L'Ankou

Chapitre 3 : III L'Île de la Tortue

4596 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 20:56

           CHAPITRE III : L’ÎLE DE LA TORTUE

 

           Gaël Morbrez souriait du regard sérieux de John. Il ressemblait tant à sa mère avec cette expression. Gaël savait que le moment de parler à ces deux enfants viendraient vite. Il se devait de répondre à leurs questions et de leur expliquer certaines choses. Il passa le commandement à Victor Blanco, l’homme à la peau mate, et invita ses neveux dans sa cabine.

           Elle était à peine plus grande que celle qu’occupaient John et Morgane. Mais par contre, elle semblait plus confortable. Les étagères soutenaient pas mal de livres et des cartes maritimes étaient consciencieusement roulées dans un coin. Une table qui devait servir aussi bien pour tracer la route que pour manger se trouvait au centre. D’un geste de baguette, Gaël fit apparaître deux fauteuils en invitant les deux adolescents à s’y asseoir. Le capitaine s’assit dans un fauteuil de velours noir.

           « Alors, que veux-tu savoir ? demanda Gaël.

-Quand pouvez-vous nous déposer à terre ? questionna directement John.

-Que veux-tu dire par là ?

-Ma sœur et moi n’avons rien à faire avec des pirates. Je ne veux pas qu’elle reste près de forbans tels que vous. Donc je vous demande de nous déposer à terre le plus tôt possible. »

Les yeux du jeune John étaient des plus sérieux. Il n’acceptait pas encore le passé de ses parents. Il n’y croyait pas pour être exact. Et à cause des habitants de l’île sur laquelle il a grandi, il s’est mis à croire que tous les pirates étaient des hors-la-loi agissant sans aucune morale. Mais les pirates de l’Ankou n’étaient pas comme les autres. De toute façon, quoi qu’il pense, Gaël ne pouvait lui donner qu’une seule réponse :

« Je ne peux pas.

-Si vous avez ne serait-ce qu’une once de l’honneur dont vous vous vantez…

-Je ne peux pas parce que si je le faisais, Tatiana Gorluna vous retrouvera sûrement et vous tuera, coupa Gaël. Et tel que je la connais, votre mort ne sera pas sans souffrance.

-Cette Gorluna, c’est elle qui a tué nos parents, n’est-ce pas ? dit John.

-Oui.

-Pour quelle raison ?

-Pour s’emparer de ce bateau.

-Je ne comprends pas. Pourquoi nous attaquer alors que nous n’avions rien à voir avec vous ?

-Parce que ta mère était la capitaine de l’Ankou et que dans vos veines coule le sang des Morbrez.

-Arrêtez de dire que ma mère était une pirate ! Jamais je n’y croirais !

-Alors c’est que tu nies le souvenir de tes parents. Et de toute ta famille. Nous autres les Morbrez sommes pirates. C’est ainsi depuis des générations. Nous ignorons même depuis combien de temps vogue l’Ankou. Mais il y a toujours eu un Morbrez pour en commander l’équipage. Quand mon père est mort, ta mère a aussitôt pris la suite. Et quand elle a décidé de quitté le bord avec William, c’est moi qui ait repris le flambeau. Et quand viendra le jour pour moi de passer la main,… Et bien, pour le moment, les seuls Morbrez restants, se sont vous deux. L’un de vous devra continuer à faire voguer ce bateau.

-Vous rêvez ! Ni moi, ni ma sœur ne deviendrons pirate.

-Tu sembles avoir des idées bien arrêtées sur les pirates. Elles changeront sûrement avec le temps. Du moins je l’espère. En attendant, je ne peux pas vous abandonner sur une île. Je suis responsable de vous deux. C’est mon devoir en tant qu’oncle.

-Nous ne voulons pas rester.

-Je vous garderais au moins jusqu’à ce que je sois sûr que Tatiana ne vous fera plus aucun mal. En attendant, il va falloir travailler.

-Quoi ?

-Aucune charge ne doit être inutile sur un bateau. Si vous voulez manger, il vous faudra bosser. Tu ne veux peut-être pas apprendre à être pirate, mais tant que tu seras à bord de mon bateau, tu devras te plier à ma loi.

