CHRONOS ET DEIMOS. Traduit de russe, auteur TsissiBlack
Au matin, Harry s'étira voluptueusement, embrassa Severus toujours inconscient et, pieds nus, vêtu seulement de son bas de pyjama, se dirigea vers la chambre de Reg. Ce dernier était allongé sur le dos, pâle et immobile, couvert jusqu'au menton.
— Debout ! aboya Potter joyeusement, et le garçon sursauta et ouvrit les yeux.
— Déimos ? demanda-t-il d'une voix rauque en scrutant les alentours. Que s'est-il passé ?
— Ce qui s'est passé et ce qui va suivre ? Je vais te donner une correction, héritier, comme il se doit avec le bon vieux martinet ! Pourquoi, par tous les diables et Mordred réunis, es-tu entré seul dans cette grotte ?
— Oh non, gémit Regulus sans montrer le moindre remords. J'aimerais être mort ! Si Maman ne m'achève pas, le Seigneur des Ténèbres s'en chargera sûrement.
— C'est peu probable. Nous sommes en 2009, et les potentiels bras armés de Némésis dont tu parlais sont morts. Lady Val et Voldemort.
— Quoi ?
Reg essaya de s’asseoir, mais sa faiblesse lui donna le vertige. Il regarda tour à tour Déimos, ses mains, la pièce, et demanda doucement, interloqué :
— Comment as-tu… ? Comment as-tu…
— Avec l'aide d'un artefact ancien, bien sûr.
— Mais…
— Ouais ! Crois-tu que je suis un vampire, et que le temps n’a aucun pouvoir sur moi ? plaisanta Harry. Lève-toi, prends une douche, et je te raconterai tout au petit-déjeuner.
— Et Sev… Quel âge a-t-il ?
— Quarante-neuf ans. Et les trente-quatre dernières années n’ont pas été des plus roses pour lui.
— Et… Maman ? souffla Reg doucement en baissant les cils.
— Lady Val est morte bien avant que je ne mette les pieds dans cette maison. Si elle le veux, elle te le racontera elle-même.
— Tu… es le fils de Sirius, alors ?
— En quelque sorte. Je suis le fils de James Potter.
— Donc, seulement par magie, acquiesça Regulus, familier avec ce genre de choses. Pardonnez-moi, je…
— Tu as besoin de rester un peu de temps seul. Je comprends. Je t'accorde une heure, après quoi nous prendrons le petit-déjeuner et irons à Gringotts chercher ton acte de naissance… fiston.
— Oh non ! Toi…
— En premier lieu, je t'ai séparé par un rituel de la famille là-bas, dans le passé, afin d'éviter la création d'un paradoxe avec deux chefs de famille adultes durant la même période temporelle, puis je t'ai ramené ici et j'ai procédé à l’adoption selon les préceptes de la magie.
— Donc, Sirius est mort, murmura Regulus dans son oreiller. Et nous n’avons pas eu le temps de nous réconcilier. Enfin, au moins, Sev…
— Il est dans le coma.
— Et moi, que fais-je ici ? demanda Reg, confus, sans s’adresser à personne en particulier.
— Je t'attends dans la salle à manger dans une heure. Je pense que tu te rappelles où elle se trouve. Ta baguette étant restée dans la grotte, nous devrons également nous rendre chez Ollivander aujourd'hui. Kreattur !
— Maître a appelé Kreattur ?
— Quand Regulus sera prêt, tu l'accompagneras à la salle à manger. Je vais m'entraîner pendant ce temps. Et ne t'avise pas d'importuner l'héritier avec tes sottises, est-ce clair ? Sinon, je couperai ta tête pour l'exposer au-dessus de l'escalier, comme celles de tes prédécesseurs manipulateurs, compris ?
— Kreattur comprend, Maître !
L'elfe de maison s'inclina avec une profonde déférence, comme si la mention de cette tradition sinistre de décapitation des elfes de maison avait suscité une forme de respect chez le vieux vaurien.
— Kreattur ne dira rien d'inutile à Maître Regulus.
— Ne dis rien du tout. Ce qu'il a besoin de savoir, je le lui dirai moi-même au petit-déjeuner.
Sur ces mots, Harry quitta la pièce, laissant le malheureux jeune homme recoller les morceaux de son univers, qui s'était effondré en l'espace de ce qui ne représentait qu'un bref instant pour lui.
***
— Alors, commença Harry au petit-déjeuner, en étalant de la confiture sur une fine tranche de pain grillé. Je m'appelle Harry James Orion Potter-Black. Je suis à la tête de deux maisons, par le sang et la magie. J'ai trente ans et je travaille au Bureau des Aurors...
— Qui pourrait en douter ? chuchota Reg, mais Harry fit mine de ne pas l'entendre.
