L'Ankou

Chapitre 2 : II L'Ankou

4534 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:35

           CHAPITRE II : L’ANKOU

 

           Gaël Morbrez donna des ordres pour appareiller au plus vite. La japonaise relâcha John et sans lui lancer un regard, elle lui ordonna de na pas bouger et de ne pas gêner. Morgane vint près de son frère. Autour d’eux, les marins s’affairaient pour remonter l’ancre et lever les voiles. Les ordres étaient lancés par une voix grave et forte appartenant à un homme au teint mate et aux cheveux noirs. Tout le monde avait une place et un rôle. Le vampire et la japonaise démontrèrent une grande agilité en grimpant dans les gréements pour tendre les cordages. John remarqua que la japonaise ne s’était même pas débarrassé de ses pièces d’armure ou de son sabre.

           Alors que le bateau quittait la crique, la barre tenu par Gaël Morbrez, un homme aux cheveux grisonnant s’approcha d’eux. Ses yeux bleus étaient cloitrés derrière une paire de lunettes rondes.

« Bonsoir les enfants, fit-il en souriant. Je suis Justin Lefranc, le médecin de bord. Etes-vous blessés ou avez-vous mal quelque part ?

-Non, répondit John d’un ton sec. Je veux savoir où sont nos parents. Je veux les voir. S’ils sont encore sur l’île, je veux y retourner avec ma sœur.

-Ils sont à bord, avoua le médecin en prenant un air triste. Vous les verrez plus tard.

-Je veux les voir maintenant ! Pourquoi on ne le pourrait pas maintenant ? Ils sont vos prisonniers ? Et d’abord qui êtes-vous tous ?

-Nous sommes l’équipage de l’Ankou, renseigna Gaël qui s’était approché, laissant la barre à l’homme au teint mate. Comme je vous l’ai dit, je suis Gaël Morbrez, le frère de votre mère et capitaine de ce bateau.

-Et pour quel pays naviguez-vous ? Où quelle compagnie ?

-Nous naviguons pour nous-mêmes. Hissez le pavillon ! ordonna Gaël. »

           John leva les yeux vers le grand mât. Deux marins se trouvaient au sommet. Ils déployèrent un drapeau noir arborant un crâne et deux sabres croisés. John n’avait jamais vu ce pavillon, mais c’était inutile pour le reconnaître. Il ouvrit la bouche pour ne dire qu’un seul mot :

« Pirates. »

Il n’en revenait pas. Cet homme qui se disait son oncle était le capitaine d’une bande de forbans. Alors il était sûr que ce Gaël Morbrez mentait : ses parents et surtout sa mère n’avaient jamais eu rien à voir avec des pirates.

« Mes parents n’auraient jamais été amis avec des pirates, dit-il. Ils n’étaient pas marins.

-Et pourtant, ce vieux William était un grand pirate, assura Gaël. Et ma sœur, était le capitaine de ce bateau avant de décider de changer de vie.

-Je ne vous crois pas ! Je veux leur parler ! Où sont-ils ? »

Gaël se tourna vers Igor Stradus.

« Amène-les, ordonna-t-il. »

Le vampire acquiesça sombrement et descendit dans l’entrepont en faisant signe à plusieurs hommes de le suivre. John remarqua que tous ceux qui descendirent étaient tous d’un certain âge, plus de trente ou quarante ans. Même le médecin y alla. Ils réapparurent, portant deux brancards recouverts d’un drap blanc. La main de John serra celle de sa sœur. Il ne pouvait le croire. Et lorsque les marins déposèrent les brancards devant eux, ils s’avancèrent d’un pas chancelant. John tomba à genoux. Il tendit la main vers le drap. Il devait voir par lui-même. Mais la petite main de sa sœur l’arrêta. Il tourna les yeux vers elle et la vit pleurer silencieusement.

« Laisse-les dormir, fit-elle.

