Lettockar, tome 2 : La Cour des Mirages

Chapitre 22 : Les runes d'Imène

4494 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/06/2023 20:01

22. Les runes d’Imène


Comme il l’avait dit, le professeur Dumbledore avait quitté Lettockar le soir même après le match. Il s’était éclipsé après le dîner en compagnie de Doubledose. Kelly avait beau s’y être préparée, à peine était-il parti qu’elle avait déjà senti une impression de vide, tout comme John qui n’avait pas pu lui dire au revoir. Naomi avait aussi ses raisons d’être déçue : le vénérable sorcier était parti avant son anniversaire. Le lundi suivant, elle avait 13 ans ; et hélas, à Dragondebronze, cet événement était quelque peu éclipsé par la gloire de Gudrun, vedette de la victoire de leur maison à la Coupe de Crève-Ball qui croulait encore sous les compliments et les félicitations.


Kelly avait offert à Naomi une plume à écrire magique qui produisait automatiquement de l’encre ; John, soucieux de corriger son image après avoir raté l’anniversaire de Kelly, lui avait déclaré à la première heure vouloir lui faire le plus beau des cadeaux. Il leur avait donc donné rendez-vous après les cours au premier étage, à proximité de la salle d’histoire de la magie, « mais pas trop près de la porte quand même ». Lorsqu’elles s’y rendirent, elles ne virent pas John : par contre, elles découvrirent avec surprise qu’un papier était accroché à la poignée.


Quelques instants plus tard, le professeur Jar Jar Binns arriva, une serviette à la main. Naomi et Kelly l’observèrent attentivement tout en tâchant de rester discrètes au milieu des autres élèves présents. Il s’apprêta à entrer dans sa classe, lors qu’il aperçut le bout de papier. Étonné, il s’en saisit et le lut. Aussitôt, il émit un ricanement sonore.


- « Attention, au-dessus de vous » ! Pitoyable. Comme si j’allais me laisser avoir par un piège aussi grossier…


Et pourtant, s’il l’avait fait, il aurait évité la catastrophe : à ce moment-là, une énorme Bombabouse chuta soudainement du plafond et s’écrasa sur sa tête. Le professeur maculé de merde poussa un cri furieux, et tous les élèves aux alentours se retournèrent. Il y eut alors une vague de rires moqueurs et de mines réjouies. Kelly chercha John des yeux dans le couloir, et l’aperçut surgissant de derrière une statue en cachant précipitamment sa baguette magique dans sa poche. Il se fondit dans la foule et prit un air surpris. Hors de lui, Jar Jar Binns brailla à la cantonade :


- Mille milliards de gargouilles galopantes, si j’attrape l’enfoiré qui m’a fait ça, je le donne à bouffer à la Kagoule !


Les élèves, édifiés, restèrent silencieux. Kelly et Naomi s’efforcèrent d’avoir l’air aussi stupéfaites que possible, bien que Naomi peinait à dissimuler son expression extatique en voyant le professeur qu’elle méprisait le plus couvert de bouse. Kelly aurait beaucoup aimé que Dumbledore voie ça. Tout à coup, entre deux quintes de jurons de Jar Jar Binns, on entendit s’élever la voix du professeur Grog. En effet, il se promenait dans le couloir en compagnie de Pavel.


- Tu comprends Pavel : j’ai un grand cœur, mais il suffit pas d’avoir des flotteurs comme ceux de Nosfylna pour me faire perdre la tête, bavassait-il gaiement. Faut avoir les pêches qui vont avec, ha ha ! Non je déconne. Plus sérieusement, je… par le string de la fée Morgane, Jar Jar, qu’est-ce qui t’est arrivé ?


- Tu vois bien, non ? grogna Jar Jar Binns. Une petite saloperie m’a fait un piège à la Bombabouse y’a pas une minute !


Grog le regarda d’un air incrédule, puis explosa de rire. Secoué par sa propre hilarité, il s’appuya sur l’épaule de Pavel, lequel se bornait à sourire. Le préfet jeta toutefois un drôle de regard à Naomi et Kelly.


- Oui bon ça va ! protesta Jar Jar Binns. Purée, j’en ai plein les cheveux…


- C’est bien fait, j’ai toujours dit que c’était nul les cheveux longs, ça fait tantouze ! le railla Grog.


- Mais fais quelque chose au lieu de te moquer de moi, connard ! Je vais quand même pas rester avec ce shampooing à la merde !


