Dollhouse

Chapitre 69 : Consécration

12970 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/10/2025 16:37

Lorsque j’avais ouvert les yeux le lendemain matin, l’odeur de Granger parfumait agréablement les draps qu’elle avait partagés à mes côtés, et pourtant il ne restait rien de la douce chaleur de son corps. Je passai une main gelée sur mes tempes douloureuses, me rappelant vaguement qu’elle s’était relevée quelques heures après que nous nous soyons couchés pour repartir auprès de ses amis. Pas à Poudlard, mais auprès d’eux, là où elle ne serait plus en sécurité nulle part. Je tournais le visage sur ma droite, témoignant de ce lit vide de sa présence. Son oreiller portait encore en son centre la marque creuse de son passage, comme si lui non plus ne voulait pas oublier qu’elle avait été là. Sur le tissu blanc contrastait une mèche de cheveux qui tournait sur elle-même en de longues pirouettes de danseuse de ballet, aussi longue et fine que gracieuse et ronde. Je la saisissais délicatement entre mon pouce et mon index, comme si j’avais peur de la briser. Je ne le sentais presque pas entre mes doigts tant cet unique cheveu était fin. La lumière dorée de ce début d’après-midi qui transperçait ma fenêtre faisait ressortir ses reflets de feu sur le brun profond qui constituait sa base. Je faisais tourner le cheveu entre mes doigts au-dessus de mon visage alors que j’inspirai profondément, laissant les ondulations de cette boucle danser dans des pirouettes en des cercles parfaits.

Outre les sensations désagréables dont j’étais fort familier de la gueule de bois, je sentais un poids trop lourd sur mon poitrail, comme si l’incertitude de sa sécurité dans le futur venait m’écraser de toutes les angoisses que cela réveillait en moi. J’entre-ouvrais mes lèvres pour laisser passer plus d’air dans mes poumons, une tentative vaine de dissiper ce poids en moi. Lorsque j’expirai, la mèche de cheveu vola entre mes doigts. Je détestais la façon dont je me sentais. 

Une part de moi, la plus faible, se languissait déjà de sa présence, de son odeur, de son contact. Du simple fait de la savoir là, tout près de moi. Dans ma maison, dans mon lit, à mes côtés. De pouvoir tendre la main et la toucher, de pouvoir tourner les yeux et la regarder, de pouvoir prêter attention à la douceur de sa voix aux tonalités cassées que j’aimais tant. Cette part de moi en demandait plus. Cette part de moi voulait qu’elle revienne cette nuit, et encore la suivante, et toutes celles d’après. Cette part faible de moi avait mal, mon ventre comme contracté de la savoir loin de moi, et pourtant pas assez loin pour autant. 

Cela était propre à une autre part de moi, celle qui avait le poitrail lourd. Cette part-là était terrifiée, et désirait simplement qu’elle disparaisse. Que je puisse la cacher loin, tellement loin qu’elle ne serait pas même consciente de ce qu’il se passerait sur cette Terre. Que personne ne puisse l’approcher, que personne ne puisse jamais tenir l’un de ses cheveux entre ses doigts comme je le faisais, que personne de mal intentionné ne puisse jamais ne serait-ce que poser les yeux sur elle. Et cette part de moi était absolument horrifiée, écrasée par l’anxiété du futur qu’elle me proposait désormais. Elle serait vue de tous. Tous essayeraient de l’attraper. De la tuer. Cette part de moi aussi, elle avait mal. 

Puis il y en avait une autre, encore différente. Celle-ci était celle qui me permit de sortir de mon lit ce matin-là, parce qu’elle utilisait autant la colère contre Granger que l’amour pour ma famille pour aiguiser son déterminisme. C’était là ma priorité, ma famille. Mes amis qui avaient tout risqué, jusqu’à leurs familles à eux et leurs propres vies pour moi. Pour m’accompagner dans ce cauchemar et s’assurer que je ne serai pas seul à traverser ces ténèbres effroyables. Je le leur devais à eux, d’être inébranlable. Cette part de moi le ressentait au plus profond d’elle, et faisait preuve d’une détermination qui ne laissait que peu de place au doute. En situation de crise, je les choisirai eux. En situation de crise, j’agirai pour eux. Au détriment des autres. De tous les autres. Même à son détriment à elle.  

Et tout cela, ces trois parties de moi et toutes leurs émotions et inquiétudes co-existaient en moi comme une famille dysfonctionnelle forcée de vivre sous le même toit tandis que personne ne s’entendait vraiment avec qui que ce soit. Je soupirai et passai mes mains sur la peau de mon visage que j’étirai. Je savais quelle partie de moi devait emporter la partie, pour autant les autres étaient présentes malgré tout. Je tentais d’organiser mon esprit encore embué, et bien trop fatigué pour le rôle que j’endosserai bientôt officiellement. 

De toute façon elle avait fait son choix, et elle ne changerait pas d’avis. Il nous fallait composer avec désormais. Nous faisions alliance avec elle, cela aussi était un fait, et je ne changerai pas d’avis. C’était là l’unique solution qui laissait un espoir, aussi minime était-il, pour sauver ma famille. Elle pourrait probablement nous rendre visite plus souvent désormais, non plus retenue par les obligations de Poudlard. Nous pourrions l’entraîner plus encore, s’assurer autant que possible qu’elle soit intouchable. Cela pourrait aider une des parties contradictoires à l’intérieur de moi. Mais moi, il me fallait faire tout mon possible pour protéger les miens. Mes sentiments pour elle mettaient cela en danger. Cela n’était plus une option, de les mettre en danger à cause de mon amour pour elle. Il me fallait tenir. Il me fallait être inébranlable. Si le choix venait à se poser entre elle et eux, ce serait eux. Je ne pouvais pas me permettre de plonger plus profondément dans ses bras amoureux, d’y devenir confortable et d’y construire là un nid douillet, elle m’avait enlevé cette possibilité en rejoignant l’Ordre activement. Je devais demeurer concentré, et elle ne pouvait pas me distraire de mon objectif, parce que je ne m’en remettrais jamais. Si je leur faisais défaut à nouveau pour elle, je ne m’en remettrais jamais. Alors je subirai cet amour, mais je ne l’exprimerai plus librement. Je ne le laisserai pas me déborder. Ni l’amour, ni les peurs qui l’accompagnait. Je ferai ce qui était en mon pouvoir pour éviter qu’elle ne soit trop gravement blessée, voire pire encore. Mais je ne me laisserai pas tomber plus profondément dans ses filets empoisonnés quand ceux qui étaient victime de ce poison étaient les miens. 

Elle faisait cela pour les siens. Je le faisais pour les miens. Il n’y avait plus de choix à faire, nous l’avions déjà tous les deux fait. Il ne nous restait plus qu’à assumer les conséquences de nos choix en conscience, à tous les deux. 

Je prenais une dernière inspiration avant de me lever difficilement de mon lit. L’esprit aussi clair que possible et le corps amputé de ses capacités habituelles des conséquences de la nuit que nous avions passés, je m’étais douché avant de descendre rejoindre ma famille. 

Je ne les trouvais ni dans le salon, ni dans la salle à manger. Je tendais l’oreille pour entendre la voix matinale et graveleuse de Blaise venir de la cuisine où je me dirigeai. Je trouvais là Pansy, assise sur le comptoir de l’ilot central, le visage porté bas tandis qu’elle se massait les tampes, une tasse de café fumante posée à côté d’elle alors que Theodore se tenait debout derrière l’îlot où Blaise cuisinait, un tablier noué autour de sa taille. 

-       Aaaah, voilà notre star ! me salua ce dernier en levant des yeux brillants de vie vers moi.  

-       Qu’est-ce que vous foutez là ? leur adressai-je après m’être éclairci la voix d’un grondement guttural. Mint a pris des congés ou quoi ? 

Je tournais le regard vers mon frère que j’analysais sans chercher à me montrer discret. Il me regardait, lui aussi. Les traits de son visage avaient l’air plus fatigués que d’ordinaire, des cernes sombres maquillant son regard translucide, ses cheveux encore mouillés de sa douche bouclant sur son crâne. Il me salua d’un sourire tendre et je constatais qu’il ne restait plus rien de l’homme on ne pouvait plus vulnérable dont nous avions tous été témoins la veille. 

-       Ce bouffon a décidé qu’il voulait préparer le p’tit-déj lui-même, grogna une Pansy qui, elle, était ostensiblement en pleine gueule de bois. 

-       Pour une fois que quelqu’un s’occupe de toi, lui lança Blaise avec un sourire taquin tandis qu’il pétrissait une pate épaisse à laquelle il ajoutait de la farine généreusement. 