-D’accord, je vais travailler. Mais laisser ma sœur en dehors de ça.

-John, je veux me rendre utile moi aussi, dit Morgane.

-Je sais exactement ce que tu vas faire Morgane, assura Gaël.

-Non ! s’exclama John.

-Ça suffit ! gronda le capitaine. Tu vas te mettre tout de suite au travail et cessé de jouer au gosse trop gâté ! Dehors ! »

           Gaël tendit sa baguette et propulsa John à l’extérieur de sa cabine. Le jeune homme roula sur le pont sous les yeux amusés de l’équipage. Gaël Morbrez sortit à son tour. Il tenait toujours sa baguette à la main. John tâtonna dans ses poches jusqu’à sortir la sienne et la tendre vers le capitaine de l’Ankou. Gaël fit un geste apaisant et John crut un instant qu’il cherchait à faire cesser l’altercation mais en fait, le signe était adressé à Akiko qui avait porté la main à son katana.

« Maintenant que tu as sorti ta baguette, tu as deux solutions, dit Gaël. Soit tu la jettes et tu te plies à mes ordres, soit tu l’utilises. Que décides-tu ? »

John se remit debout sans lâcher le pirate des yeux. Morgane était sortie de la cabine du capitaine et observait son frère avec angoisse.

« Experliarmus ! cria-t-il. »

Le sortilège n’atteignit pas sa cible, Gaël Morbrez l’évita facilement et contre-attaqua. L’Experliarmus du capitaine pirate atteignit sa cible sans que John ne puisse rien faire. Il faut dire que Gaël ne l’avait même pas formulé. La mère de John lui avait parlé de certains sorciers capables de ne pas formuler certains sortilèges. Elle-même ne le faisait pas pour certains sorts ménagers. Mais lorsqu’elle l’a initié au combat magique, elle a toujours formulé ses attaques et défenses.

« Ta mère ne t’a jamais appris à faire des sortilèges informulés ? questionna Gaël. Elle était pourtant plus que douée dans ce domaine. On ne pouvait jamais deviner ses intentions dans un duel. Dans notre vie, perdre signifie mourir. C’est pourquoi elle n’a perdu qu’un seul combat.

-Ma mère ne savait pas se battre, dit John. Elle n’était qu’une simple femme de fermier. Pas une pirate.

-Continue de te mentir si tu le veux. Mais moi, je me souviens des raclés que Soizic m’a foutues. J’en ais encore mal partout rien que d’y penser. »

           Gaël s’approcha du jeune homme et lui rendit sa baguette.

« Maintenant, tu vas te mettre au travail sans la ramener, dit le capitaine d’un ton qui n’autorisait aucune contradiction. Helmut, appela-t-il.

-Capitaine, répondit le pirate à l’accent allemand.

-Tu vas t’occuper de lui apprendre le métier de mousse. Il ne veut pas rester à bord mais tant qu’il sera là, il devra bosser et apprendre.

-Pas de problème.

-Parfait. Et aussi, Natalia.

-Oui capitaine, répondit une voix féminine avec un accent slave. »

La femme qui s’était avancée était blonde comme le blé et son visage était arrondi par des pommettes saillantes. Ses origines russes se devinaient aisément. Elle était habillée d’un tablier noir.

« Morgane va te donner un coup de main en cuisine, dit Gaël en désignant la jeune fille. »

La russe acquiesça et s’approcha de la gamine en souriant. Morgane ne ressentit aucune peur et sourit à son tour. Elle était sûre de bien s’entendre avec la cuisinière. Elle la suivit mais au moment de quitter le pont, elle se tourna une dernière fois vers son frère qui écoutait ce que lui disait le gabier.

 

           Les jours suivants furent particulièrement éprouvants pour John MacHingson. Il passait ses journées à nettoyer le navire sans sa baguette. Helmut lui apprit à grimper dans les gréements jusqu’aux vergues. Et même à la hune du mat de misaine. Il en retira une certaine fierté personnelle qui lui fit un peu oublié son mépris envers les pirates. Mais quand il regarda en direction du grand mat et vit Akiko y grimper avec une légèreté et une habileté telle qu’on l’aurait crue porté par les vents, il se dit qu’il avait encore du chemin à parcourir.

