Lettockar, tome 2 : La Cour des Mirages

Chapitre 6 : Dragondebronze VS PatrickSébastos

5254 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/02/2023 15:38

6. Dragondebronze VS PatrickSébastos


Doubledose avait à peine fini sa phrase que trois balles jaillirent du trou comme un feu d’artifice. Une balle de 2, une de 3, une de 5. Avant qu’elles ne retombent, Gudrun décolla net sur son balai et se jeta sur la balle de 5, qu’elle attrapa d’un geste impeccable. Elle fila vers le but de l’autre côté du stade.


Ce début de match sur les choixpeaux de roue fit un effet bœuf : tout le monde hurlait, l’ambiance était électrique. Après une seconde d’hébètement, Kelly tenta de rattraper la balle de 2, mais elle se heurta avec un autre Épuisatier de PatrickSébastos. La balle retomba côté Dragondebronze, mais Jörg l’éclata avant qu’elle ne pût atteindre la planche.


Un des Indics de PatrickSébastos tenta de s’interposer entre Gudrun et le cerceau, mais cette dernière pirouetta en un éclair et marqua le premier but.


5 points pour Dragondebronze !


Les hurlements résonnaient dans la tête de Kelly. Jamais, de sa vie d’écolière, elle ne s’était sentie aussi galvanisée à ce moment-là : seul l’instant présent comptait, et il était volcanique. Elle plongea vers les Crevards, et finit par rattraper une balle de 3 qui allait tomber au sol, côté adverse. La Crevarde de PatrickSébastos agita son arme pour la déconcentrer, mais après un léger rase-motte, Kelly redécolla et s’en alla vers le cerceau. La voie était dégagée : bam ! C’était son premier but. Et les cris reprirent de plus belle. Gudrun venait de marquer de nouveau : le score était de 17 à 8 en faveur de Dragondebronze.


Une grande clameur se fit chez les supporters de Dragondebronze. Parmi les cris, Kelly reconnut distinctement la voix de John : « OUAAAAAAIIIIS CA C’EST MA KELLY !!! », qui avait dû s’exploser les cordes vocales pour se faire entendre plus fort que les autres. Iossif, qui passa à côté de Kelly, lui fit un petit clin d’œil complice. Gudrun, qui était plus concentrée que jamais, se battait avec les Épuisatiers ennemis pour faire passer une balle de 8.


Et la boule centrale au milieu de la planche continuait de cracher ! Deux par deux, trois par trois, des balles de toutes les couleurs s’affolaient dans les airs et retombaient lourdement. Les Équilibristes couraient dans tous les sens et les Crevards crevaient, comme des gladiateurs dans une arène. Kelly, ne perdant pas une seconde, fit une action conjointe avec Iossif : ils foncèrent en tournant autour de la nuée de balles et en récupérèrent autant qu’ils pouvaient en prendre dans leurs épuisettes en continuant de tourner. Lorsque Gudrun revint en fonçant récupérer une balle de 6, Iossif et Kelly convolèrent ensemble en continuant de tourner légèrement l’un et l’autre : de la sorte, les Épuisatiers ennemis étaient totalement déstabilisés.


Bam et bam ! Deux buts. Depuis la tribune des professeurs, McGonnadie retenait son souffle.


Sur la planche, les choses se compliquaient.


- Ben merde, il pleut comme croup qui pisse ! lâcha Rick, submergé de balles.


- Attention !! hurla Deborah.


Bam ! Une balle de 6 vint pénaliser le score de Dragondebronze. Dans les gradins, les supporters de PatrickSébastos exultèrent. Bender essuya son front perlé de sueur. Soudain, une voix depuis les airs se fit entendre !


- C’est le Crevard au bâton ! Dégagez-le ! prévint Monica, en bonne Indic.


Toute la planche de Dragondebronze se retourna d’un coup vers l’équipe adverse. En effet, le Crevard au bâton ne faisait pas qu’éclater les boules : il les renvoyait. Une balle de 3 retomba, il la smasha comme au tennis. En un réflexe, Bender réussit à la crever.


- Il a le droit de faire ça ?! s’offusqua John depuis les gradins.


- La tactique du revers… Je ne pensais pas la voir utilisée un jour ! lança Peter.


- Elle n’a été testée que trois fois, et la dernière fois c’était lors de la finale Ornithoryx – Dragondebronze de 1899 ! ajouta Naomi, qui était restée non loin de son préfet.


