R.A.B

Les jours passèrent à une vitesse folle. Les deux jeunes hommes avaient rapidement trouvé leurs marques, et la cohabitation était agréable.

Régulus était de nature plutôt réservée et calme, bien loin de l’exubérance de Sirius. Harry s’accommodait parfaitement de ce calme, souvent perdu dans ses pensées. Parfois, ils lisaient côte à côte. Régulus avait essayé d’initier Harry aux échecs, mais il avait vite compris que c’était peine perdue : le jeune homme ne semblait avoir aucun sens de la stratégie ou même de la duplicité nécessaire à monter un piège pour l’emporter.

De temps en temps, quand Harry avait besoin de prendre l’air, il embarquait Régulus à sa suite pour une promenade et même si le jeune Black se plaignait de l’humidité ou du vent, il adorait ces moments où ils marchaient le long de la côte, affrontant les éléments déchaînés. Parfois, ils discutaient en avançant d’un bon pas, leurs visages devenant rapidement écarlate face au vent glacial.

D’autres fois, ils progressaient juste calmement, le vent hurlant rendant toute conversation impossible. Ils rentraient trempés et frissonnants et ils buvaient plusieurs tasses de thé brûlant avant d’arrêter de claquer des dents.

Kreattur leur fournissait tout ce dont ils avaient besoin, gardant le silence à leur sujet. Il avait mentionné une fois l’inquiétude de Wallburga, et Harry avait hoqueté, se souvenant que la perte de son précieux fils avait provoqué la mort prématurée de la matriarche Black. L’elfe lui avait jeté un regard étrange, et depuis ce léger incident, il n’avait jamais reparlé de sa maîtresse — comme s’il avait compris quel était le problème.

Cependant, Harry s’était rapidement rendu compte que son intervention avait eu un bouleversement capital : cette fois, la tapisserie familiale n’avait pas changé. Régulus était toujours en vie. Ainsi, Wallburga savait son fils absent, mais elle gardait la conviction qu’il allait bien quoiqu’il lui soit arrivé.

Régulus avait attendu que Harry parte explorer les alentours seul pour appeler Kreattur, et lui donner des instructions précises. Il fit jurer à l’elfe de ne jamais parler de ce qui s’était passé, ni même qu’il était encore vivant, quelle que soit la personne lui posant la question. Puis, il lui demanda de cacher l’horcruxe dans un endroit où personne à part lui ne pourrait le trouver, et de le remettre à Harry Potter lorsque le moment serait venu.

Devant l’inquiétude de l’elfe, il lui affirma que tout irait bien. Toutefois, pour sa propre survie, il devait se faire passer pour mort.

La créature sembla comprendre et il hocha sagement la tête.

Avec un sourire presque malicieux, il ordonna à son elfe ronchon de traiter Harry comme son Maître, et de le considérer comme digne de confiance, peu importe les personnes qui se présenteraient avec lui dans le futur.

Kreattur se renfrogna — il était peut-être un elfe de maison, mais il n’était pas stupide et il avait parfaitement compris qui seraient les proches de Harry Potter dans l’avenir, cependant, il était reconnaissant au jeune sorcier d’avoir sauvé son maître adoré d’une mort terrible.

Plus tard, lorsque Harry rentra de sa promenade, les joues rouges et les cheveux encore plus ébouriffés qu’au naturel, Régulus lui sourit et d’un geste de baguette adroit fit léviter jusqu’à lui une tasse de thé bien chaude, préparée à son intention.

Ils entamèrent ensuite une conversation joyeuse sur le Quidditch et plus particulièrement sur la place d’attrapeur, qu’ils occupaient tous les deux à des époques différentes.

Et Régulus se fit la réflexion que la vie à deux était agréable, que le monde pouvait bien s’écrouler, il s’en moquait du moment qu’il puisse passer du temps auprès de Harry.

Cependant, Régulus se servait de sa capacité à masquer ses émotions pour dissimuler une information capitale au jeune homme venant du futur. Depuis quelques jours, Voldemort l’appelait au travers de sa marque, de plus en plus souvent, avec de plus en plus d’insistance. La brûlure désagréable était encore supportable, mais il avait conscience que d’ici peu, le seigneur des ténèbres le torturerait inlassablement pour le punir d’avoir osé le trahir.

En cachette du jeune homme qui partageait son quotidien, il passait ses nuits à chercher dans les grimoires de magie noire que Kreattur apportait discrètement une solution pour se libérer de ses chaînes ou pour masquer le lien qu’il maudissait de toutes ses forces.

Ce n’était pas un manque de confiance, loin de là. Il avait appris à apprécier le jeune homme, et il pouvait dire sans hésiter qu’il était devenu en très peu de temps un ami très proche. Il n’avait jamais eu de telle relation de confiance avec quelqu’un de cette façon, et il aimait vraiment les moments où ils discutaient tranquillement tous les deux, parlant de leurs vies — si différentes.

Parfois, Régulus avait l’impression que Harry Potter avait toujours été présent dans sa vie et qu’il était devenu essentiel en peu de temps, même s’il savait qu’ils allaient être séparés d’ici peu de temps.

Il avait suffisamment appris à connaître le jeune homme pour savoir qu’il se rendrait responsable de ses souffrances, s’il découvrait que la marque le torturait. Il préférait qu’ils débattent ensemble de la meilleure tactique pour remporter un match de Quidditch plutôt que de se perdre dans des recherches fastidieuses pour une solution qui n’existait pas…

Cependant, tout vola en éclats un soir, lorsque Régulus s’effondra subitement en se tenant le bras, alors que la brûlure d’appel devenait si puissante qu’il avait l’impression que son bras se consumait. Il ne put retenir ses hurlements, et Harry comprit immédiatement. Il se jeta sur lui dénudant son bras, exposant la marque sombre. La peau autour du tatouage était rouge vif, et le moindre effleurement semblait douloureux.

Le front plissé, Harry réfléchissait, tenant Régulus contre lui, fermement pour l’empêcher de se blesser, sans même se rendre compte qu’il marmonnait en Fourchelang face au serpent qui semblait onduler sous la peau.

Au moment où Harry posa une main tremblante sur l’avant-bras contracté du jeune homme, Régulus hurla de toutes ses forces, à s’en briser les cordes vocales, et son corps se tendit, alors qu’il avait l’impression que la peau de son bras lui était arrachée à vif. Agrippé à Harry, il espérait tomber dans l’inconscience pour que la terrible douleur cesse.

Harry était blême et essayait de l’apaiser sans qu’il comprenne ses propres paroles. D’un coup, Régulus retomba mollement contre la poitrine de Harry, haletant, fermant les yeux, épuisé. La souffrance avait disparu soudainement. Elle avait stoppé net, comme si quelque part un interrupteur avait été tourné. Il n’avait plus mal même si son bras gauche semblait étrangement engourdi.

Il croisa le regard inquiet de Harry et l’attira à lui, maladroitement, de son bras valide, pour le serrer contre lui, nichant son nez dans son cou, reprenant son souffle et profitant de l’étreinte rassurante. Régulus se laissa aller à sangloter de fatigue, soulagé de ne pas être seul dans cette épreuve. Quoi qu’il arrive dans l’avenir, Harry Potter resterait la meilleure chose qui lui soit arrivée.

Harry le serra contre lui en retour, et laissa échapper un souffle tremblant, presque un sanglot, alors qu’il comprenait que Régulus allait mieux.

Ils restèrent longuement enlacés, incapables de parler, s’apaisant mutuellement et se rassurant juste par leur façon de se tenir l’un contre l’autre.