- Bon, bon, pas la peine de s’énerver ! Suis-moi, j’dois avoir de quoi t’enlever ça dans ma réserve. Pavel, tu veux venir avec nous ?


- J’aimerais bien me poser dans la salle commune, si ça vous dérange pas, professeur Grog, répondit Pavel. En plus, je dois aider Mercedes à faire ses devoirs…


- « Faire ses devoirs », hein ? répéta Grog en souriant. Dis donc vieux cochon, elle est pas un peu jeune pour toi ?


Le directeur de Becdeperroquet fit un clin d’œil à son préfet, puis il prit la direction des cachots avec Jar Jar Binns, qui regardait chaque élève d’un air soupçonneux. Pavel attendit que les deux crétins soient hors de vue pour s’approcher de Kelly et Naomi.


- Bon, les filles, c’était amusant, mais faites attention quand même, un jour vous allez vraiment vous faire gauler.


- Hmmm ? Mais de quoi tu parles, Pavel ? demanda Naomi d’un ton léger.


- Sérieusement ? Vous avez l’air tellement innocentes que ça crève les yeux que c’est vous qui avez fait le coup de la Bombabouse à Jar Jar Binns.


- Mais c’est vrai qu’on est innocentes, c’est pas nous qui avons fait ça : c’est John, dit Kelly en désignant ce dernier qui arrivait vers eux.


- Ooooh, bah oui pardon, ça change tout évidemment ! s’exclama Pavel en levant les bras au ciel, l’air exaspéré.


- Alors Naomi, heureuse ? lança John.


- Oui John. Tu as réussi ton pari, pour moi c’était le plus beau des cadeaux.


Kelly trouvait que c’était manquer un peu de considération pour son cadeau à elle, surtout au vu de l’odeur nauséabonde qu’avait répandu la petite farce de John. Elle regarda Pavel. Il avait abandonné son air agacé pour paraître soudain intrigué…


- C’est ton anniversaire, Naomi ? demanda-t-il à mi-voix.


- Eh oui, elle a enfin six ans ! répondit John.


- Très drôle John, rappelle-moi, qui c’est qui vient de faire un attentat au caca à treize ans ? répliqua Naomi.


Tandis que John et Naomi se vannaient, Kelly continuait d’observer Pavel. Il se grattait le menton, pensif. Au bout d’un moment, il prit une grande inspiration, puis se pencha vers le trio et chuchota :


- Bon… je ne suis pas censé faire ça, mais je vais te faire un cadeau, moi aussi.


- Un cadeau ? Vraiment ? Oh Pavel, t’es pas obligé...


- Ooooh si, fais-moi confiance. Pour cela, il faut qu’on se rende à la salle commune de Becdeperroquet. John, Kelly, vous devriez venir aussi.


A ces mots, Pavel alla vers les escaliers. Déconcertés, Kelly, John et Naomi se regardèrent brièvement, puis le suivirent.


Les quartiers de Becdeperroquet se trouvaient au sous-sol, après la salle des potions et les cachots. Kelly, John et Naomi ne s’étaient jamais aventurés dans le coin. Quand ils arrivèrent dans l’antichambre de la salle commune, ils virent qu’une poignée d’élèves piétinait devant, phénomène qui ne rappelait que trop bien à Kelly les embouteillages qu’on trouvait devant le tableau des Istari.


- Anthropopithèque ! cria quelqu’un à la tête de la file.


- La bibliothèque ? s’exclama une voix haut perchée. Mais ça n’est pas du tout ici, la bibliothèque ! Vous devez vous rendre au deuxième étage.


Celui qui avait donné le mot de passe lâcha un râle courroucé. Kelly s’approcha pour voir le portrait-gardien. C’était un homme bizarre, tout vêtu de vert avec un chapeau melon. Il avait des lunettes rondes, une barbiche noire en pointe et un crâne allongé...


- Mais… c’est le professeur Calculus ! s’exclama-t-elle.


- Non, Tournesol, rectifia celui-ci. Tryphon Tournesol.


- Mais comment il s’est retrouvé là ? demanda Naomi.


- C’est Grog qui l’a désigné comme gardien, il adore Tintin… expliqua Pavel. D’ailleurs, les mots de passe, ce sont les insultes du Capitaine Haddock.


- An-thro-po-pi-thèque ! cria une fille.


