Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 4 : Chez les Goyle

4294 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/03/2023 18:07

Chez les Goyle



Dans la volière, Narcissa confia la lettre à un hibou robuste du nom d'Arcadir, qui s'envola aussitôt vers la Colline d'Émeraude. Elle savait que les hiboux des Malefoy étaient tous efficaces et parfaitement dressés ; elle n'avait donc aucun doute sur le fait que son courrier arriverait rapidement à destination.

Cependant, depuis qu'Abraxas Malefoy se servait de son fils comme d'un hibou, Arcadir et ses compagnons, désœuvrés, s'étaient laissé aller à la paresse et à la gourmandise, et ne pensaient qu'à manger du Miamhibou tout le jour durant. Arcadir, qui, quelques mois auparavant, aurait pu se vanter de pouvoir traverser le Royaume-Uni en une seule journée, traînait de l'aile malgré le faible poids de la lettre que Narcissa lui avait confiée ; il dut renoncer à atteindre Londres avant la nuit tombée et s'endormit dans un arbre qui se trouvait sur son chemin.

Le lendemain, il se remit en route, affamé et fatigué par sa nuit humide. Tout en battant des ailes, le hibou pestait intérieurement contre ses conditions de travail déplorables. Et pour commencer, est-ce que livrer une lettre de cette Narcissa était vraiment un travail digne d'un hibou grand-duc comme lui, le favori d'Abraxas Malefoy, qui avait toujours mené à bon port ses lettres les plus confidentielles ?

Oh oui, Arcadir était certainement un des hiboux les plus rapides et les plus fiables qu'on puisse trouver... Il n'était pas comme ces étourdis de Durmstrang, par exemple, qui avaient perdu la précieuse lettre d'admission destinée à Lucius... Quelle honte ! pensa Arcadir. Il se souvenait encore de la terrible colère d'Abraxas Malefoy, cet été-là, une colère qui grandissait chaque fois que la nuit tombait, à mesure qu'on se rapprochait de la première rentrée de son fils, et que la lettre n'arrivait pas... Tout ça pour recevoir, trois jours après ladite rentrée, une lamentable lettre d'excuses de Durmstrang racontant que la chevêchette brune qui leur apportait la lettre d'admission avait été attaquée par un énorme volatile... Fadaises ! Il fallait s'y attendre, pensa Arcadir. On n'avait pas idée de se fier à des chevêchettes brunes ! Non, les hiboux grand-duc, comme lui, étaient les seuls qui soient réellement fiables...

Tout en ruminant ces présomptueuses pensées, Arcadir arriva aux alentours de Londres en milieu de journée. Depuis le ciel, il repéra immédiatement la Colline d'Émeraude, jolie oasis de verdure au milieu de la grisaille londonienne. Il descendit rapidement, survola la grande maison blanche qui avait jadis appartenu à la famille Black ; il remonta en altitude pour s'éloigner des deux pitbulls des Crabbe qui s'étaient mis à aboyer furieusement en le voyant passer ; il survola ensuite la splendide roseraie des Rosier, la maison en forme de harpe des Selwyn, puis celle des Parkinson, couverte de miroirs étincelants ; et enfin, il se dirigea droit sur la maison des Goyle, la plus grande de toutes, située au sommet de la Colline, lançant ses tourelles biscornues et multicolores vers le ciel. Essoufflé, Arcadir fit une halte sur le rebord d'une de leurs fenêtres et chercha Daisy dans l'immense jardin rempli d'animaux.

Depuis son poste d'observation, Arcadir pouvait admirer l'ensemble de la propriété. Derrière la maison, le jardin luxuriant recouvrait toute la pente de la Colline d'Émeraude ; il était parcouru de sentiers ombragés qui serpentaient entre les grottes obscures, les arbres centenaires, les imposants blocs de pierre et les petits étangs marécageux. Les premiers animaux qui sautaient aux yeux étaient les plus gros : deux énormes mammifères au pelage violet et duveteux, pourvus d'une étonnante crinière rose et de trompes spiralées qui leur permettaient de s'abreuver au bord d'un étang. Plus proches de la maison, des mouches grosses comme des bœufs broutaient le gazon, faisant étinceler dans la lumière leurs éblouissantes ailes en or massif et le duvet chatoyant qui recouvrait leur postérieur.