Pansy releva son visage fatigué vers lui, un air blasé obscurcissant son regard plus encore que ses cernes ne le faisaient déjà.   

-       Ça fait 1 heure que j’attends d’pouvoir éponger ma gueule de bois ducon, tu t’occupes de qui là ?  

D’une main enfarinée, Blaise saisit une pomme dans la corbeille à fruits à côté de lui. Il l’enfonça sans plus de cérémonie dans la gueule sidérée de Pansy, puis il tapota chaleureusement sur le crâne de celle-ci en souriant :

-       Voilà, gentil le monstre, osa-t-il sans perdre la chaleur amicale sur son visage. 

Avec un bruit croquant, Pansy prit un bout de la pomme avant de la retirer de sa bouche. Elle prémâcha sa bouchée avant de la cracher avec force au visage de son ami en des morceaux pleins de bave. Blaise fit alors quelque chose de plus dangereux encore : il plongea sa main dans le pot de farine, et lança le contenu blanc qu’il tenait dans son poing droit dans la face de notre compagnonne peu matinale. La bouche de Pansy s’ouvrit grand sous le choc, les cheveux encadrant son visage et sa peau désormais recouverte de cette poudre blanche. 

-       PUTAIN ZABINI, J’SUIS DOUCHÉE ! beugla-t-elle alors, outrageusement consternée. 

Elle sauta du comptoir de la cuisine pour atterrir sur ses pieds, saisi le pot entier de farine tandis que Blaise se mit à courir pour fuir alors qu’elle lui courrait après en lui lançant autant de farine qu’elle le pouvait, des trainées blanches se dessinant partout sur son passage. 

-       Mint va être ravie de leur avoir laissé sa cuisine, commentai-je alors avec un sourire vers mon frère tandis que nous admirions tous deux le spectacle. 

-       Ah, elle connaît les spécimens depuis le temps. 

Nos deux idiots préférés courraient en rond autour de l’îlot de la cuisine en hurlant, la dégueulassant sur leur passage. Quelques secondes plus tard, Blaise s’était retourné vers Pansy pour lui arracher le pot de farine des mains, et c’était désormais lui qui la coursait. Je tournais finalement le regard vers mon frère. 

-       Ça va ? 

Un tendre sourire s’étala sur ses lèvres, et sa tendresse se refléta dans ses yeux fatigués.  

-       Ça va, confirma-t-il à voix basse vers moi tandis que les deux autres hurlaient comme des oies. 

-       Est-ce que vous…, hésitai-je alors, vous en avez parlé ou… quelque chose ? 

Il secoua la tête sans perdre son sourire.  

-       Elle était aussi ivre que moi. Je ne sais même pas si elle s’en souvient, nota-t-il en sachant parfaitement de quoi je lui parlais-là. 

Je n’insistai pas, quelque part effrayé de remuer le couteau dans la plaie si je le questionnai plus largement à ce sujet. 

-       Mais ça va ? répétai-je néanmoins, explicitement inquiet pour lui. 

Une nouvelle fois, le sourire qu’il m’adressa m’attesta la véracité des mots qu’il prononça ensuite : 

-       Ça va. Et toi ? 

L’échange silencieux que nous partagions en cet instant appuyait l’analyse inquiète que nous faisions l’un de l’autre. Il était aussi concerné par moi que je l’étais par lui, et finalement je lui rendais son sourire. Nos deux pestes hurlaient autour de nous. Lui était là, à un bras tendu de moi, et il me souriait. Bien sûr que ça allait. 

-       Ça va, lui rendis-je alors avec sincérité. 

Quand les deux autres eurent terminé de répandre de la poudre blanche partout dans la cuisine de Mint tels des lutins farceurs - leurs visages, corps et cheveux intégralement enfarinés - nous nous rassemblions tous les quatre autour de l’îlot central pour manger ce que Blaise avait généreusement préparé pour nous. Il y avait des tartines de pain grillées, des fruits préparés, du bacon et même un gâteau, sauf que celui-ci était encore en train de cuire dans le four suite aux mésaventures de nos deux commères. 

-       La princesse ne nous fait pas honneur de sa présence ce matin ? lança Pansy vers moi, la bouche pleine d’une tartine de pain beurrée. 

-       Elle est repartie tôt, leur appris-je alors que j’avalais ma propre bouchée, tentant de rendre un peu de force physique à mon corps empoisonné. 

-       On doit s’attendre à la voir souvent maintenant ? continua-t-elle dans ma direction, une pointe d’irritation dans sa voix encore trop matinale pour être réellement agressive. 

Je haussai les épaules.  

-       Je ne sais pas, mais si on la voit ce sera pour l’alliance. 

-       Bien sûr, et chaque fois qu’elle finira dans ton lit ce sera pour l’alliance aussi, ponctua Blaise plein de farine, une lueur brillante dans ses yeux pourtant sans équivoque.  

-       Je ferai ce que j’ai à faire pour vous protéger, assurai-je avec un sérieux mortel, vous n’avez pas à vous en inquiéter. 

Elle ne releva même pas les yeux vers moi quand Pansy, assise en tailleur sur le comptoir intégralement remplie de farine, n’accorda pas le moindre crédit à mes mots : 

-       Ouais, ouais. 

-       Je suis sérieux, appuyai-je encore avec détermination.

Le vert puissant de ses yeux trancha le blanc qui recouvrait son visage lorsqu’elle les releva vers Theodore. 

-       Et si en prime l’autre taré se met à tuer tout le monde pour la protéger parce qu’il a un faible pour elle, on n’est pas dans la merde, commenta-t-elle sans n’avoir tenu compte le moins du monde de mon sérieux.  

La langue de Theo nettoya ses lèvres généreuses avant qu’un sourire tout aussi dénué de retenue ne s’étale sur ses joues, dévoilant ses dents. Dans le bleu de ses yeux brillait une lumière qui ne brillait que pour elle, et je sentis quelque chose s’apaiser à l’intérieur de moi alors que je témoignais du fait qu’elle était toujours là, cette lumière-là. 

-       Contrairement à d’autres, elle n’a pas besoin que je sois derrière elle, lui renvoya-t-il d’une voix trop suave pour n’être due qu’au fait qu’il était réveillé depuis peu. 

Pansy tenait d’une main une tartine grillée, de l’autre une assiette en porcelaine. Elle avait la bouche ouverte pour prendre une nouvelle bouchée, mais lorsqu’elle entendit les mots de mon frère, elle n’en fit rien. Ses yeux proprement meurtriers étaient rivés sur lui, lui qui souriait toujours, et elle laissa tomber sa tartine dans l’assiette dans un bruit léger qui n’annonçait pourtant rien de bon. 

-       Me chauffe pas dès l’matin alors que j’ai la gueule de bois l’fantôme, j’te jure que t’es pas prêt, l’avertit-elle généreusement sans même cligner des yeux. 

L’enfoiré ne perdait rien de son sourire en coin terriblement satisfait, et je savais que c’était là tout ce qu’il attendait, qu’elle s’énerve. Je me demandais ce que c’était, au fond, qui lui plaisait tant dans le caractère de feu de Pansy, parce qu’en cet instant elle avait réellement et véritablement l’air d’être sur le point de l’assassiner. Peut-être était-ce à cause de ce qu’il avait vécu enfant, et qu’elle était donc impressionnante pour l’homme qu’il était, à ne jamais se laisser marcher dessus même face à un adversaire dix fois plus fort qu’elle. Il me l’avait déjà dit, cela, mais je me demandais si cela était suffisant pour justifier de l’obsession morbide qu’il éprouvait en ce qui la concernait. Peut-être au fond aimait-il tout simplement la puissance, une certaine forme d’insolence, ou peut-être encore était-ce pour tout autre chose qui dépassait l’entendement. En tout cas, Theodore ne perdit rien de la flamme ardente qui brûlait dans ses yeux scandaleusement éblouissants lorsqu’il la regardait, comme s’ils étaient des gemmes les plus précieuses reflétant parfaitement la lumière vive du soleil, et il ne perdit rien non plus de son sourire en coin qui rappelait autant la magnificence d’un ange que la malice d’un démon.  

-       Ça t’énerve tant que ça qu’elle puisse se protéger toute seule, elle ? osa-t-il taquiner alors qu’il portait à ses lèvres un dernier raisin. 

Il le fit craquer entre ses dents tandis que son sourire à se damner s’étalait plus large encore sur ses lèvres, creusant des fossettes dans ses joues quand il ajouta d’une voix teintée du genre de miel récolté par les Dieux eux-mêmes : 

-       C’est peut-être avec elle que tu devrais prendre des cours, j’suis sûr qu’elle a beaucoup de choses à t’apprendre. 