- Mais, saperlipopette ! s’étrangla le professeur Tournesol. Allez-vous cesser de m’ennuyer avec la bibliothèque ? Je vous ai dit qu’elle était au deuxième étage !


Pavel soupira et dit à Naomi :


- Bon, Naomi, crie-lui n’importe quoi qui finisse en « èque ».


- Hein ? Ah ! Euh, ben… saucisson sec ?


- Aaaah, enfin quelqu’un qui s’en rappelle ! se réjouit Tournesol. Vous pouvez entrer.


Le tableau pivota et fit apparaître l’ouverture vers la salle commune. Les élèves s’y engouffrèrent en toute hâte.


- Allez, restez optimistes ! intima Pavel à ses camarades dépités. Le professeur Grog nous a promis que si Becdeperroquet gagnait la Fève des Quatre Maisons cette année, il ferait peindre son cornet acoustique.


La salle commune de Becdeperroquet était plus sombre que celle de Dragondebronze. Elle consistait en un endroit long et tortueux, dont les rares fenêtres montraient un extérieur artificiel. Les rideaux, les tentures et les tapis étaient d’un rouge vif, couleur de la maison. La journée touchant à sa fin, il y avait pas mal de monde qui s’y détendait. Kelly chuchota tout bas à Pavel :


- Ça dérange personne qu’on soit dans votre salle commune alors qu’on est à Dragondebronze ?


- Penses-tu, vous êtes loin d’être les premiers, la salle commune de Becdeperroquet est une vraie passoire. Tournesol laisse entrer n’importe qui, suffit de sortir n’importe quoi comme mot de passe et il vous ouvre. Alors…


- Ouais, mais si on tombe sur Grog…


- Grog ? rit Pavel. Au contraire, ça l’arrange, ça fait plus de nanas qui viennent.


- Ahem… toussota John pour rappeler sa présence.


- Ha ha, désolé petit. Bon allez, suivez-moi, on a pas de temps à perdre.


- Et Meche ? Tu as dit que tu devais l’aider dans ses devoirs… rappela Kelly.


- Non, non, c’était des craques. J’ai une tâche bien plus importante à accomplir. Y’a pas grand-monde dans la salle commune, je voudrais en profiter, on a moins de risque d’être vus.


- D’être vus où ?


Pavel ne répondit pas. Il les emmena dans une allée entre les dortoirs des filles et des garçons, puis dans une discrète artère à côté d’une statuette de perroquet, puis dans une autre couloir, encore plus obscur que le reste du bâtiment. Il s’arrêta devant un morceau de mur entouré par deux boucliers turquoises, mais tout à fait ordinaire en lui-même. Il sortit sa baguette magique et donna un petit coup dessus.


- Alohomora !


Sous les yeux étonnés des trois Dragondebronze, et un morceau du mur de la taille d’une porte recula et glissa sur le côté comme une porte coulissante, révélant un corridor. Kelly était surprise que Pavel ait pensé à utiliser un sortilège d’Ouverture alors qu’il n’y avait aucune trace, aucun quelconque indice, sur la présence d’un passage secret derrière ce mur parfaitement ordinaire.


- C’est Peter qui m’a indiqué ce passage tout à l’heure, expliqua Pavel en voyant leur air déconcerté. Un jour, j’ai vu Josette la Dyslexique se cogner contre ce pan de mur alors qu’elle essayait de passer au travers… à l’époque je n’avais pas compris, et pourtant ça aurait dû me sauter aux yeux : cet endroit a été ensorcelé pour que les fantômes ne puissent pas y passer.


- Mais qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? demanda Kelly.


- Je ne sais pas, je découvre en même temps que vous, répondit Pavel.


Kelly, John et Naomi étaient déboussolés. Ils ne comprenaient pas ce qu’était « cet endroit » et encore moins ce que Pavel voulait y faire. Néanmoins, ils s’y engouffrèrent, et le mur se referma derrière eux. Ils découvrirent un peu plus loin un escalier en colimaçon descendant dans l’obscurité. Pavel passa les premières marches, puis alluma le bout de sa baguette d’un Lumos et prévint :


- Je ne pense pas qu’il y ait du danger, mais dans le doute, sortez vos baguettes et restez près de moi. Et si ça dégénère, fuyez : surtout ne m’attendez pas.


- On a pas peur, Pavel, assura John. Les catacombes, ça nous connaît.


