Les Souffleurs de Lumière

Chapitre 12 : Un cadeau surgi du passé

6885 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:16

 

UN CADEAU SURGI DU PASSE

 

 

Pendant quelques instants, il n'y eut plus aucun bruit sous le dôme de cristal, à part la respiration brouillée d'Albus et le son assourdi de la chanson qui montait du gramophone dans le salon, un crissement léger de la neige au-dessus de leurs têtes et le tintement discret des étoiles sur la voûte sombre.

Puis, sous les yeux consternés d'Albus, Wendy hoqueta de nouveau. Elle referma sa main sur le fin anneau de verre et se mit à parler très vite, d'une petite voix aigüe, inquiète, précipitée.

- Je sais que je suis toujours couverte de cambouis et que j’ai mauvais caractère et que je ne suis qu’une fille de moldus et que j’ai pas le droit de réclamer rien, mais c’est pas juste, parce que je t’aime – je t’aime depuis la première fois dans le train, quand tu m’as donné le furet et – c’était pas les yeux de ta grand-mère ou la renommée de ton père ou le cœur du dragon, c’était toi. Juste toi. C’était comme si j’avais cherché pendant très longtemps une raison d’être ici et que d’un coup je t’avais retrouvé. Quand tu m’as regardée, jusqu’au fond de mon âme, pour de vrai – moi tout entière – c’était toi. Je savais que c’était toi. C’était comme si j’avais le droit de vivre, d’exister et d’être heureuse – et je me fiche de tout ce que tu t’imagines sur le dragon ou les problèmes qu’on aurait ou tes stupides complexes – je te l’ai dit déjà, James ne te vaut pas, vous êtes complètement différents et tu n’as pas besoin d’essayer de ressembler aussi en actes à ton père – moi je t’aime comme tu es – toi. Juste toi. Albus Severus Potter. Toi avec tes défauts et aussi tout ce qui me donne chaque jour envie de t’aimer encore plus, ton regard franc, cette façon de ne jamais douter de la bonté chez les autres, ton courage et aussi ton ronronnement et même le fait que tu boites, je…

- Wendy. Wendy, attends, interrompit-il avec un brin de rire dans la gorge. "Ça veut dire que tu es d'accord ? Tu veux bien m’épouser ?"

Elle se mordit la lèvre inférieure, puis releva la tête.

- Oui, dit-elle d'une voix étouffée.

Il ne bougea pas pendant quelques secondes, puis il la souleva dans ses bras et la fit tournoyer et il y eut d’un coup comme des milliers d’étoiles qui explosaient en feu d’artifice partout dans le ciel et des baleines qui chantaient et des arc-en-ciel et des crépitements de salves d’applaudissements, des colombes qui s'envolaient en gerbes et des cloches qui carillonnaient, peut-être même une fusée qui partait en flèche vers le ciel – et soudain un grand silence solennel, comme dans une église à l’aube.

Albus reposa Wendy sur le sol avec précaution. Elle écarta une des mèches châtaines qui lui balayaient le visage et lui sourit timidement. Il lui prit le poignet et elle ouvrit la main. Un reflet de lune effleura le petit anneau de verre et étincela brièvement sur les écailles d’argent du poisson délicatement ouvragé.

Il glissa la bague le long du doigt fin de la jeune fille, puis la regarda intensément.

- Je t’aime, Wendy Philips, dit-il avec ferveur.

Elle acquiesça, à moitié étranglée par la joie insensée qui irradiait autour d’elle, en elle, partout, comme un cadeau incroyable.

Leurs cheveux étaient parcourus d'un picotement d'étincelles et ils avaient la chair de poule, mais ce n'était pas à cause du froid qui régnait dans l'observatoire à cette heure de la nuit.

- Tu vas pleurer ? s'inquiéta Albus.

Wendy réussit à avaler la boule qui lui bloquait la gorge et détacha les yeux de l'anneau tiède comme un baiser sur son doigt.

- Non, croassa-t-elle. "J'ai assez pleuré. Je ne vais plus pleurer, maintenant."

- Ah ouf, dit-il avec un soulagement comiquement enfantin. "Parce que les autres ont dit que les femmes pleuraient toujours quand…"

- Quels autres ? répéta-t-elle d'un ton alarmé. "Par la barbe de Merlin, Albus, combien de personnes savaient que tu allais faire ta demande aujourd'hui ?"