Il s’engagea alors une véritable vendetta contre cet élève : il fallait le faire tomber ! Toute l’équipe de Dragondebronze commença à faire vaciller la planche de manière à le déstabiliser. Les Équilibristes couraient, les poids étaient redéplacés, et pendant ce temps, d’autres balles tombaient ! La tension était au maximum.


Pendant ce temps-là, dans les airs, Kelly était déstabilisée par l’Épuisatier étrange qu’elle avait remarqué avant le match. Il la bloquait dès qu’elle essayait de se rapprocher des balles. Elle fit demi-tour pour tenter de le semer, mais ce dernier en profita pour ramasser une balle de 9 et fila à toute allure vers le cerceau. A peine le temps de réaliser ce qu’il se passait, PatrickSébastos avait réussi à égaliser le score.


La planche faisait des roulis dignes d’un navire pris dans la tempête. Les poids se faisaient déplacer toutes les cinq secondes, frénétiquement, d’un bout à l’autre, pour tenter de déstabiliser l’équipe adverse. Les Crevards tentaient tant bien que mal d’exploser les balles, ce qui était extrêmement acrobatique, au vu des circonstances.


- Il faut les travailler au corps, ils vont finir par s’épuiser, vous y êtes presque ! encouragea Wen depuis son balai.


- Facile à dire ! fulmina Jörg.


Tous les Équilibristes étaient en nage. Les balles se faisaient de plus en plus rares. De plus, le Crevard au bâton narguait tout le monde en faisant des pirouettes. Les supporters de PatrickSébastos exultaient et scandaient « Fran – çois ! Fran – çois ! »


- Pas mal, non ? C’est François, un de nos meilleurs éléments, lança une Épuisatière à Iossif.


- Beau match, beau match… Répondit distraitement ce dernier.


Soudain, le bingo cracha à la suite cinq balles, puis cinq autres. Instant suspendu. Gudrun fila comme une comète et récupéra deux balles en même temps, fonça vers le cerceau. L’Épuisatier qui avait réussi à égaliser en ramassa une et fonça de même. Iossif et Kelly firent équipe pour tâcher de le déconcentrer. Les deux autres épuisatières se précipitèrent sur les balles restantes.


En triple saut périlleux, François smasha une balle de 7. Bender se jeta sur la balle dans un geste désespéré. La balle allait toucher la planche. Il lui donna un coup de boule, et elle creva. Tout le stade retint son souffle.


Alors, tandis que François retombait sur ses pattes, dans un effort conjugué, Vélina, Deborah et Sören déplacèrent tous les poids d’une nuée de flipendo bien sentis. La planche tangua, et François chancela. Akira fonça dans sa direction, et, prenant tout son élan, s’élança dans les airs, provoquant une onde de choc en retombant.


Akira bascula. Il s’écrasa par terre, éliminé de la partie. François s’agrippa à la planche… Et remonta sous les acclamations de ses supporters, et sous les cris indignés des soutiens de Dragondebronze.


Alors, on entendit un autre choc : c’était un catcheur qui venait de s’abattre juste derrière François, le faisant balancer lui aussi dans le vide. A nouveau, des exclamations déçues et triomphantes se firent entendre dans tout le stade Marie Grégeois. Le score était de 95 à 63 en faveur de PatrickSébastos, et c’était la fin de la première mi-temps.


Il y avait quinze minutes de pause. C’était le moment idéal pour les supporters d’aller se dégourdir les jambes ou d’aller miser sur l’équipe qui allait gagner, si les paris n’avaient pas été encore faits. Dans la tribune des professeurs, on commentait à tout-va.


- Quel match mon salaud ! claironna Fistwick en remplissant son seau à pop-corn d’un revers de baguette. Ça faisait longtemps que je m’étais pas autant amusé au Crève-ball !


- ça nous change du tournoi des Trois Sorciers…, grinça McGonnadie. Quand je pense qu’on est restés comme des cons pendant des heures à attendre devant un labyrinthe sans rien voir…


- Pour le moment c’est ta maison qui perd, mon vieux ! lâcha Grog qui venait de finir sa bièraubeurre. Si l’autre gland comprenait les règles du jeu, il aurait matière à se foutre de toi !


- Ouais ! Je sais pas qui est cet autre gland, mais il va falloir que tu remontes tout ça, Poséidon ! lança Pourrave, qui n’avait pas saisi l’allusion.


