Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE II : INTRIGUE AU VATICAN
Le Vatican a toujours été un état à part. Son mode de gouvernement est unique, même pour une théocratie. Durant plus de milles ans, ce petit état contrôla l’Europe et décida du destin de millions d’âmes. Depuis, avec l’avènement du Siècle des Lumières, l’Eglise perdit peu à peu son pouvoir, l’éducation apprenant aux ouailles, ou leur faisant entrevoir, le vrai visage de la religion catholique : un moyen de contrôler les Hommes par l’ignorance et la superstition.
Malgré cette perte de pouvoir, l’Eglise catholique tenta de garder un semblant d’influence. Alors que la majorité des pays choisirent de séparer l’Eglise de l’Etat, blasphème selon certains milieux puritains extrémistes.
Le pire blasphème, la pire insulte faite, selon les plus hautes instances catholiques, à leur dieu était l’existence même de certains êtres possédant des pouvoirs qui ne pouvaient être que l’engeance du Malin. Les Sorciers et l’ensemble du monde de la Magie ne pouvait être qu’une création du diable. Le Vatican combattait les gouvernements magiques depuis deux milles ans. Le summum fut atteint à la fin du Moyen-âge et début de la Renaissance avec l’Inquisition. Créé en 1199 pour combattre toute aberration de la foi catholique, ce fut en 1261 que la sorcellerie devint officiellement une charge que se devait de combattre cette institution qui faisait fi de l’autorité des états souverains. Mais l’Inquisition agissait déjà contre la sorcellerie et le monde de la Magie bien avant. Bien avant même de prendre ce nom.
Et alors que l’Inquisition Romaine prenait officiellement un visage plus humain en devenant la Sacrée Congrégation du Saint-Office en 1909, dans l’ombre, un groupe de religieux ultraconservateurs continuaient de combattre ceux qu’ils jugeaient hérétiques avec des méthodes violentes et impitoyables. Combien d’innocents moururent sous leurs coups pour n’avoir commis comme seul crime que d’avoir mis en doute l’existence du dieu chrétien ou pour avoir déranger le dogme chrétien et sa « vérité » par l’énonciation de la Vérité ?
L’Inquisition était infiltrée dans toutes les instances du Vatican. La plupart ignorant même pour qui ils travaillaient réellement. Seule une poignée de hauts dignitaires et fonctionnaires du Vatican connaissaient la vérité et faisaient parti du Circus, le cercle des initiés, l’Inquisition à proprement parlée. Parmi eux, Samus Denler, chef des services secrets pontificaux. Et il savait que son pire ennemi était la DE.
Samus Denler avait été chargé par le cardinal Nova, grand maître de l’Inquisition, d’organiser une réunion extraordinaire du Circus pour débattre des derniers agissements de la DE et des mesures à prendre par rapport à ce qu’il jugeait être une nouvelle manœuvre des Sorciers pour prendre le contrôle du monde et le plonger en Enfer. La réunion s’était déroulée deux semaines auparavant mais Samus Denler y pensait presque constamment car ce qui avait été décidé influait directement sur son travail.
La réunion s’était ouverte par un discours du cardinal Nova.
« Je vous remercie à tous d’être venus si vite avec si peu de préavis. La situation actuelle est exceptionnelle. Nous devons agir pour protéger les innocents contre les dangers démoniaques de nos ennemis de toujours : les sorciers et les démons. Ils sont en train de mettre un plan à exécution. Pour présenter la situation de manière plus précise, je laisse la parole à monsieur Samus Denler.