- Je crois que je ne l'ai pas dit à Matilda et Christopher, avoua-t-il d'un air penaud.

- Ohmondieu. J'ai besoin d'une tasse de thé. Même Poivre le savait ! Voilà pourquoi Vivienne tenait tellement à ce que je me maquille, soupira la jeune fille, en touchant machinalement le coin de sa paupière où des ombres de nuit se mêlaient à de discrètes paillettes d'argent, mettant en valeur le gris soyeux de ses yeux. "Oh. Tu l'as dit à Scorpius, alors ?"

L'inquiétude soudaine dans sa voix fit froncer les sourcils à Albus.

- Euh, non. Terrence ne voulait pas, pour une raison qu'il a refusé de… il s'interrompit, atterré. "Pourquoi ? Il est amoureux de toi, lui aussi ?"

Wendy secoua la tête.

- Vive la clairvoyance de Terrence… murmura-t-elle. "Non, il n'est pas… comment ça, lui aussi ? Qui d'autre est amoureux de moi ?"

Albus se troubla et elle comprit qu'il en avait dit plus qu'il n'aurait souhaité et qu'il ne referait pas la même erreur. Elle n’insista pas, se rapprocha de lui.

- Je ne vais pas pleurer, mais toi, tu ne te transformes pas en dragon ? C'est pourtant un grand moment d'émotion, non ? taquina-t-elle.

Il se mit à rire. Ses yeux verts chatoyaient de bonheur.

- Non. Pour la première fois depuis des jours, je ne me sens pas en conflit avec Dewis. En fait, je crois qu'il est content pour moi et qu'il ne voudrait absolument pas gâcher ça…

Elle lui posa une main sur le front.

- C'est vrai, on dirait que ta fièvre a baissé…

Elle était tellement proche de lui que leurs visages se touchaient presque. Il l'entoura de ses bras et elle noua les siens autour du cou du jeune homme, se laissant aller contre lui avec confiance.

- Quand on avait douze ans, j'étais plus grande que toi, souffla-t-elle, rayonnante.

- Oui, et tu avais aussi des pansements en travers du nez quatre-vingt-dix-neuf pour cent du temps, pouffa-t-il en posant un baiser au bout du nez en question. "Ça t'allait bien."

- Et toi, tu étais tout le temps dans tes bouquins, riposta la jeune fille, "alors il n'y avait que sur le terrain de Quidditch que je pouvais espérer me faire remarquer…"

- Et puis il y a eu le soir des sardines et c’est moi qui me suis fait remarquer, gloussa-t-il.

- Oui, rit Wendy. "Oui, plutôt. Et ensuite tu m’as emmenée voler près de la lune et je t’ai dit que je t’aimais… même comme ça, peu importe ce qui arriverait…"

Ses doigts jouaient avec les boucles noires sur la nuque d'Albus. Leurs cœurs battaient l'un contre l'autre, blottis comme deux oiseaux dans un nid – un son simple, chaud, rassurant, plein de promesses.

Il ferma les paupières, respira profondément, comme s'il essayait de s'imprégner de ce moment.

Le dôme de cristal était baigné d’une lumière bleutée et la lueur pâle des étoiles déposait un scintillement sur les globes de verre et les instruments dorés à peine visibles dans l’ombre.

- Quand est-ce qu’on se mariera ? demanda Wendy avec timidité.

Il rouvrit les yeux.

- Quand on reviendra en Angleterre, l’été prochain ?

Elle acquiesça pensivement.

- Oui, comme ça on ne pourra pas être séparés quand ils formeront la nouvelle équipe d’Antarctique. Mais Mère va vouloir sortir le grand tralala, m’obliger à porter une robe de haute couture et inviter trois mille personnes…

- Il y aura plein de journalistes à cause de mon père, ajouta Albus avec une grimace d’excuse. "Et ta famille va prendre peur quand la mienne va commencer à faire léviter des bouteilles de champagne…"

Elle lui adressa un sourire lumineux.

- Moi aussi je préfèrerais qu'on fasse la fête juste entre nous. Mais ça ira. On s’en sortira. On a déjà traversé bien pire. On fera avec eux et ce sera quand même notre moment à nous. Tu verras… ce sera bien… ce sera mieux que bien : ce sera merveilleux.