- Aaaaah, Pepino, si tu n’étais pas là, je regretterais presque ce bon vieux Joe… ajouta Fistwick l’air songeur.


- L’écart n’est pas si creusé que ça, et l’équipe adverse a perdu son atout, répondit McGonnadie d’un air égal. Wait and see…


« Mais c’est pas en se lamentant qu’on va le combler, cet écart ! affirmait Iossif avec fermeté, dans les vestiaires de Dragondebronze, face à son équipe en nage.


- Personne se lamente, on est juste plus fatigués que prévu ! répondit Deborah.


- On a fait des premières parties de match plus éprouvantes et on les a déjà gagnées ! Donc, il faut qu’on mette le paquet maintenant ! insista Iossif.


- On a fait la spéciale Akira et on a réussi à faire basculer leur champion, c’est déjà pas mal non ? rétorqua Sören en passant sa main dans ses cheveux.


- C’est le catcheur qui a fait tomber François, pas vous, je te signale ! Donc mollo ! pesta le capitaine.


- Iossif a raison, lança soudain Gudrun. On a été bons, mais on est loin d’avoir gagné. Ça peut se rattraper à condition de rien lâcher.


- Facile à dire depuis ton balai… asséna Vélina.


- Ecoutez, on a perdu Akira, ils ont perdu leur Crevard, de ce que je vois on s’en sort pas mal non ? lança Kelly, qui tentait de rassembler toute l’équipe autour d’elle. Ils doivent être déstabilisés aussi, si on garde la pêche, tous ensemble, y’a pas de raison !


Il y eut un moment de flottement. Bender le brisa :


- OK, ma p’tite Kelly, je vais dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas… Toi et Gudrun… Vous gérez comme des cheffes. Bravo les meufs.


- Et toi, pour une fois tu t’es servi de ta tête, grand con ! ajouta Iossif.


Toute l’équipe rit en chœur. Kelly et Gudrun reçurent quelques bonnes tapes dans le dos. Les visages rafraîchis, la jeune équipe retourna sur le stade, alors que la reprise du jeu était imminente.


Cette première redescente d’adrénaline fit chanceler Kelly, qui commençait vraiment à ressentir le manque de repos. Il fallait tenir. Elle se donna une petite claque pour rester éveillée et agrippa son balai avant de ressortir, derrière Gudrun et Iossif.


Avec seulement trois Équilibristes sur quatre, la partie sur la planche allait être plus difficile à gérer, mais avec seulement deux Crevards sur trois, PatrickSébastos devrait redoubler d’attention pour ne pas perdre de points. Chaque équipe connaissait les points faibles de l’adversaire et allait s’en servir.


Dans les airs, Indics et Épuisatiers se mettaient en position. Gudrun fit craquer ses doigts et sa nuque avec un air de défi. Iossif expectora. Kelly prit une grande inspiration et luttait contre sa fatigue. Elle commençait à sentir sa paupière gauche battre d’épuisement. Elle espérait que personne ne le remarquerait.


Viagrid sonna dans une corne le début de la deuxième partie du match. Aussitôt, une balle jaillit. Une balle de 9 ! Gudrun s’élança vers elle, et les trois Épuisatiers adverses lui filèrent dessus. Perturbée, elle laissa tomber la balle, que Kelly récupéra de justesse. Elle fonça vers le but, mais, se retournant, elle vit que Gudrun continuait de se faire harceler par les autres. En une fraction de seconde, elle laissa tomber la balle, que la Crevarde de PatrickSébastos fit éclater avant qu’elle ne pût retomber.


- Gudrun ! glapit Ludmila depuis les gradins, serrée contre son copain, un élève de troisième année nommé Adam East.


- Pourquoi ils se mettent à trois sur elle, ces débiles ? grogna John.


- C’est pour l’épuiser ! affirma Naomi.


- Tout juste, appuya Peter. Gudrun a surpris tout le monde en début de match. C’est pour ça qu’ils sont aussi agressifs.


- Quoi, c’est fait exprès ? demanda Ludmila, tremblante.


- Gudrun est la buteuse de Dragondebronze. En la désarçonnant comme ça, ils essaient de la fatiguer au maximum pour l’empêcher de marquer ! conclut Naomi.