Il se retourna dos à nous à l’instant où ces mots frappèrent Pansy, et fit un pas vers la porte pour s’en aller quand le bras agile de Pansy tira un intimidant couteau de cuisine rangé dans son bloc en bois. Elle porta son bras en arrière, prenant de l’élan alors que son visage traduisait la rage qui bouillonnait à l’intérieur d’elle, Blaise et moi nous reculant tandis que nous tentions vainement de la raisonner avec des apostrophes catastrophées. En un geste d’une agilité déconcertante, elle lança le couteau droit dans le dos de mon frère, et je le suivais d’un regard anxieux. A l’autre bout du couteau, Theodore se tenait retourné face à nous, sa main droite renfermée autour de la lame qui ne se tenait qu’à un centimètre de son torse. Ses yeux azurés étaient rivés avec anticipation sur Pansy pendant que nous retenions tous notre souffle. Elle aurait pu le blesser gravement. Le sourire en coin qui étira les lèvres de mon frère n’avait rien d’inquiet, ni même de colérique. Lorsque ses lèvres s’entre-ouvrirent pour parler alors qu’il tenait toujours la lame du couteau si près de son poitrail, la voix qui s’échappa de lui était emplie d’une excitation proprement déconcertante. 

-       Tu flirtes avec moi, Parkinson ? 

Mes yeux s’ouvrirent grand. Je m’attendais à tout, sauf à cela. Je notai que le visage de Blaise traduisait la même expression sidérée que moi. Je tournais ensuite le regard vers Pansy. Si la rage avait laissé des traces sur son visage enfariné, ce qui brillait dans ses yeux et la courte respiration saccadée qui s’échappait de ses propres lèvres témoignait d’une toute autre émotion qui montait en elle. Elle pouffa néanmoins.

-       J’essaye de te tuer et toi c’est la conclusion que t’en tires ? lui renvoya-t-elle alors que la tension était palpable, électrique entre eux. 

-       Mmh, roucoula-t-il tel le prédateur qu’il était. 

D’une seule main, il fit tournoyer le couteau dans sa main pour en saisir le manche avant de le lancer entre Blaise et elle. Il s’enfonça parfaitement dans le mur opposé de la cuisine, où il resta là. Mint allait vraiment être ravie, songeai-je alors avec un soupir. Elle ne nous laisserait probablement plus jamais utiliser sa cuisine. Un unique sourcil se dressa sur le front de Theodore tandis qu’il ne la lâchait pas des yeux lorsqu’il ajouta dangereusement : 

-       Pas étonnant que je doive repasser derrière toi si c’est comme ça que t’essayes de tuer quelqu’un. 

Sur ces mots, il se retourna une nouvelle fois dos à nous, et marcha tranquillement vers la porte comme si sa femme ne représentait pas la moindre menace pour lui. Après tout, ce n’était pas comme si elle avait failli lui enfoncer un couteau en plein poitrail juste parce qu’il avait dit quelque chose qui ne lui avait pas plu.  

-       Ouais t’as raison, pesta-t-elle alors, casse-toi avant que j’t’en plante un entre les deux yeux. 

A voix basse tandis qu’elle reprenait son assiette de porcelaine pour y finir son petit-déjeuner, elle marmonna dans sa barbe : 

-       Psychopathe.


Le reste de notre journée, ou bien ce qu’il en restait avant que le soleil ne se couche, ainsi que la suivante, n’avaient été que préparatifs. Le Seigneur des Ténèbres m’avait averti qu’il allait me faire officiellement Grand Intendant devant ses rangs la soirée suivante à notre Quartier Général, et qu’il me faudrait ensuite donner une réception officielle au manoir pour rallier les troupes. Autant que j’en détestais l’idée, je n’étais pas vraiment en position de le lui refuser, ni cela ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Nous abaisserions les barrières protectrices pour une soirée, je supposai que nous y survivrions. Mint et plusieurs autres elfes de maison s’acharnaient donc à préparer cela tandis que Theodore continuait tantôt d’entraîner Pansy, tantôt de me seconder dans les nouvelles stratégies que je développais et prévoyais d’en dévoiler certaines lors de ladite soirée. De mon côté, tout n’était que travail, remue-méninges et résolution d’équations impossibles. 

L’ambiance au manoir, aussi apaisée qu’elle l’était d’apparence, était d’une lourdeur électrique sans pareille. Mes amis eux-mêmes semblaient se tendre un peu plus à chaque heure qui passait, et qui nous approchait de mon couronnement officiel. Ils n’en disaient rien, mais je les connaissais assez pour savoir. Pansy ne me lançait que peu de piques acerbes, et Blaise me regardait du coin de l’œil sans l’ombre d’un élan de malice qui y brillait. Nous le savions tous, et nous y étions tous prêts. Quelque part, je supposai d’ailleurs que rien ne changerait vraiment. Je remplissais ces fonctions depuis des mois maintenant, simplement de façon non officielle. Il n’y aurait que cela qui changerait. Je ne serai plus le potentiel futur Grand Intendant, je serai le Grand Intendant du Seigneur des Ténèbres. Je supposai que cela me conférerait plus de légitimité dans les rangs, quand bien même les réticences à mon égard avaient déjà grandement diminué au fur et à mesure que ses fanatiques s’étaient rendus compte, au même rythme que moi d’ailleurs, que j’étais capable. Et pourtant, nous étions tous silencieusement tendus. Il y avait un monde entre savoir que cela allait arriver, et l’instant où cela devenait concret. Réel et tangible. Pour notre défense ensuite, si nous survivions à la guerre et parvenions à faire tomber Voldemort, cela me porterait bien trop préjudice, et il n’y aurait pas de salut pour moi. Je devrais fuir. Cela était désormais certain. Je supposai qu’il y avait beaucoup de cela dans la tension qui nous envahissait. Ma consécration était une condamnation. Je n’étais plus libre depuis longtemps, mais après ce soir-là, je ne le serai jamais plus, même si Voldemort était assassiné. Cela, je l’avais accepté. Je l’avais accepté depuis longtemps, pour eux. 

En ce début d’après-midi ensoleillé je notai néanmoins l’absence de Theodore à l’intérieur du manoir. Lorsque j’avais questionné les deux autres, ils m’avaient appris qu’il s’était rendu dans la plaine adjacente qui abritait désormais nos dragons, et décidai de l’y rejoindre un instant. Même le Grand Intendant avait bien droit à une pause de temps en temps, il me le semblait en tout cas. Et puis, je ne l’étais pas encore réellement. 

Je distinguais son dos épais vêtu de noir dans le champ fleuri de pensées violettes tandis que je me tenais encore à distance. Il était assis à même le sol, et il ne faisait pas même tâche dans le paysage. Plus loin, nos deux dragons étaient couchés l’un contre l’autre, enroulés sur eux-mêmes comme s’ils n’étaient rien d’autre que des chatons. De très gros chatons terrifiants. Le mien blanc, et le sien noir. Je me sentais sourire avant même de l’avoir rejoint. Je le voyais là, paisiblement assit dans ce champ de fleurs, nos deux bêtes en paix en sa présence. Comme je l’étais, moi aussi. Parfois, la vie était aussi simple que cela. Trop rarement, certes, mais parfois elle l’était. Nous étions chez nous. Je pouvais sortir dans notre jardin, et je pouvais tout simplement le trouver là, entouré de mille et unes couleurs, le soufflement apaisant du vent et les ronflements profonds de nos dragons pour seule musique. Ce qui nous attendait me semblait soudainement si lointain. Si anodin. 

Lorsque j’arrivai enfin à ses côtés, il tourna le visage vers moi. Il me sourit tendrement. Je prenais place à même le sol à côté de lui. À ma juste place, et lui à la sienne. J’inspirai profondément, laissant l’air frais et pourtant agréable pénétrer dans mes poumons, les laver de leur noirceur, eux et mon âme. J’observai en silence les flancs de nos dragons se gonfler et se dégonfler à intervalle régulier. Apaisés, eux aussi. Pendant un instant il ne prononça pas un mot, lui non plus. Nous étions simplement assit ensemble, confortables avec le silence léger qui nous berçait. Je réalisai la richesse qu’il y avait là-dedans, dans cette paisible sérénité que l’on ne pouvait trouver que lorsque nous étions aux côtés de quelqu’un avec qui nous nous sentions totalement en sécurité. Parfaitement à l’aise. J’en profitais, moi aussi, et je pouvais sentir qu’il en faisait de même. Et finalement, la sonorité angélique de sa voix posée rompu le silence : 

-       Comment tu te sens ? 