Elle se haussa sur la pointe des pieds pour l'embrasser légèrement. Leurs haleines condensées se mêlaient, éthérées, dans l’obscurité caressée par les étoiles.

- On aura des enfants ? demanda Albus doucement.

- Des tas d'enfants, répondit Wendy d'une voix qui trembla un peu. "Et on les aimera très fort, on le leur dira encore et encore et ils ne se sentiront jamais seuls…"

Il resserra son étreinte autour d'elle et la contempla d'un air tellement émerveillé qu'elle en eut presque mal au ventre.

- On aura une maison avec des balcons aux fenêtres comme tu aimes et un plafond magique dans un grenier rempli de livres, chuchota-t-il avec un sourire radieux. "Nos enfants iront attraper des lucioles dans le champ du Terrier pour les mettre dans les prunes dirigeables de notre jardin. Ils feront de la mécanique avec toi et je leur lirai les Contes de Beedle le Barde, le soir avant de s'endormir…"

- On leur parlera des baleines volantes et des renards à queue de feu, enchaîna-t-elle, le regard brillant. "Barrie les fera galoper sur ses épaules et il leur racontera l'histoire du crocodile qu'il a combattu pendant trois jours. On mangera des gâteaux à six étages pour leurs anniversaires, ils recevront leur lettre de Poudlard et on les emmènera au train le premier septembre…"

Elle serra les lèvres, submergée par l'émotion.

- On sera heureux, dit-elle d'une toute petite voix.

- Et on ne se quittera jamais, répéta-t-il. "Promis ?"

Elle hocha le menton.

- Promis, répondit-elle, la gorge enrouée.

Albus essuya d'un revers du pouce les larmes qui débordaient sur les joues de Wendy.

- Tu vois que tu pleures, dit-il gentiment.

- C'est ta faute, renifla-t-elle.

Alors, pour se faire pardonner, il l'embrassa et, cette fois, leur baiser dura si longtemps qu'ils étaient à bout de souffle et plus qu'embarrassés quand la porte s'ouvrit.

- J'en déduis que ça n'a pas été un désastre complet, toussota Gunter, un éclat malicieux derrière ses lunettes rondes. Il agita sa baguette et l'observatoire fut inondé de lumière. "Puis-je appeler les autres ? Je dois dire que Scorpius piaffe en haut de l'escalier depuis dix minutes déjà et qu'il ne comprend pas pourquoi cette serrure est grippée alors qu'elle marchait parfaitement bien il y a une heure."

- Hum, dit Albus, les joues si empourprées qu'elles donnaient une teinte aubergine à ses cheveux noirs. "Oui, b-bien sûr. Ils peuvent venir."

Wendy fut secouée par un gloussement nerveux et se cacha derrière lui, essayant de refroidir son propre visage en le collant contre la vitre glacée du dôme.

Scorpius leur jeta un drôle de regard aigu quand il précipita à l'intérieur de la pièce, puis il s'affaira autour des appareils de transmission pendant que Gunter lançait des sorts de chaleur et faisait apparaître de confortables fauteuils de chintz et de petites tables à thé. Poivre se matérialisa avec un pop, ployant sous le poids d'un énorme plateau garni de mince-pies fumantes, et l'observatoire se remplit d'une délicieuse odeur de pâte croustillante et de fruits rouges nappés de crème fouettée. Matilda et Christopher n'eurent qu'un coup d'œil distrait pour les deux jeunes gens. Vivienne, en revanche, leur adressa une série de battements de cils entendus qui leur fit de nouveau piquer un fard. Euphrosine se contenta d'aller s'asseoir après avoir posé sur le couple ses yeux très doux mais remplis d'une étrange tristesse.

Quant à Terrence, il dévisagea Albus dès qu'il entra, examina la face couleur pivoine que Wendy s'efforçait de dissimuler derrière un coussin puis, droit comme un i, le visage hermétique, alla s'installer dans le coin le plus sombre et le plus à l'écart.

Scorpius tripota un tas de boutons sur une console qu'il avait sortie d'une mallette avec les mots top secret sur le couvercle. Il agita sa baguette pour faire tourner l'antenne dorée sur le chevalet et retint sa respiration avec les autres.