-Je veux savoir, dit-il. »

Il se dégagea doucement de la main de sa sœur et découvrit le visage de sa mère. Elle avait l’air si paisible. Et si elle ne faisait que dormir ? Non. Elle était bien trop pâle. Il n’avait pas de doute sur sa mort. Morgane avait détourné le regard en se blottissant contre son frère. John sentait ses larmes couler sur sa nuque. John recouvrit sa mère. Il n’osa pas faire de même avec l’autre corps.

           John n’arrivait pas à pleurer comme sa sœur. Une seule pensé lui venait à l’esprit : pourquoi ? Ils n’étaient personne. Son père travaillait aux champs et sa mère fabriquait des paniers en osier. Ils étaient la gentillesse personnifiée. Il arrivait à son père d’utiliser des expressions étranges que seule sa mère comprenait. Mais personne n’aurait voulu les tuer. Ils ne vivaient qu’en paix. Alors pourquoi ? Pourquoi les attaquer et les tuer ? C’était un travail de pirates. Et des pirates, il y en avait plein autour d’eux.

           John se leva en laissant sa sœur. Il s’avança vers Gaël Morbrez.

« Pourquoi les avez-vous tués ? questionna-t-il.

-Que veux-tu dire ? fit Gaël.

-Je vous demande pourquoi vous avez tué nos parents ! s’écria-t-il.

-Tu crois que je pourrais tuer un ami cher et ma propre sœur ?

-Elle n’était pas votre sœur ! Elle était ma mère ! Et vous, vous n’êtes qu’un pirate sans foi ni loi. Alors, pourquoi les avez-vous tués ? Il n’y a que des sales raclures de pirates pour faire ça. »

Gaël le gifla si fort qu’il tomba à genoux.

« Ta peine ne t’autorise pas à insulter mon équipage, ni l’honneur des pirates, dit Gaël. Parmi tous ceux ici qui ont connu tes parents, aucun n’est heureux de les voir morts. Tous les respectaient et les admiraient. Ils étaient nos frères de bord et nos amis. Et pour moi, ma sœur et mon beau-frère. Ce sont bien des pirates qui vous ont attaqué. Mais des pirates qui n’en ont que le nom sans l’honneur qui va avec. Si nous sommes venus, c’est justement pour tous vous sauver. Nous n’avons pu sauver Soizic et William. Mais vous deux êtes vivants. C’est ça l’important. »

           Gaël laissa John au milieu du pont. Morgane vint l’aider à se relever.

« Gaël, appela l’homme à la peau mate à la barre. Tatiana ne nous poursuit pas.

-C’est bizarre, dit Gaël. Elle sait que nous avons les enfants. Elle n’a plus d’autre choix que d’attaquer pour s’emparer de l’Ankou.

-Si je ne la connaissais pas je dirais qu’elle a renoncé. Mais ce n’est pas du tout son genre. Qu’est-ce qu’on fait ?

-On s’occupe de nos compagnons. Puis on fait route vers l’Île de la Tortue. »

           La nuit était à son apogée quand le capitaine Gaël Morbrez fit réunir tout l’équipage sur le pont. Les deux brancards portant les corps des parents de John et Morgane se trouvaient au centre de l’attention. Les corps avaient été emmaillotés dans du linge blanc. John fut étonné qu’un tel silence puisse être fait sur la mer. Gaël Morbrez s’avança près des deux brancards.

« Ce soir, deux des nôtres sont tombés. Beaucoup d’entre vous les connaissaient, d’autres en avaient juste entendu parler. Pour ceux qui ne les connaissaient pas, c’étaient des frères de bord. Pour ceux qui les ont connus, ils étaient des amis. Ils avaient choisi de changer de vie, de quitter le bord pour se construire un avenir loin de l’odeur de la poudre et de celle du sang. Mais ils restaient des nôtres malgré tout. Car quand on est pirate un jour, on l’est pour toujours. Leur mort me touche particulièrement. William MacHingson était un foutu écossais, mais il était toujours prêt à tout pour aider les autres, pensant à eux avant lui. Il était mon ami. Soizic Morbrez, que dire de celle qui fut notre capitaine. Un vrai dragon des mers, redoutée et respectée. Lorsque vous lui manquiez de respect, elle pouvait vous casser le nez d’un coup de poing. Certains s’en souviennent. »

John remarqua qu’un pirate à l’air bourru sourit timidement. Son nez était écrasé.