— ...en tant que Chef des Aurors. Je conseille aussi le Ministre de la Magie sur les questions de sécurité intérieure et extérieure. Je néglige scandaleusement mes responsabilités en ignorant les sessions de la Chambre des Lords, où je détiens deux voix : celle des Black et celle des Potter. Tu devras t'en occuper, car je croule déjà sous le travail.
— Et quel est le régime en place ? Eh bien, Le Lord…
— J’ai tué Voldemort au printemps 1998 lors d’un duel loyal. Suite à cet événement, un gouvernement favorable aux moldus dirigé par Fudge a brièvement pris les rênes du pouvoir, avant d'être rapidement renversé. Notre ministre actuel applique désormais une politique de compromis. Les sorciers et sorcières d'origine moldue sont identifiés dès leur naissance et intégrés dans des programmes spécifiques dès les premières manifestations de leurs pouvoirs magiques. Tu trouveras toutes ces informations dans la presse... Quoi ?
— Vous... Lord ? En duel ? Seul contre lui ? Je... Je comprends. Je suis fier d'être votre fils, Lord Black.
— Potter-Black, corrigea Harry distraitement en se grattant la tête, perplexe. Et arrête ces simagrées.
— Comme vous voulez, Mon Lord...
— Ça suffit ! s'écria Potter, à bout de patience - une qualité déjà très limitée chez lui et dont le peu qu'il possédait était généralement réservé à Severus. Pas de 'Mon Lord' ni d'autres formalités de ce genre ; je ne les supporte pas. Appelle-moi Déimos, comme avant.
— Par Merlin ! Sev doit crever d'orgueil ! Son mari, le vainqueur du Seigneur... de Voldemort !
— Ouais, j'espère qu'il ne mourra pas tout à fait. D'orgueil, certainement.
— Pardon, dit Reg en baissant les yeux. Et qu'est-ce qu'il a...
— Un empoisonnement d'origine inconnue.
— Alors, il s'est empoisonné lui-même, affirma immédiatement Regulus. Quoi ? demanda-t-il avec appréhension, remarquant combien le visage du vainqueur du Seigneur des Ténèbres était devenu soudainement menaçant. Sev ne peut être empoisonné ; ma mère lui a vraisemblablement implanté elle-même un bézoard universel dans l'estomac, juste après l'obtention de sa Maîtrise en Potions. Il l'a eu, n'est ce pas ? Et puis, par Merlin, Sev est un Maître des Potions ; il peut détecter le poison à plusieurs mètres de distance.
— Alors, il l'a fait lui-même…
— Pas étonnant... vivre avec un tel psychopathe... euh... Veuillez m'excuser, Mon Lord.
— Ce n'est rien, ne t'inquiète pas, le rassura Harry avec une douceur trompeuse. Il s'est habitué à cette vie. Et toi aussi, tu finiras par t'y faire ! As-tu d'autres questions ?
— Lequel des... enfin... partisans du Lord...
— Les Malefoy ont été épargnés, ainsi que toute la jeune génération, enfin, ceux de mon âge, ils ont bénéficié d'une amnistie.
— Ils ont offert leurs héritiers au Lord ? Par Merlin... Regulus devint livide.
— Un esclave a-t-il vraiment le choix ? Comprends-tu seulement dans quelle situation toi et Severus vous vous êtes fourrés à l'époque ?
— Et... Sev ? Comment va-t-il ?
— Il te le dira lui-même. S'il le souhaite.
— Mais…
— Si Severus a pris le poison sans mourir immédiatement, c'est qu'il avait un objectif précis. Une fois cet objectif atteint, tout rentrera dans l'ordre. Tu as terminé de manger ?
— Et Sirius ? interrogea soudain Regulus. Il... c'est pendant la guerre, n'est-ce pas ?
— Oui. Sirius a été tué par ta cousine Bellatrix. Il est mort en me protégeant.
— Les enfants sont l'essence même d'une famille, murmura Regulus mécaniquement, baissant le regard pour cacher des larmes qui menaçaient de couler. Pardonne-moi.
Déimos soupira et, se servant une tasse de café, se dirigea vers le bureau en marmonnant :
— Prépare-toi. Nous partirons dès que tu seras prêt. Nous avons beaucoup à accomplir. La résurrection d’un homme mort depuis des années n'est pas chose courante ; il faudra travailler d'arrache-pied pour obtenir des papiers d'identité.
— Je doute que quoi que ce soit demeure impossible pour celui qui a vaincu le Seigneur des Ténèbres, lança Regulus dans son dos.
— Nous allons vérifier cela, répondit Harry sans se retourner avant de s'éloigner, laissant son fils adoptif seul face aux décombres de son ancien monde, sur lesquels un nouveau restait à bâtir.