D'abord il n'y eut rien d'autre qu'un grésillement diffus, puis le gros globe de verre posé au milieu du cercle de fauteuils commença à se remplir d'une espèce de brouillard blanc et ils perçurent le gai tintinnabulement de grelots, la mélodie de Jingle Bells et une grosse voix d'homme qui faisait "ho ho ho".

- Zut, grommela Scorpius en fronçant ses fins sourcils noirs. "J'ai réglé trop loin. On capte le Pôle Nord."

Quelqu'un pouffa de rire.

Puis le crachotement de la radio fit place à une voix claire qui disait "allô ? Allô ? C'est dans ce truc-là que je parle ?" et Matilda fondit en larmes.

Ce fut une affaire pleine d'émotions. C'était comme un miracle d'entendre les voix de leurs familles si proches, de pouvoir échanger des nouvelles, s'écrier "joyeux noël" et rire ensemble, à des milliers et des milliers de kilomètres les uns des autres.

La B.A.T.S n'avait autorisé à participer qu'un maximum de deux personnes par membre d'équipe, il avait donc fallu faire des choix.

Il y eut d'abord la grande sœur de Matilda, qui l'abreuva de conseils débités sur un ton d'affectueuse autorité et qui lui assura que leur mère se portait bien mieux et qu'elle pourrait sûrement se rendre sur l'embarcadère pour accueillir sa fille en juillet prochain. La jeune biologiste réussit à émettre quelques borborygmes au milieu de ce flot de paroles, hochant la tête comme un caneton culbuto frénétique à chaque mention d'un voisin, un cousin, un ancien professeur qui avait demandé de lui transmettre ses encouragements : Matilda Musaraigne était apparemment adorée dans son vieux quartier de Liverpool.

Puis les Swanson succédèrent à la jeune femme décidée. Ils s'enquirent du voyage de leur fils, se plaignirent de n'avoir pas encore reçu de lettre, s'inquiétèrent de savoir s'il dormait et mangeait à des heures convenables : un concert de raclements de gorge s'éleva autour du médicomage jusqu'à ce qu'il avoue qu'il pouvait faire mieux dans ce domaine. La mère de Terrence sembla déceler quelque chose d'inhabituellement déprimé dans sa voix et voulut poser des questions, mais ils durent céder leur place et le jeune homme alla se rasseoir dans son coin de l'observatoire sous le regard navré d'Albus.

Les parents de Scorpius se montrèrent tout à fait dignes, conscients d'être en présence – d'un côté du monde comme de l'autre – des patrons de leur fils. Drago l'interrogea sur son travail, lui transmit quelques nouvelles de personnalités du monde sorcier et lui recommanda de continuer à s'appliquer à servir son pays, ce à quoi Scorpius répondit gravement qu'il n'y faillirait pas. Astoria, elle, glissa quelques douces paroles d'encouragement et parut entendre bien au-delà des simples mots "merci, Mère" qui conclurent la conversation.

Ensuite, il y eut un moment de flottement que le technicien de Londres mit sur le compte de pirates des ondes – "la peste les emporte !" – puis une espèce de hurlement guttural résonna et Vivienne Drake se pencha vers le globe en roucoulant "mon lapin, c'est toi ?" et en se recoiffant fébrilement comme si on pouvait la voir. Les autres contemplèrent la scène avec ébahissement et les paris reprirent quant à l'identité du fameux Capitaine Nero à qui l'astronome lança un "chéri doudou, soyez prudent et ne laissez pas les enfants vous larder d'un coup de sabre tant que vous ne l'avez pas trouvé !" avant que la B.A.T.S ne reprenne le contrôle de la transmission.

Les deux frères aînés de Christopher Cadwallader furent les suivants et ils laissèrent une pénible impression. Leurs petites moqueries n'avaient en fait rien d'amical et ils lui annoncèrent sans prendre de gants que leur père avait fait une chute grave en volant sur un balai lors des Retrouvailles des Joueurs de Quidditch de Poufsouffle et qu'il était hospitalisé à Sainte-Mangouste "pour six mois, bon débarras. Le vieux commençait à perdre la boule."

Sur ce, l'agent gouvernemental qui coordonnait les familles de l'autre côté toussota d'un ton extrêmement gêné et annonça à Gunter Von Wartbach que son propre fils avait refusé de participer à la transmission en "hum, hum, disant qu'il ne voyait pas comment il pourrait communiquer avec un, hum, hum, mort."