           En cuisine, Morgane faisait tous son possible pour aider Natalia sans faire trop d’erreur. Heureusement, la jeune femme était patiente et comprenait parfaitement que la fillette n’ait pas l’habitude des fourneaux.

« Ta mère était pire que toi, se souvint-elle.

-Vous avez connu ma mère ? questionna Morgane. »

Natalia doutait de devoir parler de Soizic à Morgane. Mais après tout, il n’y avait aucun mal à ça. Et puis, cette petite la lui rappelait tellement.

« C’est moi qui ait appris à ta mère à cuisiner, raconta Natalia. Elle a toujours su se battre et a pris naturellement les commandes de ce bateau à la mort de ton grand-père. Mais pour ce qui est de manier un couteau pour couper des légumes ou marier des ingrédients entre eux, c’était pas gagner. Lorsqu’elle a commencé à se rapprocher de ton père, elle voulait être capable de lui faire elle-même un bon dîner. Donc, en secret durant des mois, elle venait régulièrement ici et je lui apprenais tous mes petits trucs de cuisinière. Mais vraiment, au début c’était une catastrophe ! Tu es bien plus doué qu’elle.

-Elle m’a appris à faire deux ou trois choses, avoua Morgane.

-Alors je vois qu’elle a bien retenu mes leçons. Je me souviens encore de la première fois qu’elle a faite à dîner pour ton père. Elle était si nerveuse qu’elle passait son temps à goûter son plat en pensant avoir oublié quelque chose.

-Et ce fut un désastre ?

-Au contraire, une vraie réussite. Bizarrement, c’est à la deuxième fois qu’elle s’est loupée. Mais ton père ne lui en a jamais tenu rigueur. Il était déjà sous son charme. »

           Le regard de Natalia se porta sur la pendule accrochée à la cloison.

« On parle, on parle et le temps passe, dit-elle. C’est bientôt l’heure du dîner. Il faut que tout soit prêt. Il va être temps qu’on accoste, les réserves se vident. »

 

           Le lendemain, l’Ankou arriva en vu d’une côte parsemée de mangroves impénétrables. Une montagne marquait son relief à l’est. Cette montagne appelée la « Tortue » par les premiers habitants espagnols de l’île lui donna son nom. Un fort imposant se trouvait au pied de la montagne, niché entre elle et un cours d’eau descendant vers le sud. L’Ankou passa au large de l’embouchure du cours d’eau. En écoutant les pirates, John comprit qu’un récif se trouvait juste devant l’embouchure et obligeait les navires à passer au large. Une demi-heure plus tard, le bateau pirate s’arrimait au ponton de bois d’un petit port miteux.

           Gaël Morbrez avait dirigé la manœuvre d’accostage depuis la passerelle. Il se tourna vers Victor Blanco.

« Laisse les hommes aller à terre, dit-il. Mais je veux une équipe toujours à bord pour veiller au plus loin et garder le bateau.

-Très bien, acquiesça Victor. Je vais rester pour m’occuper de ça. Je n’ai rien à faire à terre. Que vas-tu faire ?

-Rendre une petite visite au « gouverneur ». »

           En descendant sur le pont, Gaël croisa Natalia et Justin qui s’apprêtaient vraisemblablement à descendre à terre.

« Je dois remplir nos réserves, indiqua Natalia. Elles sont presque vides. Je vais prendre quelques hommes avec moi.

-Morgane va avec toi ? demanda Gaël.

-Oui.

-Prend aussi John, il aidera à porter. Et toi Justin ?

-Besoin de quelques ingrédients et plantes médicinales. Je prends juste un homme avec moi.

-Tu ne veux pas de protections supplémentaires ?

-Ça devrait aller. Tu vas voir Le Vasseur ?

-Oui. J’ai à lui parler.

-Je ne saurais trop te conseiller d’être prudent. Ce type est dangereux. J’espère que tu n’y vas pas seul.

-Je suppose qu’Akiko ne me laissera pas y aller seul. N’est-ce pas Akiko ?

-Ai Taisho, répondit la japonaise en s’avançant.