Iossif avait bien compris le stratagème. Il essaya de voler au secours de Gudrun, qui n’avait nulle part où voler. L’agressivité des PatrickSébastos était redoutable, et c’est au prix de nombreuses minutes d’estoc aérien que Gudrun, dans un cri de guerre rageur, s’extirpa de la mêlée par le haut, comme un bouchon de champagne qui saute, agrippée à son Nimbus 95. Des hurlements se firent entendre côté Dragondebronze. Ivre de rage, telle une valkyrie vengeresse, Gudrun plongea sur toutes les balles qu’elle pouvait amasser et, avant que qui que ce soit ne comprenne ce qui se passait, elle piqua jusqu’au but adverse.


Nombre de points marqués pour Dragondebronze : 2, 5, 4, 7 et 3 !


- 5 d’un coup ? Pas mal du tout, commenta Fistwick en croquant dans son pop-corn.


- Tu plaisantes, Fistule ? croassa McGonnadie. Ces épuisettes peuvent faire tenir 3 balles, grand maximum. Ce qu’elle vient d’accomplir relève de l’exploit.


- Elle a triché, c’est pas possible ! Si ? s’inquiéta Morgana.


- Et alors ? lâcha Doubledose dans une bouffée de son cigare.


Le cœur de Kelly battait la chamade. Elle se sentait presque tourner de l’œil. Ses tempes battaient un rythme infernal. Un catcheur tombé du ciel qu’elle manquât de peu de se prendre la sortit de sa torpeur. Elle regarda vers la planche : deux catcheurs, et les Équilibristes de PatrickSébastos se servaient de leur supériorité numérique pour déstabiliser Dragondebronze. Bender, Rick et Jörg chaloupaient, se battaient pour garder l’équilibre. Heureusement, les balles sortaient à un rythme stable… Pour le moment. Kelly releva la tête et vit Gudrun tâcher de semer l’Épuisatier adverse. Iossif, quant à lui, venait de marquer un but, mais c’était une balle piégée qui s’envola dans les airs comme une bulle.


Le bingo cracha trois balles. Kelly se donna une petite claque et fonça. Elle tomba nez-à-nez avec une épuisatière aux épaules carrées qui avait jeté son dévolu sur une balle de 6. Kelly arma son bras, épuisette prête à accueillir la balle, et les deux épuisatières foncèrent l’une sur l’autre, comme des cavalières en pleine joute. Des « Oh ! » et des « Ah ! » fusèrent dans le public. Kelly ramassa la balle… Et un coup d’épuisette en pleine tête. Malgré les étoiles dans les yeux et le sang qui coulait de ses narines, elle cracha et fila vers le but. 6 points pour Dragondebronze.


« FAUUUUUUTE ! » hurla Poséidon McGonnadie.


Tout le terrain se stoppa net. La planche, qui tanguait pourtant, se retrouva elle aussi figée, comme si on l’avait mise sur pause. Toute l’école avait les yeux rivés sur le directeur.


- T’es sérieux là ? On était en plein dedans, ça devenait intéressant ! lança Doubledose au professeur de métamorphose.


- En ta qualité d’arbitre, Niger, je te rappelle que l’usage des épuisettes a certaines limites…


- Tu crois me l’apprendre ? J’ai vu ce qui s’est passé, et on peut se servir de son épuisette pour chasser son adversaire !


- Pour ELOIGNER l’adversaire, contesta McGonnadie. On a le droit d’agiter son épuisette, d’intimider, de mouliner, mais certainement pas d’asséner un coup ! Mon élève saigne !


- Rooooh, tout de suite les grands mots ! Je te parie que c’était un accident…


- Pari tenu !


Doubledose grogna. Il sortit sa baguette et fit apparaître une espèce d’immense écran de matière fluorescente, presque liquide, dans les airs, comme s’il s’agissait d’une projection en plein air. On y voyait, comme un film, le match en train de se dérouler.


« Je vous propose un petit ralenti ! »


L’écran se brouilla, jusqu’à montrer la balle en gros plan, avec Kelly et l’autre épuisatière, au moment exact où l’action s’était passée. On voyait la séquence se dérouler au ralenti, avec une précision et une netteté d’image étonnantes. Kelly tendait le bras. Les deux balais s’approchaient l’un de l’autre. Collision, coup d’épuisette dans le nez de Kelly. Des soupirs de malaise s’entendaient dans l’audience.