Puis le visage d'Albus s'éclaira en entendant la voix d'Hermione, sa tante, mais ce fut Wendy qu'on appela près du globe récepteur. Le majordome Barrie était là, lui aussi, et tous deux prodiguèrent force recommandations et félicitations. Hermione s'informa des conditions de travail de l'elfe de maison et Poivre bondit sur son siège, son crâne chauve violacé jusqu'au bout des oreilles et parut sur le point de faire exploser tout le matériel. "C'est elle, c'est cette… cette sorcière", vitupéra-t-il en crachotant comme s'il s'étranglait avec les poils bourrus de ses narines. Gunter, qui avait du mal à s'empêcher de rire, finit par lui intimer l'ordre d'aller se calmer dans la cuisine et la directrice du Département de Contrôle et Régulation des Créatures Magiques se lamenta sur cet abus de pouvoir, pendant que Barrie expliquait à Wendy que les jumeaux s'en sortaient plutôt bien dans leur pensionnat moldu et avaient enfin réussi à se remettre de leur déception de n'avoir pas reçu de lettres de Poudlard.

Wendy lança un coup d'œil à Albus qui fit un mouvement pour se rapprocher d'elle, mais le temps qui lui était imparti toucha à sa fin et elle dût céder la place à Euphrosine qui semblait extrêmement surprise que quelqu'un soit venu pour elle.

C'était une voix chevrotante, celle d'une femme probablement encore plus âgée que la magicienne et sans doute sourde, vu comme l'agent gouvernemental dût s'époumoner pour lui expliquer comment parler dans le cornet d'or.

- Ne crois pas que ça va marcher, vieille folle ! brailla-t-elle. "Rien n'a changé depuis soixante-dix ans ! Espèce d'oiseau de malheur, si tu crois que cette fois tu parviendras à tes fins, tu te trompes !"

- Mrs Kettlery, je vous en prie, c'est Noël ! protesta l'homme à l'autre bout du monde, d'un ton désespéré. "Vous aviez dit que vous vouliez transmettre de bons vœux à une ancienne amie !"

- Elle va tous les envoyer au casse-pipe ! s'égosilla la harpie.

- Ne dis pas de sottises, répliqua Euphrosine sèchement. Elle était devenue extrêmement pâle et ses mains noueuses tremblaient sur un pli de sa robe bleue. "Tu n'étais qu'une gamine, à l'époque. Tu ne pouvais pas comprendre ce qui était en jeu."

- Vieux débris centenaire, si tu crois qu'il t'attend dans un cercueil de verre, tu…

Le reste de la phrase fut étouffé rapidement et ils comprirent que la salle de transmission avait été évacuée en urgence. Il y eut un long silence troublé, puis Gunter se leva et vint vers Euphrosine. Il l'aida à se lever et la raccompagna jusqu'à son fauteuil. Matilda se dépêcha de servir une tasse de thé et la tendit à la magicienne en éclaboussant le sol de marbre noir et l'accoudoir rembourré recouvert d'un napperon en dentelle.

- Personne ne doutera de vous, dit le chef d'équipe d'une voix douce mais ferme.

Les autres hochèrent gravement la tête.

- Vous êtes très gentils, soupira Euphrosine, les larmes aux yeux. "Mais c'est trop tard. Je n'aurais jamais dû…"

De nouveau, ses mâchoires se soudèrent comme pour l'empêcher de parler ou comme sous l'effet d'une attaque.

Terrence s'était approché et examinait la vieille femme avec inquiétude. Il lui fit respirer un flacon de sels et versa une goutte de potion dans son thé avant d'insister pour qu'elle le boive.

- Cette personne. C'était Rina Kettlery, n'est-ce pas ? demanda Albus d'une étrange voix lente. "L'éthologue qui a fait partie de la dernière équipe à avoir aperçu les Souffleurs de Lumière..."

Mais avant que le médicomage ne puisse répliquer qu'il voulait qu'on laisse sa patiente tranquille, le transmetteur grésilla de nouveau.

- Allô ? Quelle merveille, cette technologie, dit une voix d'homme admirative. "Les transistors de l'Ordre du Phoenix ne portaient pas aussi loin, pendant la guerre. Qu'en penses-tu, Harry ?"

