Lettockar, tome 2 : La Cour des Mirages

Chapitre 21 : In a tree by the brook, there's a songbird who sings

4484 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/06/2023 11:44

21. In a tree by the brook, there’s a songbird who sings


En sortant du stade, Kelly ne rentra pas tout de suite au château. Elle avait besoin de s’isoler et de marcher. Elle demanda d’une voix un peu craintive à Gudrun si elle avait la bonté de bien vouloir ramener à sa place ses affaires de Crève-Ball dans la tour de Dragondebronze. Celle-ci, auréolée de gloire et euphorisée par la victoire, accepta sans discuter, lui souhaitant bonne promenade.


Pour être seule, Kelly n’avait pas vraiment d’autre choix que de se rendre dans la Forêt Déconseillée. En s’engouffrant dans les bois, elle repassait la scène dans sa tête. Les douches lui étaient brusquement revenues en mémoire au moment où Gudrun l’avait étreinte pour fêter leur victoire. Kelly ne comprenait pas pourquoi cela lui trottait dans la tête de cette manière. Elle se sentait coupable : pour elle, c’est sûr, elle avait épié sa camarade dans un moment d’intimité. Elle n’avait pourtant pas eu de mauvaises intentions, c’était dû à l’instant, au contexte… et puis, ça n’arriverait sûrement plus jamais, alors il n’y avait pas de quoi en faire toute une histoire… Fulminant entre les arbres, Kelly se méprisa encore un peu plus de se chercher des excuses.


Un chant mélodieux s’éleva soudain de la forêt. C’était celui d’un oiseau, mais il était encore plus beau que celui d’un rossignol. Kelly sentit sa colonne vertébrale la chatouiller et son cœur se réchauffer. Ce chant était rassurant, apaisant, il provoquait une étrange sensation de ravissement. Il était… magique. Elle partit aussitôt à la recherche de sa provenance.


En chemin, elle dut repousser une fée-skinhead d’un sortilège et décoller un chien-ventouse qui lui barrait le passage entre deux buissons. L’oiseau qui chantait était perché sur la plus haute branche d’un chêne. C’était Fumseck, le phénix de Dumbledore ! Il était curieux qu’il se soit posé ici. Kelly l’apostropha d’un ton intrigué :


- Hé beh, qu’est-ce que tu fais là, le piou-piou ?


Fumseck baissa la tête vers elle, et émit un caquètement intrigué. Puis, il se laissa tomber de sa branche, et plana vers une autre toute proche de Kelly. Son plumage rouge et or chatoyait quand il bougeait, donnant l’impression qu’il changeait de couleur au gré de ses mouvements. Une fois posé, il tendit son long cou vers Kelly. Il avait envie d’être caressé. Émerveillé par la majesté de l’oiseau et charmée par sa voix d’or, elle ne se fit pas prier. Elle lui ébouriffa les plumes, lui chatouilla son bec et lui grattouilla la tête...


- Mais oui t’es beau, mais oui t’es un bel oiseau ! dit-elle d’un ton joueur. Elles sont à qui, ces belles plumes, hein ?


Fumseck roucoula de contentement. Kelly eut aussitôt un faible pour lui. Nikita lui manquait terriblement, cela lui faisait du bien d’avoir la compagnie d’un animal affectueux. Par réflexe, elle plongea sa main dans la poche de sa robe, comme pour trouver quelque chose à donner à manger. Elle réalisa aussitôt à quel point c’était idiot : premièrement, elle n’avait rien dans sa poche, et deuxièmement, elle n’avait aucune idée de ce que pouvait bien manger un phénix. Cherchant de l’inspiration, elle promena un peu vainement son regard sur toute la forêt aux alentours, comme si de la nourriture allait surgir du sol.


- Si tu veux tout savoir, il raffole des musaraignes, déclara une voix grave derrière elle.


Kelly sursauta et fit volte-face. C’était le professeur Dumbledore qui les contemplait nonchalamment par-dessus ses lunettes, les mains jointes derrière le dos, arborant son sourire bienveillant caractéristique.


- Professeur Dumbledore ! s’exclama Kelly en s’avançant vers lui. Qu’est-ce que Fumseck et vous faites dans le coin ?