« Allez, je vous le repasse encore une fois, pour le fun. »


Comme s’il s’agissait d’une télécommande, Doubledose rembobinait la scène et on vit Kelly se prendre encore une fois l’épuisette. Les rires commencèrent à fuser, jusqu’à provoquer l’hilarité générale. Kelly, toujours saignante, était rougie de honte. Grog s’esclaffait et se tenait les côtes. Martoni pleurait de joie.


Après une minute qui semblait durer un siècle, Doubledose fit disparaître le pseudo-écran céleste, en ajoutant « qu’on en avait assez vu ».


- Alors ? triompha McGonnadie.


- Pfffff, c’est bon, t’as gagné, y’a faute… Pour une faute aussi impardonnable, quoique tordante, je n’ai pas d’autres choix : MARECHALE ! TU CHANGES D’EQUIPE !


Claudia Maréchale, l’épuisatière qui avait frappé Kelly, rejoignit, penaude, le camp adverse. Doubledose ajouta :


- Et on va t’échanger avec… EMILSDOTTIR !


Cris indignés dans l’audience. Gudrun avait la bouche tellement béante qu’une colonie de mouches aurait pu y élire domicile. Iossif n’en croyait pas ses oreilles. Toute l’équipe de Dragondebronze jurait, Kelly s’essuya le nez. Mais personne ne protesta. On savait que dans le Crève-ball, contester l’arbitre, c’était une condamnation pure et simple.


Le score était de 103 à 97 en faveur de Dragondebronze. L’issue du match pouvait basculer à tout moment, et Dragondebronze avait cédé sa buteuse à PatrickSébastos. Doubledose porta sa baguette à sa gorge, et, après avoir lancé un sortilège Sonorus, beugla : « ON REPREND !! »


La planche se remit à tanguer. Deux catcheurs tombèrent, désarçonnèrent tous ceux qui s’y trouvaient – un Équilibriste de PatrickSébastos manqua de tomber. Claudia Maréchale regarda un bref instant Kelly, qui avait effacé le sang de son visage, et qui ne lui rendit pas son regard. Elle observait Gudrun et se demandait si elle allait marquer des buts contre son camp, maintenant qu’elle avait été échangée. Deux balles jaillirent et la tirèrent de ses pensées. Un 2, un 7. Gudrun ramassa le 7 et fila marquer contre Dragondebronze, comme elle avait l’habitude de faire. Maréchale ramassa la balle de 2, se la disputait avec l’Épuisatier de PatrickSébastos. Il devait rester moins de 15 minutes de match. C’était la dernière ligne droite. Kelly allait s’évanouir de fatigue. Elle se redonna une petite claque.


- Je déteste voir Kelly comme ça… commenta John depuis les gradins.


- Elle a l’air exténuée, la pauvre. Heureusement que McGonnadie a intercédé en sa faveur, dit Peter.


- Hein ? Elle venait de se faire frapper ! s’exclama John. Heureusement qu’il y a eu faute ! Sport de taré !


- Ca ne s’appelle pas le Crève-Ball pour rien… ajouta, songeur, le préfet.


Naomi ne disait rien. Elle repensait à la paralysie du sommeil de Kelly, dont elle seule était au courant. Elle n’osait pas imaginer ce que Kelly pouvait ressentir, sur son balai, entre les balles à récupérer, les adversaires à semer, les catcheurs à éviter. Dans sa tête, elle se disait à elle-même, comme une prière : « Allez, Kelly Powder, tu es la fille la plus courageuse que je connaisse, tu m’as appris à affronter la mort en face… Pense au Vif d’or, au vortex, au labyrinthe… On a traversé tout ça, tu peux le faire, montre-moi, montre-leur, tu vas le faire, tu vas le faire, tu vas le faire ! »


Martoni non plus ne disait rien, elle aussi regardait Kelly, un sourire malin aux lèvres.


Kelly, elle, était loin de penser à ses camarades de classe, ni même à McGonnadie, qui était celui qui l’avait mise dans cette position. Le bingo crachait des balles, il restait peu de temps. Deborah et Wen coordonnaient leurs instructions aux Crevards, Gudrun avait encore marqué contre Dragondebronze, accompagnée de l’autre épuisatière adverse. Kelly ne savait même plus à combien était le score. Qu’importe. On marque. Elle venait de laisser passer plusieurs balles, qui, par chance avaient pu retomber sur la planche adverse, faisant perdre quelques points à PatrickSébastos. Il fallait qu’elle marque.