- Je suppose que ça n'a pas vraiment d'importance, Arthur, répondit le ministre de la magie d'un ton léger. "Allô, Al ? Tu es là, mon grand ?"

- Oui papa, répondit Albus avec un temps de retard, en allant s'asseoir plus près du récepteur dans lequel les volutes de brume blanches étaient parcourues de petites étincelles vertes. "Tu vas bien ? Tu ne travailles pas trop ?"

- Je m'en sors, répondit Harry Potter en riant. "Mais c'est de toi dont il s'agit, mon garçon. Comment ça se passe, là-bas ? Tu as pu faire ta grande demande ? Qu'est-ce que Wendy a dit ?"

- Elle a dit oui, bredouilla Albus d'un air magnifique et ridicule.

Vivienne se mit à applaudir, Gunter ne put retenir un grognement de rire et même les joues d'Euphrosine se teintèrent d'un peu de rose, tandis qu'elle souriait à Wendy qui était devenue aussi rouge qu'une tomate sous les regards conjugués – et stupéfaits – de Christopher et Matilda.

Scorpius avait laissé échapper une exclamation de stupeur et s'efforçait de calmer son trouble en bidouillant la console. Terrence lui lança un regard affligé, puis traversa la pièce pour aller chercher une couverture sur le divan et lui pressa brièvement l'épaule en passant.

- Oh, oh, un nouveau mariage dans la famille ! s'exclama Arthur. "Bravo ! Nous n'avons rien dit, hein ! Molly et Ginny sont toujours à se lamenter qu'on n'en aura pas avant des années parce que tu es trop timide et que James est un vaurien sans cœur, mais voilà qui va tout changer ! Où est cette charmante jeune fille ? Qu'on l'accueille convenablement !"

Albus se tourna et tendit la main à Wendy qui vint se glisser à côté de lui et entrelaça ses doigts avec les siens.

- Je suis là, Grand-père Weasley, Mr. Potter, annonça-t-elle.

- Bonjour Wendy, dit Harry avec chaleur. "Tous mes vœux de bonheur et bienvenue dans le clan. Ma femme et Lily sont à une réception, mais elles seront enchantées de cette nouvelle. Elles t'adorent déjà."

- Molly va en faire un de ces bonds ! gloussa Arthur. "Nous l'avons laissée à roupiller au Terrier, au coin du feu : elle n'a jamais été du style à veiller tard. Elle va être dans tous ses états et va vouloir faire un tas de listes !"

- Hum, interrompit Albus avec un coup d'œil vaguement inquiet en direction de Wendy. "Peut-être que grand-mère pourrait partager son planning parfait avec Mme Phillips… je suis sûr qu'elle voudra s'impliquer…"

- Ne panique pas, Al, promit Harry en riant de cette façon profonde qui rappelait parfois à Wendy la voix du dragon qu'elle avait entendue l'année de ses quatorze ans.

- Oh, Mr. Potter, intervint-elle. "Est-ce que Barrie et Hermione sont toujours là ? J'aurais voulu le leur dire moi-même, mais on n'a pas eu le temps…"

- Ils sont dans la pièce à côté, dit le ministre de la magie. "Je le leur annoncerai. Al, on nous fait signe que ça va bientôt couper. Prends soin de toi, mon garçon. Sois prudent. N'essaie pas de porter le poids du monde entier sur tes épaules. Ecoute ce que disent tes aînés, fie-toi au bon sens de Terrence."

- Tout le monde t'aime très fort à la maison et on a hâte que tu reviennes, cria joyeusement Arthur. "Dis à Wendy qu'il y a un tas de trucs à bricoler dans la remise !"

- Elle t'entend, grand-père, pouffa Albus. "Je vous aime aussi. Embrassez maman pour moi. Dites-lui que je n'ai pas oublié ce qu'elle m'a dit avant de partir !"

- J'espère bien ! lança encore son père avec un humour teinté de sévérité, puis le transmetteur se mit à grésiller et la fumée dans le globe de verre disparut dans une étincelle.

Gunter se leva et brossa sa robe de sorcier.

- C'est fini, dit-il d'un ton un peu plus solennel qu'il ne l'avait voulu. "J'espère que…"

Son regard glissa sur Euphrosine et Christopher et il ravala en soupirant les mots qu'il avait préparés pour conclure cette expérience qui aurait dû être un cadeau pour tous.

