y étais presque, j’ai dû juste faire une petite erreur.


Le sixième se révéla être une potion de crêpage de cheveux…


- Toujours pas ?


- NAN !


- Quand même, il pourrait mettre son orgueil de côté, chuchota un jour Kelly à Naomi. S’il acceptait qu’on l’aide, on perdrait quand même beaucoup moins de temps.


- Faut le comprendre, Kelly… il a pas seulement envie de faire avancer les choses, il a aussi envie d’accomplir quelque chose de fort. Je crois qu’il se sent moins utile que nous deux dans l’aboutissement de notre projet...


- Moins utile que nous deux ? Tu rigoles ? Enfin, dans ton cas c’est vrai, c’est même à toi qu’on doit quasiment tout, mais que moi ?


- C’est quand même toi qui as été affronter la Forêt Déconseillée pour récupérer le Grand livre des Pentacles… rappela Naomi. Et c’est toi qui nous a lancé dans cette aventure, c’est ta grande idée.


Cette dernière vérité fit naître chez Kelly une légère gêne.


- Je… Mimi, j’espère que vous faites pas tout ça uniquement parce que c’est moi qui vous le dit…


- Non, bien sûr que non, Kelly, la rassura Naomi. Mais justement, il faut laisser John s’investir pleinement. Si on le laisse pas apporter sa contribution, on va le vexer.


Un peu confuse, Kelly accepta. Elle ne vint plus s’immiscer dans le travail de John, en dépit du fait que ses expériences se soldaient par de petits accidents, comme des explosions, des fumées malodorantes. Ces diverses mésaventures auraient pu attirer l’attention si un événement cataclysmique n’avait pas eu lieu à la mi-mai.


Au petit matin, toute la population de l’école avait été tirée du sommeil par de vastes effluves nauséabonds, pires que le plus répugnant des refoulements d’égouts, qui avaient envahi tous les bâtiments. Dans le dortoir des filles des Dragondebronze, ce fut la pagaille :


- Raaah, c’est atroce !


- Ça sent encore plus mauvais que l’haleine de mon mec…


- Mais qu’est-ce qui pue comme ça ?


Kelly regarda par sa fenêtre et hoqueta de surprise en apercevant le Lac Caca d’Oie. Toute son eau avait pris une couleur brune-vert sans équivoque. Elle ouvrit la fenêtre, et eut la confirmation que c’était de là que provenait cette odeur immonde. Les élèves s’habillèrent en toute hâte et sortirent de la tour de Dragondebronze. Ils croisèrent dans les couloirs du château leurs camarades des autres maisons qui, comme eux, sortaient s’enquérir de la situation. Toute la population de Lettockar traversa la cour et le parc, sous la forme d’une foule compacte qui se pinçait le nez, et se massa près des rives du lac. L’eau était devenue épaisse, boueuse, quoiqu’on aurait sincèrement aimé que ça soit de la boue qui l’ait changée ainsi. Toutes les mouches de la contrée semblaient s’être données rendez-vous à cet endroit. Le Mégamorphe Centroïde du Jura flottait misérablement à la surface, amorphe, sa tête goitreuse aux yeux révulsés plus flasque que jamais : on aurait pu croire qu’il était mort s’il n’avait pas continué à pousser ses gémissements agaçants.


Doubledose et tout le personnel s’étaient rassemblés en première ligne pour toiser le désolant spectacle. Entre deux bouffées de son cigare, le directeur déclara :


- Le lac de l’école entièrement infecté par une diarrhée du Mégamorphe Centroïde. Une telle catastrophe écologique, ça n’est jamais arrivé dans l’histoire de Lettockar !


- Si, une fois, au XVIIe s… intervint Jar Jar Binns.


- On s’en fout, Jar Jar ! répliqua Grog.


Les professeurs y allaient tous de leurs commentaires, à l’exception de Fistwick, curieusement mutique, qui observait le Édouard Balladur d’un regard perçant.