Naomi ne semblait pas du même avis, mais elle ne dit rien. Ils descendirent donc tous les quatre l’escalier entortillé avec prudence. Pavel restait serein, quoique apparemment excité : il marchait à un rythme vif, pressé, que les trois jeunes eurent du mal à suivre. A un moment, ils le perdirent même de vue. Ils ne le retrouvèrent qu’à la toute fin de l’escalier, au bout duquel s’étendait une galerie obscure. Pavel s’était arrêté. Inquiets, Kelly, John et Naomi ralentirent le pas. Ils regardèrent par-dessus l’épaule du préfet et étouffèrent une exclamation en voyant ce qui se trouvait par terre. Des squelettes humains, figés dans une position de reptation, la bouche grande ouverte en une expression d’horreur. Kelly sentit son échine et sa nuque se glacer d’effroi.


- Wow wow wow, c’est quoi cette embrouille ? s’écria John. C’est qui ces deux macchabées ?


- V… venez, on s’en va ! glapit Naomi d’une voix fêlée. Je sais pas ce qu’il y a, mais j’ai pas envie de finir comme eux !


- Calmez-vous, calmez-vous, intervint paisiblement Pavel. Regardez mieux… vous remarquez vraiment rien de bizarre sur ces squelettes ?


Kelly plissa les yeux. Les habits de ces squelettes, qui devaient pourtant être très anciens au vu de leur allure médiévale, n’étaient pas ternis, ne contenaient aucune déchirure, et même aucune trace d’usure…


- Leurs vêtements sont comme neufs… murmura Kelly.


- Exact, dit Pavel. Revelio.


Il y eut une petite flamme au bout de sa baguette. Sous l’effet du sort, les squelettes rétrécirent, et changèrent de couleur et de texture. Il s’agissait en fait de simples pantins de bois métamorphosés. Naomi soupira bruyamment de soulagement, contrairement à John qui affichait une expression détendue, faisant comme s’il n’avait jamais eu peur. Pavel félicita Kelly par un sourire appréciateur. Elle aimait bien son côté pédagogue. Il ferait un bien meilleur professeur que ceux qu’ils avaient, selon elle.


Ils reprirent leur progression dans le souterrain. Tout à coup, à une bifurcation, une barrière magique faite d’énergie écarlate se dressa à leur arrivée. Avant qu’ils aient tenté un quelconque sortilège, une voix de femme s’éleva :


- Je suis innocent, et tout le monde le sait. Et pourtant, pendant 9 mois, j’ai été prisonnier. Qui suis-je ?


Une énigme. Ils se perdirent tous les quatre en pleine réflexion, chacun fixant distraitement un endroit différent de la pièce. Kelly commençait à être fatiguée et n’était guère d’humeur à jouer aux devinettes. Dieu merci, Naomi, fidèle à sa vivacité d’esprit, trouva rapidement la réponse :


- Un bébé !


La barrière magique s’évapora immédiatement, révélant une allée plus large. Naomi sourit avec fierté. Pavel la remercia chaleureusement, et reprit sa marche empressée. Ils marchèrent cinq bonnes minutes, sans que le chef de l’OASIS ne dise quoi que ce soit. John le rattrapa et lui demanda d’un ton passablement énervé :


- Pavel, je t’aime bien, hein, mais nom de nom, tu vas finir par nous dire ce qu’on fout là ?


- John, John, tu n’as donc pas le sens du coup de théâtre ? Il faut savoir savourer le mystère, dans la v…


Pavel fut interrompu au moment où le petit groupe traversa une zone couverte par une brume dorée. Aussitôt, ils se retrouvèrent tous la tête en bas comme des chauves-souris : le décor avait basculé sur lui-même. Le sol avait pris la place du plafond, contre lequel ils menaçaient de tomber la tête la première. Un phénomène que Kelly, John et Naomi avaient déjà connu, très loin d’ici, dans un labyrinthe à Poudlard…


- N’ayez pas peur, je pense qu’il suffit de… commença Pavel.


- On sait, t’inquiète, coupa Kelly.


D’un même mouvement, John, Naomi et elle firent un pas assuré en avant. Dès qu’ils posèrent le pied, le sortilège s’annula : le sol et le plafond revinrent à leur emplacement normal. D’un geste cabotin, John s’épousseta inutilement l’épaule, et Kelly fit craquer ses jointures. Pavel était extrêmement surpris.