J’inspirai une nouvelle fois. C’était une question difficile. D’une minute à l’autre, je pouvais me sentir différemment. Dès que je songeai à ce qu’il était sur le point de se passer, une ombre d’anxiété venait peser sur mon poitrail, m’écrasant de son poids lourd de responsabilités, accompagnée d’une poignante terreur qui transperçait mon estomac. Seulement désormais, je me savais capable. Je nous savais capables, tous autant que nous étions. 

-       Un peu lourd, avouai-je alors d’une voix tranquille, mais ça va. Et toi ? 

Je tournais le regard vers lui. Ses doigts habiles faisaient tourner entre eux plusieurs pensées à même le sol sans ne jamais en arracher, ni même ne serait-ce qu’en abîmer une seule. Avec une délicatesse, une grâce et une douceur sans pareille, et qui pourtant semblait ne pas lui coûter le moindre effort. Il tourna le visage vers moi, ses yeux attendris accompagnés d’un sourire qui illuminait la magnificence de son visage : 

-       Un peu lourd, mais ça va. 

Je lui rendis la chaleur de son sourire sans le moindre effort, et nous demeurions ainsi durant plusieurs minutes étirées. Il y avait dans nos mots bien peu de ce que nos yeux se livraient en silence. Je pouvais lire dans son regard toute l’inquiétude qui y était logée, toute cette inquiétude pour moi qui y avait élu domicile, et qui ne le quittait plus, et je savais qu’il pouvait lire la même dans le mien. Pourtant je pouvais tout autant y trouver une force si calme, si déterminée, si résolue que je savais sans l’ombre d’un doute en cet instant que tout irait bien pour nous, et j’espérai qu’il pouvait lire la même chose dans mes yeux. En cet instant, ses yeux céruléens plongés dans les miens, le ciel dégagé bien pale en comparaison derrière lui, ses cheveux d’une sombreur profonde et la teinte rosée naturelle de ses lèvres, je n’avais pas le moindre doute. 

Mon partenaire de vie. Mon Nord, mon Sud, et tout mon vaste Univers entre les deux hémisphères. Quand il me regardait ainsi, tout allait bien. Quand il posait ces yeux-là, ces yeux pleins d’amour, ces yeux pleins de tendresse sur moi, tout allait bien. Quand ses lèvres pleines s’étiraient en un sourire qui venait creuser d’adorables fossettes dans ses joues, j’allais bien. 

Il paraissait que nous avions tous une âme-sœur en ce bas monde. Je savais que pour moi, c’était lui. Il lui suffisait de me regarder ainsi, et je me sentais vivant. En paix. Serein. On ne pouvait trouver cela qu’une seule fois dans une vie. Je pouvais lire l’avenir dans ses pupilles. Le moindre de mes maux était apaisé lorsque j’avais l’innommable chance de témoigner de son sourire. Pire encore, d’en être le destinataire. Il était mon « pour toujours ». Je pouvais tout traverser pour lui. Les pires souffrances, les doutes, les atrocités. Il n’y avait rien de trop sombre. Rien de trop effrayant. Rien de trop difficile à porter. Oui, pour lui, je pouvais tout traverser. Et avec lui, je pouvais tout vaincre. Il n’y avait pas un homme, pas une armée, pas un Dieu qui pouvait se dresser sur mon chemin. Pas un seul obstacle qui pouvait me retenir d’atteindre mon objectif. Je me tenais dans un champ de fleurs à ses côtés, ses yeux somptueux à leur juste place – dans les miens -, la chaleur de son sourire délicat se réverbérant jusqu’au plus profond de mon cœur, vibrant là en une énergie enivrante d’amour pur et de gratitude, et j’allais bien. Parce qu’il me suffisait de cela. Il me suffisait de lui. Rien que lui. Ses yeux bleus. Son sourire angélique. Son odeur, cent fois plus divine que celle des fleurs qui nous accueillaient en leur temple. 

Oui, j’en étais persuadé. L’on ne pouvait ressentir cela que pour une seule personne dans sa vie. Cette plénitude. Le sourire d’une seule personne pouvait contenir toutes les réponses de l’univers pour nous. Une seule personne pouvait contenir en sa fragile mortalité le pouvoir terrifiant de rendre notre monde lumineux ou bien le faire sombrer dans des ombres aussi angoissantes que terrorisantes. Et pour moi, c’était lui. 

Je supposai que cela aurait pu être pire pour moi. J’aurai pu dépendre de quelqu’un de fébrile, de quelqu’un de fragile. Il me semblait que mon âme avait particulièrement bien choisi sa meilleure moitié. Je dépendais d’un homme qui ne trouvait aucune limite dans son pouvoir. D’un homme qui possédait un corps aussi fort que son esprit l’était. D’un homme dont le courage égalait la témérité. D’un homme d’une sagesse et d’une détermination à en faire trembler les Dieux. D’un homme aussi inatteignable qu’indestructible. Il ne me restait qu’à protéger Pansy. C’était tout. Rien que protéger Pansy, et tout irait bien. Oui, mon âme l’avait bien choisi, parce qu’en cet instant alors que je ne parvenais, ni ne voulais faire l’effort de quitter les profondeurs de l’océan qui vibrait dans ses yeux, je savais que nous irions bien. Peu m’importait combien de temps ce sentiment durerait, il me suffirait de le regarder à nouveau. C’était là un constat profondément apaisant, de réaliser que je n’aurai, à jamais, rien qu’à le regarder pour trouver la paix. J’irai bien, et je le rendrais heureux, lui aussi.

Je lui offrirais une vie qui mériterait d’être vécue. Une vie dans laquelle il se réveillerait chaque matin dans un lit réchauffé par Pansy. Une vie dans laquelle il me rejoindrait tous les matins pour prendre son petit-déjeuner. Une vie dans laquelle la cuisine serait toujours remplie de farine, d’éclats de rire et de hurlements. Une vie dans laquelle il n’aurait aucune autre responsabilité à prendre que de choisir quel vêtement il souhaitait porter. Une vie dans laquelle il pourrait passer l’intégralité de ses journées à regarder Pansy, à rire de Blaise, à découvrir mon âme. Une vie dans laquelle le seul poids sur ses épaules serait les jambes de Pansy. Une vie dans laquelle les éclats de rire remplaceraient les hurlements meurtris. Une vie dans laquelle les soirées alcoolisées ne se finiraient jamais par quelqu’un qui pleure, ni par quelqu’un qui perd son sang-froid. Une vie faite d’amour, de vin, d’amitié et de chaleur. Une vie dans laquelle à son tour, il pourrait construire sa propre famille. Son propre foyer. Le sien, et le mien. Peut-être le même, peut-être des différents. Peu m’importait. Tout ce qu’il voudrait. Mais il connaîtrait la paix. Il connaîtrait la simplicité d’une vie remplie. D’une famille heureuse. Il n’aurait ni à avoir peur de rentrer chez son père, ni à s’enfoncer dans les ténèbres avec moi, je l’en sortirais. Je lui offrirais le monde, l’univers, et toutes les étoiles qui le composent. Je lui offrirais la vie, et je lui offrirais l’éternité. Une éternité de tendresse, une éternité de joie pour pallier à toute la souffrance de sa vie. Il connaitrait le bonheur. Pas celui des histoires, pas celui que l’on fantasme. Le bonheur simple. Le bonheur d’aimer et d’être aimé en retour, et seulement cela. Sans toutes les atrocités qui ont toujours jalonnées sa vie d’enfant, et celles d’homme maintenant. Et moi, je le regarderai. Je le regarderai, je le verrai sourire, et je serai comblé. Je le regarderai, et je saurai que tout en valait la peine. Chaque souffrance. Chaque douleur. Chaque vie. Chaque larme. Chaque cendre. Oui, je le regarderai, je le verrai sourire, je verrai l’amour dans ses yeux, et je saurai que tout en valait la peine. Le meilleur, et le pire. Je sentis une larme perler sur ma joue. J’étais prêt. 


