Les regrets sont éternels

Chapitre 1 : Quarante-six ans plus tard...

2514 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/11/2022 12:42

- C’est terminé.


1945, parmi les cimes d’Autriche. Albus Dumbledore, drapé dans un long manteau d’un violet sombre, se tenait devant une immense bâtisse noire. Tout autour s’étendait un paysage grandiose, cerclé par les montagnes, un immensité verte et grise mouchetée du blanc des neiges éternelles. C’était l’été, mais un vent froid le faisait frémir.


En face de lui, Gellert Grindelwald brandissait la Baguette de Sureau.


Il faisait peine à voir. Il avait le teint cireux, les yeux caverneux, le visage mal rasé. Ses cheveux étaient encore blonds, mais quelques mèches blanches se voyaient, ici et là. Il n’était plus le jeune homme séduisant qu’Albus avait connu, pas plus qu’il n’était l’homme charismatique, imposant et puissant qui avait soumis de nombreuses nations de sorciers. La fatigue et l’angoisse se lisaient sur son visage émacié : il voyait d’ores et déjà son règne s’achever prématurément. Albus avait été le chercher jusque dans sa forteresse, à Nurmengard. Il avait dû l’attendre pendant une heure, planté devant les grilles, à l’appeler sans discontinuer, avant qu’il ne se décide à descendre, lui qui n’avait jamais osé s’approcher de trop près de la Grande-Bretagne de crainte de l’affronter…


- Tout ce qui s’est passé depuis toutes ces années n’a existé que pour arriver à ce moment, reprit Albus.


- Tu es toujours le même, Dumbledore… ricana Grindelwald. Sentencieux, sûr de toi, suffisant. Tu es content, n’est-ce pas ? Content d’être le héros de cette histoire ? Toi, l’idole de cette clique de pantins ridicules, qui n’auraient guère oser tenter quoi que ce soit contre moi si tu n’étais pas là pour assurer leurs devants ! Des lèche-bottes, des serviteurs qui ne s’assument pas. Tu trouves vraiment que tu vaux mieux que moi ?


Albus jeta un regard en arrière. En effet, quelques personnes se trouvaient loin derrière eux, comme des spectateurs… D’un côté le dernier carré de fidèles de Gellert Grindelwald, et de l’autre, les amis d’Albus Dumbledore, qui avaient pris les armes pour lutter à ses côtés dans cette libération de l’Europe de l’Est. Tous avaient laissé les deux mages seul à seul, prêts à s’affronter dans un duel de sorcellerie comme on en avait encore jamais vu. Personne ne devait intervenir.


Albus ne répondit pas à la provocation de Grindelwald. Ses yeux bleus s’attardèrent un instant sur la Relique de la Mort que son ancien ami serrait dans sa main décharnée. Il eut un sourire sans joie.


- Quand j’ai compris que tu l’avais trouvée, j’ai été terrifié, déclara-t-il. Non pas par les pouvoirs qu’elle t’octroie, non… mais je sais mieux que quiconque ce dont tu es capable pour mettre la main sur l’une des Reliques. Comment oublier tout ce que tu as pu me dire lorsque nous étions plus que des amis ? Ce que tu projetais de faire, les moyens que tu te disais prêt à mettre en œuvre ? Trop de crimes ont déjà été commis, et je ne peux permettre que tu te livres à d’autres atrocités pour la quête des deux autres. C’est à ce moment-là que j’ai su qu’il fallait que je t’arrête pour de bon.


- M’arrêter ! Tu crois peut-être qu’il te suffit d’apparaître devant moi, avec ton arrogance, pour le faire ? Je ne baisserai pas les armes devant toi, Dumbledore. Tu ne me fais pas peur ! J’ai acquis un pouvoir plus grand qu’aucun sorcier n’a jamais eu, et qu’aucun sorcier n’aura jamais ! Je suis Gellert Grindelwald, et rien ni personne ne m’arrête. Pas même toi, mon vieil ami.


Albus ouvrit la bouche pour répliquer, mais Grindelwald le coupa aussitôt :


- Tais-toi. Il n’y a plus rien à dire. Finissons-en, Albus. Le monde entier a les yeux rivés sur nous deux, alors soyons à la hauteur. Battons-nous.


Grindelwald pointa le Bâton de la Mort sur Dumbledore. Albus soupira, puis l’imita. Le moment était venu… et il avait trop tardé, alors que tant de ses confrères sorciers l’avaient supplié d’intervenir depuis longtemps… jamais il ne se pardonnerait d’avoir tant repoussé cette triste échéance. Puisque tel était son devoir…


- Stupéfix ! hurlèrent en même temps les deux plus grands magiciens de leur temps.


Les deux éclairs écarlates, propulsés simultanément, s’entrechoquèrent avec une force inouïe, crépitants, reliés par une boule blanche qui pulsait frénétiquement. Les duellistes déversaient tout leur pouvoir, chacun essayant d’outrepasser le sort de son adversaire. Par-delà les étincelles et les éclats de lumière, ils parvenaient à apercevoir par éclairs le visage de l’autre. Sur celui d’Albus, on lisait toute la tristesse du monde.