« Mais pour moi, elle était simplement ma grande sœur. Celle qui a pris le relais à la mort de notre père, aussi bien pour diriger l’Ankou que pour parfaire mon éducation. Et pour ces deux tâches, elle a eu fort à faire. J’ai été triste quand elle m’a parlé pour la première fois de son envie de descendre à terre définitivement avec William. Mais j’ai respecté son choix, souhaitant qu’elle soit heureuse. Qu’ils soient heureux devrais-je dire. Ils l’ont été. Les deux enfants qui sont parmi nous maintenant le prouvent. Mais ce soir, ce n’est pas comme William et Soizic MacHingson, couple heureux vivant sur une petite île tranquille que nous allons nous souvenir d’eux. Car nous ne les connaissons pas. Nous laisserons ça à leurs enfants. Nous ; nous nous souviendrons d’eux comme William le coutelier et Soizic Morbrez, pirates de l’Ankou. Peuples des Océans, ce soir nous vous confions leurs corps. Mais seulement ça. Car leurs âmes resteront à voguer avec nous pour toujours. Kenavo William. Kenavo Soizic. »

Gaël laissa la place à huit hommes qui sortirent des rangs. Parmi eux, John reconnut le vampire Igor Stradus, l’homme à la peau mate et le médecin de bord Justin Lefranc. Ils se saisirent des brancards et le portèrent jusqu’à la bordée. Levant l’arrière des brancards, les deux corps glissèrent dans l’océan. Il n’y eut pas de coup de canon comme les militaires. Pas de prière comme les religieux. Pas même de minute de silence. Les pirates se dispersèrent pour reprendre leur poste.

           Gaël s’avança vers John et Morgane. John remarqua qu’aucune larme n’humidifiait ses yeux mais il y devina la tristesse.

« Si vous voulez rester encore, vous pouvez, dit-il. Akiko vous montrera où vous pourrez dormir quand vous le désirerez. »

Gaël s’éloigna en prenant la direction du poste de commande.

« Je ne vous crois toujours pas quand vous dîtes que vous n’êtes pour rien dans leur mort, lança John en se relevant.

-Et tu aurais raison, fit Gaël. J’aurais dû venir plus tôt et les sauver. »

Pour la première fois, John ressentit tout le désarroi de cet homme face à la mort de Soizic et William MacHingson. Peut-être disait-il vrai finalement.

« Akiko, veille à ce qu’il ne manque de rien dans la mesure du possible, dit Gaël à la japonaise.

-Ai Taishô, acquiesça-t-elle en s’inclinant légèrement. »

           John remarqua qu’elle avait retiré sa tenue de combat au profit d’une tenue ample d’un blanc pur. Deux sabres, un long et un plus court, d’une forme qu’il n’avait jamais vue étaient glissés dans sa ceinture du côté gauche. Ses cheveux étaient toujours maintenus par un chignon qui lui donnait un air sévère. Malgré tout, John remarqua que sa première impression était fondée : elle était vraiment jeune. Elle ne devait avoir le même âge que lui, peut-être même plus jeune. Elle demeura silencieuse à attendre.

           John resta longtemps à regarder l’océan défilé sous ses yeux. Jusqu’au moment où Morgane tira sur son bras pour attirer son attention.

« John, j’ai sommeil, dit-elle.

-Allons dormir, acquiesça-t-il. Euh… Akiko c’est ça ? Nous voudrions dormir.

-Suivez-moi, invita la japonaise. »

Les deux enfants suivirent la jeune fille aux yeux en amande dans l’entrepont. Elle les mena vers l’arrière du bateau. Des hamacs étaient tendus entre des poutres. Elle s’arrêta devant une porte qu’elle ouvrit. Elle invita le frère et la sœur à entrer. La cabine était petite et spartiate. Deux couchettes superposées étaient accrochées à une cloison. Sur la cloison d’en face, des étagères vides attendaient que l’on y dépose des objets. Au fond, un hublot étroit donnait sur la mer qui filait derrière le bateau.