- OH, FERMEZ VOS GUEULES UN PEU ! tonna Doubledose à ses enseignants.


- Monsieur le directeur, on se demande tous : qu’est-ce qu’on va faire ? intervint un préfet de PatrickSébastos, qui accompagnait Pourrave. Parce que là, c’est juste irrespirable.


- On a pas le choix, répondit Doubledose, il va falloir vidanger et nettoyer toute l’eau du lac. Le Mégamorphe va crever, à ce rythme-là…


- C’est pas grave, hein ! leur lança John depuis l’arrière de la foule, par pur réflexe.


- Qui t’a demandé ton avis, toi ? 10 points de moins pour Dragondebronze !


- Et les autres animaux dans le lac ?


- La plupart a déjà dû migrer par un des affluents du lac dans la Forêt Déconseillée… pour ceux qu’il reste, on va essayer de les sauver, mais on va en perdre, c’est certain.


A ces mots, Doubledose lança le peu qu’il restait de son cigare dans le lac souillé : l’eau était devenu si acide que le mégot fut intégralement dissous à la seconde même où il la toucha.


S’enclencha alors ce qui était peut-être bien la plus grande opération d’assainissement qu’aient connu aussi bien le monde des sorciers que celui des moldus. Les professeurs ne trouvèrent pas de charme de nettoyage suffisamment puissant pour purifier directement une telle étendue d’eau : aussi, en quelques jours, le lac fut entièrement vidé. On disait que les professeurs se relayaient pour nettoyer de prodigieuses quantités d’eau transférées via de puissants sortilèges dans le désert du nord. Apparemment, le Mégamorphe avait mangé quelque chose de très laxatif, et, en une nuit, avait mazouté le Lac Caca d’oie tout entier. Mais personne ne s’était décidé à examiner ses déjections pour en découvrir la cause. En attendant que le monstre soit déplacé dans un bassin en train d’être creusé un peu plus loin, les élèves de sixième années furent, à leur grande irritation, chargés de l’arroser en permanence à l’aide d’un sortilège qui projetait un jet d’eau, pour qu’il ne se dessèche pas.


- Il fait chaud, dans le métro ! lançait régulièrement le Mégamorphe pendant ces séances d’hydratation.


Quand il fut totalement vidé, le lac laissa place à une véritable vallée, au sol couvert de terre humide, de sédiments en tout genre et d’algues de multiples couleurs (dont un bien curieux fuchsia près de la rive sud). Randonner dans le lac asséché dont on pouvait à présent explorer le fond était devenu une distraction parmi les élèves durant leur temps libre. Kelly, John et Naomi l’avaient fait, eux aussi. En faisant abstraction des carcasses de poissons et de diverses créatures magiques aquatiques, l’excursion n’était pas désagréable. Ils visitèrent un jour un endroit foisonnant de coquillages très particuliers…


- Oooooh ! Des Palourdingues ! s’exclama Carmen Elicia, qui se promenait avec eux.


Il s’agissait de palourdes grises et scintillantes, grandes comme des valises, qui s’entassaient par poignées au fond du Lac Caca d’Oie depuis l’origine. En les approchant, les plus jeunes élèves découvrirent que ces coquillages avaient la faculté de parler - dieu seul savait comment. Et bien évidemment, le genre de répliques qu’elles proféraient de leurs voix grasses et masculines étaient à l’origine de leur nom :


- J’ai le cigare au bord des lèvres, moi !


- Se coucher tard nuit !


- Il est comme mes couilles celui-là, toujours entre mes pattes !