« Pourquoi ? » s’écria-t-il intérieurement.


Le lien finit par se briser, et Grindelwald ne perdit pas un instant : faisant tournoyer sa baguette, il créa une puissante onde de flammes bleuâtres, qui amplifiait à toute vitesse. Albus eut un sourire sans joie. Gellert avait toujours beaucoup aimé le feu. Il se baissa de justesse : son chapeau de feutre fut brûlé, réduit en cendres en trois secondes. Les flammes bleues de Grindelwald mutèrent et prirent l’apparence de tout un troupeau de Sombrals. Sur un geste de leur maître, les chevaux ailés s’élevèrent dans les cieux, puis descendirent en piqué vers Albus, le bruit de leur galop semblable à celui d’une éruption volcanique.


- Aguamenti ! s’écria Albus en levant sa baguette vers le haut.


Ce ne fut pas l’habituel jet d’eau, mais un véritable torrent qui jaillit de sa baguette tel un geyser. Lui aussi prit une forme animale, celle d’un gigantesque phénix qui fonçait vers l’azur. Le feu rencontra l’eau, le bleu rencontra le bleu. Les Sombrals furent balayés, la fumée provoquée par leur extinction colorant le ciel de gris. Le phénix aqueux se désagrégea, et l’eau retomba en une infinité de gouttelettes, comme une pluie artificielle, sur le champ de bataille. Calmement, Albus ôta ses lunettes constellées d’eau, ses longs cheveux auburn tombant tel un rideau devant son visage.


Furieux, Grindelwald envoya un fin rayon de lumière rouge ; Albus garda le bras tendu et murmura une incantation, et le sortilège de Gellert, au lieu de le frapper, s’entoura docilement autour de sa propre baguette, comme un serpent apprivoisé. Albus fit un geste sec, et le sortilège fut éjecté de son bâton pour être renvoyé à son expéditeur. Malheureusement, Grindelwald parvint à dévier son propre maléfice. Le sortilège atteignit la plaque qui surplombait l’entrée de Nurmengard, et la devise « Pour le plus grand bien » vola en éclats. Bien qu’indemne, Albus sentit qu’il était encore trop hésitant…


Grindelwald transplana en arrière et, d’un élégant revers, créa un grand arceau d’énergie bleue, qui fendit le sol sur une centaine de mètres. Albus fit apparaître un bouclier qui absorba le choc de justesse mais qui, sous la puissance du coup, se brisa dans un bruit fracassant. Même la terre se mit à trembler, faisant tituber Dumbledore. Un sourire satisfait de dessina sur le visage de Grindelwald. Le mage fit à nouveau appel à la magie maléfique : décrivant de grands cercles avec sa baguette, il créa un grand un nuage noir, toxique, qui glissa sur le sol et, poussé par le vent, progressa vers Albus. Effrayé, Albus transplana sans réfléchir, à l’aveuglette. Il se retrouva sur une corniche, au bord d’un précipice. Avant qu’il n’ait plus réaliser sa stupidité, il entendit une détonation retentir au loin, là où se trouvait Grindelwald. Un autre arceau d’énergie apparut brusquement près d’Albus et cassa la corniche. Le sol se déroba sous ses pieds, et il commença à chuter dans le vide. N’importe quel Moldu aurait poussé un cri épouvanté, mais Albus conserva son sang-froid. S’appuyant tant bien que mal sur un rocher tombant, il se téléporta pour réapparaître derrière Grindelwald ; celui-ci, plein de réflexes, fit apparaître en un instant un champ de protection violacé pour contrer l’éclair de Stupéfixion que lui lança son adversaire.


- Il va falloir faire mieux que ça, imbécile ! cracha-t-il.


Même des dizaines d’années plus tard, Albus Dumbledore n’avait jamais su dire combien de temps ce combat avait duré. Alors que les sortilèges pleuvaient, il repensait à cet été d’il y a quarante-six ans. Derrière ce magicien féroce et dévoré par la magie noire, il revoyait ce jeune homme au regard passionné, débordant d’ambition et croyant en un avenir radieux, ce jeune homme qu’il avait tant aimé au point d’oublier d’aimer sa propre sœur… Il repensait à toutes ces blagues qu’ils se racontaient, à toutes ces lettres qu’ils s’écrivaient, à ces longues heures passés avec lui, à rêver de grandeur et de pouvoir, et à ces frissons qu’il sentait lorsque Gellert le prenait par les épaules…


Tant qu’il y penserait, il ne pourrait pas le vaincre.