-Bon, je suis rassuré, sourit Justin. A tout à l’heure. »

           Une fois sur la terre ferme, les différents groupes de l’équipage de l’Ankou se séparèrent. Gaël et Akiko prirent la direction de la demeure du gouverneur. L’imposante maison, bien entretenue, était situé à quelques dizaines de mètres des falaises qui délimitaient la côte nord de l’île. Adjacente à la demeure, une grande tour semblable à un phare. La demeure aurait pu être la maison de vacances d’un roi. D’ailleurs, celui qui l’habitait se prenait pour un roi.

           Jean Le Vasseur[1] avait été un officier et un ingénieur au service du roi de France. Il fut nommé gouverneur de l’Île de la Tortue en 1642. Mais peu de temps après, comprenant les profits qu’il pouvait faire en faisant du commerce avec les boucaniers déjà présents sur l’île depuis 1630, il coupa les ponts avec sa patrie d’origine. Commença alors un règne sans partage sur l’Île de la Tortue. Jean Le Vasseur était craint autant qu’il était haï. Quiconque s’opposait à lui était exécuté. Il demandait des parts importantes des butins gagnés par les pirates accostant sur son île, et levait des taxes sur les rares commerçants y résidant. Malgré tout, l’île était toujours aussi populaire auprès des pirates. Car ici, l’Armada espagnole ne venait pas les chercher. Il faut dire que l’île était particulièrement difficile à investir par la force. Les espagnols y étaient pourtant parvenus en 1635. Mais ce ne fut que pour une courte période.

           Gaël Morbrez n’aimait pas Le Vasseur. Il ne lui faisait pas peur personnellement, mais il ne voulait pas quitter l’île en bataillant. Le Vasseur était toujours entouré de plusieurs individus. Des femmes légères gloussaient à la moindre de ses paroles et se frottaient lascivement contre lui. Un domestique veillait à ce que son maître et ses concubines ne manquent de rien. Pour le moment, il restait en retrait, attendant un ordre. Mais Akiko et Gaël furent d’abord en contact avec deux forbans à l’air goguenard. Chacun possédait un sabre d’abordage et un pistolet à pierre glissé dans leurs ceintures.

« Nous voudrions voir Le Vasseur, demanda Gaël.

-Vous avez rendez-vous ? questionna l’un des gardes.

-Nous venons d’accoster.

-J’veux pas le savoir. Si vous voulez voir le gouverneur, faut payer.

-J’peux te donner du savon si tu veux, grande gueule, fit Gaël. »

Le garde arma son poing pour frapper Gaël mais Akiko entra dans l’attaque et vint piquer le garde d’un coup de coude au sternum. Le garde s’effondra. Le second porta la main à son sabre mais un choc métallique se fit entendre et il ne retira que la poignée du sabre. La lame, brisée nette, était restée dans le fourreau. Le garde ne bougeait pas un cil, à la fois surpris par le fait de n’avoir qu’une poignée et par la présence du katana de la jeune japonaise sur sa gorge. Akiko avait dégainé son sabre bien plus vite que le garde, frappant à la base de la lame pour la briser avant de venir poser le fil de son tranchant sur le cou du garde.

           Le domestique de Le Vasseur, passant non loin, vit la scène. Il reconnut immédiatement Gaël. Ne faisant pas attention au garde tombé à genoux et à celui maintenu en respect par Akiko.

« Capitaine Morbrez, dit-il. Cela faisait longtemps.

-Je vais je viens, dit Gaël. Je veux voir Le Vasseur.

-Suivez-moi. »

Gaël passa à côté des gardes sans leur lancer un regard. Akiko rengaina et suivit son capitaine sans porter plus d’attention aux forbans.

           Le Vasseur se prélassait dans un fauteuil en osier rembourré de coussins et la tête posé entre les seins d’une jeune fille dénudée. Il eut un léger sourire en reconnaissant le capitaine de l’Ankou.

« Gaël Morbrez, dit-il sans se relever. Mes hommes m’ont dit que l’Ankou avait accosté. Tu sais que tu n’es pas obligé de venir payer les taxes directement. Mais je manque à tous mes devoirs. Veux-tu quelque chose à boire ? A manger ? Ou autre chose ? »

Le domestique se tenait l’oreille attentive à la moindre demande. Des jeunes filles souriaient au capitaine d’un air entendu.