Elles se mettaient aussi à siffler quand des filles passaient près d’elles. D’après les dires, elles constituaient la nourriture préférée du Mégamorphe. Il y en avait une gigantesque, brillante comme l’argent, qui trônait au milieu d’une fosse, à peu près au centre du lac. Entourée d’une véritable pelouse de ses semblables, elle faisait facilement cinq mètres de haut, et contrairement aux autres, elle demeurait fermée, et totalement silencieuse. Des élèves plus âgés, qui les avaient étudié en Gestion de Bestioles, leur expliquèrent que c’était la Palourdingue Dominante, d’où sa différence de taille presque aberrante avec ses congénères. En revanche, le fait qu’elle restait hermétiquement close demeurait inexpliqué…


- Poussez-vous, bande de tire-au-cul !


Viagrid s’avançait d’un pas décidé, avec dans les mains un couteau à huître si grand que lui même avait du mal à le porter. Déterminé à s’offrir un colossal repas aux fruits de mer, il grimpa jusqu’à la Palourdingue Dominante, et essaya de l’ouvrir avec. Mais elle était si robuste et si solidement fermée qu’après plusieurs tentatives infructueuses, l’énorme lame se brisa comme du verre. Ses éclats tombèrent dans les bouches des Palourdingues ordinaires. Les coquillages qui entouraient leur alpha firent alors claquer sèchement et violemment leurs mâchoires d’un air menaçant. Apeuré, Viagrid sursauta, manqua de tomber lamentablement et détala à toute vitesse loin des crustacés, tel un lapin d’une tonne. John, Naomi et Kelly ressentirent comme beaucoup d’autres un relent d’affection pour les Palourdingues.


Le nettoyage du lac fut tant au centre des préoccupations du personnel que John, Naomi et Kelly n’eurent plus à craindre d’attirer l’attention avec leurs allées récurrentes dans les catacombes. John et Kelly purent contempler le pentacle que Naomi avait commencé à tracer. Il progressait lentement (car pour qu’il fonctionne, il fallait le creuser profondément dans le sol) mais sûrement : il était divisé en trois parties, chacune barrée par deux espèces de grandes virgules, et diverses formes (triangles, idéogrammes, formules en latin,) dessinées pour le moment à la craie, attendaient d’être creusées.


- Tu vois ? dit un jour Naomi à Kelly – John faisait une autre tentative de la potion de Rétrécissement dans son coin. J’ai tracé trois cercles, un pour chaque personne qui aura le droit de l’utiliser. Quand il sera complètement terminé, on versera quelques gouttes de notre sang, et si tout se passe bien, nos noms apparaîtront sur les compartiments sur le pourtour du cercle principal.


- Et donc, on est sûrs que c’est sans danger ?


- C’est pas terminé, mais je sais que je suis sur la bonne voie. Observe.


Naomi sortit de son sac un morceau de parchemin. Du coin de l’œil, Kelly vit qu’il s’agissait d’un devoir maison d’histoire de la magie, que Jar Jar Binns avait corrigé et rendu le matin même – elle-même avait récolté un 7/20 pour lequel elle ne ressentait guère de honte. Naomi donna un petit coup de baguette magique sur sa copie, et le parchemin redevint vierge. Puis, elle le chiffonna et le jeta dans le vortex avec un calme déconcertant. Par réflexe, Kelly fit un bond en arrière : elle se souvenait on ne peut mieux que la dernière fois que l’un d’eux avait jeté quelque chose dans la spirale lumineuse, il avait quasiment déclenché un séisme. Mais cette fois-ci, ni le sol ni le plafond ne tremblèrent, les cristaux n’émirent aucune lumière inquiétante. Les catacombes demeurèrent parfaitement paisibles. Kelly sourit d’un air impressionné : le passage vers Poudlard était sécurisé, désormais.


- Par la barbe de Merlin ! Ça, Daniel n’y est arrivé que lors de son dernier jour, s’exclama une voix sépulcrale derrière elles.


Kelly et Naomi sursautèrent sous la surprise et poussèrent simultanément un petit cri. Joe le Troué observait le cratère avec intérêt par-dessus leurs têtes.


- Bordel, Joe ! dit Kelly d’une voix sifflante. Ne faites plus jamais ça !