« Si vous avez besoin de la moindre chose, ma cabine est à côté, indiqua Akiko. »

Akiko n’attendit pas de remerciement et referma la porte. Morgane demanda l’aide de son frère pour se hisser sur la couchette du haut. Il s’allongea ensuite sur l’autre couchette. Mais le sommeil ne vint pas. Il resta longtemps à regarder le vide. Ce matin, tout allait bien, il était allé voir Oriane, son père était allé aux champs, sa mère au marché. Et cette nuit, ses parents étaient morts. Et il se retrouvait avec sa petite sœur sur un bateau pirate ayant comme capitaine un homme prétendant être leur oncle. Et disant que ses parents avaient été eux-mêmes des pirates. Perdu dans ses pensés, il n’entendit pas le frôlement de sa sœur descendant de sa couchette. Il ne remarqua sa présence que quand elle vint se blottir contre lui pour y pleurer et finalement, à bout de larme, s’endormir.

 

           En ouvrant les yeux le matin, John MacHingson avait la désagréable impression de ne pas avoir dormi. Ses yeux le brûlaient. Tout contre lui, sa sœur ne s’était pas réveillée. Il la regarda un moment. Elle s’agita doucement dans son sommeil, murmurant quelques mots :

« Papa… Maman… »

John déposa un léger baiser sur son front et parvint à se lever sans l’éveiller. Il la borda et sortit silencieusement de la cabine. Il se rendit sur le pont supérieur.

           Le soleil était déjà haut. Personne n’était venu les réveiller. Sûrement une consigne du capitaine. Ce dernier n’était pas à la barre. Elle était tenue par l’homme à la peau mate.

« Bien dormi jeune homme ? »

John se tourna vers le médecin de bord qui vint près de lui. Peut-être était-ce parce qu’il ne l’imaginait pas comme un pirate mais John sentait qu’il pouvait plus facilement parler avec lui.

« Non, répondit-il.

-Je comprends, assura Justin. Mais vous verrez que le sommeil reviendra. Vous pensez sûrement le contraire pour le moment mais vous vous rendrez compte que c’est vrai. C’est tout à fait normal.

-Vous avez déjà perdu vos parents ?

-Oui, il y a longtemps, et pas dans des circonstances aussi tragiques que les vôtres mais n’empêche que la mort de ma mère m’a fait mal.

-Et celle de votre père ?

-Je vous trouve un peu trop curieux jeune homme. Le fait que vos parents étaient des amis ne vous autorise pas à me questionner de la sorte.

-Excusez-moi. Je ne voulais pas.

-Ce n’est pas grave. Vous êtes jeune, triste et tombé dans un monde que vous ne souhaitiez pas voir et encore moins connaître, celui de la piraterie.

-Mes parents ne me parlaient jamais des pirates. Tout ce que je sais sur eux, c’est ce que j’ai entendu à Sainte-Emmanuelle.

-Je peux imaginer ce que les gens en disaient.

-Une bande de voleurs, d’assassins ne reculant devant aucune bassesse pour s’emparer des biens d’autrui. Enlèvements et pillages sont leur lot quotidien.

-C’est vrai que nous menons une vie en marge de la société. Mais ceci a une raison.

-Laquelle ?

-Ça c’est à vous de la découvrir, comme chacun de ces pirates l’a découvert. Nous avons tous nos raisons d’être devenus pirate, toutes différentes. Je ne saurais que vous donner un conseil. Parlez avec ses hommes et femmes, voyez pour quelle raison ils ont choisi cette vie. Et alors, je l’espère, vous changerez d’avis sur les pirates.

-Si c’est vrai que mes parents étaient des pirates, pour quelles raisons le sont-ils devenus ?

-Pour Soizic, allez voir votre oncle. C’est une chose que votre mère et lui avaient en commun. Pour William, c’est votre grand-père qui l’a pris à son bord. Il était le seul survivant d’un naufrage dans lequel il avait perdu toute sa famille.

-Sa famille ?