- Euh… et bah, très bien.


La brume dorée disparut. Les quatre jeunes sorciers découvrirent qu’ils se trouvaient dans une vaste caverne, grossièrement creusée et hérissée de stalagmites. Et tout près devant eux, sur une petite butte rocheuse, était dressée une antique pierre rectangulaire. Haute de deux mètres, plate et argentée, avec une encoche carrée en haut à gauche, couverte de symboles brillants d’un bleu sombre. La Tablette de L’Oujia.


- Oh putain ! lâcha Naomi, les yeux ronds.


- Putain de merde ! ajouta Kelly.


- Putain de bordel de merde ! renchérit John.


- Le voilà, ton cadeau, Naomi. Je me suis dit que ça te ferait plaisir de faire partie des premiers à voir la Tablette de L’Oujia, s’expliqua Pavel d’un ton affectueux.


- Pavel, c’est… c’est génial ! Je… merci vraiment… balbutia-t-elle.


- Alors, ça valait pas le coup d’attendre, Johnny-boy ? lança Pavel en esquissant un rictus.


- Eh ! Kelly, dis-lui de pas m’appeler comme ça.


- Tu rigoles ? gloussa-t-elle. Bon, Pavel, tu nous expliques comment tu as trouvé l’emplacement de la Tablette ?


- Grâce à la Boule de Curcumo, Peter a découvert hier qu’elle était dans la salle commune de Becdeperroquet. On a préféré pas vous le dire tout de suite, pour garder le myst… pardon, j’arrête. Il a juste fallu attendre aujourd’hui pour que Peter localise le passage secret qui y mène. Dès qu’il m’a transmis l’info, j’ai voulu m’y rendre immédiatement, mais pas de chance, je suis tombé sur Grog et il a tout de suite voulu tailler une bavette. Finalement, votre piège à Jar Jar Binns est bien tombé : vous m’avez aidé à m’en débarrasser…


Il admira la Tablette d’un air émerveillé et l’effleura de ses doigts.


- Elle était juste là, sous nos pieds… et dire qu’on cherchait dans les montagnes, près de la mer, et même au Maroc…


Il recula de quelques pas, un grand sourire aux lèvres. Kelly, John et Naomi s’approchèrent, absolument radieux. Toutes ces semaines d’efforts et de recherche, enfin récompensés ! Ils examinèrent plus attentivement les symboles bleutés gravés sur la Tablette qui leur paraissait magnifique. Trois paragraphes égaux étaient inscrits, mais Kelly n’y comprit goutte. Elle n’avait jamais vu cette écriture.


- C’est quoi, ces gribouillis ? s’interrogea John.


- C’est de l’arabe, non ? dit Kelly.


- Kelly, t’es sérieuse ? maugréa Naomi, incrédule. Tu trouves que ça, ça ressemble à de l’arabe ?


- Euh… non mais… c’est-à-dire que…


- Ce sont des runes nordiques, coupa sèchement Naomi.


- Des runes nordiques ? Ça n’a pas de sens, Lalaoud était berbère…


- Bah, elle était hyperpolyglotte, non ? dit John. Elle savait sans doute écrire en runes. Au contraire, c’est très futé, elle a fait ça pour que ça soit illisible pour les élèves.


Cette dernière phrase arracha à Naomi un froncement de sourcils interloqué.


- Mais attendez, comment ça se fait qu’on arrive pas à les lire ? Avec le sortilège Traducteur, on devrait lire ça comme si c’était en alphabet latin, non ?


- Il est en panne, le fourbi ? supposa John.


- Non, lui répondit Pavel. Je pense que ça n’est pas un hasard si le sortilège Traducteur ne s’applique pas à la Tablette de L’Oujia…


- Comment ça ?


- A votre avis, pourquoi il n’y a pas de cours d’Étude des Runes à Lettockar ?


Les trois apprentis sorciers se raidirent de stupeur devant cette révélation. Ils avaient entendu parler de cette matière qui étaient enseignée dans d’autres écoles… mais ils avaient mis son absence à Lettockar sur le compte de l’incompétence de cette école…


- Alors c’est foutu, on la déchiffrera jamais ! se désola Naomi avec rage.


- Peut-être que si on trouvait un dictionnaire… suggéra Kelly.


- Si les cours d’Étude des Runes ont été interdits, alors il n’existe sans doute aucun manuel à la bibliothèque, rétorqua Naomi.