Arcadir regarda un peu plus haut, et plissa les yeux avec méfiance en voyant les nombreux oiseaux multicolores perchés sur les arbres centenaires. Ah, les Barbacardes, avec leur plumage bariolé, leurs trois paires d'ailes et leurs chants mélodieux... Ils faisaient les fiers du haut de leur arbre, mais ils n'étaient que des fanfarons sans aucune robustesse ! Et heureusement, ils ne prêtaient aucune attention à Arcadir : ils étaient trop occupés à esquiver les Ravluks ailés qui s'amusaient à leur voler dans les plumes.

Exaspéré par le spectacle de tous ces animaux oisifs, Arcadir se concentra sur la recherche de Daisy Goyle. Il aperçut Vera, sa mère, avec sa longue tresse de cheveux cuivrés, en train de donner des gallions à manger aux mouches géantes. Il y avait également Fergus Goyle, son mari, un petit homme au ventre rond, au crâne dégarni et à la mine toujours joyeuse, face à un chevalet en bois, en train de peindre un Arbre Nuage qui étendait vers le ciel son feuillage blanc et cotonneux. Daisy, en revanche, n'était pas dans le jardin.

Alors qu'Arcadir s'apprêtait à prendre à nouveau son envol pour faire le tour de la maison, la fenêtre qui se trouvait derrière lui s'ouvrit, et une jeune femme aux pommettes saillantes et au front extraordinairement large apparut. Avant qu'Arcadir n'ait le temps de réagir, la jeune femme le saisit fermement par le cou et lui arracha ladite lettre, avant de lui claquer la fenêtre au bec sans lui donner la moindre récompense. Furieux, Arcadir se laissa planer jusqu'aux herbes hautes qui envahissaient le jardin des Goyle, et se posa sur le chevalet de Fergus pour réclamer ne serait-ce qu'une poignée de Miamhibou. Celui-ci poussa une exclamation joyeuse :

– Oh ! Superbe ! Regarde un peu, Vera chérie, voilà un oiseau qui sait apprécier la peinture !

Ravi d'être acclamé de la sorte, Arcadir gonfla son plumage gris perle, déploya ses ailes et ouvrit grand le bec pour recevoir sa récompense ; mais Fergus Goyle se contenta de tremper son pinceau dans de la peinture orange et d'écraser ses poils gluants sur le bec d'Arcadir.

– Voilà pour toi, mon petit ! Un peu de couleur dans ta vie ! s'exclama Fergus Goyle, radieux.

Et il regarda le bec orange du hibou avec une immense fierté. Une fois remis de sa surprise, Arcadir émit un sifflement furieux, déploya ses ailes et s'envola en faisant tomber dans l'herbe la toile de Fergus Goyle.

– Coller de l'herbe sur ma peinture ! s'émerveilla Fergus. Quelle audace ! Je n'y avais jamais songé moi-même... Merci, gracieux volatile !

Arcadir siffla de nouveau en passant au-dessus de Vera, qui regardait la fenêtre de son salon avec une expression soupçonneuse, et il s'envola vers l'horizon en pestant contre cette maudite époque où les hiboux n'étaient plus traités dignement.

 

Malheureusement pour lui, lorsque ce pauvre Arcadir s'était posé sur le rebord de la fenêtre, il ne s'était pas douté que derrière la vitre se trouvait une personne qui aimait beaucoup se mêler de ce qui ne la regardait pas.

Quelques minutes avant l'arrivée d'Arcadir, donc, dans le salon désordonné des Goyle, Carla était assise à côté de la fenêtre, les bras croisés, et s'adonnait à une activité dont elle était particulièrement friande : fulminer. N'importe quel prétexte était bon à prendre : à la moindre contrariété, elle s'installait dans un endroit où on pourrait la remarquer, croisait ses bras sur sa poitrine et prenait une expression boudeuse qui signifiait : « Regardez-moi, je souffre terriblement ! »

Ce jour-là, Carla fulminait justement à propos d'un de ses sujets de prédilection : le désordre qui régnait dans la maison des Goyle. Car si la jeune femme convoitait depuis longtemps cette maison pour sa grandeur démesurée et sa position haut placée sur la Colline d'Émeraude, elle se serait volontiers passée de son contenu.