Le lendemain soir, la lourdeur de l’ambiance au manoir était à son comble. Mes amis avaient étés sommés de rejoindre le Quartier Général peu avant moi, aussi les avais-je regardés vêtus de leurs uniformes noirs revêtir les sombres Masques qui traduisaient la noirceur de notre organisation. Dans les yeux de Pansy, tout comme dans ceux de Blaise, brillait une faible lueur de désolation. Quand je croisai le regard de Pansy, je me demandais pour la première fois si c’était de la culpabilité que je pouvais y lire. Elle savait que j’avais acquis cette position en échange de sa vie, pourtant elle n’avait jamais réellement exprimé de culpabilité quelconque à ce propos, à très juste titre d’ailleurs. En ce début de nuit noire néanmoins, alors que ses sourcils étaient légèrement froncés sur son front, son Masque argenté en main et ses yeux rivés gravement dans les miens, je me demandais si c’était cela que je pouvais lire en elle. Je n’aimais pas beaucoup cette hypothèse. J’étais résolu. Il n’y avait ni de place pour être désolé, ni de place pour du regret. J’étais exactement là où je devais être, et je faisais exactement ce que j’étais censé faire. Protéger les miens. Il n’y avait rien de plus censé que cela. Alors, je lui souriais depuis l’autre extrémité de l’entrée du hall. Je lui souriais d’un sourire sincère qui transmettait de mes lèvres à ses yeux bien plus de la sérénité paisible que je ressentais qu’aucun mot n’aurait pu le faire en des termes aussi justes. Je vis sa poitrine s’abaisser en une expiration soulagée, et d’une discrétion fine elle acquiesça en ma direction avant de revêtir son Masque, la Mangemort qu’elle était remplaçant la femme que je connaissais, et l’amie que j’aimais. Mon propre torse se remplit d’air alors que je me laissais m’imprégner de cette vue. De mon amie à qui j’avais sauvé la vie en faisant le choix que je faisais à nouveau ce soir. Mon torse se remplissait d’un air aussi paisible que déterminé, parce que je savais sans le moindre doute qu’elle le méritait. 

Je tournais les yeux vers Blaise. Dans son regard chaud brûlait les mille et unes inquiétudes qu’il n’osait que trop rarement formuler, quand bien même je savais à quel point il m’était reconnaissant pour ce sacrifice qui lui avait rendu sa Pansy. Il ne cherchait ni à fuir, ni à me dissimuler ses sentiments. Il ne les nommait pas, et il n’en avait pas besoin. Je connaissais ses yeux comme l’on pouvait connaître son propre domicile, et je savais. Nous y étions, cela je pouvais le lire dans tous leurs regards. Ce n’était plus de la théorie, plus non plus une hypothèse d’un futur potentiel. Nous y étions finalement. Cela semblait les bouleverser plus que moi, en cet instant tout du moins. Je me rappelai l’état dans lequel je l’avais vu, pire encore l’état dans lequel je l’avais mis, lorsque le Seigneur des Ténèbres l’avait soumis au Supplice de la Croix. Oui, protéger les miens. Je me rappelai également la baffe qu’il m’avait offerte après la mort de Pansy. La responsabilité qu’il m’avait rendue alors que je la fuyais. Et à lui aussi, je lui souriais. A son tour il acquiesça en ma direction, puis il revêtit son Masque à la couleur des os qui contrastait gravement avec le noir qu’il portait. Je le regardai faire avec une attention d’une finesse féline. Et finalement, mon torse se remplit d’un air aussi paisible que déterminé, parce que je savais sans le moindre doute qu’il le méritait. 

A côté de lui, Theodore s’étendait comme un phare dans la nuit. Dès l’instant où mes yeux se posèrent sur lui, une énergie d’une puissance terrifiante explosa dans mon cœur, comme un soleil dont les rayons irradiaient une chaleur brûlante. J’inspirai profondément alors que je le regardais. Il me regardait, lui aussi. Je cherchais dans son regard céruléen la moindre trace d’inquiétude sans parvenir à n’en trouver ne serait-ce qu’une goutte dans l’océan de perfection qui animait ses yeux. Je cherchais encore. Non, pas la moindre. Il n’y avait chez lui ni le moindre doute, ni la moindre peur en cet instant, contrairement à Blaise et Pansy qui semblaient toujours avoir des doutes sur moi. Au contraire, il y avait dans son regard un déterminisme ardent dans lequel brûlait une confiance absolue. Je sentis la force de ma propre énergie se démultiplier tandis que je témoignais de ce qui animait son regard sur moi. Les larmes m’en seraient presque monté aux yeux. Il n’était pas inquiet. Il n’avait pas une once d’inquiétude en lui vis-à-vis de ce que je m’apprêtais à faire. Du rôle que j’étais sur le point de prendre, et moins encore du sérieux mortel de la situation. Il était serein. Tranquille. Parfaitement confiant. Et cette confiance touchait mon âme, parce qu’elle témoignait avec une force frappante de cette même confiance qu’il avait en moi. De cette foi qu’il plaçait en moi, pas parce qu’il choisissait de le faire, mais simplement parce qu’elle était là. Parce que je lui avais prouvé, avec le temps, que j’en étais digne. Parce que je lui avais prouvé, au travers de mes actions et de l’adversité que nous avions traversé tous ces derniers mois que j’étais capable. Et cela, je pouvais le lire dans le déterminisme inflexible qui maquillait somptueusement son regard. Je n’eus pas le temps de lui sourire. Il le fit à ma place. Et le sourire qui s’étala sur ses lèvres pleines n’avait rien d’amical, et il ne se cherchait pas rassurant non plus. Il s’étalait sur ses lèvres au même rythme que son regard s’assombrissait des démons violents qui vivaient en lui et qui promettaient de nous garder en sécurité, et pour la première fois de ma vie, je me rendais compte que j’avais la même chose en moi. Pour la première fois de notre vie, je raisonnais avec cette violence brute, nue et dénuée de masque qu’il me laissait entrevoir là. Ce n’était en rien un sourire d’encouragement. C’était un sourire sombre qui s’extirpait des profondeurs noires de son âme pour venir saluer les miennes. Un sourire inflexible qui promettait que tout ce qui devrait être fait le serait. Un sourire préparé qui jurait de remporter cette guerre. Et pour la première fois de notre vie, la noirceur de mon âme lui sourit en retour. 

Pas par obligation. Pas non plus par bienséance. Moins encore pour le rassurer, il n’en avait pas besoin. Parce qu’elles se reconnaissaient. Parce que la violence en moi reconnaissait celle qui vivait bien plus librement en lui, depuis bien plus longtemps. Les ombres en lui saluaient les miennes comme si elles les avaient attendues depuis un moment trop étiré. Comme si elles leur souhaitaient la bienvenue. Et elles promettaient, dans le serment silencieux qui maquillait le sourire que nous nous adressions, d’être assez sombres pour faire ce qu’il y aurait à faire pour ces personnes que nous aimions. Et surtout pour l’un, et pour l’autre. Parce que ses ombres protégeaient ma lumière, et les miennes protégeaient la sienne. 

Alors je laissais la plénitude aussi sereine que parfaitement déterminée, plus sombre encore que quelques secondes plus tôt, se répandre à l’intérieur de moi comme le plus parfait des poisons dans un sang innocent, et j’inspirai profondément. Quand bien même nos deux amis étaient présents, je savais parfaitement que personne d’autre que nous ne pouvait saisir ce que nous étions en train d’échanger. Je regardai la noirceur de son Masque rassurant venir dissimuler les traits parfaits de son visage, et je réalisai que ce n’était pas seulement qu’il méritait mon sacrifice. C’était tout simplement que je ne pouvais pas faire autrement, pour lui. 

J’ancrais dans mon esprit ces trois membres de ma famille qui se tenaient face à moi. Tous trois de noir vêtu, leurs muscles tendus d’anticipation et leurs visages masqués. Pansy et son nouveau visage argenté, Blaise et son intimidant Masque d’un blanc cassé, Theodore et son ombre sombre métallique. Terrifiants. Parfaits, en somme. Oui, ma famille. Les protéger, c’était tout ce qui comptait. Ils se tenaient devant moi tels les Mangemorts qu’ils étaient tous devenus pour moi, et pour moi seulement, chacun d’entre eux, et une violente vague de gratitude m’animait alors que je les regardais. La loyauté que j’avais envers eux, et qu’ils avaient envers moi étaient inscrite jusque dans nos ADN. Et ainsi, sans qu’aucun mot n’ait besoin d’être adressé pour que nous sachions tous exactement ce que nous avions eu besoin d’exprimer, ils se retournèrent face à la porte d’entrée, et bientôt, ils disparurent dans la sombreur de la nuit où je les rejoindrais bientôt. 