- J'espère que vous passerez une bonne nuit, dit-il finalement. "On se retrouve demain matin. Bien entendu, je ne peux pas nous accorder une véritable journée de congé pour Noël quand nous sommes  si proches de l'ouverture de l'Axe, mais nous prendrons le temps d'échanger des chaussettes avant de nous replonger dans nos travaux respectifs."

Scorpius marmonna qu'il allait rester en haut pour ranger le matériel et Terrence prit résolument Euphrosine par le bras pour la raccompagner jusqu'à sa chambre et s'assurer qu'elle avait retrouvé un rythme cardiaque normal avant de la laisser pour la nuit.

 Albus et Wendy descendirent "nettoyer le salon" et personne ne sembla trouver nécessaire de leur proposer de l'aide.

Si Poivre avait retrouvé son calme, il devait être dans la chaudière ou en train de récurer la cuisine. Matilda, qui dormait debout, s'en alla vers sa chambre d'un pas somnambule, suivie à son insu  par le mini-monstre Koff.

Quant à Christopher, il offrit à Vivienne d'aller faire une promenade au clair de lune et elle accepta.

- Alors comme ça, vous avez des enfants ? demanda-t-il dans le sas, en lui présentant son manteau de fourrure pour qu'elle l'enfile.

- Oh, grands dieux, non. Ce sont ses marins que mon mari appelle comme ça.

- Et le capitaine Nero, c'est quel genre d'homme, alors ? Il n'aurait pas des origines un peu loup-garou – sans vouloir vous offenser ?

Vivienne gloussa de rire et lui donna un petit coup de son porte-cigarette en nacre sur le crâne.

- Pas du tout ! Qu'est-ce qui vous a mis une telle idée dans la tête ?

- Je ne sais pas, grommela Cadwallader en frottant l'emplacement douloureux. "Le hurlement qu'il a poussé, par exemple ?"

- Ce n'était que l'expression de félicité d'un homme qui reconnait une belle fille quand il en voit une, enfin ! protesta la jeune femme en rejetant en arrière son opulente chevelure rousse. "Allons, un peu d'air frais nous fera du bien. Vous fumez, Christopher ?"

Ils sortirent et leurs voix se perdirent dans l'immensité feutrée de la plaine drapée de nuit.

Gunter, qui les avait observés depuis l'escalier en colimaçon, eut un sourire attendri.

Il était très fier de la manière dont les membres de son équipe prenaient soin les uns des autres et il savait que Vivienne saurait remonter le moral du géologue.

Tout en bas de la Tour, Calcifer s'était enroulé comme un chat autour d'une bûche d'onyx. De petites flammèches se rebroussaient sur son dos pendant qu'il dormait en ronronnant, sous le regard d'adoration du vieil elfe assis en tailleur sur le sol.

 

oOoOoOo

 

Le lendemain, ils étaient tous de nouveau rassemblés dans le salon baigné par la lumière saumonée du matin et découvraient joyeusement le contenu des chaussettes bourrées à craquer.

Chacun avait rivalisé d'originalité et il y avait sans cesse quelqu'un qui traversait la pièce en s'exclamant pour aller embrasser quelqu'un d'autre – ou lui donner une vigoureuse tape dans le dos. Il y avait des papiers brillants partout et l'air embaumait le chocolat chaud, les oranges et la cannelle.

Scorpius avait de profonds cernes sous les yeux, qu'il essayait de dissimuler en souriant chaque fois qu'il entendait son nom. Albus et Wendy étaient assis dos à dos sur le tapis, Vivienne portait un déshabillé rouge bordé d'hermine, Matilda était en chemise de nuit et avait oublié d'enlever son bonnet, Terrence était nonchalamment alangui sur le canapé – il n'avait pas particulièrement bien dormi non plus.

Des hirondelles en rubans voletaient dans la pièce – des gerbes de sortilèges farceurs aussi. Une grosse théière essayait de se frayer un passage sous les tortillons qui pendaient du lustre, accompagnées de son habituelle ribambelle de tasses un peu ébréchées par ce chaos. Koff fourrageait sous le sapin en chocolats, à la recherche d'autres trésors à gober.

Gunter venait de se coiffer d'un chapeau-qui-rend-invisible en provenance directe de Farces pour Sorciers Facétieux, lorsqu'Euphrosine poussa soudain un cri de surprise étranglé.

