Ariana Potter, Second Cycle : Dans la Lumière de la Guerre
CHAPITRE III : ANDREJ IONASKI
Ariana, Nayu et Kat, propres et habillées de frais, allèrent ensuite au réfectoire. Le repas n’était pas pire que les autres jours. Mais pas meilleur pour autant. Ariana et ses amies eurent du mal à identifier le plat servi. Elles avaient pris l’habitude d’en débattre en début de repas, cela meublait ces moments et les amusait un peu.
« On dirait des haricots, dit Ariana. Des flageolets.
-Ou des pois, proposa Kat. C’est tellement cuit que je n’arrive pas à me décider.
-Et la viande ? Tu crois que c’est une saucisse ?
-Pas sûr. Va falloir faire attention, je ne serais pas surprise qu’il y ait un os là-dedans. Qu’est-ce que tu en penses Nayu ?
-J’en pense que les plats de chez moi me manquent, répliqua la japonaise.
-Tu prêches des convertis, acquiesça Kat. Je ne sais pas encore lequel, mais quand on rentrera sur Terre, je me fais un excellent repas.
-Et moi dont ! s’exclama Ariana. Je ne sais pas si je vais au restaurant ou chez mes parents, mais c’est sûr.
-Rien ne vaut les petits plats d’une mère, fit une voix masculine en s’asseyant à côté d’Ariana. »
Ariana regarda l’homme qui s’était assis à côté d’elle, c’était celui qui la fixait régulièrement dans le couloir et lors de sa toilette. Elle se rendit compte que c’était la première fois qu’elle l’entendait.
« Oh ! Excusez-moi. Vous préférez rester entre vous peut-être ? fit-il en remarquant les trois paires d’yeux braquées sur lui.
-Pas spécialement, répondit Kat. Mais d’habitude, on demande si la place est libre avant de s’installer.
-Ouais. Et elle est libre ?
-Oui, pour le moment.
-Parfait. Je me suis rendu compte qu’on ne s’était jamais parlé. »
Ses mots auraient pu s’adresser à toute la tablée, mais Ariana comprit que c’était surtout à elle qu’il s’adressait.
« On est tous très occupés, dit Ariana.
-Certes, c’est la guerre. Cela ne doit pas nous empêcher de faire connaissance.
-Et si pour commencer, vous vous présentiez, suggéra Kat.
-Bien sûr, je m’appelle Andrej Ionaski. Je suis de l’UA de l’antenne martienne de la DE.
-J’ai entendu parler de vous, chef de groupe n’est-ce pas ? Vous êtes bien vu.
-Chef de section maintenant. Depuis que Vincenzo Ferri est mort. »
Ariana lança un coup d’œil à Kat. Elle savait que Vincenzo Ferri et elle avait été ami de longue date. Sa mort survenue quelques jours plus tôt avait meurtri la grecque même si elle essayait de ne rien laisser paraître.
« Je sais qui vous êtes agent Pardopoulos, Vincenzo m’a parlé de vous à l’occasion, compléta Andrej.
-Vous étiez amis ? interrogea Kat.
-Nous le sommes devenus avec le temps. C’était un excellent chef, qui commandait par l’exemple. Et un homme meilleur encore.
-Je n’ai pas eu le temps d’aller voir sa femme et ses enfants depuis sa mort. Je ne sais même pas où ils sont. J’aimerai aller leur présenter mes condoléances.
-Je peux vous emmener les voir. Tout à l’heure si vous voulez. Et je ne connais pas encore vos charmantes collègues.
-Je m’appelle Nayu Hiroji, fit simplement la japonaise.
-Et moi je suis Ariana Potter.
-C’est ce que je me demandais depuis quelques temps, j’avais un doute, dit Andrej.
-C’est pour ça que vous me fixez souvent dans le couloir ou aux douches ?
-Aie ! J’ai été repéré, fit-il faussement. En fait non, ma raison est plus simple, c’est juste que vous êtes une belle jeune femme. »
Ariana ne savait plus où se mettre devant la soudaineté de cette déclaration. Elle sentait son visage se réchauffer d’un coup.
« À ce que je vois, ce que j’ai entendu est vrai, soupira Kat.
-Quoi donc ? demanda Andrej.
-Vous êtes aussi bon agent que dragueur invétéré.
-Je plaide coupable.
-Ouais, désolé mais je crois qu’aucune de nous ne sera intéressée.
-Il ne faut jamais dire jamais. Je ne cherche pas une relation sérieuse et exclusive. On peut juste prendre du bon temps.
-Je ne suis pas intéressée, finit Kat.
-J’ai déjà quelqu’un dans ma vie, précisa Nayu en refroidissant Andrej d’un regard.