Lorsque la porte se referma derrière ma famille, je réalisai que je souriais encore. Je baissai le regard sur le Masque que je tenais dans ma main. Je prêtai attention à mon corps, et au calme que je ressentais en lui. En réalité, il y brûlait même un semblant d’impatience. Il était là, le Grand Intendant. Je le sentais vibrer en moi. Je le sentais me bénir d’un pouvoir et me nourrir d’une force qui dépassait celle que Drago n’aurait jamais pu trouver seul. Il était moi. Nous étions lui. Le sourire s’élargit encore sur mes lèvres. Je me rappelai la dernière fois que je m’étais retrouvé face à moi-même, dans ce même hall. Je me rappelai lorsque je l’avais vu devant moi, ce Grand Intendant. Comment il m’avait terrifié, à l’époque. A quel point il m’avait semblé étranger, à cet instant-là. A quel point je le rejetais. À quel point lui aussi, me méprisais. Et désormais il était là, constamment avec moi, parce que je l’avais finalement accepté. On en a fait du chemin, m’adressai-je à l’intérieur de moi-même comme si je pouvais encore scinder deux entités distinctes. Je ne le sentais plus comme quelqu’un d’autre, ni comme une force qui ne m’appartenait pas. Je le ressentais simplement comme étant . Comme étant une part de moi, aussi réelle et intégralement moi que tout le reste de ce que j’étais. Je me sentais complet, et pourtant je pouvais toujours sentir l’énergie qui lui appartenait à lui spécifiquement tant elle était différente du reste de moi. J’acquiesçai à moi-même sans ne parvenir à perdre mon sourire. Je pouvais sentir sa force se déferler en moi comme un feu d’artifice qui explosait d’anticipation en moi. J’allais pouvoir sauver les miens. J’allais enfin acquérir le pouvoir réel de le faire. Une position qui me permettrait de le faire. J’allais enfin récolter les fruits de ce que j’avais semé. Ma puissance. Ma reconnaissance. Le salut de ma famille. Leur assurance vie. Mes lèvres dévoilèrent mes dents, et je passai ma langue sur celles-ci. Un pouffement heureux s’échappa de ma bouche. Il était temps, tapette que t’étais, souris-je amicalement à l’intérieur de moi. Je secouais le visage avec une pointe d’humour qui vibrait en moi. 

Je me rappelai d’où je venais. Je me rappelai les crises d’angoisses à Poudlard. L’incapacité même de respirer. La terreur de n’être encore rien d’autre qu’un pauvre petit Mangemort bien au chaud à Poudlard, quelques pauvres Doloris et un Avada occasionnel ici-et-là. Je me rappelai les cauchemars, je me rappelai l’impuissance que je ressentais. Je me rappelai l’incertitude, celle de ne pas savoir si je pourrais ne serait-ce que tuer un seul homme, celui qu’était Dumbledore. Je me rappelai la peur de devoir faire une telle chose devant Granger comme si cela rendait cette tâche impossible. Comme si cela avait encore la moindre importance. Je me rappelai le garçon que j’étais, à quel point je n’aurais jamais pu croire à l’époque que je deviendrais cet homme-là un jour prochain. Je me rappelai les sidérations, les incapacités, les paniques. Je me rappelai la terreur. Je me rappelai le doute. Le doute de moi-même. Je me rappelai la nuit de la mort de Pansy. Je me rappelai la douleur. Je me rappelai l’anéantissement de mon âme lorsque j’avais cru perdre Theodore. Je me rappelai encore l’impuissance. Je me rappelai le déterminisme ensuite, ce déterminisme tremblant et encore bien incertain, pourtant déjà sincère à l’époque. Je me rappelai ensuite les doutes de chacun de mes proches. Tous, sauf Theodore. Je me rappelai cette grotte que j’avais construite, et dans laquelle j’avais concrètement rencontré cette part de moi pour la première fois. Je me rappelai comme j’avais cru devoir me tuer de l’intérieur, alors que je n’avais qu’à saisir cette ressource-là. Je me rappelai combien cela m’avait terrifié. Je me rappelai les discours dictateurs, et le pouvoir qui vibrait en moi. Je me rappelai les tortures, et l’anticipation qui s’excitait en moi. Je me rappelai les morts, les flammes, les cendres et les cris. Je me rappelai la douleur, l’odeur de la mort. L’humanité en moi que je tuais au même rythme que les corps tombaient autour de moi. Je me rappelai ce que j’avais dû faire taire en moi pour torturer, et sauver Blaise. Je me rappelai ce que j’avais ressenti lorsqu’il m’avait pris Theo. Je me rappelai la râclée monumentale que cette part plus forte en moi m’avait foutue face à mon abattement dans un moment où je n’avais pas le droit de flancher. Dans un instant où je devais à mon frère de le sauver. Oui, je me rappelai de la terreur en moi lorsque j’avais rencontré concrètement cette part de moi. Je me rappelai des coups tranchants de son dégoût pour les parts plus faibles de moi. Et je me rappelai l’embrasser, enfin. Je me rappelai les mots de ma mère. Je me rappelai la plénitude lorsque j’avais finalement récupéré Theodore grâce aux cadavres que j’avais fait pleuvoir. Et alors, je souriais. Oui, nous avions fait du chemin. 

Le corps calme et l’esprit serein, je regardai mon Masque. Je lui souriais, à lui aussi. Je le faisais disparaître d’un mouvement de baguette. Ce soir, je ne ressentais pas le besoin de me cacher. C’était moi, leur Grand Intendant. Je voulais me montrer à eux. Ils devaient me voir. Ils devaient me voir pour ce que j’étais. Alors je revêtais ma cape cérémoniale, et une dernière fois, je souriais. Showtime, champion


Lorsque la fraîcheur de la grotte encercla mon corps chaud, mon cœur s’emballa. Il ne s’emballait pas d’angoisse, ni même d’une pointe aussi fine que celle d’une lame de peur. Il n’y avait que l’excitation. L’excitation anticipatoire d’enfin, enfin, récolter ce que j’avais passé tant de temps à semer dans l’ombre. Comme la récompense tant attendue d’un travail acharné qui attendait d’être reconnu. J’inspirai profondément une dernière fois, puis laissai mes jambes musclées me porter jusqu’à l’antre de notre Seigneur. Dans la profondeur de la grotte, mes pas résonnaient à travers les pierres sombres. Au bout du chemin, mon armée m’attendait, parfaitement dressée en rangs ordonnés. Ils portaient tous leurs Masques. Au bout de l’allée, seul Voldemort et moi étions à visage découvert. Lui et moi, à l’extrémité l’un de l’autre. Il ne savait pas encore à quel point cette image était symbolique. Notre armée entre nous. Les miens dissimulés parmi les siens. Lui, à visage découvert m’attendant au bout de la grotte. Et moi, marchant vers lui en tant que Drago Malefoy, le Grand Intendant, à l’autre extrémité. Il me percevait comme son fidèle. Celui qui allait lui amener la victoire. Non, il n’avait pas la moindre idée de ce qui l’attendait en commettant ce soir cette grave erreur. 

Le visage impassible, le corps aussi droit que fort, et mes yeux rivés sur lui, je traversai les rangs. Mes rangs. C’était charmant, en réalité. Presque touchant, la façon dont tous ces demeurés se réunissaient pour célébrer le fait que moi, l’héritier Malefoy probablement trois fois plus jeune que la plupart d’entre eux, allait les commander. Je trouvais cela charmant, la façon dont ils accouraient tous pour venir m’accueillir comme leur supérieur. Je trouvais cela attendrissant, la soumission totale avec laquelle ils se courbaient sur mon passage alors que je m’avançais vers mon destin dans la grotte que j’avais moi-même construire. J’aimais l’idée que beaucoup d’entre eux m’enviaient. Je jubilais de l’idée que beaucoup d’entre eux me jalousaient. Ils n’étaient pas assez bons. Moi, je l’étais. Ils étaient médiocres. Moi, je ne l’étais pas. J’étais excellent, et ils savaient tous désormais à quel point je leur était supérieur.

J’étais capable de diriger une armée. J’étais capable d’une stratégie de guerre élaborée. Capable de penser et de mettre en œuvre des moyens qu’ils ne soupçonnaient même pas. Capable d’ordonner et de commander des atrocités qu’ils ne faisaient que répéter. Capable de les soumettre à mon pouvoir, parce que je l’avais, ce pouvoir. Chacun de mes pas résonnaient comme les battements d’un tambour orageux, et je savais que les vibrations que je provoquais à chaque nouvelle enjambée faisaient écho à l’intérieur même de chacun de leurs corps. Ils me ressentaient, moi et ma puissance. Moi, leur supérieur. Je retenais un sourire d’étirer mes lèvres, et me concentrai sur les yeux rouges de Voldemort, rivés sur moi. Je la lui rendais, la force de son regard. Il brûlait en lui une impatience nouvelle. Celle d’avoir trouvé son commandant. Celle de me voir me présenter à eux sans artifice, sans Masque, sans me cacher d’aucun d’entre eux, ni rien de moi. Et enfin, je remplissais le peu d’espace qui nous séparaient encore. L’écho sonore du genou que je posai à terre devant lui résonna sourdement à travers la grotte. Comme un chevalier face à son roi, je baissai le visage vers le sol. J’entendis les fentes qui lui servaient de narine inspirer l’air ambiant, et finalement, sa voix remplit l’espace sombre qui nous accueillait : 

-       Mes très chers amis, nous sommes réunis ce soir pour le couronnement officiel de Drago Malefoy, fils de Lucius Malefoy, en tant que Grand Intendant de mon armée des Ténèbres ! 