Dans le salon des Goyle, donc, comme dans toutes les autres pièces de la maison, chaque espace disponible était occupé par des animaux magiques ou par ce qui se rapportait à leur étude, à tel point que la cheminée mauve et bancale qui se trouvait au fond de la pièce était à peine visible depuis la fenêtre. Partout, des tarentules géantes de couleurs variables se promenaient sur les murs ; des chenilles grosses comme des avant-bras rampaient sur les rebords des fenêtres ; des casques de scaphandre remplis d'insectes reposaient sur une table en carapace de tortue ; le canapé et les fauteuils étaient occupés par des œufs de couleur, de forme et de taille diverses, ou par des bocaux de salive et d'excréments que Vera et Fergus Goyle conservaient précieusement pour en étudier les propriétés. Pour arranger le tout, un ravluk – un de ces petits singes verts, ailés et malicieux qui accéléraient la croissance des végétaux qui se trouvaient à leur portée – avait réussi à rentrer dans la maison et fouillait dans le désordre à la recherche de nourriture, éparpillant sur son passage des Veracrasse mutants et des œufs écrasés.

Le seul espace vide se trouvait au milieu de la pièce, en raison de la vente d'un énorme crâne de dragon aux Crabbe, seule victoire dont Carla pouvait se féliciter depuis son mariage avec Edgar Goyle.

Lassée de ruminer à propos du désordre ambiant, Carla fit rapidement dériver ses pensées vers le jour de son mariage avec Edgar, qui avait eu lieu un mois auparavant. Bien que la cérémonie ait été très réussie, les invités n'avaient qu'un seul sujet de conversation à la bouche : les dragons. Tout comme Carla, les invités pensaient voir Vera en offrir un à Edgar, et avaient scruté le ciel pendant toute la cérémonie, s'attendant à voir surgir à tout instant une des gigantesques créatures. Lorsqu'Edgar avait répondu avec étonnement qu'il ne souhaitait pas obtenir de dragon, et que sa mère n'avait donc pas l'intention de lui en offrir un, un murmure déçu avait parcouru l'assistance et les invités s'étaient rapidement pressés autour de Narcissa et Daisy pour les bombarder de questions à propos de leurs nouveaux compagnons. Les deux jeunes filles avaient donc été au centre de l'attention toute la journée, et le froid qu'il semblait y avoir entre les deux anciennes camarades de Carla n'avait pas suffi à la consoler de s'être fait voler la vedette.

C'est pourquoi, quand Carla aperçut le hibou grand-duc provenant de chez les Malefoy se poser sur le rebord de la fenêtre du salon pour reprendre son souffle, elle n'hésita pas à se jeter sur lui pour lui arracher la lettre qu'il apportait.

Une fois la fenêtre refermée au bec de l'oiseau furieux, Carla examina l'enveloppe et constata avec plaisir que la lettre était adressée à Daisy.

– Cette lettre va attendre un peu avant d'atteindre sa destinataire, murmura Carla. Je vais d'abord voir ce qu'elle contient...

– Ah, Carla, c'est donc toi qui as si gentiment réceptionné le courrier, dit la voix de Vera Goyle derrière elle.

Le cœur de Carla fit un bond, et par réflexe, elle cacha l'enveloppe bleue derrière son dos. Elle n'avait pas entendu Vera entrer : celle-ci était postée près de la porte du salon, accoudée à une pioche magique qui lui servait à entretenir son jardin, et regardait sa belle-fille avec un sourire amusé. Sur son épaule, le ravluk Albert s'appliquait à adopter exactement la même attitude que sa maîtresse.

– C'est à moi, grogna Carla.

– Vraiment ? Et qui donc t'envoie des lettres ? Si mes souvenirs sont bons, Juliet Selwyn est la seule personne qui est capable de te supporter, et elle habite la maison voisine.

– Mes correspondances ne vous regardent pas, Vera !

– En effet, en effet. À moins que cette lettre ne nous soit destinée, à moi ou à ma fille, et que tu ne sois en train d'essayer de l'intercepter. Et au vu de la manière dont tu caches l'enveloppe derrière ton dos, j'ai comme un léger doute.

Carla serra l'enveloppe dans sa main, bien décidée à résister si Vera essayait de s'en emparer. Mais Vera ne semblait pas vouloir engager la lutte. Elle se contenta de regarder quelque chose qui se trouvait derrière Carla, et de faire un signe de tête dans cette direction.

Quand Carla se retourna, elle se retrouva nez à nez avec une grosse tête d'autruche, dont les yeux noirs et brillants la regardaient fixement.