-Merci votre Eminence, avait dit Denler en se levant. La DE, officiellement, met quasiment toutes ses forces dans la lutte d’une menace d’origine inconnue. La menace a été dénommée sous le terme « Seigneurs de l’Oubli » et d’après les données recueillies par la DE, elle aurait déjà tenté de s’emparer de la Terre il y a douze milles ans. Il existe effectivement des créatures ayant apparu il y a moins d’un an, d’abord sur Mars puis venant sur Terre vraisemblablement par petits groupes. Les renseignements obtenus par une source fiable au sein même de la DE font état d’agressions de sorciers par ces créatures, des chercheurs en magie et fabricants d’artefacts magiques comme la famille Ollivander, fabricant de baguettes magiques en Angleterre. La théorie de la DE est que les Seigneurs de l’Oubli cherchaient à évaluer l’évolution de la communauté magique durant les douze derniers millénaires.
« Un nouvel élément est apparu au mois de décembre dernier après un attentat perpétré à Diagon Alley, un des lieux magiques secrets de Londres. Un de nos agents a réussi à suivre une équipe IS[1] de la DE jusqu’à une cité cachée sous la capitale britannique. Une cité où se mêle sans morale des humains, des sorciers et des démons. Un autre groupe de sorciers appelé « secte du Serpent Blanc » les suivit également et s’empara d’un artefact ancien, un objet en forme de crâne et fait de cristal. Le rapport de notre agent fait état qu’aucun des agents de la DE ne semblait connaître la véritable nature de cet objet. Plusieurs hommes de l’unité action de la DE furent éliminés par cette secte.
« Bien sûr, notre théorie est que tout ceci est un scénario fomenté par les instances sorcières pour prendre le pouvoir sur Terre et dans le reste du système solaire. La DE n’est qu’un jouet placé entre leurs mains. N’oublions pas que la DE est sous une double juridiction de l’ONS et de la CIMS. Et connaissant les pouvoirs des sorciers, ils peuvent très bien manipuler les responsables de l’ONS.
« Les sorciers ont même commis un blasphème bien plus grave que tout ce qu’ils ont fait jusqu’à maintenant. La DE aurait rencontré un peuple caché sur Mars depuis douze milles ans. Ces êtres se font appeler « Anges ». »
Un murmure réprobateur avait parcouru l’assistance. Les expressions « blasphème », « insulte à dieu » et « impardonnable » s’était faite entendre. Samus Denler avait levé la main pour demander le silence et continuer son exposé.
« Ces Anges ont ouvert des relations diplomatiques avec l’UNIM et avec la CIMS. Nous n’avons malheureusement pas d’autres renseignements internes de la DE, notre source a été démasquée il y a peu. Les noms prient par ces anges sont évocateurs de malheurs : Abbadona, Shemhazai, Satan,… Les Anges Rebelles de la Kabbale, ceux qui ont trahi notre seigneur et ont tenté de corrompre l’Humanité.
« Un dernier point. La DE a effectué une mission au Mexique qui s’est terminée il y a deux jours. Un de mes agents, le même que pour la mission à Londres, a suivi ces agents IS jusqu’à une cité maya. Il a été repéré mais les agents de la DE ne l’ont pas tué. Il a pu observer deux de ces anges de près. Une femme appelé Irael et un homme répondant au nom de Lucifel. Son rapport semble corroborer le scénario imaginé par les sorciers. L’agent Christianus Féndès était un agent loyal, croyant, efficace et fiable. C’est quelqu’un qui aurait pu entrer dans l’Inquisition. Mais il a été influencé par l’ennemi et je me méfie de lui maintenant. Il semble même que, par je ne sais quelle magie, il soit sous le charme de cette ange Irael.
« Messeigneurs, je vous donne mon impression : la situation est grave, plus grave que tout ce que notre institution a connu en plus de deux millénaires de combat contre la sorcellerie. Les sorciers s’apprêtent à prendre totalement le contrôle du monde. Je ne saurais que trop vous conseiller d’agir au plus vite. Merci. »
Le cardinal Nova avait attendu quelques secondes avant de se lever à nouveau.