-Votre mère était sa seconde femme. Il avait déjà été marié et avait même une fille. Nous l’avons repêché et soigné. Durant des mois, il est resté amorphe à fond de cale, refusant de sortir, vidant des fûts entiers de rhum. Votre grand-père disait toujours que quand il choisirait de sortir de sa peine, il le fera. Je me souviens comme si c’était hier du jour où il a enfin émergé du fond du bateau. En plein combat contre un galion espagnol. Vous parlez d’un bordel ! Ça tirait de tous les côté et lui, bouteille à la main, chancelait entre les combattants, comme s’il ne remarquait rien. Un espagnol l’a bousculé, renversant une partie de son rhum. Il lui a fracassé la bouteille sur le crâne et s’est saisi de ses armes. Ce fut son premier combat à bord, celui qui lui redonna l’envie de vivre. Il épousa la doctrine des pirates de l’Ankou, devenant rapidement un homme de confiance pour le capitaine. Et au bout de quelques temps, son cœur se rouvrit à l’amour avec votre mère. Ils se marièrent quelques jours avant la mort du capitaine. Soizic a pris le relais mais jamais leur mariage ne fut mis en péril. Au contraire. Et vous êtes venu au monde. »

           Justin Lefranc s’interrompit. John essayait d’imaginer son père et sa mère à l’époque. Si tout cela était vrai, il devait essayer de comprendre les raisons de son père pour entrer dans un équipage pirate. Mais pour tout comprendre, il fallait qu’il en sache plus sur sa mère. Une seule chose était sûre dans son esprit : ses parents avaient été tués par des pirates et ça, il ne le pardonnerait jamais à ces forbans des mers.

« Je crois que j’ai trop parlé, dit Justin gêné. Il est temps pour vous de visiter le bateau. Je me ferai une joie d’être votre guide mais j’ai du travail qui m’attend. Donc je vous laisse au bon soin d’Akiko. »

La japonaise se tenait silencieuse et droite à quelques mètres derrière les deux hommes. John se demandait depuis combien de temps elle était là et pourquoi elle n’avait pas signalé sa présence. Elle ne portait plus l’ensemble blanc qu’elle avait mis pour les funérailles. Sa tenue d’aujourd’hui était noire mais dans la même coupe. Elle n’avait pas mis son armure. Ses sabres étaient toujours glissés dans sa ceinture, et toujours du même côté. John trouvait cette façon de faire étrange, cela ne devait pas être pratique pour les dégainer. Pour acquiescer les dernières paroles du médecin, elle s’inclina légèrement en disant :

« Ai Sensei[1]. »

           Akiko ne parlait pas beaucoup. Ils firent le tour du bateau en commençant par le fond de cale. En parlant avec les marins qui faisaient escales à Sainte-Emmanuelle, John avait eu un aperçu de l’austérité de la vie à bord. Mais il y avait quelque chose d’étrange avec l’Ankou. Les denrées alimentaires étaient censées être limitées à de la viande et du poisson séchée et conservée en fûts de sel, des céréales. Mais pas de légumes verts et des fruits, ceux-ci se conservant très mal. Mais dans les réserves de l’Ankou, des cageots de fruits et légumes s’entreposaient et surtout, des pièces de viandes fraîches pendaient à des crochets. John remarqua la fraîcheur ambiante et pensa tout de suite à un sort adapté. Après tout, il avait remarqué plusieurs sorciers parmi les membres d’équipage, leurs baguettes souvent glissées dans leurs ceintures. Le cuisinier de bord était lui-même sorcier, enfin sorcière pour être exact, ce qui devait grandement facilité la préparation des repas.

           La seconde réserve était la Sainte-barbe. Sur la porte, une inscription rappelait la dangerosité des substances gardées derrière elle et l’interdiction formelle d’y faire la moindre étincelle. John s’attendait à trouver des tonneaux de poudre, des rouleaux de mèches et des boulets d’acier. Mais au lieu de ça, il ne vit que des caisses contenant des objets de formes cylindriques droits se finissant d’un côté en un cône de métal.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda John.

-Des munitions pour les canons, répondit Akiko. C’est plus pratique et rapide à utiliser que les cartouches de poudres en papier et les boulets. Et c’est bien plus efficace. C’est une invention de ta mère.