- Nous prenons l’air. Nous repartons ce soir, après le dîner, et les jours qui vont suivre s’annoncent très chargés pour moi, je m’autorise donc un instant de détente… Et par la même occasion, je me documente sur la faune locale. Vos créatures sont pour le moins inhabituelles, il faut le dire.


A ces mots, un autre chien-ventouse surgit de derrière un arbre et passa entre eux en sautillant, les gratifiant de quelques aboiements aigus. Depuis sa branche, Fumseck commença à battre des ailes. Il s’envola à une dizaine de mètres au-dessus du sol, puis redescendit en cercle vers eux. Mais, à leur grande surprise, il ne vint pas se poser sur l’épaule de Dumbledore, mais sur celle de Kelly. Sous son regard déconcerté, il lui mordilla amicalement le bout de l’oreille de son bec.


- Oh oh, je crois qu’il t’aime bien ! gloussa Dumbledore.


Fumseck roucoula à nouveau, puis il quitta l’épaule de Kelly pour partir vers les cieux, sans doute pour se dégourdir les ailes. Dumbledore suivit son envol des yeux, impassible. Kelly, elle, détourna le regard. Elle ne savait pas trop quoi dire pour engager la conversation, et de toute manière, elle avait l’esprit ailleurs. Quand Dumbledore reporta son attention sur elle, il lui dit à voix basse :


- Je te sens tourmentée, Kelly…


- Euh… vraiment ? Mais comment le savez-vous… ?


- Je le devine. En général, je devine bien.


- Ce… ce n’est rien du tout. J’ai juste eu un petit problème avec une amie...


Le professeur Dumbledore baissa la tête et l’observa d’un regard perçant. Kelly se sentit bizarre : elle avait l’impression d’être passée aux rayons X. Elle comprit qu’il faisait bien plus que « deviner ». Elle aurait été incapable d’expliquer comment, mais elle avait l’intuition qu’il avait la faculté de lire ses pensées, et qu’il comprenait qu’elles étaient perturbées. Pas à son aise, elle tenta de mettre un terme à cette conversation :


- Enfin je... je ne voudrais pas vous embêter avec ça, vous avez sûrement des soucis bien plus importants en tête…


- Mais justement, c’est parce que je passe mes journées à me soucier de choses démesurément importantes que j’ai besoin de m’évader en m’intéressant à des choses plus légères.


Kelly resta muette un instant, décontenancée. Elle sourit maladroitement, plutôt agréablement surprise, mais il lui était tout de même difficile d’aborder ce sujet sans mettre Dumbledore dans l’embarras. Ce dernier eut alors une réaction appropriée : ayant apparemment senti que Kelly n’était pas prête à se confier, il n’insista pas. A la place, il l’invita à déambuler à ses côtés et l’interrogea gentiment sur sa vie quotidienne. Elle lui parla alors de ses cours, ses amis, ses habitudes et ses loisirs… Dumbledore l’écoutait avec un intérêt inattendu, même désarmant, s’amusant tout particulièrement quand Kelly râlait abondamment contre ses professeurs – McGonnadie et Grog étant ses cibles privilégiées. Puis, Dumbledore lui répondit par des anecdotes saugrenues ou amusantes sur ses années d’élève à Poudlard, ou bien sur sa carrière de professeur de métamorphose avant d’être directeur… Kelly était ébahie par sa simplicité. Il lui racontait benoîtement ses histoires, comme s’il bavardait avec un vieil ami. Il était difficile de croire que lui était un sorcier de renommée mondiale et elle une adolescente tout à fait ordinaire, et qui, de surcroît, n’était même pas son élève.


A la fin d’une dernière anecdote d’un autre âge, il s’arrêta de parler, le visage nostalgique. Voyant qu’un blanc commençait à s’installer, Kelly lança un autre sujet de discussion :


- Au fait… qu’est-ce que vous avez pensé du Crève-Ball ?


- Euh… c’est… original. Un peu trop rude pour moi, mais puisque c’est le sport local…


- Vous préférez le Quidditch, j’imagine ?


- Oui, mais surtout le bowling, qui est mon sport préféré !


- Sérieusement, vous jouez au bowling ? s’exclama Kelly, étonnée.