Elle poussa un cri strident, et, de surprise, elle lâcha l'enveloppe bleue. Avant qu'elle ne tombe au sol, l'autruche attrapa l'enveloppe dans son bec, arrachant au passage un petit morceau de la robe de Carla. Puis ses longues pattes se replièrent sous elle, et l'autruche pris la forme d'une grosse boule de plumes qui roula jusqu'au pieds de Vera en renversant sur son passage des bocaux d'œufs et de salive. Puis ses longues pattes se déplièrent, et l'autruche déposa l'enveloppe bleue dans la main de Vera.

– Merci, Pantruche, sourit Vera en caressant le duvet rose qui recouvrait la tête de l'Autruche Rétractable. Voyons... Miss Daisy Goyle, Sommet de la Colline d'Émeraude, Chambre rose du troisième étage... Aurais-tu changé de prénom, Carla ? Et de chambre ? Je n'en ai pas été avertie.

Sur l'épaule de Vera, Albert feula en direction de Carla, et Pantruche l'imita en émettant un sifflement affreux.

– Ça n'est pas de chance pour toi, claironna Vera, je surveille l'horizon aujourd'hui... Car j'attends un colis !

– Encore un colis ? gémit Carla. Qu'est-ce que c'est, cette fois-ci ? Des limaces mangeuses de chair ? Des castors à dents de sabre ?

– Rien de tout cela. Ce sera une surprise !

– Une surprise ? Oh, misère... Nous n'avons déjà que trop d'animaux dans cette maison ! Nous devrions en vendre, et non en acheter !

– Carla, comme je l'ai déjà dit une bonne centaine de fois, je vendrai ce qu'il me plaira de vendre...

– Mais réfléchissez un peu, nous pourrions en tirer une fortune ! Tenez, vos Dopsidons, qui pondent des œufs d'or... Je me suis renseignée, ils valent le triple de leur poids en Gallions ! Nous serions riches, et sans avoir à nous occuper de ces immondes bestioles !

Vera répondit par un petit rire et un haussement d'épaules.

– Avec le train de vie que tu mènes, ma chère Carla, la somme que nous obtiendrions sera dilapidée en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Mes chers Dopsidons alimentent notre fortune depuis des années, et ça n'est pas près de changer... Même si, j'en conviens, ils sont un peu moins productifs depuis que ce Voldemort...

– Oh ! Par pitié, arrêtez de prononcer ce nom, nous pourrions nous attirer sa colère !

– ...monte en puissance. Toutes ces mauvaises ondes doivent perturber mes petits protégés...

Alors que Vera laissait sa phrase en suspens, Edgar Goyle fit irruption dans la pièce, plongé dans ses pensées. En voyant l'expression exaspérée de Carla, il comprit immédiatement ce qui se passait, et amorça aussitôt un demi-tour vers l'extérieur de la pièce.

– EDGAR ! rugit Carla. Viens ici immédiatement !

Edgar Goyle se figea et obéit, résigné. Carla roula des yeux furieux et fit un signe à son mari – un petit mouvement de tête menaçant et aussi peu subtil que ce dernier.

Les joues d'Edgar Goyle rougirent instantanément. S'il y avait bien quelque chose qu'il détestait davantage que ces confrontations incessantes entre sa femme et sa mère, c'était d'être pris à parti comme il l'était à ce moment précis.

– Maman, euh... Carla voulait bien faire, je t'assure, bafouilla-t-il.

– Permets-moi d'en douter, répliqua sèchement Vera.

– Maman, s'il te plaît... Carla... Carla ne se sent pas chez elle dans cette maison.

– Une maison ? couina Carla. C'est un véritable zoo ! Hier, un ravluk est rentré dans ma chambre et a volé toutes mes broches !

– Oui, Vorax, celui que tu as tenté d'ébouillanter parce qu'il occupait le siège du jardin, répondit placidement Vera.

– Ah ! Vous allez tous me rendre folle ! s'écria Carla en faisant mine de tomber dans les pommes.

Vera Goyle se mit à caresser rêveusement les poils rouges d'une chenille dodue qui se promenait sur l'étagère la plus proche.

– Ma chère Carla, si tu souhaites te trouver un autre domicile qui te conviendrait mieux, je n'y vois aucune objection, dit-elle sans cesser de sourire. Et si tu continues d'intercepter notre courrier, je me ferais un plaisir d'accélérer la procédure.

Et Vera tourna les talons pour mettre fin à la discussion, Albert sur son épaule, mais Carla ajouta perfidement :

– Ah, Vera, j'allais oublier... Edgar a quelque chose à vous dire... À propos de Vous-Savez-Qui, dont vous parliez justement il y a un instant...