-Et vous Ariana ? Vous ne dîtes rien ?
-Euh… Je… Je…
-Je crois qu’il est temps pour vous de partir agent Ionaski, lança une voix derrière Ariana. »
Andrej leva les yeux vers Tony. Ce dernier le regardait avec neutralité. À côté de lui, Zoé observait avec intérêt.
« Excusez-moi, dit Andrej. J’ai le droit de me mettre où je veux et de discuter.
-Exact, mais je ne permets qu’on mette dans l’embarras une de mes agents, répliqua Tony. Et j’ai à parler à mon équipe.
-Vous êtes bien chanceux agent Chaldo, que des femmes toutes plus belles les unes que les autres. Pas trop dur de les protéger toutes ?
-Elles se protègent très bien elles-mêmes. Mon intervention était inutile, vous auriez fini par vous brisez les dents sur elles. C’est juste que je n’ai pas de temps à perdre.
-Nous reprendrons notre conversation plus tard alors, dit Andrej en se levant. En tête à tête agent Potter. À moins que cette jeune beauté hispanique ne veuille passer un moment avec moi. »
La pomme placée sur le plateau d’Andrej vola au sol. Il la regarda rouler et remarqua qu’une fourchette s’y trouvait plantée. Andrej tourna un regard surpris vers Nayu qui le toisait.
« Je pense que ça veut dire fous le camp, dit Tony.
-Je vois, l’analyste est ta chasse gardée, fit Andrej. Mais deux femmes, ça ne me dérange pas. »
Nayu se leva d’un bond, et si Zoé n’avait pas anticipé en venant près d’elle pour la retenir, elle se serait jetée sur Andrej.
« Ça va chérie, ce n’est qu’un con, dit doucement Zoé.
-C’est qu’elle mordrait ! fit Andrej.
-Je ne le répèterai pas, dit Tony. Va-t’en.
-À plus tard les filles. »
Tony s’installa à la place laissée par Andrej. Il n’avait pas pris la peine de prendre un plateau, son corps cybermagique ne lui permettait pas de manger.
« Rowena a reçu un message du Patron, annonça-t-il. Il veut que nous rentrions sur Terre.
-Pour quelle raison ? questionna Kat.
-Il ne l’a pas précisé. J’ai visionné le message, je pense que la ou les raisons sont sérieuses.
-Nous partons quand ? demanda Ariana.
-Dès que Rowena aura trouvé un vaisseau pour nous rapatrier. Cela devrait prendre un peu de temps. En attendant, nous continuons les missions de reconnaissance. »
Durant les jours suivants, Ariana croisa plusieurs fois Andrej. Ce dernier lui lançait des sourires entendus auxquels elle ne répondait pas. Elle le vit une fois revenir dans leurs locaux accompagné de Kat. Ils avaient l’air de s’entendre de manière cordiale. Une fois qu’ils se séparèrent, Ariana vint lui demander ce qu’elle faisait avec cet individu.
« C’est peut-être un dragueur pas très subtil et franchement lourd, mais au moins, il tient ses promesses, expliqua Kat. Il m’a emmenée voir la famille de Vincenzo.
-Oh, fit Ariana contrite. Je… Désolé, j’ai cru…
-Ne t’en fais pas, je suis assez grande pour repousser ce genre d’énergumène, ce n’est pas le premier. Et puis il n’est pas mon genre. Même si je dois avouer qu’il est pas mal. Et il a une réputation de bon amant.
-Ouais mais quand même…
-Dis-moi Ariana, depuis combien de temps ne t’es-tu pas envoyé en l’air ? »
La soudaineté de la question désarçonna Ariana. Elle resta bouche bée sans rien dire. Sans qu’elle ne parvienne à contrôler ses pensées, elle se remémora la dernière fois qu’elle avait partagé une nuit avec un homme. C’était Jérémy MacCoy, son ami avec lequel elle avait fait le stage commando. Mais l’homme à qui elle pensait le plus n’était autre qu’Alex. Elle savait que Jérémy espérait plus qu’une simple amitié. Elle ne pouvait pas lui donner. Et pourtant, c’était le seul encore en vie. Parmi les trois hommes qui ont partagé son lit, deux étaient morts. Était-elle maudite ? Devait-elle s’inquiéter pour Jérémy ?
« Je… je ne peux pas faire ça comme ça, dit Ariana.