Le professeur Dumbledore étant entièrement issu du monde des sorciers, elle s’était attendue à ce qu’il ne soit imprégné que de leur culture. Elle ne se serait jamais imaginé qu’il se passionne pour un sport moldu. Apparemment, Dumbledore avait encore lu dans ses pensées, puisqu’il expliqua avec un grand sourire :


- Contrairement à la plupart de mes congénères, je m’intéresse à la culture moldue. Ils ont des pratiques et des loisirs tout aussi passionnants que ceux des sorciers, et nous avons tant à apprendre d’eux… C’est d’ailleurs bien dommage que je n’aie pas de télévision à Poudlard, j’aimerais bien regarder quelques matches de football de temps en temps…


- Je trouve ça super de votre part ! Surtout que le bowling, ça me tient à cœur : dans ma famille, c’est sacré, on allait y jouer tous les mois avec mes parents… Ça fait partie des choses qui me manquent beaucoup depuis que je vis à Lettockar...


Kelly avait dit ça très vite, tout excitée, sans reprendre son souffle. Dumbledore la regarda avec un air curieux, comme on regarderait un animal exotique insolite en bas âge. Elle rosit, se sentant ridicule d’avoir parlé de sa famille au professeur Dumbledore, qui devait s’en foutre comme de son premier sortilège de Lévitation. Mais, contre tout attente, il hocha la tête d’un air appréciateur et commenta avec empathie :


- Quel dommage que les élèves de Lettockar ne puissent pas revoir leurs familles pendant les vacances intermédiaires… Vous êtes nombreux ?


- Seulement moi et mes parents, je suis fille unique. Et vous, vous avez des frères et sœurs ? demanda Kelly, à présent parfaitement décontractée.


- J’ai un frère cadet, Abelforth de son prénom… commença lentement Dumbledore. Et j’avais une petite sœur, Arianna.


- « J’avais ? » risqua timidement Kelly, ayant noté l’usage de l’imparfait.


- Elle est morte quand elle avait 14 ans. Moi, j’en avais 18.


Le directeur de Poudlard était toujours aussi calme, mais sa voix s’était durcie lorsqu’il avait prononcé ces derniers mots. Mortifiée, Kelly interrompit brusquement sa marche. C’était comme si on venait de lui donner un coup de poing dans le ventre. Pauvre professeur Dumbledore… perdre sa sœur alors qu’ils étaient tous deux à l’aube de leur vie...


Quand elle retrouva sa langue, elle dit d’une voix faible et tremblante :


- Oh, je suis tellement désolée… Qu’est-ce qui lui est arrivé ?


- Elle avait la santé très fragile depuis bien longtemps… elle est… morte des suites de sa maladie.


- Ça... ça vous a beaucoup affecté ? bredouilla Kelly.


- Ça m’affecte encore aujourd’hui.


Dumbledore soupira et sembla prendre aussitôt 50 ans d’âge. Ses rides se creusèrent, et ses yeux bleus parurent plus pâles. Kelly blêmit, affreusement confuse. Sa dernière question, qui lui avait totalement échappé, était on ne peut plus stupide : comment pouvait-elle avoir demandé si la mort de sa sœur l’avait affecté ? Bien sûr que ça avait été le cas. En plus de ça, une de ses meilleures amies, Naomi, avait vécu la même chose que le professeur Dumbledore en ayant perdu son grand frère, et elle leur avait largement décrit ce qu’elle avait traversé ; Kelly ne pouvait pas ne pas savoir. Se sentant horriblement inconvenante, elle déglutit. Dans ses petits souliers, elle rentra la tête dans ses épaules et dit de la même voix grêle :


- Professeur Dumbledore, je… je n’aurais pas dû vous parler de ça… je suis désolée, j’ai été indiscrète.


- Bien au contraire, Kelly, dit Dumbledore en retrouvant son sourire et en recommençant à marcher paisiblement. C’est tout à ton honneur de vouloir mieux connaître les gens qui t’entourent. L’ignorance, l’indifférence… sont les mères de toutes les erreurs des hommes. Continue ainsi, Kelly : intéresse-toi à tout !


- Surtout à vous, dit-elle d’un ton un peu flagorneur.


- Surtout à moi ?


- Mais oui. Vous savez, ici aussi, vous êtes une véritable légende !


- Vraiment ? Je suis flatté, s’amusa le vieil homme en rajustant ses lunettes en demi-lune sur son nez aquilin.