Le fantôme regarda d’un air appréciateur la spirale de lumière. Kelly s’attendit à ce qu’il demande ce que c’était, comme il le faisait très souvent, mais pour une fois, il semblait s’en être souvenu puisqu’il resta muet.


BOUM !


Joe, Kelly et Naomi se retournèrent. Derrière eux, au fond des catacombes, d’épais panaches de fumée s’échappaient du chaudron de John. Ce dernier se mit à tousser bruyamment. Entre deux nuages noirâtres, son visage couvert de suie apparut et cria à l’intention de ses amies :


- Tout va - kof kof ! - très bien ! Je l’ai fait exprès.


Les jours passèrent. Le jeudi 1er juin, les première année avaient un cours d’astronomie. Le temps était idéal pour l’observation des étoiles : un joli ciel bleu sans nuages, les astres argentés parfaitement visibles, et surtout, l’air était redevenu respirable. Le cours d’astronomie, qui se déroulait comme toujours fenêtres ouvertes, étaient autrement plus supportable que les précédents du fait que l’odeur pestilentielle du lac s’était dissipée. En effet, son assainissement touchait à sa fin : le Balladur géant n’allait pas tarder à y être replacé. Les élèves réglaient donc leurs télescopes l’esprit léger, à l’exception de John qui, à cause d’une de ses potions de « Rétrécissement » avait les sourcils anormalement longs et frisottés. Par amitié pour lui, Kelly s’était retenue d’éclater de rire en public.


Mais le cours fut soudainement perturbé lorsqu’un élève d’Ornithoryx poussa une exclamation ahurie.


- D… dehors ! Regardez dehors ! Devant le château ! s’écria-t-il.


Tous les regards se détournèrent du ciel et se posèrent sur l’endroit indiqué. Tous les élèves eurent alors exactement la même réaction que leur camarade. Devant l’enceinte de Lettockar s’élevait une gigantesque sphère brillant sous la lune. Elle roulait sur l’herbe, lentement, avec grâce, effleurant le rempart de pierre. En voyant sa surface ondoyer, les témoins de la scène réalisèrent qu’elle était entièrement faite d’eau. Une ombre plus énorme qu’un cachalot, légèrement déformée, flottait à l’intérieur : elle était d’une forme humanoïde, mais avec des mains griffues et affublée d’une longue queue pointue. C’était le Mégamorphe.


Soudain, une série de gloussements triomphants se fit entendre depuis la cour du château. Les première année tournèrent le regard et y virent avec stupeur le professeur Fistwick, brandissant sa baguette tel un chef d’orchestre, face à l’immense sphère d’eau dans laquelle le Balladur géant se tortillait. Apparemment, c’était lui qui l’avait créée et la contrôlait. Ce tour de magie ahurissant portait bien sa marque. Tout à coup, la porte d’entrée s’entrouvrit, et un individu affolé se rua à travers la cour. On reconnut la voix de Suppurus Grog s’écrier :


- Fistule !! Nooooooooooooooon !!


- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? répondit Fistwick, sincèrement étonné.


Il ne fut déconcentré rien qu’un court instant. Et ce fut le drame.


La gigantesque bulle d’eau éclata. Dans un bruit apocalyptique, des trombes d’eau grandes comme des immeubles déferlèrent, tandis que le Mégamorphe, subitement privé de son élément, s’écroulait lourdement sur l’herbe. Ce ne fut que par miracle que Fistwick évita d’être aplati comme une crêpe par son énorme masse, et Grog eut tout juste le temps de s’entourer d’un bouclier magique pour se protéger des flots. Les rouleaux en furie frappèrent le château, et la porte d’entrée pourtant solide céda avec fracas : la marée s’engouffra dans le fort, et depuis la tour d’astronomie, on entendit aussitôt des cris s’élever depuis tous les étages. Les première année sautèrent de leurs sièges et se précipitèrent hors de la salle de cours.