-Tu fais comme tu veux, dit Kat. Mais ne juge pas quelqu’un qui fait un choix différent sur ce sujet. D’autant plus qu’on risque nos vies tous les jours en ce moment. Alors prendre du bon temps ne peut pas nous faire de mal. »
Ariana pensa longuement à ce que venait de lui dire Kat. Elle savait que Nayu et Zoé profitaient des douches pour laisser leurs mains se balader sur leurs peaux quand elles partageaient la cabine. Elle avait couché avec Jérémy alors qu’elle n’avait aucun sentiment amoureux pour lui, de même qu’avec Alex à l’époque. Ces réflexions l’empêchèrent de s’endormir un moment. Elle vit alors Kat se glisser hors de son lit et sortir discrètement de la chambre. Elle pensa un moment qu’elle était allée aux toilettes, mais une demi-heure plus tard, elle n’était toujours pas revenue. Et finalement, la jeune anglaise finit par s’endormir.
Ariana revit Kat comme d’habitude le lendemain matin. Elle ne lui posa aucune question, c’était sa vie privée après tout. Après le petit-déjeuner, l’équipe repartit sur le terrain.
La mission du jour s’était bien passée. Ils n’avaient pas eu à se battre et avaient donné de précieux renseignements sur l’évolution des positions ennemies. Le soir tombait sur Olympus, une autre équipe allait prendre le relais pour la nuit. Ariana regardait le soleil descendre sur l’horizon alors qu’ils volaient à basse altitude en direction d’Ascraeus.
« Agent Chaldo, venez au poste de pilotage, appela le pilote. »
Tony s’y rendit sans attendre. Il n’y resta pas plus d’une minute. Il avait à peine quitté le poste de pilotage que l’aéronef changeait de cap en prenant un virage serré.
« Une unité allié est en difficulté, annonça Tony. Nous sommes les plus proches d’eux donc nous allons les sortir de ce guêpier. Préparez vos armes. »
Aussitôt dit, les quatre agents se préparèrent. Ce fut surtout une préparation mentale car leurs armes et équipements étaient déjà prêts.
Tony était en contact permanent avec le pilote. Ce dernier le mit en liaison directe avec l’unité au combat.
« Ici Ascraeus 1, unité au contact répondez, fit Tony.
-Ici Olympus 4, répondit une voix qu’Ariana trouva familière. Content de vous entendre. Nous sommes encerclés et submergés par l’ennemi. J’ai déjà perdu plusieurs hommes.
-Tenez bon, nous sommes en approche par le nord.
-En visuel, précisa le pilote. J’ai une fenêtre de tir, je fais une passe canon. »
Les canons-mitrailleurs de l’aéronef se mirent à cracher du feu et du métal. Les obus explosèrent à l’impact en un crépitement terrible, transformant des légionnaires divers en charpie.
« Je fais une passe missile pour dégager la ZMT[1], annonça le pilote. H moins trente secondes avant déploiement. »
Le chef de soute s’assura que les quatre équipiers étaient harnachés correctement et se recula. Ils se placèrent deux par deux, dos à dos, faisant face aux portes latérales qui s’ouvriraient dans quelques secondes. Ils entendirent le sifflement des missiles lorsqu’ils furent tirés. Aussitôt après, les portes latérales s’ouvrirent. L’explosion des missiles se fit entendre et l’aéronef se plaça au-dessus de la zone dégagée par les déflagrations. La poussière n’était pas encore retombée quand les équipiers se jetèrent à l’extérieur de l’appareil par les portes latérales, descendant les dix mètres les séparant du sol retenu par les câbles accrochés à leurs harnais.
Ils se posèrent en douceur. Leurs câbles se désengagèrent automatiquement. L’aéronef reprit immédiatement de l’altitude pour se mettre en sécurité tout en assurant un appui aérien. Les équipiers se dirigèrent vers l’unité alliée, recueilli par un soldat. C’était une unité d’assaut dont le but était d’attaquer dans la profondeur sur la base de renseignements venant d’équipe comme celle de Tony. Certaines de ces unités de combat étaient formées par les forces spéciales des armées de l’UNIM. Celle-ci venait de l’UA de l’antenne martienne de la DE. Et pas n’importe laquelle.
Les soldats encore valides formaient un périmètre de sécurité autour des blessés. L’auxiliaire sanitaire de la section était affairé mais visiblement dépassé par le nombre. Tony se dirigea immédiatement vers le chef de section qui se trouva être Andrej Ionaski.
« Situation ? questionna directement Tony.
-On est encerclé, répondit Andrej. La passe canon et le tir de missiles les ont calmés mais ils vont revenir. On a au moins trois sections sur nous. Et le seul appui aérien est l’aéronef qui vous a amené. Nous sommes trop imbriqués avec l’ennemi pour demander un tir d’artillerie. J’ai perdu un volume total d’un groupe et j’ai beaucoup trop de blessés. Ça va devenir intenable au prochain assaut ennemi.