- Mais... bien sûr ! Vous représentez tout ce dont le monde des sorciers a besoin. Albus Dumbledore, le plus grand magicien de notre époque, l’immense savant, défenseur des Nés-Moldus et de tous les opprimés sur terre... Le seul sorcier qui fasse peur à Voldemort, celui qui a déjà sauvé le monde en terrassant Gellert Grindelwald en 1945 !


- Certes, certes...


Kelly avait cru le voir grimacer à son dernier propos, mais c’était sans doute un effet de son imagination, puisqu’il reprit avec gaieté, le regard pétillant :


- Je suis très touché, Kelly. C’est toujours un plaisir de savoir que l’on distille espoir et inspiration auprès de jeunes gens.


- Surtout pour une bande de Nés-Moldus, je le répète…


- Ça me rend triste que vous soyez réduits à une catégorie de personnes… et encore davantage que vous en soyez vous-mêmes à vous considérer ainsi. Ce n’est pas de votre faute bien évidemment : c’est un effet de cette chimère qui trotte encore dans l’esprit de nos frères sorciers, celle de la pureté du sang, qui nous hiérarchise, nous répartit en classes… nous divise.


- Je sais, c’est même pour ça que je me retrouve ici, maugréa Kelly, amère.


- Pour être tout à fait juste, il y a aussi la question des effectifs scolaires qui entre en jeu, rappela Dumbledore avec un pâle sourire.


- M’ouais…


- Mais il est vrai que Lettockar – bien que je n’aurais jamais la bassesse de contester sa légitimité et de la rabaisser au rang de dégât collatéral - est en quelque sorte une preuve vivante de ce que j’avance. Vos fondateurs ont voulu prouver que les gens comme eux avaient droit à leur chance – comme tu le sais sûrement, à l’époque, toutes les écoles de magie n’accueillaient pas les Nés-Moldus, d’ailleurs certaines les refusent encore de nos jours-, et cela ne serait pas arrivé si les vieilles et puissantes familles ne s’étaient pas autant enorgueillies de la prétendue pureté de leur sang, et considéré les enfants de Moldus comme des sous-sorciers… Et qu’elles le faisaient encore aujourd’hui...


- Mais vous, vous n’y croyez pas, n’est-ce pas ?


- L’expérience de la vie – et au vu de mon âge, je te prie de croire, Kelly, que la mienne est particulièrement riche – m’a amené à un constat. Notre grandeur, si tant est que l’on puisse se flatter d’en avoir, ne vient pas de nos origines, de qui nous a engendré. Elle ne vient pas du prestige de nos ancêtres, ou de l’influence de nos parents dans la société. Elle ne vient pas non plus de nos pouvoirs magiques, d’ailleurs, fussent-ils issus de quinze générations inaltérées de sorciers. Elle vient de nos actes… et de nos choix.


Kelly buvait ses paroles, émue. Albus Dumbledore était encore une meilleure personne qu’elle ne le savait déjà. Comment pouvait-on rassembler autant de qualités en un seul homme ? Il était aussi sage que puissant, et chacune de ses paroles respirait l’intelligence et la grandeur d’âme. Toute sa philosophie, sa façon de penser était d’une justesse incroyable. Il semblait infaillible ; comme s’il lui était impossible de se tromper. S’il y avait bien un sorcier qu’il fallait prendre comme modèle, c’était celui-là. Kelly aurait tellement aimé être comme lui… aussi forte, aussi savante, et aussi noble. Mais comment y arriver, en ayant pour instructeurs cette bande de tarés qui constituait l’équipe enseignante de Lettockar…


- Mais pourquoi nos professeurs ne vous ressemblent-ils pas plus ? soupira-t-elle avec tristesse.


- Oh, je n’aurais jamais la prétention d’être un enseignant parfait, répondit Dumbledore d’un ton léger. Certains me jugent trop excentrique… et n’en pouvaient plus d’attendre que je quitte mon siège de directeur. Et le démocrate que je suis considère que leur avis a tout autant de valeur que ceux qui me portent aux nues...