« Merci pour cet exposé monsieur Denler. Monsieur Denler a raison, nous devons agir rapidement contre les sorciers ou notre monde sera condamné aux flammes de l’enfer et du péché. Et pour cela, nous devons lancer l’opération Clé. »
Un nouveau murmure avait parcouru les membres de l’Inquisition. Cette fois-ci, les réactions avaient semblé plus diverses, certains acquiesçant, d’autres doutant. Un évêque s’était levé pour parler à son tour.
« Veuillez me pardonner votre Eminence, avait-il dit. Mais il y a un détail qui me chiffonne. Comme l’a dit monsieur Denler, nous combattons la sorcellerie depuis les premiers temps. Et force m’est de constaté qu’à travers l’Histoire, les sorciers ont connu des périodes plus propices à une prise de contrôle du monde qu’aujourd’hui. Et ils n’en ont jamais rien fait. De plus, je ne mets pas en doute les capacités de monsieur Denler mais il me semble que ce scénario me semble trop complexe. Pourquoi auraient-ils eu besoin d’imaginer quelque chose d’aussi compliqué pour asseoir leur domination ?
-Votre résonnement se tient, avait répondu le cardinal Nova. Qu’en pensez-vous monsieur Denler ? Vous vous y connaissez plus que moi en manipulation et tactique.
-Les sorciers savent qu’ils ont besoin d’un symbole fort pour s’imposer, avait expliqué Denler. Ils ont choisi des démons et des anges car ce sont des symboles de bien et de mal qui ne diffèrent que peu d’un culte à un autre. Ainsi ils toucheront un maximum de gens. La plupart se soumettront sans même chercher à comprendre ou à se battre.
-Cela me semble tout de même tirer par les cheveux, avait dit l’évêque.
-Vous souvenez-vous quel serment nous avons fait ? avait repris le cardinal Nova, perdant visiblement patience. Nous avons juré de combattre tous les ennemis de dieu, quel qu’ils soient, et de défendre la seule et vraie foi. Nos ennemis agissent, nous devons les empêcher de mettre leur plan à exécution et si possible, nous débarrasser d’eux définitivement. Et la seule alternative que nous ayons est l’opération Clé.
-Cette opération présente tout de même pas mal de risques de répercussions internationales sur les plans économiques et sociaux.
-A temps exceptionnels, mesures exceptionnels. Le monde s’en trouvera purifié. Les sorciers pensent que le temps de nous dominer est venu. Mais ils nous offrent plutôt l’occasion de les vaincre définitivement. »
Le vote avait donné raison au cardinal Nova : l’opération Clé allait être lancée. Cela entrainerait un changement radical du monde et ramènerait les brebis égarées dans la lumière de la chrétienté. La vérité de dieu sera bientôt enfin révélée. Mais avant, Samus Denler devait préparer certaines choses.
La perte de sa source au sein de la DE était regrettable. Elle lui aurait facilité les choses par des renseignements fiables venant de l’intérieur même du cercle de commandement de la DE. Maintenant, il devait uniquement se fier à des observations extérieures de ses activités, et se fier à des déductions. Denler avait confiance en ses capacités, il pratiquait le métier d’espion depuis longtemps maintenant. Mais il était pleinement conscient que c’était également le cas d’Hector Guillou, le « Patron » de la DE. De plus, il ne serait pas illogique de penser que la DE devait avoir un ou plusieurs agents infiltrés au sein même du Vatican. Peut-être même parmi les services secrets eux-mêmes.
Et puis, il y avait Christianus Féndès. C’était sûrement la perte de cet agent exceptionnel qui le décevait le plus. Il n’était pas mort, ni prisonnier, ni passer à l’ennemi et il n’était vraisemblablement pas devenu un agent double. Mais il était compromis. Il ressentait visiblement de l’amitié ou du moins, une certaine forme de sympathie pour certains agents de la DE avec lesquels il fut en contact lors de ses récentes missions. Comme Alexandre Chaldo, aujourd’hui décédé, son frère Anthony et Ariana Potter.