-La priorité est d’évacuer. Nous ne pourrons vaincre les légions ici pour le moment. L’aéronef peut tous nous transporter mais il faudra un peu de temps pour y embarquer les blessés. Et pendant ce temps, nous n’aurons aucun appui aérien.
-Sans appui, nous ne pourrons tenir longtemps.
-Tant que nous tenons suffisamment de temps, ça ira. Et pour cela, une seule solution : attaquer.
-Nous sommes trop peu et nos munitions s’épuisent.
-C’est pour ça qu’il faut faire vite. Ascraeus 1 à Pélican 50.
-Ici Pélican 50, répondit le pilote. J’ai suivi votre discussion. Ça va être risqué. Quelle est votre idée ?
-Tirez tous vos missiles restant autour de la position où vous nous avez déposés en faisant le maximum de victimes ennemies. Une fois le dernier missile tiré, nous formerons un périmètre de sécurité pour vous permettre de poser. Vous embarquez les blessés, ensuite on embarque et on se casse.
-Reçu. Missiles armés. À votre signal. »
Andrej secoua la tête, résigné. Il savait qu’il n’y avait pas d’autres solutions. Il exposa rapidement la manœuvre à ses hommes. Certains se virent confier le transport des blessés. Une fois que tout le monde fut prêt, Tony donna le signal au pilote.
Les missiles générèrent des boules de feu éloignant les légionnaires de la zone d’évacuation. Aussitôt le tir terminé, les combattants se mirent en position en cercle et l’aéronef se posa. La tranche arrière s’ouvrit immédiatement et le transfert des blessés commença. Les légions s’avançaient déjà sur eux.
« Feu à volonté ! ordonna Tony. Économisez vos munitions, faites des tirs précis. »
Les tirs d’armes à feu et les maléfices fusèrent en toutes directions. Les ennemis tombaient mais pas assez. Certains parvinrent à enfoncer les lignes amies, éventrant les soldats sans aucune once de pitié.
Plusieurs reapers s’attaquèrent directement aux blessés. Voyant ça, Andrej tourna son arme vers eux en avançant. Lorsqu’il fut assez près, il produisit un couteau et frappa pour achever un reaper qu’il avait déjà envoyé à terre par ses tirs. Mais il ne vit pas celui qui lui arriva dans le dos et dont les griffes lui lacérèrent les chairs. Le reaper allait se jeter sur lui quand une ombre s’interposa, produisant un éclair vert funeste qui tua l’adversaire. Andrej reconnut Ariana qui était venue à son secours. Il n’eut pas le temps de la remercier qu’un autre reaper était sur eux. D’un tir réflexe, Andrej le descendit d’une balle en pleine tête.
« Fin du transfert des blessés, annonça le chef de soute. On se barre les mecs. »
Les soldats décrochèrent par appuis mutuels aux ordres d’Andrej. Bientôt, tous avaient embarqué. Les moteurs de l’aéronef grondèrent lorsqu’il s’arracha du sol. Les canons-mitrailleurs crachèrent quelques rafales avant qu’il ne prenne assez d’altitude pour être en sécurité.
L’aéronef prit immédiatement la direction d’Ascraeus. Ils n’avaient pas fait un kilomètre que le pilote annonça qu’ils étaient suivis. Des flyers, sorte de reapers pourvus d’ailes reptiliennes, les poursuivaient. Les éclairs qu’ils tirèrent frôlèrent plusieurs fois dangereusement l’aéronef. Les canons-mitrailleurs arrières tentaient de les abattre avec plus ou moins de succès.
« Ouvrez la tranche arrière, ordonna Tony au chef de soute. »
Tony s’avança sur la tranche arrière, faisant face au vide. Il sortit ses deux baguettes et se mit à tirer une volée de maléfices de mort sur les flyers les plus proches. Ariana vint bientôt le rejoindre pour doubler la mise.
« On est sauvé ! fit le pilote. Voilà du renfort. »
Des chasseurs foncèrent sur les flyers, semant la mort dans leur rang et les dispersant.
Les chasseurs escortèrent l’aéronef de transport jusqu’à Ascraeus. Immédiatement après avoir posé, les blessés furent pris en charge par les équipes médicales. Certains ne passeraient pas la nuit, Andrej en était bien conscient, mais au moins, certains survivraient. Il ne pouvait espérer mieux dans cette guerre. Un médecin s’approcha de lui, le demandant de le suivre.
« Attendez un instant s’il vous plait, demanda-t-il. Chaldo, merci à vous et votre équipe.
-Vous auriez fait pareil si les rôles avaient été inversés, dit Tony. Allez vous faire soigner, cette guerre n’est pas terminée et on aura encore besoin de vous. »
Andrej acquiesça et lança un petit sourire à Kat qui lui répondit.
[1] Zone de mise à terre.