« Contrairement à toi, je ne me complais pas à m’amuser avec des filles à peine sorties de l’enfance, lança Gaël.

-Mais que vas-tu chercher là ? s’offusqua faussement Le Vasseur. Yvette, qui est un coussin des plus doux, a déjà quatorze ans. Et je la connais seulement depuis… Enfin bref. Je comprends qu’avec la beauté de la demoiselle qui t’accompagne, les autres doivent te sembler fades.

-Je ne compte pas répéter ce que je viens de te dire.

-Je ne vois pas pour quelle autre raison tu aurais pris cette délicieuse enfant à ton bord. »

Le regard vicieux de Le Vasseur passa sur Akiko comme une limasse sur une magnifique fleur. Mais telle la fleur, la japonaise demeura impassible.

« Encore une allusion de ce genre, et je la laisse te montrer pourquoi elle a sa place sur l’Ankou, fit Gaël Morbrez.

-Tu n’as vraiment aucun sens de l’humour ! rit Le Vasseur. J’ai vu ce qu’elle a fait à mes gardes. Mais je ne peux m’empêcher de penser, qu’elle a peut-être d’autres talents.

-Taisho, dit Akiko.

-Du calme Akiko, tempéra Gaël. On va considérer qu’il n’a émis qu’une hypothèse.

-C’est sage, acquiesça Le Vasseur. Parce que ta petite aux yeux en amande a beau être rapide, je ne pense pas qu’elle le sera assez. »

Le Vasseur claqua des doigts et plusieurs gardes sortirent de la maison, les sabres au clair et les pistolets armés.

           Gaël passa un regard circulaire sur la bande de gardes-chiourme. Il ne lança même pas un coup d’œil à Akiko, il savait que la samouraï garderait un masque impénétrable. Et puis, autant laisser à ce soi-disant gouverneur croire qu’il avait l’avantage.

« Assis-toi donc Morbrez, invita Le Vasseur. Et accepte au moins une bonne bière venue de ton pays natal. L’un des seuls produits consommable de la Bretagne.

-Tu oublies les crêpes, fit Gaël en s’asseyant.

-Beurk. Et ta jeune amie ? Elle ne s’assit pas ? questionna-t-il en voyant la japonaise demeurée debout au côté de Gaël.

-Elle est assez grande pour savoir ce qu’elle veut faire. »

La bière n’était pas très fraîche, mais au moins, Gaël n’y décela aucune trace de poison.

« Bon, parlons sérieusement, commença Le Vasseur. A combien estimes-tu ton butin ?

-Je n’ai rien, répondit Morbrez. Tu devras te contenter de la taxe d’accostage et de ce que je vais dépenser pour me ravitailler.

-Je me doutais d’une réponse de ce genre. Tu es un pirate étrange Morbrez, pourquoi n’arraisonnes-tu que rarement les navires de commerces ?

-Ça ne regarde que moi.

-Je me demande comment tu fais pour ne pas avoir de mutinerie à ton bord.

-Je ne suis pas venu pour discuter de ma façon de commander mon bateau, dit patiemment Morbrez. Je veux savoir si Gorluna a fait escale ici dernièrement.

-Tatiana Gorluna ? Je ne m’en souviens pas. Attends, je vais consulter le registre. »

           Le domestique apporta un livre aux pages jaunies relié de cuir. La dernière page usitée était marquée par une lanière de cuir. Le Vasseur dut quitter la douceur de la peau de la jeune Yvette pour l’ouvrir. Il parcourut les pages depuis la dernière à rebours. Il s’arrêta sur une ligne qu’il suivit de son doigt.

« Le Cauchemar a fait escale il y a un mois, indiqua Le Vasseur. Ah oui ! Je m’en souviens. Gorluna s’est même vantée que la prochaine fois, elle ne viendrait pas avec le même bateau. Elle court encore après l’Ankou, n’est-ce pas ?

-Est-elle venue te voir ?

-Peut-être.

-Qu’est-ce qu’elle t’a demandé ?