-Ma mère… balbutia John. Mais comment se fait l’allumage ?

-Nous te montrerons plus tard. Continuons la visite.

-Qu’est-ce que c’est que cette porte au fond ? »

John désignait une étrange porte sans poignée. En fait, elle ressemblait plus à un bloc de cristal qu’à une porte.

« Je ne sais pas, répondit Akiko. Seul le capitaine sait ce que c’est. »

           Le pont au-dessus des réserves servait de dortoirs et de salle à manger pour l’équipage. Certains pirates d’une quarantaine d’année voulaient qu’il les rejoigne à une table. Mais il préférait se tenir à l’écart. John remarqua qu’une cabine avait été aménagée en plein centre du pont. Elle ne devait avoir aucun hublot donnant sur l’extérieur. Lorsqu’il en fit la remarque à la japonaise, cette dernière lui apprit que c’était la cabine d’Igor Stradus. Il y restait cloitré toute la journée et n’en sortait que pour assurer le quart de nuit, le vampire étant l’un des deux seconds du capitaine.

           Un gémissement craintif attira l’attention de John. Il se retourna et vit sa sœur faire une moue effrayée, entourée de plusieurs marins. Son sang ne fit qu’un tour. Il se précipita jusqu’à elle et offrit son corps en bouclier.

« Reculez ! hurla-t-il. Laissez-la !

-Du calme mon garçon, dit un pirate. On ne lui veut aucun mal. On veut juste rire…

-Je vous interdis de l’approcher ! rugit l’adolescent en brandissant sa baguette. »

Avant même qu’il ait le temps de réagir, la lame d’un sabre se trouvait à un millimètre de sa gorge. Il tourna les yeux vers Akiko. Cette dernière avait un regard dur mais calme.

« Range ta baguette, ordonna-t-elle.

-Pas tant qu’ils voudront s’en prendre à ma sœur, dit John. Je ne laisserais aucun de ces sales pirates s’en prendre à elle.

-Qu’est-ce qui se passe ? J’aimerais bien dormir. »

Igor Stradus était sorti de sa cabine. Il observa la scène quelques secondes et s’avança.

« Helmut, raconte-moi, demanda-t-il.

-On a fait une petite farce à la petite, raconta un pirate avec un accent allemand. Ça lui a fait peur et le garçon a cru qu’on lui faisait du mal. »

John regarda les mains du pirate et y vit une souris grise qui se baladait de main en main.

« John, il m’a juste fais un tour en faisant sortir sa souris de sa manche sans baguette, dit Morgane. J’ai été surprise c’est tout.

-Tu peux baisser ta baguette maintenant petit, invita le vampire.

-Je ne veux pas qu’ils s’approchent de Morgane, reprit John.

-Ils ne lui feront aucun mal. Baisse ta baguette.

-Je ne veux pas de votre soi-disant parole. Les pirates n’en ont pas.

-Baisse ta baguette ! siffla Stradus. »

Le dernier ordre surprit John qui baissa le bras nerveusement. Les yeux rouges du vampire le fixaient avec colère. Puis ils se radoucirent.

« Les pirates de l’Ankou ne sont pas comme les autres, conclut le vampire avant de retourner dans sa cabine. »

           Akiko attendit encore quelques secondes avant de se décider à ranger son katana. John se tourna vers Morgane.

« Je ne veux pas que tu t’approches de ces pirates, dit-il.

-Mais ils n’ont rien fait, protesta Morgane. Ils sont gentils.

-Ce sont des pirates, des criminels. »

Morgane n’avait pas sa place sur ce bateau. C’est ce que se disait John. Et lui non plus. Si le capitaine avait un peu de bon sens, il s’en rendrait compte et les débarquerait. Il devait le lui dire.


[1] « Oui docteur » en japonais. Le mot « sensei » a plusieurs significations : professeur, maître, docteur. C’est selon l’individu à qui l’on s’adresse. En fait, c’est un terme à utiliser envers quelqu’un qui fait autorité dans un domaine scientifique, professionnel ou culturel.

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