Une balle noire jaillit du bingo. Le chiffre inscrit dessus était de… 24. Gudrun, de l’autre côté du terrain, avait les yeux sortis de leurs orbites. Elle fit un demi-tour rapide et fonça vers la balle. Kelly ferma les yeux et se laissa tomber en piqué. Tout le stade poussa une exclamation effarée. Même Gudrun eut son mouvement perturbé. La balle, qui s’était élevée dans les airs, retomba fatalement vers la planche. Kelly s’en rapprochait dangereusement aussi. Les Crevards de Dragondebronze s’apprêtaient à la rattraper. Zoum ! La balle échappa à l’épuisette de Gudrun. Cette dernière refit demi-tour pour se saisir de la balle, qui allait s’écraser contre PatrickSébastos. Au moment de percuter la planche, Kelly ouvrit les yeux et freina violemment sur son balai, quasiment en rase-mottes sur la planche. En voyant ça, Iossif eut un grand sourire de contentement. Gudrun, qui avait compris le stratagème, eut une expression déconfite. Elle était à quelques centimètres de la balle. Kelly aussi. Les deux tendirent leurs épuisettes en même temps, tandis que le Crevard de PatrickSébastos s’élança pour crever la balle. Sa lance manqua de toucher Kelly et s’enfonça dans la planche. Kelly sentit le filet de l’épuisette de Gudrun lui caresser les cheveux... Et elle sentit la balle dans son filet à elle.


Elle remonta d’un coup vers le but adverse, laissant Gudrun comme deux ronds de flan. L’Épuisatier ennemi tenta de s’interposer, mais Iossif l’en empêcha. La foule était en liesse.


BOUM ! But pour Dragondebronze : 24 points !


La vision de Kelly était floue. Toutes les formes et les couleurs s’estompaient et des dizaines de petites lucioles apparaissaient devant ses yeux. Dans ses oreilles, les hurlements de la foule s’intensifiaient. Elle avait marqué. Dragondebronze avait pris une avance considérable sur PatrickSébastos. Il restait une dizaine de minutes à jouer. Elle secoua la tête, éclaircit ses idées, et vola après quelques balles. Gudrun marqua encore de très beaux points contre son camp d’origine. La planche avait regagné un certain équilibre, et les Crevards restaient concentrés jusqu’au bout pour éviter « l’accident bête » qui pourrait encore faire basculer l’avenir du match. C’est Iossif qui plaça la dernière balle : un 4 en faveur de Dragondebronze.


BrôôôôôôÔÔÔÔÔÔÔÔMMM !


Viagrid sonna de nouveau dans sa corne, ce qui annonça la fin de la deuxième mi-temps. Doubledose annonça le score final.


« Victoire de DragondeBronze, à 134 points, contre 118 pour PatrickSébastos ! »


Le stade éclata en exultations. Les Dragondebronze hurlaient de joie, les PatrickSébastos gémissaient de dépit tandis que les Ornithoryx et les Becdeperroquet se moquaient d’eux. Sur le terrain, les joueurs victorieux se rassemblèrent en un éclair au milieu de la planche qui avait cessé de bouger, pour se prendre les uns les autres dans les bras, formant une sorte de masse compacte semblable à une colonie de manchots. Puis, ils se retournèrent tous vers le public en délire pour le saluer avec fierté. Parmi les Dragondebronze extatiques, John et Naomi se serrèrent dans les bras, et Ludmila embrassa langoureusement Adam. C’était joyeux, c’était vivant et effarant, comme souvent à Lettockar.


Les deux capitaines se serrèrent la main, Akira et François revinrent sur le terrain pour saluer la foule, Gudrun et Claudia reprirent leurs places. Derniers saluts au public de la part des deux équipes, et chacun rentrait dans ses pénates. Applaudissements de toute part, tout le monde se félicitait, c’était un beau match, plein de rebondissements, et ça spéculait sur les raisons de la victoire et de la défaite, et ça réglait les comptes des paris pris.


Dans les vestiaires de DragondeBronze, Kelly s’engouffra la première. Les garçons se faisaient de grandes accolades et se disaient « On a tout baisé !! », Gudrun se faisait féliciter par tout le monde, Iossif la prenant même dans ses bras un court instant pour lui signifier son admiration. Puis, tout le monde se tourna vers Kelly pour la remercier chaleureusement aussi. Alors, tous remarquèrent que Kelly leur tournait le dos, légèrement voûtée. Un petit silence passa, et on entendit ses sanglots, qu’elle n’arrivait plus à contenir. Kelly finit par se retourner, elle se tenait dans ses bras, les yeux embués, tremblante. Elle finit par s’effondrer sur un banc et plongea sa tête dans ses mains. Toute la pression était en train de s’évacuer après cette journée inhumaine qu’elle venait de vivre.