***
— Monsieur Potter-Black, le très vieux gobelin dévoila poliment ses dents dans un semblant de sourire et indiqua d'un geste de la main le couloir qui s'enfonçait au cœur de Gringotts, cette montagne mystérieuse regorgeant de trésors, je vous prie de bien vouloir me suivre.
Harry, paré d'une robe noire de cérémonie ornementée des couleurs familiales aux manches et à l'ourlet, inclina poliment la tête en signe de salutation, puis emprunta en silence l'étroit corridor au plafond bas et voûté. Un Regulus blême le suivit, se tenant respectueusement à un demi-pas derrière lui, conformément aux exigences du protocole familial.
— Asseyez-vous, Monsieur Potter-Black. Qui vous accompagne ? Votre héritier ?
— Regulus Harry Potter-Black, mon fils par adoption magique. Héritier des deux maisons.
— Hum... héritier adoptif des maisons réunies ? Un homme adulte et robuste, incarnant parfaitement l'héritage magique des deux lignées, dit le gobelin avec un sourire carnassier, examinant Regulus de la tête aux pieds.
Ce dernier, devenu visiblement plus grand et plus massif depuis le rituel d'adoption, présentait désormais une ressemblance frappante avec Harry.
Le gobelin poursuivit :
— Il semble que la clause particulière du testament de Walburga Black va enfin s'appliquer, bien que j'aie abandonné tout espoir quand il est devenu clair que vous, Monsieur Potter-Black, étiez le fils magique de Sirius Orion Black, sans personne pour vous adopter. Lorsque vous avez épousé Ginevra Weasley, issue d'une famille très féconde, nous avons relégué le document au fin fond du coffre. Je suis vraiment ravi que ce moment soit enfin arrivé. Brascassung !
Le gobelin, qui semblait plus jeune que Granitodent avec lequel Harry s'entretenait, s'inclina profondément, accepta la grande clé ouvragée des mains de son aîné et disparut derrière la porte imposante.
Potter conserva une expression impassible. Val ne lui avait nullement évoqué la clause particulière de son testament, ni avant ni après son décès. Il ne pouvait qu'espérer qu'elle n'avait pas introduit de conditions préjudiciables pour lui-même et Regulus. Néanmoins... toute disposition imposée par la Dame Douairière de la Maison pouvait être révoquée ou confirmée par Le Lord, chef de la famille par la magie.
Quelques instants plus tard, Granitodent déploya un long rouleau jaunâtre du plus fin parchemin, mit de côté plusieurs missives qui y étaient jointes et entreprit la lecture :
« Moi, Walburga Lucia Black, dernière Dame de notre illustre Maison, jouissant de toutes mes facultés mentales et physiques, investie par la magie des pouvoirs de gardienne de nos traditions ancestrales et du patrimoine familial, transmet au futur Lord Harry James Orion Potter-Black l'honneur séculaire de notre noble lignée, et lui exprime à nouveau ma profonde gratitude pour avoir accordé à mon cher Regulus l'opportunité d'une existence préservée des tourments de la guerre. En témoignage de mes dernières volontés, je vous prie de bien vouloir accepter le document inclus dans la première enveloppe. Disposez-en selon votre jugement. »
Le gobelin sourit à nouveau, dévoilant une rangée de dents acérées et jaunies, puis tendit à Harry une enveloppe marquée du chiffre un, soigneusement tracée. Harry l'ouvrit et, après avoir lu les premières lignes, reproduisit parfaitement le sourire carnassier de Granitodent.
— Merci, Val, puisse ton au-delà être paisible, dit-il en repliant le document.
Il effleura sa bague de lord, la faisant apparaître, puis pressa le sceau qu'elle portait dans un coin du document et déclara avec solennité :
— Je valide les dernières volontés de Lady Black.
La fine bague laissa une empreinte runique, et Harry remit le parchemin dans l'enveloppe.
— Et maintenant ?
Le gobelin baissa le regard vers le testament et poursuivit :
« À mon fils, Regulus Black, je vous prie de lui faire savoir que je lui pardonne : d'avoir risqué sa vie, d'avoir fait passer les intérêts du monde sorcier avant ceux de sa famille, et de m'avoir laissée seule quand j'avais le plus besoin de lui. Veuillez lui remettre l'enveloppe numéro deux. N'oublie pas, Reg, que ta mère t'aime. »
Regulus pâlit et saisit l'enveloppe sans l'ouvrir. Harry, les sourcils légèrement froncés, reporta son attention sur le gobelin.
— C'est tout ?
— Oui. Lady Black m'a également chargé de vous informer oralement que ce document, il indiqua la première enveloppe, a un effet rétroactif et que son utilisation ou non n'affectera ni la réputation ni la fortune de la famille Black. La décision finale vous revient.
— Bien. Passons maintenant à la seconde partie de notre charmante réunion. J'ai besoin de l'acte de naissance de mon fils. Je m'occuperai personnellement des formalités auprès du Ministère.