Potter. Ce nom était adulé et parfois même vénéré par certains au sein de la communauté magique internationale et en particulier en Grande-Bretagne. Son statut d’agent IS actif ne devait pas être négligé pour l’opération Clé. Il faudra la mettre hors jeu. Au même titre que la famille Chaldo. Un nom que Denler craignait toujours d’entendre. Cette famille agissait au sein de la DE et de d’autres organismes importants dans le monde sorciers depuis plus de quatre siècles. Plusieurs branches de cette famille travaillaient pour la DE dans presque tous les services. Ils étaient tous des menaces potentielles pour l’opération Clé.
Denler recentra ses pensés sur Christianus. Il avait espéré que ce dernier prendrait sa place dans quelques années. Cette compromission mettait en danger l’ensemble des services secrets pontificaux. Surtout que l’implication n’était pas seulement idéologique ou professionnelle mais aussi sentimentale. Cette ange Irael lui avait retourné l’esprit. Denler n’excluait pas l’option d’éliminer Christianus Féndès.
Christianus Féndès avait remarqué que les informations concernant la DE lui arrivait plus lentement qu’habituellement. Etant formé à l’espionnage et au contre-espionnage, il avait compris rapidement que les rapports qu’il recevait étaient modifiés. Ce genre d’action à son encontre ne pouvait avoir été demandé que par son chef, Samus Denler. Ainsi, son dernier rapport avait été interprété comme un danger pour le Vatican. Cela ne le choquait pas. Depuis sa mission au Mexique, il doutait de la vérité qui lui avait été présentée depuis sa plus tendre enfance. Il avait encore la foi. Mais les textes qu’il avait estimés sacrés se trompaient sur bien des points. Les Anges Rebelles n’étaient pas les ennemis de dieu ou de l’Humanité. Au contraire, ils s’étaient toujours battus pour préserver l’Humanité de l’extinction.
Christianus pensait surtout à Irael. La jeune ange avait été assez grièvement blessée au Mexique. Il n’avait pas eu de nouvelles d’elle depuis. Il avait beau se répéter le vieux proverbe « pas de nouvelle, bonne nouvelle », il voulait savoir. Ce serait risqué en temps normal de prendre contact avec la DE, surtout pour une raison aussi cavalière. Mais il était déjà au ban du service. Il ne risquait plus grand-chose. Malgré tout, la prudence et la discrétion restaient de mise.
Alors que Christianus réfléchissait à un moyen de contacter un membre de la DE, il ne remarqua pas qu’il était observé par un autre homme. Mika Heinsler était un agent double travaillant au profit de la DE. Il avait infiltré les services secrets du Vatican depuis plusieurs années. Dernièrement, il avait reçu comme consigne de se montrer attentif envers Christianus Féndès. Heinsler ignorait exactement de quoi il retournait mais le Patron devait avoir une bonne raison.
Mika Heinsler suivit Christianus quand celui-ci sortit. Il le vit se rendre dans une boutique de téléphonie et acheté en liquide un holophone à carte. L’appareil parfait pour téléphoner sans se faire repérer. A moins que le numéro ou le réseau appelé soit lui-même sous surveillance. Christianus se contenta de lancer un appel et raccrocha quelques secondes plus tard. Il prit place dans un café et se mit à attendre.
L’holophone de Heinsler sonna. C’était sa ligne sécurisée lui permettant de contacter la DE. Il n’activa pas l’image, logeant simplement son oreillette à son emplacement.
« Heinsler, répondit-il.
-Savez-vous où se trouve Christianus Féndès ? demanda immédiatement la voix dans son oreillette.
-Je le vois. Il a acheté un holophone à carte et a appeler quelques secondes avec.
-Alors c’était bien lui. Il vient d’appeler un numéro à la DE. Il a juste fait sonner une fois et à raccrocher pour qu’on sache d’où il appelait. On s’est douté que c’était lui.
-Qu’est-ce que je fais ?
-Continuez de l’observer. »
[1] Investigation Spéciale.