-Tu me poses beaucoup de question. Il va falloir commencer à me donner quelque chose en échange de tous ces renseignements. Pour l’escale, ce n’est pas un secret. Mais ce qu’elle et moi on s’est dit, c’est du domaine du privé. »

           Gaël Morbrez s’obligea à la patience. Et pourtant, il savait qu’il n’avait pas de temps à perdre. Gorluna devait se douter que l’Ankou devait faire escale sur l’île de la Tortue. Il porta la main à l’intérieur de sa veste et en sortit une bourse de cuir. Il y prit une poignée de pièce d’or qu’il déposa sur la table.

« Espagnol, apprécia Le Vasseur. Ça reste assez peu mais je vais faire un petit effort de charité. Je sais que tu n’es pas très riche. Gorluna m’a dit qu’elle comptait prendre possession de l’Ankou.

-Tu ne m’apprends rien. Dois-je reprendre mon or ?

-Ne sois pas si pressé. Elle m’a avoué que le seul moyen de s’emparer de ton bateau, s’était d’avoir du sang de Morbrez. Je n’ai pas trop compris ça mais elle m’a payé pour savoir où elle pourrait trouver ta sœur et son mari. Je lui ai plutôt suggéré de t’arraisonné à la loyale mais elle n’avait pas l’air de trouvé cette idée viable. Je me suis souvenu alors que personne n’a jamais réussi à aborder l’Ankou. Elle a insisté. Et même si je sais que c’est une folle sanguinaire, je ne refuse jamais rien à une belle femme.

-Tu sais surtout qu’elle t’aurait tué si tu lui avais menti, dit Morbrez.

-Ou essayé du moins. Mais bon, il y a quelques années, quelqu’un m’avait dit avoir reconnu William MacHingson sur une petite île à quelques jours de mer. Elle est partie quelques heures plus tard. »

           Gaël Morbrez en était sûr, cet homme le dégoutait. Il avait été à l’origine du raid dans lequel William et Soizic avaient trouvé la mort, privant John et Morgane de leurs parents. Il sentait que s’il restait plus longtemps en compagnie de cet homme imbu de lui-même, il allait perdre son calme. Gaël se leva.

« Tu t’en vas déjà ? fit Le Vasseur.

-Je compte appareiller demain matin, indiqua Morbrez. J’ai donc des affaires à régler.

-Et moi qui souhaitais vous inviter tout les deux à dîner. En fait, c’est surtout cette jeune fille que je voulais avoir à ma table. Pour ensuite l’inviter dans mon lit. »

Gaël parut sur le point de se laisser gagner par la fureur. Il porta une main derrière son dos, saisissant le manche de sa baguette. Ce geste alerta les gardes qui d’un même mouvement pointèrent leurs armes sur la tête du capitaine pirate. Akiko se tourna vers ceux placés derrière son capitaine. Elle garda les bras le long du corps mais son esprit était déjà prêt au combat.

« Taisho, dit-elle.

-Ikimasho[2], fit Gaël. »

Il retira la main de sa baguette en la montrant pour que les gardes puissent voir qu’elle était vide. Gaël et Akiko s’éloignèrent sans baisser leur garde.

           « A croire qu’il avait envi de mourir, dit un garde de Le Vasseur une fois les deux pirates partis.

-Ne va pas le croire, fit Le Vasseur. Il n’est pas du genre suicidaire.

-Mais à deux contre dix, ils n’avaient aucune chance.

-A vrai dire, aucun de nous ne pouvaient savoir qui serait sorti vainqueur. Les Morbrez sont les plus terribles combattants des mers. Quand à cette fille, j’en ai entendu parlée, il parait que personne n’a jamais réussi à la toucher en combat. En fait, je pense qu’on a eu de la chance.

-Je me demande ce qu’il aurait sorti de derrière son dos. Son pistolet et son sabre étaient bien visible devant.

-Tu le sauras peut-être un jour. Et alors, tu comprendras que ce monde recèle bien des secrets. »*


[1] Jean Le Vasseur a réellement existé et toutes les informations le concernant dans ce paragraphe sont exactes. Il fut assassiné en 1652, poignardé par un pirate. Par contre, tout ce qui va suivre est de la fiction !

[2] « Allons-y » en japonais.

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