Albus tourna légèrement les yeux. Grindelwald s’était perché un peu plus en hauteur sur le flanc de la montagne, et le toisait d’un regard hargneux. Il était épuisé. Son souffle saccadé laissait échapper, en cet endroit où régnait le froid, de petits nuages de vapeur qui se dissipaient presque aussitôt, balayés par le vent. Il leva un bras tremblant, mais Albus fut plus rapide :


- Glacius !


Grindelwald ne parvint pas à le contrer. Sa main qui tenait la baguette de Sureau fut congelée. Il perdit ses moyens et commença à secouer son poignet dans tous les sens. De son côté, Albus écarta les bras. De sa baguette magique se mirent à jaillir sans discontinuer de petites feuilles de lumière dorée. Dix, vingt, cent, mille, dix mille… personne n’aurait pu les compter. C’était un flot d’énergie ininterrompu qui s’élevait dans les airs, avec grâce, formant un grand dôme scintillant qui tourbillonnait à une vitesse effrénée autour des deux combattants. Grindelwald cessa de s’agiter. Il avait les yeux exorbités, rivés le dôme de lumière qui emplissait tout l’espace. Son front se couvrait de sueur, et il ne pouvait même plus bouger…


Albus fit un mouvement d’estoc avec sa baguette. Les feuilles de magie pure fondirent d’un seul mouvement, en une titanesque vague d’or, sur Grindelwald. Le mage noir, jusque-là terrorisé, soupira et ferma les yeux, avant qu’il ne soit entièrement submergé par le flot doré.


Pendant près d’une minute, il ne se passa rien. Le sortilège d’une puissance incommensurable avait déchaîné une si grande quantité de lumière que tout le monde fut aveuglé. Puis, Albus sentit une feuille voleter près de son oreille juste avant qu’elle se désagrège. Il commença à distinguer quelque chose à travers l’immensité de lumière… une fraction du paysage. Puis une autre, sur le côté… puis une portion du ciel, au-dessus… petit à petit, la zone d’or disparut, et redonna sa place au décor montagneux. Au devant, un peu plus loin, Gellert Grindelwald était à terre. Ahanant, les vêtements en lambeaux, totalement vidé de ses forces, incapable de faire un seul mouvement. Des nombreuses blessures parsemaient son corps. Ses doigts relâchèrent la baguette de Sureau, qui roula sur le sol et dévala la faible pente en direction d’Albus Dumbledore. Elle ne s’arrêta qu’en heurtant le bout de son pied.


Albus la ramassa. Il la contempla entre ses doigts. Lui aussi, autrefois, aurait été capable de choses épouvantables pour l’obtenir… et aujourd’hui, il l’avait. Non pas après volé, tué, asservi, mais après avoir vaincu le plus terrible des sorciers. C’était pour cela qu’il l’acceptait de bon cœur. Peu lui importait son pouvoir, en vérité : ce qui lui importait, c’était de la préserver des convoitises des prochains mages noirs. Il devait en être le gardien.


Il entendit des bruits ressemblant à des craquements retentir au loin. Les derniers fidèles de Grindelwald avaient transplané, abandonnant leur maître qui ne s’était toujours pas relevé. Mais malgré son état, il y avait encore une chose que celui-ci parvenait à faire sans broncher : fixer Dumbledore d’un regard qui suintait une haine intense, bestiale, et surtout inextinguible… en tout cas, c’était ce qu’Albus pensait pour l’instant.


- Quel est ce regard, Gellert ? demanda-t-il calmement. Tu savais ce qui allait de produire. Tout comme moi, même si j’ai mis bien trop de temps à m’y résoudre. En fait, je me rends compte maintenant que... j’aurais dû le faire il y a quarante-six ans…


Grindelwald baissa la tête. Son visage disparut derrière ses longs cheveux pâles. Albus s’avança vers lui. Il n’était plus qu’à un ou deux mètres, quand il entendit Grindelwald dire d’une voix brisée :


- Pourquoi ?


Désarçonné, Albus se stoppa. Grindelwald releva la tête. Ses joues étaient traversées par de longues larmes.


- Pourquoi tu n’es pas venu avec moi ? cria-t-il.


Sa voix avait résonné dans toute la montagne. Le visage d’Albus se décomposa. Il s’était attendu à tout de la part de l’homme qu’était devenu Grindelwald… sauf à ça. Il sentit son cœur être traversé par une lame glacée. Il fut tenté… terriblement tenté… de lui tendre la main, de l’aider à se relever… et repartir comme en cet été 1899...


Alors, Albus remua sa vieille baguette. Cela serait le dernier sortilège qu’elle lancerait, il le savait. Les yeux de Grindelwald se voilèrent, devinrent opaques. Ses paupières se fermèrent, et il tomba lentement, sur le côté, avant de s’étaler en douceur sur le sol.


Albus Dumbledore jeta un regard vide à la prison de Nurmengard, dans laquelle croupirait bientôt son vieil ami, à la place des centaines de malheureux qu’il avait enfermé là dans sa soif de pouvoir.


- Tu auras bientôt beaucoup de temps pour trouver la réponse à cette question…

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