Vera se retourna vers son fils, et haussa un sourcil, abandonnant pour quelques instants son assurance joyeuse.

– Il veut rejoindre ses rangs, dit Carla.

Edgar Goyle était devenu écarlate, de la pointe de ses orteils à la racine de ses cheveux.

– Euh... Ça... Ça n'est pas tout à fait ça, ma chérie... Et puis, tu n'étais pas obligée d'en parler maintenant...

– Qu'est-ce que c'est que ces histoires, Edgar ?

Pour la première fois depuis le début de leur conversation, la voix de Vera trembla légèrement.

– Vous avez bien vu le message qu'ils ont fait passer ! cria Carla. Ceux qui le rejoignent seront glorifiés, et les autres, écrasés !

– Ce sont des sottises ! explosa Vera. Voldemort est un dangereux mage noir, certes, mais il est hors de question de céder à la panique ! Et il est – écoute-moi bien, Edgar – il est hors de question que mon fils prenne part à ces atrocités ! Alors vous allez me faire le plaisir d'oublier cette folie des grandeurs, et vous allez faire comme tout le monde : rester tranquille, et attendre les instructions du Ministère !

Carla ouvrit la bouche, mais Vera la fit taire d'un geste sec.

– Plus un mot, Carla ! Et maintenant, sors de cette pièce !

Dès que les grommellements de Carla eurent disparu dans le couloir, Vera se tourna vers Edgar. Il essayait de se faire tout petit, ce qui était particulièrement compliqué en raison de son importante corpulence.

– Tu as épousé une folle, mon fils, constata Vera, dépitée. Je ne l'ai jamais appréciée, mais je dois dire que depuis quelque temps, son orgueil prend de plus en plus de place dans cette maison... Elle te mènera à ta perte, je te l'ai déjà dit : tu ferais mieux de la chasser avant qu'elle ne nous cause du tort !

Edgar secoua vigoureusement la tête et Vera cessa d'insister. Elle était dans une impasse : si elle chassait Carla de sa maison, Edgar s'en irait avec elle, et alors elle perdrait de vue son fils, que malgré sa lenteur d'esprit et sa maladresse, elle aimait de tout son cœur. Mieux valait, même si cela mettait ses nerfs à rude épreuve, supporter la présence de Carla et continuer ainsi à exercer un minimum de contrôle sur leurs activités...

Incapable de raisonner son fils, Vera se résigna à sortir du salon, absolument furieuse, et monta les escaliers qui menaient au troisième étage, où se trouvait la chambre de sa fille Daisy. Chacun de ses pas résonnait avec force dans la maison, car elle écrasait chaque marche avec autant de conviction que s'il s'était agi de Carla elle-même.

Arrivée au troisième étage, elle traversa un couloir tortueux et toqua à la porte peinte en rose de la chambre de sa fille.

– Oui ?

– C'est moi, ma chérie...

– Entre, entre !

Vera poussa la porte, et faillit recevoir un minuscule balai dans l'œil. En réalité, toute la chambre de Daisy contenait une vingtaine de balais miniatures, qui faisaient une dizaine de centimètres et qui voletaient partout dans les airs, en se cognant de temps à autre sur les murs rose vif.

Depuis sa sortie de Poudlard, deux ans plus tôt, Daisy n'avait qu'une idée en tête : innover en matière de balai volant. Le dernier Luminos 3000 avait été une grande déception pour les passionnés de Quidditch : après d'innombrables promesses de vitesse stupéfiante et de maniabilité inédite, le modèle mis en vente était bourré de fautes de fabrications, et les ventes étaient retombées aussi vite qu'elles ne s'étaient envolées.

Daisy, tout comme de nombreux autres jeunes sorciers ambitieux, rêvait de s'emparer du créneau. Elle avait toujours été fascinée par les lois si particulières qui s'appliquaient au vol de balai ; après avoir passé ses ASPIC avec brio, elle avait lu les sept tomes du Traité sur l'aérodynamique des véhicules magiques ; et lorsqu'elle n'aidait pas sa mère à nourrir et à soigner leurs nombreux animaux, elle fabriquait des balais miniatures et tentait de trouver la nouvelle formule ou le nouveau matériau qui ferait la une de Balai-Magazine et qui révolutionnerait le monde du Quidditch.