Pour elle, qu’il existe un mystère qu’on ne puisse pas résoudre à l’aide d’un livre constituait le pire des sacrilèges. Kelly et John partageaient sa déception et se voyaient déjà repartir les bras ballants annoncer la mauvaise nouvelle au reste de l’OASIS. En revanche, Pavel souriait toujours. Kelly se demandait bien ce qui pouvait maintenir cette bonne humeur...


- Pas si vite, les enfants, dit-il enfin. Certes l’Étude des Runes a été interdite à Lettockar, mais ils n’avaient pas prévu qu’il y aurait un jour à un écolier élevé par un couple de connards fascinés par le néo-paganisme et les cultures nordiques et qui l’ont assommé avec.


Les trois Dragondebronze ne comprirent pas tout de suite. Peu à peu, leurs visages se muèrent en une expression abasourdie. Kelly rompit le silence béat :


- P… Pavel, tu peux lire cette tablette ?


- Eh ouais. Ça va pas être aussi facile que de lire la recette des pâtes au beurre, mais je pense y arriver. Naomi, tu veux bien prendre des notes ?


Déconcertée, Naomi sortit maladroitement de son sac des parchemins et sa plume enchantée (qui tombait merveilleusement bien, se dit Kelly). Les yeux doux de Pavel parcoururent lentement la première ligne. Puis, sa bouche parut s’ouvrir toute seule. Il commença à parler, sans que son regard ne dévie un seul instant de la tablette. Chacune de ses phrases s’accompagnait du crissement véloce de la plume de Naomi sur son parchemin. Pavel déchiffra patiemment les runes, s’arrêtant régulièrement, butant sur certains mots, mais il vint tout de même à bout du texte ancestral. Kelly et John se tinrent en retrait, tendus, ne retenant qu’à moitié ce texte haché. Enfin, Pavel se tut. Quelques secondes plus tard, la plume de Naomi s’arrêta de gratter. Durant un bref moment, il ne se passa rien : les quatre jeunes sorciers restèrent immobiles et silencieux sous la solennité de l’instant. Puis, Naomi leur montra la copie fidèle de ce qui s’avérait être un vieux poème. La Tablette de L’Oujia disait ceci :


Toi qui lis ce message, et convoite mon trésor,

Si tu ne crains ni la soif, ni le sable, ni la mort,

Marche vers le nord après l’arcade blanche du désert.

Dans le creux d’un ravin repose dans mon sanctuaire,

Trois lieues à l’occident de l’effigie du Croup,

La Cuillère avec laquelle jamais on ne soupe.


Parle à la stèle qui marque l’entrée de mon empire :

En toute politesse, demande-lui de t’ouvrir.

Mais si l’héritage des Mal-Nés tu veux faire tien,

Ambitieux magicien, tout seul tu n’iras point .

Par quatre enchanteurs l’école secrète fut fondée,

Alors seulement par quatre les sorciers peuvent entrer.


Mais il ne suffira pas de vaincre un désert.

Aussi chère que ma baguette me fut la Cuillère.

Si tu penses obtenir dans mon temple interdit

Sans efforts la Relique qui lit dans les esprits,

Que tu sois prévenu, chapardeur bien trop fier.

C’est bien plus qu’une cuillère que tu laisserais derrière…


Naomi rangea précieusement ses parchemins. Kelly devina qu’ils seraient bientôt affichés bien en évidence sur les murs de la Cour des Mirages. Pavel était extasié.


- C’est splendide… on a tout ! Toutes les réponses à nos questions, toutes les indications qui nous manquaient. La Cuillère d’Imène Lalaoud sera bientôt à nous !


- Imène nous y mène, murmura John d’une fausse voix éthérée.


- Dites, intervint Naomi, la fin est pas rassurante quand même… Lalaoud nous menace ouvertement !


- Naomi, tu penses bien qu’après avoir dû affronter un monstre marin de quarante tonnes, il suffira pas de se pencher en avant pour récupérer une autre Relique de fondateur ? répliqua Pavel, toujours joyeux. Mais t’inquiète pas, on va tout bien préparer. On réunit l’OASIS tout de suite. Oh, et hum… s’il vous plaît, ne dites à personne que c’est grâce à ce que m’ont transmis mes parents que j’ai pu déchiffrer la Tablette. Je me sens suffisamment sale comme ça…


Laisser un commentaire ?