- Non mais dites donc, bande de vauriens, le cours n’est pas terminé ! leur lança le professeur Morgana d’un ton outré.


Mais personne ne lui prêta la moindre attention. Les élèves se bousculèrent dans les escaliers pour arriver à la mezzanine qui surplombait le hall d’entrée, déjà noire de monde, et ne purent que constater le désastre. Tout le rez-de-chaussée était complètement inondé : hall, aile gauche, et même la Cantina Grande avait été infiltrée. Diverses choses flottaient, à la dérive, dont le professeur Pourrave, qui, ne se rendant apparemment pas compte qu’il avait pied, faisait la planche sur l’eau. Les statues aztèques, paniquées, avaient quitté leurs socles et s’étaient recroquevillées pêle-mêle au beau milieu de l’escalier, oubliant momentanément leur rivalité. De nombreuses personnes erraient dans le hall, l’eau jusqu’au-dessus des genoux, totalement stupéfaites. Fistwick s’était décidé à rentrer dans le castel, et observait l’étage submergé avec un embarras assez limité, et pourtant Viagrid avait déjà rejoint Grog pour l’enguirlander. Peu après, McGonnadie arriva à son tour depuis les étages supérieurs. Par-delà la grande porte d’entrée, on entendait le Balladur géant gémir :


- La politique pour moi, c’est la vérité !


- Fistule, y’a plus de mots !! rugit McGonnadie en s’avançant vers Fistwick. Par le soutien-gorge de la fée Morgane, qu’est-ce que tu as foutu ?


- Calmez-vous, je vais vous expliquer, répondit tranquillement l’accusé. J’ai voulu tester ma dernière invention : le sortilège Hydrosph’Air. Une sorte de sortilège Têtenbulle inversé : en les entourant d’une bulle d’eau, ça permet aux créatures aquatiques de se déplacer en plein air, sur la terre ferme. Ça vous en bouche un coin, pas vrai ?


- Et tu pouvais pas tester ça sur une anguille, trou de balle à la sauce tartare ? s’énerva Grog. Ou alors sur un thon, c’est pas ça qui manque à Lettockar !


- En plus, ça sert à rien, le Mégamorphe Centroïde du Jura est une créature amphibienne ! renchérit Viagrid.


- Et dire que je croyais que t’avais atteint ton maximum le jour où tu as essayé de déclencher la révolution mondiale avec des souris-dragons, grommela McGonnadie. Non mais regarde-moi ça… on patauge ! Et pas que dans ta connerie !


- Et c’est encore pire au sous-sol ! grogna Grog. Au cas où tu l’aurais oublié, c’est là que se trouvent les quartiers des Becdeperroquet !


- Bah, ils vont prendre un bain de minuit, quoi… rétorqua Fistwick, le plus sereinement du monde.


- En plus, j’avais laissé des potions à infuser dans des chaudrons, dans un des cachots, elles sont complètement gâchées, maintenant !


- Tu peux t’en prendre qu’à toi-même, Suppurus, c’est toi m’a déconcentré ! Mais oui ! Sans ton intervention, j’aurais maintenu mon sortilège et j’aurais pu renvoyer le Mégamorphe d’où il venait. Moi, je ne vois qu’une chose, c’est que ça confirme ce que je dis depuis des années en réunion : il faut appliquer un sortilège d’Impassibilité sur les murs du château.


- Mais t’as jamais proposé d’appliquer un sortilège d’Impassibilité sur les murs du château... dit McGonnadie dans un soupir exaspéré. Et encore moins en réunion…


- Si, si : lors de mes réunions avec moi-même.