Pour l'instant, elle n'avait rien trouvé, mais elle ne désespérait pas. Son bureau était recouvert de parchemins remplis de formules compliquées et raturées, ses doigts étaient constellés de tâches d'encre, mais cela ne l'empêchait pas de sourire tranquillement à sa mère, confortablement installée dans une coquille Saint-Jacques géante qui lévitait cinquante centimètres au-dessus du sol et qui lui servait de fauteuil.

Face à sa fille cadette, Vera se détendit immédiatement. Edgar lui causait du souci, mais heureusement, Daisy était une source inépuisable de bonheur et de fierté.

– J'ai du courrier pour toi, dit Vera.

Elle lui tendit l'enveloppe bleue. Elle n'avait plus aucune envie de parler de Carla.

– Je pense qu'il s'agit de Narcissa, dit-elle. Le plumage du hibou qui l'a apporté était bien trop beau pour ne pas appartenir aux Malefoy ! Et regarde, il y a un petit gnome dessiné sur l'enveloppe.

– Cissy ! s'exclama Daisy en déchirant l'enveloppe avec enthousiasme. Oui, tu as raison c'est bien elle. Vraiment, elle est incorrigible ! Depuis des mois, elle ne m'adresse pas la parole à cause de cette histoire avec Andromeda, et maintenant, elle m'écrit comme une fleur, comme si de rien n'était ! Comme s'il ne s'était rien passé !

Vera s'assit à côté de sa fille dans la grosse coquille Saint-Jacques qui lui servait de fauteuil.

– Ne sois pas trop dure avec elle, ma chérie. Lors de son mariage, elle avait perdu sa mère et sa sœur du même coup, moins d'un an auparavant. Tous ces bouleversements ont pu la pousser à commettre des erreurs de jugement. Vois comment elle se comporte avec toi, mais cette lettre ressemble beaucoup à une manière déguisée de te demander pardon.

– Ne t'inquiète pas, Maman, sourit Daisy. De toute façon, il n'y a rien que je ne puisse pas pardonner à Cissy.

Alors que Vera caressait tendrement la joue de sa fille, Carla passa sa tête dans l'embrasure de la porte, l'air plus odieux que jamais. Elle s'approcha lentement de Daisy pour lire par-dessus son épaule, mais celle-ci replia vivement la lettre, sur la défensive.

– Je ne t'ai pas autorisée à entrer, fit remarquer Daisy.

– J'ai entendu qu'il s'agissait de Narcissa, dit Carla d'une voix mielleuse. Je voulais simplement avoir de nouvelles... Après tout, c'est mon amie aussi.

– Elle va très bien, répliqua Daisy. J'irai la voir cette après-midi, et je n'oublierai pas de lui transmettre toute ton affection.

Carla eut un petit rire moqueur.

– Tout de même, quand j'y pense... Narcissa doit être tellement soulagée d'avoir épousé Lucius, après ce qu'Andromeda a fait. Honnêtement, c'était inespéré. Lucius aurait pu épouser quelqu'un de tellement mieux que Narcissa ! Juliet Selwyn, par exemple... Et elle, au moins, ne compte pas de Sang-de-Bourbe dans sa famille !

Daisy fusilla Carla du regard.

– Je n'apprécie pas beaucoup Lucius, mais au moins, il a été assez intelligent pour faire passer son affection pour Narcissa avant les préoccupations stupides dont tu parles, répondit-elle sèchement.

– Hum... Intelligent, je ne sais pas... Mais au moins, leur domaine est ordonné, grimaça Carla en repoussant du bout du pied un énorme Cafardos à crête qui s'intéressait d'un peu trop près à la consistance de ses petits chaussons.

Et, voyant qu'elle ne pourrait leur soutirer aucune information croustillante, Carla s'en alla, et Daisy agita sa baguette vers la porte pour que celle-ci se ferme derrière elle.

– Cette fille est infernale, s'indigna Daisy. Je me demande ce qu'Edgar peut bien lui trouver.

Vera acquiesça, l'air grave.

– Une vraie plaie, en effet... Ton pauvre frère se fait mener par le bout du nez, mais impossible de lui faire entendre raison.

Elles restèrent silencieuses quelques instants, découragées par l'impasse dans laquelle elles se trouvaient. C'est Daisy qui finit par prendre la parole, pour aborder un sujet plus léger.

– Pour cette après-midi, est-ce que je peux emprunter la moto ? Je pense que nous allons rendre visite à nos dragons.

– Mais bien sûr, ma chérie. C'est un excellent choix, ça vous changera les idées...


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