- Qu'est-ce que c'est ? sursauta le vieil homme en agrippant les accoudoirs de son fauteuil.

Le chapeau tomba derrière lui et Koff, qui se carapatait avec un butin de papillotes, disparut dessous.

- C'est… c'est…

Les mains tremblantes, la magicienne souleva ce qu'elle venait de trouver dans sa chaussette.

Un gros œuf d'or incrusté de rubis.

Elle se mit à suffoquer et Terrence fut en un instant à ses côtés. Il lui prit le pouls et l'aida à calmer sa respiration. Puis, quand elle fut un peu remise et que l'inquiétude des autres qui s'étaient rassemblés autour d'eux diminua, il s'agenouilla devant elle.

- Je suis désolé, souffla-t-il en lui prenant les mains. "C'est ma faute. Je ne pensais pas que cela vous ferait un tel effet. Je pensais bien que vous aviez déjà vu cette boite à bijoux, mais…"

Euphrosine secoua furieusement la tête. Elle déglutit péniblement, accepta le verre d'eau que Vivienne  lui tendait et le but avidement, puis se redressa.

- Ce n'est pas une boîte à bijoux, dit-elle d'une voix rauque. "C'est une boîte à musique."

Elle repoussa les mains de Terrence, prit l'œuf d'or et le caressa doucement, presque tendrement. Relevant la tête, elle regarda tour à tour chacun des membres de l'équipe, puis soupira.

- C'est mon fiancé qui me l'a offerte pour Noël, l'année de mes vingt-et-un ans. Il y a très… très, très longtemps. Il s'appelait Jen Pendragon."

Elle posa ses yeux bleus très tristes sur Terrence.

- Il te ressemblait énormément, tu sais. Il adorait découvrir de nouvelles choses, il n'était jamais fatigué d'apprendre, de comprendre, et c'est ce qui…

Elle ferma les paupières comme pour retenir l'image d'un souvenir ou une larme, et se tut pendant un long moment. Ils crurent qu'elle s'était endormie et Wendy se pencha pour lui toucher le l'épaule.

- Euphrosine ?

Elle tressaillit et rouvrit les yeux, jeta un regard égaré autour d'elle. Jamais elle n'avait paru aussi âgée, aussi fragile.

- Que se passe-t-il ? Ah, petite, c'est toi… qu'est-ce que tu disais ?

- Vous nous parliez de votre fiancé, dit Terrence en la fixant avec intensité. "Vous disiez qu'il était passionné de recherches. Je suppose qu'il s'est intéressé à l'Axe. Qu'est-il arrivé ?"

- Il est mort, dit Euphrosine simplement. "Il a…"

A ce moment-là, la Tour trembla sur son socle dans un nuage de neige poudreuse et Poivre transplana dans le salon avec un craquement sonore. Il se planta devant la vieille femme sur ses petites jambes torves. Il y avait un reflet de braise dans ses yeux jaunes globuleux.

- Vous n'avez pas le droit de parler de cela, gronda-t-il.

- C'est vrai, acquiesça Euphrosine d'une voix infiniment triste.

Elle tira de son col de dentelle une longue chaînette dorée au bout de laquelle il y avait une minuscule clé.

- C'était une boite à musique qu'il avait faite faire par les Korrigans, expliqua-t-elle en faisant glisser la clé dans la serrure presque invisible, dissimulée dans les plis d'un pétale de rose. "Elle apportait bonheur et prospérité au couple qui dansait en l'écoutant."

Le couvercle bombé cliqueta imperceptiblement et s'ouvrit. Lentement, les premières notes mélancoliques résonnèrent dans la pièce. C'était comme la chanson d'une rivière sur les pierres ou le crépitement d'un feu dans la cheminée.

Très doux, très heureux, très ancien.

Il y avait un miroir à l'intérieur de l'œuf et un socle d'or sur lequel valsaient deux délicates figures de porcelaine.

Une femme aux cheveux châtains vêtue d'une robe bleue et un jeune homme habillé d'une cape rose fermée par une fibule en forme de dragon et chaussé de bottines à boutons.

Wendy et Albus échangèrent un regard et un long frisson se coula le long de leurs dos.

 

 

A SUIVRE...

 

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