- C’est des ingrats, rétorqua Kelly avec une légère suffisance. Vous êtes tolérant, vous donnez sa chance à tout le monde. Vous êtes soucieux des autres. Vous êtes ouvert, à l’écoute, vous avez un mot pour chacun, même pour une fille dans une école cachée à des centaines de kilomètres de vous. Moi, j’aurais tellement aimé vous avoir comme directeur…


Dumbledore ralentit le pas, s’arrêtant presque de marcher. En le regardant, Kelly vit avec surprise ses yeux devenir humides. Elle ne pensait pas qu’il serait aussi touché par ce compliment, dont elle aurait juré qu’il lui avait déjà été fait maintes fois par d’autres adolescents, de Lettockar ou d’ailleurs. Embarrassée, elle pinça les lèvres et détourna le regard. Dumbledore reprit la parole d’une voix ferme mais légèrement enrouée :


- C’est très gentil à toi, Kelly. Je conçois bien que ça ne doit pas être facile tous les jours avec le professeur Doubledose…


- Avec le professeur Doubledose, et tous les autres, précisa Kelly, maussade. Vous n’avez sûrement pas oublié qu’on a même essayé de se barrer, avec John et Naomi.


- Ah ça, je ne risque pas de l’oublier, confirma Dumbledore, les yeux rieurs.


- C’est la même chose cette année, vous savez. On a toujours droit à des cours de sortilèges explosifs, aux punitions débiles, aux remarques graveleuses et aux piques vexantes…


- Vous réagissez, j’espère ?


- Évidemment ! s’exclama Kelly en fronçant les sourcils. Vous croyez qu’on s’est rangés parce qu’on est passés en deuxième année ? Vous nous prenez pas pour des chiffes molles, quand même ?


- Oh, loin de moi cette idée ! dit Dumbledore en riant. Tu sais tout à fait que je ne suis pas indifférent aux travers de l’Institut Lettockar… je ne saurais vous reprocher de vous dresser contre eux…


Il caressa sa longue barbe, le regard plein de compassion.


- Et même si ça me chagrine profondément, du fait de ma position, je ne peux pas faire grand-chose, hélas… si ce n’est vous encourager dans ce qui constitue, sans aucun doute, le plus noble des combats : celui contre les injustices. Après tout, c’est ce combat qui m’amène à m’opposer à la tyrannie de Lord Voldemort… et celui aussi qui m’a fait perdre ma place de directeur en m’opposant à la bêtise de mon ministère, d’ailleurs. Alors ne renonce jamais, Kelly : quelle que soit la manière dont tu y arriveras, ne renonce jamais à vouloir changer Lettockar. Tu mérites d’être heureuse...


En écho aux paroles de Kelly, il ajouta avec douceur :


- Moi, j’aurais beaucoup aimé t’avoir comme élève.


Kelly rougit jusqu’aux oreilles ; mais cette fois, ce n’était pas de gêne, ou de colère comme cela lui arrivait si souvent, mais bien de bonheur. Elle savait que Dumbledore était sincère, qu’il ne disait pas cela pour lui faire plaisir ou pour la mettre dans sa poche. Et c’était pour elle la plus belle chose qu’on lui ait dite depuis bien longtemps. Elle adressa un sourire étincelant à Dumbledore, qui, tout aussi rayonnant, se pencha et lui chuchota à l’oreille :


- Tu me rappelles beaucoup l’un d’eux…


- Qui donc ?


Mais Dumbledore n’eut pas le temps de répondre. Une branche avait craqué à quelques mètres d’eux et les avait fait se retourner. Ils virent alors le professeur Jar Jar Binns, qui les observait de ses affreux yeux jaunes avec une expression menaçante. Méfiante, Kelly se rapprocha du professeur Dumbledore, comme pour faire face ensemble au professeur d’histoire de la magie. Le vieux directeur demanda d’un ton diplomate mais où perçait une certaine sécheresse :


- Que faites-vous donc par ici, professeur Jar Jar Binns ?


- Quoi, j’ai pas le droit de me balader dans la forêt de mon école ? grogna ce dernier d’un ton grossier.


Dumbledore haussa les sourcils devant la dureté du ton employé par le professeur. Kelly elle-même eut une sorte de hoquet. Jar Jar Binns renifla bruyamment et renchérit :


- C’est plutôt à vous qu’il faut demander ce que vous faites là.


- Je faisais sortir Fumseck, et je suis tombé par hasard sur Kelly qui se promenait également. Depuis, nous discutons.


Jar Jar Binns leva un sourcil et posa son regard sur Kelly. Il la jaugea des pieds à la tête d’un air agacé, et aboya soudain :


- Alors quoi, Powder ? Le directeur a pourtant dit qu’il était interdit aux élèves d’importuner le professeur Dumbledore !