Voyant qu’il était impossible de lui faire entendre raison, les autres professeurs cessèrent de lui adresser la parole et se bornèrent à le bombarder de regards noirs. Mais peu après, Madame Freyjard arriva dans le hall, sans son habituel balai. Bien des yeux se posèrent sur elle, et pour une fois, pas pour admirer sa beauté. Manifestement démoralisée, elle parcourait le rez-de-chaussée inondé avec lenteur. Soudainement, elle se stoppa, et son regard se perdit dans la contemplation de son reflet. Son visage était fermé, marqué d’une impassibilité qui avait quelque chose d’inquiétant. En la voyant, Fistwick parut moins à l’aise. Il s’approcha très prudemment d’elle, lui effleura l’épaule du pommeau de sa canne et lui dit d’une voix veloutée :


- Ah, oui, Madame Freyjard, j’espère que vous ne m’en voulez pas trop ?


La concierge fit alors volte-face et lâcha un mugissement strident sur Fistwick. Son visage sculptural s’était métamorphosé. Sa bouche ressemblait à présent à un bec de rapace, ses yeux étaient écarlates, et pour parfaire la vision horrifique, des ailes couvertes d’écailles avaient jailli de ses épaules et s’étaient déployées en un clin d’œil. La Vélane était furieusement moins sexy. Sans crier gare, elle cracha une vague de feu qu’elle vomit sur le costume de Fistwick. Bien qu’ils fussent à l’abri sur la mezzanine, tous les élèves qui voyaient la scène reculèrent d’effroi. La gerbe de flammes magiques s’éteignit très curieusement en une seconde, et laissa apparaître un Fistwick en guenilles fumantes. Madame Freyjard le toisa avec une colère condescendante. Le professeur de sortilèges était tétanisé. Ses vêtements chics étaient en lambeaux, il était raide au point de ne plus bouger d’un millimètre, et ses yeux pourtant petits étaient si exorbités qu’ils avaient chacun atteint la taille d’une balle de ping-pong. Sidérés, ses collègues choisirent de l’abandonner à la concierge furibarde et déguerpirent sans demander leur reste. Kelly et les autres élèves, quant à eux, étaient aussi terrifiés que réjouis.


Tout à coup, une grosse voix, accompagnée d’un bruit de pas lourds, se répercuta avec force dans tout le château.


- FISTULE FISTWICK !!


Le professeur Doubledose déboulait depuis son donjon, toutes griffes dehors. A son passage, les élèves effrayés se plaquaient contre les murs pour éviter de se faire violemment culbuter par le directeur furieux. Doubledose descendit l’escalier du hall en trombe - d’un geste désinvolte de baguette, il fit imploser quatre statues de guerriers jaguars qui voulurent s’interposer – en continuant de carboniser Fistwick du regard.


- Ça y est, cette fois, il va se faire renvoyer ! chuchota Kelly à ses voisins d’une voix triomphante.


- TU AS CINQ SECONDES POUR T’EXPLIQU…


Mais, arrivé en bas des escaliers et au bord de l’eau, Doubledose s’interrompit. La vision de Madame Freyjard métamorphosée en créature de cauchemar, devant un Fistwick au regard presque implorant, dont le costume commençait beaucoup trop bas et finissait beaucoup trop haut, effaça de son visage sa colère noire et lui fit même ébaucher un sourire acerbe.


- Mmmmh… on en parlera plus tard, marmonna-t-il.


Il n’ajouta rien, il ne poussa même pas une de ses gueulantes. Il se contenta de regarder avec moquerie son professeur de sortilèges. Fistwick n’eut qu’à tourner les talons et repartir tout penaud dans ses quartiers. Madame Freyjard le suivit de son regard venimeux, tandis que ses ailes écailleuses se rétractaient et que son visage retrouvait sa beauté initiale. Naomi eut un affreux fou rire nerveux avant d’éclater en sanglots, sous les yeux médusés de Kelly et John. Toujours souriant, Doubledose caressa amoureusement sa baguette magique, et lança à la cantonade :


- Bon ! Des courageux pour m’aider à faire rouler le Balladur jusque dans le lac ?


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