Alors, Déborah alla vers elle et la prit dans ses bras. Kelly la serra contre elle et laissa s’envoler un râle douloureux. Elle dénoua sa gorge, ravala sa salive, inspira et expira longuement. Puis, ce fut Bender qui les rejoignit et s’ajouta à l’embrassade. Petit à petit, toute l’équipe vint, et cela vira au câlin collectif. Pas un seul mot ne fut prononcé. Seulement, quand Kelly releva enfin la tête et regarda ses coéquipiers, elle leur murmura « Merci ».


Une fois qu’ils furent changés et douchés, leur accueil par leurs supporters fut triomphal. McGonnadie et Peter allèrent chaleureusement les féliciter, toutes et tous.


- Vous avez fait briller le nom de Dragondebronze, et je n’en attendais pas moins de vous, clama McGonnadie. Je compte sur vous pour maintenir cette flamme et cet esprit d’exception qui nous anime. Akira, ton sacrifice était digne des héros de la graisse antique !... Quant à nos nouvelles recrues… Emilsdottir, sache que je place désormais de grands espoirs en toi. Je ne m’attends à rien de moins que le meilleur. Quant à Powder… Eh bien, j’ai eu le nez creux, mais qui en doutait ?


- C’est drôle, j’ai pas l’impression que ce soit vraiment nous que vous êtes venu féliciter… grinça Kelly en plongeant son regard dans le sien.


- Réserve ton insolence pour le terrain, jeune fille, répliqua sèchement le professeur. Ta victoire n’est pas une barrière anti-retenue. Sur ce, profitez donc du banquet ce soir !


Il s’en retourna vers son bureau. Les Dragondebronze de toutes les classes échangeaient vivement autour du match, et John avait une dizaine de personnes autour de lui, à qui il racontait les exploits de Kelly et la fierté qu’il avait à être son ami. Quand l’équipe arriva, cela babillait de plus belle. Tout le monde s’en alla à la Cantina Grande pour débriefer le match autour de réjouissances. Kelly, qui avait rejoint John et Naomi, avait reçu des louanges de toute part, et, bien que flattée et rouge comme une tomate, elle avait bien fait comprendre gentiment qu’il fallait qu’elle se repose après un tel match. On la laissa donc en compagnie de ses amis, respectant son espace vital. Après tout, elle était devenue précieuse aux yeux de toute sa maison, désormais. Celle qui avait le plus grand fan-club, c’était évidemment Gudrun, qui avait détonné pendant tout le match. Kelly la regardait en train de se faire couvrir d’éloges, puis elle jeta un bref coup d’œil sur la table des professeurs, où McGonnadie taquinait Pourrave. Doubledose regarda Kelly et la salua en lui levant sa coupe. Kelly hocha benoîtement la tête et retourna à son assiette de paella royale.


- Alors, ça fait du bien ? lui dit John en souriant.


- Je pourrais dévorer tous les animaux de la terre, de la mer et du ciel ! lâcha Kelly en piochant dans son plat. Putain, j’en pouvais plus. C’est trop bon. C’est pas humain de rester aussi longtemps sur un balai. Je vous dis pas les courbatures de porc que je vais me taper demain. Mais ça fait du bien. Merci d’être là les amis.


- Merci d’être toi Kelly, lui dit doucement Naomi. Tu as été exceptionnelle aujourd’hui. Tu es vraiment incroyable.


- Allez, arrête ton mélo Mimi, rudoya John. Elle est à même pas 10% de son potentiel, je suis sûr…


- Je veux plus entendre parler de balles ou de balai pendant les deux prochaines semaines, lança Kelly. Pour le moment je veux juste bouffer et DORMIR.


- C’est normal, t’as vu tout ce que tu as donné aujourd’hui ? répondit Naomi. Et le coup d’épuisette ! Et le…


- Je veux plus entendre parler d’épuisette non plus ! feula Kelly.


- Oh, j’en connais une qui a morflé plus que toi, dit distraitement John.


- Qui ça ? Gudrun ?


- Non… Tu sais pas la meilleure ? Il paraît que Martoni a perdu 5 Gallions en pariant sur PatrickSébastos !


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