Des acclamations enthousiastes, certaines d’entre elles certainement hypocrites, résonnèrent en trombe derrière-moi, et je demeurai face au sol, brûlant d’impatience. C’était mon moment.  

-       À l’origine de la prise de Poudlard, de la construction de notre Quartier Général dans lequel vous vous tenez désormais, de la stratégie et d’une partie de l’exécution qui nous a permis de recruter grand nombre d’entre vous, ainsi que de la mort de beaucoup de ceux qui nous contraient, en Angleterre ainsi qu’à l’étranger, il m’a prouvé à moi autant qu’à vous non seulement sa loyauté sans faille, mais surtout ses capacités aussi politiques que pratiques à mener cette Guerre contre ceux qui veulent faire de ce monde un monde faible. 

De nouveaux applaudissements firent trembler la roche qui nous accueillait. 

-       Cette grande mission qui est la nôtre, et la grande armée que vous êtes mérite, et plus encore nécessite, un homme à sa hauteur pour la diriger. Vous avez placé votre confiance en moi, et je constate que vous n’en avez pas été déçus, s’appropria-t-il généreusement. Ce soir, je vous ordonne de placer une partie de votre confiance en lui. Ce soir, mes chers amis, je vous offre un commandant auquel vous référer. Un dirigeant d’armée auquel vous devez obéir. Une figure politique exposée pour faire écouter, respecter, et imposer, ma parole ! 

Les cris d’encouragement bestiaux qu’ils laissèrent échapper m’arrachèrent un sourire tandis que le sol de pierre ne demeurait que ce que je pouvais voir. Finalement, la main osseuse d’une pâleur surnaturelle du Seigneur des Ténèbres s’étendit sous mon visage : 

-       Drago, lève-toi, ordonna-t-il alors vers moi. 

J’obéissais tandis que l’assemblée retrouvait un silence anticipatoire parfait. Je me saisissais de sa main glaciale, et le laissai m’aider à me relever. Derrière lui, Nagini levait sa gueule triangulaire vers moi. Je l’ignorai, le souvenir de Kira serrant mon cœur. J’avais assez perdu, à cause lui. J’étais là pour récolter ce que j’avais gagné. Je lui faisais face avec fierté. Alors que je m’apprêtais à lui retirer ma main droite, il la garda fermement dans la sienne. De profile face à notre armée, il appela sans quitter mes yeux de siens, d’un rouge qui me rappelait tout le sang que j’avais fait couler pour lui : 

-       Hector.

Mon propre sang se glaça dans mes veines, et mon cœur fit un bond dans mon poitrail. Je me concentrai pour en contrôler les battements, et ne pas tourner le visage soudainement vers l’assemblée à côté de nous. Hector Nott. Le père de Theodore. Je me concentrai sur les yeux de Voldemort. Il y eut du mouvement dans les rangs, puis je vis une ombre s’approcher de nous. Il fit le tour derrière moi, et se positionna sur ma gauche, face aux membres des Ténèbres. Voldemort, lui non plus, ne tourna pas le regard vers lui quand il ordonna simplement :

-       Procède.

Je demeurai immobile, le regard droit tandis que mon cœur s’affolait dans mon poitrail. Le père de Theodore, qui devait procéder tandis que Voldemort me tenait physiquement. A côté de nous, je pouvais le voir sortir sa baguette de son uniforme noir tandis que le silence régnait en maître dans la grotte. Une faible lumière argentée sortit de sa baguette vers nos mains nouées tandis que sa voix que je haïssais tant commença : 

-       Drago Malefoy, jures-tu de ne pas trahir le Seigneur des Ténèbres ici présent, de quelque façon que ce soit, jusqu’à ce que ta mort s’en suive ? 

Je pouvais entendre mon cœur battre violemment jusque dans mes tempes. Ma gorge se fit soudainement sèche, et je priais que ma main ne devienne pas moite dans la sienne, glaciale et dure dans la mienne. Je ne savais pas. Il ne m’avait pas prévenu qu’il me faudrait effectuer un Serment Inviolable. Nos plans. Tous nos plans. Mon cœur s’affola tandis que mes yeux étaient rivés dans ceux de Voldemort. Voldemort, qui se tenait juste face à moi. J’avalai ma salive. Je ne pouvais pas perdre de temps à la réflexion maintenant, c’était trop tard. Je ne pouvais pas ne pas répondre. Je ne pouvais pas négocier, j’aurai été suspecté et tué sur le champ. Mon cœur cognait contre mes tempes. L’intégralité de nos plans. 

-       Je le jure, m’entendis-je alors promettre. 

Une langue de feu argentée s’enroula autour de nos mains liées, chatouillant ma peau de picotements acérés. Nos plans. Nos plans de le trahir. Nos plans de nous sauver. De sauver les miens. Tous nos plans. Je pouvais tous les voir s’effondrer sous mes yeux, et il me semblait que le sol se dérobait sous moi. Je m’accrochais à la main de Voldemort, cette main empoisonnée qu’il me tendait et qui me condamnait plus que je n’aurais pu l’imaginer. 

-       Jures-tu de commander ses troupes avec force et intelligence, et de toujours œuvrer pour la victoire du Seigneur des Ténèbres ainsi que de ses idées sur le reste du monde, jusqu’à ce que ta mort s’ensuive ? continua encore le père de Theodore. 

Je chassai mes pensées. Je ne pouvais pas avoir de telles pensées maintenant, non seulement parce que d’une part Voldemort se trouvait face à moi, mais surtout parce qu’il était maintenant désormais dangereux pour moi d’en avoir de telles. Mortellementdangereux. 

-       Je le jure, m’entendis-je encore me condamner. 

Le filament incandescent d’argent restait accroché, formant peu à peu une chaîne de flammes lumineuses qui liait le Seigneur et moi. Une fente satisfaite se dessinait sur les lèvres de Voldemort, et je priai qu’il ne puisse pas entendre les battements affolés de mon cœur qui tambourinaient violemment contre mon poitrail. Nos plans. Notre avenir. Je concentrai l’intégralité de mon attention sur le contrôle de ma respiration, et ses yeux rouges effrayants qui m’analysaient silencieusement. 

-       Si le Seigneur des Ténèbres venait à perdre la vie, jures-tu de reprendre le commandement total de ses troupes pour faire perdurer son héritage en tant que nouveau Seigneur des Ténèbres, jusqu’à ce que ta mort s’ensuive ? 

L’angoisse montait en moi. J’allais devoir mourir. En cet instant, je ne voyais pas la moindre autre solution. Pour que mes amis aient une chance de s’en sortir, j’allais devoir mourir. Ce n’était pas une consécration, c’était une condamnation. Je ne pouvais plus y échapper. Ma vision en devenait presque floue, comme si mes jambes étaient sur le point de me céder. Non, me repris-je avec la force du Grand Intendant. Quoi que ce soit qu’il y aurait à faire pour eux. Je l’avais promis. Peu importait quoi. Une dernière fois, je promettais dans les yeux rouges de Voldemort : 

-       Je le jure. 

Le dernier engagement prononcé, les flammes argentées se resserrèrent, brillant comme si le sort venait sceller l’accord dans ma chair, jusque dans mon âme en un contact brûlant. Je forçai mon visage à ne pas grimacer de la douleur sourde que cette magie m’imposait, et finalement, lorsque les dernières flammes pénétrèrent ma peau, les filaments argentés disparurent intégralement, et Hector baissa sa baguette. Lentement, Voldemort me retira finalement son contact froid. 

Avant que je ne puisse reprendre mes esprits, il se retourna vers l’assemblée que l’affreux père de Theodore rejoignait désormais. Le Seigneur des Ténèbres ouvra les bras grands face à eux et sa voix effrayante porta à travers l’intégralité de la grotte en une sonorité stridente : 

-       Mes amis, Drago Malefoy, votre Grand Intendant ! 