— Rien de plus simple, Monsieur Black. Venez, jeune homme.
Regulus se leva avec docilité et emboîta le pas au gobelin, confiant son enveloppe à Harry afin qu'il la conserve précieusement. Après deux heures consacrées à l'évaluation des dons magiques familiaux, aux analyses sanguines et à l'examen de l'héritage, il se présenta devant son père adoptif, tenant une imposante liasse de parchemins. Ce dernier détacha alors son regard du journal qu'il lisait.
— Terminé ? Parfait. Prochaine étape : Ollivander.
Potter apposa sa signature sur la facture, y laissa également l'empreinte de sa bague, puis la fit disparaître avant de se lever.
— En avant, mon fils. Nous avons encore beaucoup à faire aujourd'hui. Au revoir, Granitodent, que votre or coule à flots et vos ennemis disparaissent de la surface de la terre.
— Prospérité à votre famille, Monsieur Potter-Black, et santé à votre époux et à votre héritier.
Harry acquiesça et s'éloigna, sans même s'interroger sur la façon dont les gobelins avaient eu connaissance de son époux alors que lui-même n'avait fait cette découverte que récemment. Il lui fallait admettre que l'étendue des connaissances des autres races magiques demeurerait probablement à jamais insondable. Il ne lui restait plus qu'à rémunérer généreusement leur savoir et à maîtriser l'art de formuler les questions pertinentes au moment opportun.
Dans le hall de Gringotts, Harry et Regulus firent la rencontre de Drago Malefoy en personne. Vêtu d'une élégante robe de sorcier grise aux finitions raffinés, il s'avançait avec prestance vers un gobelin disponible, mais en apercevant son éternel rival accompagné d'un jeune homme inconnu au charme indéniable, il ralentit imperceptiblement sa démarche et esquissa un sourire empreint de dédain.
— Qui vois-je ? Potter ? Est-ce bien toi ? s'exclama-t-il d'une voix forte, frôlant l'indécence. On m'a rapporté que tu avais pris un congé pour raisons familiales.
Il fixa intensément l'impassible Regulus qui se tenait, comme il sied à un héritier, avec noblesse.
— Depuis quand mes affaires personnelles te concernent-elles, Malefoy ?
Le rictus moqueur s'accentua sur le visage fin de Drago.
— Hmm... Je n'aurais pas formulé la question ainsi. Depuis quand ne me concernent-elles plus ?
— Vraiment ? Je n'ai jamais eu à me plaindre de ma mémoire, pourtant j'ai apparemment oublié de t'avoir promis quoi que ce soit.
Drago examina sa silhouette d'un œil évaluateur et arqua les sourcils de façon suggestive.
— Je n'ai ni le temps ni l'envie d'assister à ton petit numéro de mime, Malefoy. Si tu as des reproches à m’adresser... Prends rendez-vous, inscris-toi. Je reçois les mardi et jeudi de 17h à 19h.
Drago leva le menton et son sourire narquois se transforma en une grimace sinistre.
— Eh bien, pourquoi m'inscrire ? Tu pourrais peut-être passer un soir ? Parlons... De ta moralité, Monsieur Je-suis-l'Auror-le-plus-parfait-et-je-me-fiche-de-tout-le-monde ?
Les lèvres de Harry s'étirèrent en un sourire complice et, de façon inattendue, il répondit :
— Volontiers. Disons dans deux semaines environ ? Nous discuterons de ma moralité, qui t'inquiète tant pour des raisons mystérieuses, de la tentative de chantage du deuxième plus haut fonctionnaire du pays, et de bien d'autres sujets familiaux... Drago.
Malefoy recula d'un pas, mais ses yeux conservaient leur éclat affamé et furieux.
— Le deux à six heures. Ne sois pas en retard… Harry !
Il roula les « r » d'un air provocateur et, se retournant, s'éloigna sans même prendre la peine de dire au revoir.
— Est-ce le fils de Lucius ? demanda Regulus avec une pointe de dégoût. Il est très loin de son père. Aucune prestance. Et même son éducation de base laisse à désirer. As-tu eu quelque chose avec lui ?
— Malheureusement, oui. Une nuit plutôt ennuyeuse, qu'il me rappelle chaque fois qu'il me voit accompagné d'un beau jeune homme. N'y prête pas attention. Drago n'arrive pas à accepter depuis une dizaine d'années que je préfère les bruns.
— Tu veux dire… Regulus rit doucement. Sev est au courant ?
— Je ne sais pas. Ce n'est pas une conversation qu'on peut avoir en marchant. Allons-y. Nous avons des choses à faire en plus de nous lamenter sur ma réputation déplorable et peu reluisante et sur la bassesse de Drago Malefoy.