- Mais voyons, Kelly ne m’importune aucunement, assura Dumbledore, toujours aussi courtois.


- C’est pas à vous que je cause ! beugla le pseudo-historien.


Kelly eut un mouvement de recul, interdite. Elle ne comprenait pas pourquoi Jar Jar Binns était aussi agressif. Elle avait déjà remarqué sa froideur envers Dumbledore au cours des derniers jours, mais en ce moment, c’était de la haine pure et simple qu’il manifestait. Qu’est-ce qui lui prenait, à envoyer paître leur hôte de la sorte ? Sans donner un quelconque indice sur l’origine de son animosité, le professeur aux longues moustaches questionna Kelly avec mauvaise humeur :


- Qu’est-ce que tu peux bien avoir à lui dire, d’abord ?


- Et bien… nous parlions de ma vie de tous les jours… de mes cours, mes soucis… répondit Kelly d’un ton évasif.


Jar Jar Binns ricana et croassa d’un ton railleur à Dumbledore :


- Alors, vous êtes assistant social, maintenant ? Ça vous pèse tant que ça, le chômage ?


- Il faut bien que quelqu’un fasse votre travail, répliqua Dumbledore d’un ton glacial.


- Mon travail ? s’étrangla Jar Jar Binns.


- Exactement. Vous, un professeur de cette école, devriez vous demander pourquoi vos propres élèves trouvent en moi le confident qu’ils ne trouvent pas en vous et que vous devriez être.


Les yeux de Jar Jar Binns étaient tellement exorbités qu’ils menaçaient à chaque instant de sauter de leurs cavités. Kelly lut sur son visage qu’il mourait d’envie de jeter des maléfices à Dumbledore. Profondément énervée contre son professeur, elle espéra même qu’il allait passer aux actes, histoire que le professeur Dumbledore lui donne une bonne correction… Mais Jar Jar Binns se contenta de pousser une exclamation hargneuse et de cracher par terre, avant de grogner dans sa barbe :


- C’est toujours pareil avec vous, Dumbledore… Vous vous êtes toujours mêlé de tout… toujours à ramener votre science, à intervenir quand on ne vous a pas sonné...


À ces mots énigmatiques, il lui tourna inélégamment le dos et s’en retourna vers Lettockar. En chemin, il brailla par-dessus son épaule à l’intention de Kelly :


- Et toi, dépêche-toi de rentrer si tu ne veux pas te prendre un pied au cul !


Il disparut parmi les arbres, marchant bruyamment et insultant au passage les animaux qu’il rencontrait. Une fois qu’il fut hors de portée, Kelly souffla des narines et gronda d’une voix irritée :


- C’est quoi son problème, à celui-là ?


- Je l’ignore, dit Dumbledore d’un ton pensif, mais il a toujours été comme ça en ma présence. De tous vos professeurs, c’est le plus hostile envers moi – ce qui n’est pas peu dire. Je me demande bien ce que je lui ai fait…


- Laissez tomber, c’est un trou du cul, bougonna Kelly.


Dumbledore se figea, la regarda d’un air interloqué, puis pouffa de rire.


- C’est une façon de voir les choses. En attendant, Kelly, ne t’attire pas inutilement des ennuis : file. Si je ne te revois pas avant mon départ, je te souhaite bonne continuation et ainsi que tous mes vœux de réussite.


Il plongea ses mains dans les grandes manches de sa robe et s’inclina légèrement. Kelly était déjà triste de devoir le quitter. Elle regarda ses pieds quelques instants, se balançant d’avant en arrière, puis prit une grande inspiration, releva ses yeux vairons vers Dumbledore et lui demanda d’une petite voix :


- Vous reviendrez me voir, hein ?


Dumbledore plissa imperceptiblement les yeux. Il avait noté que Kelly n’avait pas dit « nous voir », mais « me voir ». Et cette phrase n’était pas sortie par erreur de sa bouche : elle l’avait formulée ainsi délibérément. Kelly voulait être absolument sûre que Dumbledore avait conscience de ce qu’il représentait, de ce que sa présence lui apportait, à elle, personnellement. Le vieillard eut un dernier sourire chaleureux, posa sa main aux longs doigts sur la tête de Kelly et lui murmura :


- Je te le promets.


Là-haut, dans les cieux, Fumseck se remit à chanter.

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