Ils plièrent tous le genou dans un tintement sourd, courbant l’échine devant moi. Leurs visages masqués se baissèrent en signe de reconnaissance, une marre de psychopathes en révérence devant moi. J’aurai dû pouvoir me délecter de cela. J’aurai dû pouvoir trouver de la jouissance dans leur soumission face à moi. J’aurai dû pouvoir vibrer de voir tous ces hommes et toutes ces femmes me jurer silencieusement obéissance. Mais la seule pensée qui tournait dans mon esprit, violente et tourbillonnante, aussi grise et emprisonnante qu’une tornade, était que je ne pourrais pas sauver les miens. Que j’étais un homme mort. 


Je ne parvenais qu’à faire bonne figure durant la soirée donnée en mon honneur au manoir. Les Masques étaient enfin tombés, et bien entendu le Seigneur des Ténèbres ne s’était pas mêlé à la populace pour l’occasion. C’était moi, le supérieur en chef des lieux. L’on venait me saluer, m’adresser ses respects, me féliciter, parfois me menacer à demi-mots, et je n’entendais qu’à moitié. Les Mangemorts que je commandais défilaient devant moi, des mets luxueux préparés par mes elfes de maison et une décoration digne d’un grand bal animant ma salle de réception, et je ne profitais de rien. Certains hommes mûrs vinrent me parler de leurs filles, certains plus jeunes de leurs sœurs comme si j’étais devenu le parti le plus intéressant du pays. J’entendais des noms, certains se (re)présentaient à moi parmi nos plus nouvelles recrues, d’autres que je connaissais déjà et dont les noms n’étaient pas disponibles à ma mémoire en cet instant. Parce que mon cerveau ne parvenait pas à assimiler les informations qu’il venait de recevoir. J’avais promis de ne pas le trahir, de quelque façon que ce soit, jusqu’à ce que je meure. De faire perdurer son héritage. De tout faire pour ses convictions, à lui. Je l’avais juré sur ma vie. Nos plans. Tous nos plans. Ils filaient tous entre mes doigts comme une fumée que j’essaierai désespérément de rendre prisonnière entre mes poings. 

Theodore m’avait bousculé de l’épaule, à un moment de la soirée. Il avait acquiescé gravement en ma direction, me sommant silencieusement de me reprendre. Une femme blonde dans la vingtaine était venue me saluer, effectuant une révérence qui traduisait son respect pour moi et mes fonctions nouvelles. Elle s’appelait Flore, ou bien quelque chose comme cela, j’avais déjà oublié. Les ombres passaient devant moi. Il me semblait même qu’Hector lui-même était venu me saluer, ou bien m’insulter, certainement les deux à la fois. Nos plans. Tous nos plans. Nos plans qui partaient en fumée. Blaise et Pansy semblaient aussi décontenancés que moi, et il me semblait que Theo les avait, eu également, poussés à se ressaisir. J’avais donné un discours, je ne savais trop lequel. Quelque chose que le Grand Intendant en moi était parvenu à articuler à propos de la guerre et de l’importance de notre mission, de mon engagement renouvelé envers eux. J’avais même parlé de notre plan pour la prise du Ministère. J’avais été applaudi, bien sûr. Mais nos plans. Tous nos plans, c’était là la seule chose à laquelle je parvenais à penser. Nos plans qui partaient en fumée, et que je ne parvenais pas à rattraper. 

Encore une nouvelle recrue, et un nouveau coup d’épaule de Theodore. Un homme plutôt jeune, lui également. Un bon soldat à l’apparence militaire, il me semblait étrangement normal pour un Mangemort fanatique. Paul, ou quelque chose du genre. Respectueux, à l’air puissant et apparemment obéissant. Un bon facho, en soi. Nos plans. Tous nos plans. 

D’un coin de l’œil, j’avais aperçu Hector monter en direction de l’étage. Machinalement, sans trop savoir ce que je comptais faire mais par simple souci de ne pas le laisser se balader librement chez moi, je l’avais suivi. Je ne l’avais pas trouvé dans le couloir que j’arpentais absentement. Je passai devant le bureau de mon père. La porte était fermée. Je continuai ma route. Je passai devant ma chambre pour en trouver la porte légèrement entre-ouverte. J’y pénétrais pour le trouver là, à côté de mon lit. La rage au ventre me ramenant dans le présent, je l’avertissais gravement : 

-       Les festivités se déroulent en bas, Hector. 

Il se retourna nonchalamment vers moi, ses cheveux aussi grisonnants que sa barbe. Il avait toujours bonne mine, pour un homme dans la jeune soixantaine. Pour le monstre qu’il était. Je détestais le savoir chez moi, avec tout ce qu’il avait fait à mon frère. Toute la tension que j’accumulai de cette soirée pulsait dans mes veines. 

-       Excuse-moi, j’ai été pris d’un élan de nostalgie, mentit-il avec un sourire qu’il voulait charmeur. 

Il ne l’était pas. Pas pour moi, en tout cas. Je connaissais trop du monstre qu’il était réellement pour voir le charme que tous les autres lui trouvaient. N’étant pas en état de maintenir une conversation avec lui qui ne finirait pas avec sa tête détachée de son corps, je me décalais physiquement du chemin de la porte pour lui signifier de s’en aller sur le champ. Il obéit. Du moins, cela fut ma première impression. Il s’arrêta devant moi, et renifla exagérément, son nez se retroussant sur lui-même comme celui d’un animal. Il plissa ses yeux mesquins et me regarda droit dans les yeux quand il murmura, une étrange menace dissimulée dans ses mots : 

-       Ça sent bizarre ici. 

Mon cœur manqua un battement. Je n’eus pas le temps de rétorquer qu’il était déjà sorti de ma chambre pour retrouver la fête dans la salle de réception. J’ouvrais la bouche à la recherche d’un peu d’air. Trop. C’était trop. Je ne parvenais plus à suivre. Il ne pouvait pas l’avoir sentie, si ? Mon rythme cardiaque s’emballa dans mon poitrail, et je m’appuyais contre le barreau de bois de mon lit pour ne pas perdre l’équilibre. Mon équilibre physique branlant, et celui, pire encore, de mon mental. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que chaque fois que nous pensions avancer, tenir quelque chose, une miette, rien qu’une miette d’espoir, ils arrivaient toujours à nous la reprendre en l’espace d’une seule seconde que nous ne voyions jamais venir ? 

Quelques profondes inspirations plus tard, j’étais redescendu à mon tour dans la fausse aux serpents. J’étais l’hôte, et la personne célébrée. Leur Grand Intendant, je l’avais juré. Je ne pouvais pas demeurer caché. Mais mon cerveau, lui, demeurait embrumé. Je faisais bonne figure. Je buvais un verre, prenait quelques amuses-bouches. Je maintenais une conversation polie, d’autres politiques, parfois certaines plus musclées. Et à l’intérieur de moi, tout ce que je pensais, tout ce que je ressentais, c’était nos plans. Tous nos plans qui s’écroulaient. 

Quelques heures plus tard peut-être, je n’en étais pas certain, ils s’en allèrent. Le silence retomba finalement, faisant écho à l’intérieur de moi. Le vide. Le néant. Blaise, Pansy, Theo et moi étions disposés ici et là à travers la salle de réception pleine de plateaux mi-entamés de nourriture, et de verres vides disposés un peu partout. La lourde réalité s’abattît sur nous, et nos regards mutuels se rencontrèrent gravement. Les Masques tombèrent. Aucun d’entre nous ne bougea, comme si nous avions trop peur de ce que cela impliquerait. Trop peur que dès que nous parlerions, bougerions, merde même respirions, notre monde tout entier s’écroulerait. Les battements de mon cœur devinrent plus insolents encore. Même Theo abordait un air grave. Même lui. Même mon frère. Je cherchais de la force en eux, et n’y trouvait que de l’inquiétude. Mon cœur s’en affola. Pas lui, il ne pouvait pas être inquiet. Pas lui. Le visage de Blaise semblait timide, comme apeuré. Blaise n’était pas timide. Non, il ne l’était pas. Et les yeux de Pansy étaient remplis de larmes, rougis par l’émotion qui montaient violemment en elle. Ce fut sa voix à elle, tremblante et aussi basse que le souffle du vent qui brisa le silence lourd qui pesait sur nous :

-       Qu’est-ce qu’on va faire, maintenant ? 

Je me noyai dans ses yeux à elle, complètement perdu dans le lac verdoyant qui vivait en eux. Une larme perla sur sa joue, transperçant mon cœur comme une lame de poignard. Le désespoir, encore. Dans chacun de leurs yeux, à tous. Encore. Nos plans. Tous nos plans


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