Juste la montagne, toi, et moi.

Tous les regards se tournent brusquement dans la même direction. Une jeune femme magnifique vient de faire son apparition dans la cour du château. Elle est éblouissante et capte l'attention de tous les convives. Elle porte une robe cintrée qui met en valeur sa taille fine et des escarpins qui rehaussent sa silhouette. Sa tenue possède juste ce qu'il faut de tissus pour la mettre en valeur et laisser imaginer des courbes bien proportionnées, sans être du tout provocante. Ses cheveux soigneusement coiffés mettent en valeur son visage maquillé avec soin. Tout cela forme un mélange si harmonieux, que tous sont captivés.

Heidi voit bien tous les regards se tourner vers elle, ce qui la met encore plus mal à l'aise. À cause de cette accoutrement, elle a l'impression d'être déguisée et complètement ridicule. Elle peine à marcher avec ses chaussures si inconfortables et se demande qui a  bien pu inventer de tels objets de torture. Elle voudrait sauter dans ses vêtements habituels et partir en courant - pieds nus bien sur. Seulement c'est impossible. 

Encore une de ces  filles tirées à quatre  épingles qui veut qu'on ne voie qu'elle, se dit Peter en l'apercevant, sans la reconnaître. Heidi s'avance vers cette foule inquiétante d'un pas hésitant et chancelant. Enfin, elle aperçoit Anna et s'approche pour la saluer.

"- Anna, je suis tellement heureuse de te voir, ça fait si longtemps ! Félicitations !

- Heidi ! Tu est resplendissante ! "

Peter entend les deux jeunes femmes.

"- Heidi ? C'est Heidi, ma Heidi ? C'est impossible! Pense-t-il. Il la regarde à nouveau plus attentivement, et oui en effet c'est bien elle, et elle est tellement belle ! Trop même, songe-t-il, en repensant à tous ces regards tournés vers elle. Le rouge lui monte aux joues en l'admirant, si élégante et gracieuse.

Le mariage a lieu dans le village voisin de celui de Heidi et Peter, là où est née Anna, avant de déménager là où elle a grandi. La fête se déroulera dans la cour d'un somptueux château, c'est aussi là où seront bientôt prononcés les voeux du mariage.

À ce moment, Peter aperçoit Stéphano. Il a vécu au village lui aussi autrefois, avant de partir pour une vie plus urbaine. Peter l’appréciait  bien malgré leurs divergences de point de vue. Il ne l'a pas revu depuis son départ, et se réjouit donc de le voir.

 "- Eh Stephano ! Ça faisait une éternité! Je suis content de te voir !

- Oh Peter c'est bien toi ? Moi aussi ça me fait plaisir, c'est clair, ça fait une éternité !

- Et dis-moi plutôt ce que tu deviens.

- Eh bin je...

C'est à ce moment là que le maire arrive pour prononcer les voeux du mariage.

- On en reparle tout à l'heure hein ?

- Ouep, à tout à l'heure Stéphano."

Tout le monde  prend rapidement place sur les chaises disposées là à cet effet, et le marié se place à côté du maire. Une arche couverte de fleurs a été disposé là à cet effet. Heidi cherche rapidement Peter du regard, elle l'aperçoit deux  rangs plus loin. Tant pis , ce n'est pas pour bien longtemps, se dit-elle.

Derrière elle, le jeune homme riche qui l'a bousculé, la voit sans la reconnaître. Il l'observe quelques instants pendant qu'elle se retourne pour trouver Peter, puis il se penche vers elle.

"- Bonjour mademoiselle, pourrais-je avoir l'honneur de connaître le nom d'une si ravissante jeune femme?

Heidi de retourne, un peu surprise.

- Heidi, répond-elle avant de se redresser rapidement vers l'avant.

- Enchanté, insiste-il, je m'appelle Joël. "

Mais quesqu'il me veut, songe Heidi. Heureusement, la cérémonie commence. La future mariée, magnifique dans sa belle robe, se dirige vers son fiancé. Elle avance doucement en le fixant dans les yeux. Lui aussi la regarde fixement, parvenant mal à masquer son émotion.

Le maire énonce un discours, puis prononce les questions rituelles.

- Hans , voulez-vous prendre pour épouse Sarah ?

Puis, Sarah-voulez vous prendre pour époux Hans ?

Tous deux répondent avec grande émotion un grand "Oui ".

Rapidement toutes les chaises se libèrent, les invités se dirigent vers les lieux où Sarah et Heins  ont organisé un grand banquet. La cour est somptueusement décorée, partout il y a des fleurs, et de magnifiques statues se trouvent aux quatres coins du champ. Le château en arrière plan vient compléter le décor. Des rangées de tables et de chaises sont installées des deux côtés  de la cour, elles aussi agrémentées de magnifiques fleurs multicolores.

Tous les convives viennent d'arriver, et occupent l'espace libre du champ. Une ambiance festive règne, mais sans aucun mouvements brusques, ni le brouhaha qu'on pourrait imaginer. On voit sans peine que la grande majorité des convives sont d'origine aisée, et ont l'habitude de se contrôler en toute situation. Heidi se sent mal à  l’aise dans cette ambiance mondaine, elle se sent noyée au milieu de toute cette foule bien trop distinguée. 

Les jeunes mariés invitent à présent chacun à prendre place à table. Peter aperçoit Heidi déjà assise et se dirige vers elle.

"- Bonjour mademoiselle, vous êtes rayonnante, à qui ai-je l'honneur ?

- Mais quesque t'es bête.  Assieds-toi là plutôt.

Peter s'installe à la droite de Heidi, puis aperçois Stéphano. Il lui fait signe et celui-ci s'assoit à côté  de son vieil ami.

" - Alors on en était où tout à l'heure ?

- Tu allait m'expliquer ce que tu es devenu depuis que tu est parti.

- Ah oui, et bien j'ai monté mon commerce. J'ai appris la maroquinerie, maintenant je vends mes propres articles en cuir.

Stéphano explique longuement en quoi consiste son métier à Peter, qui l'écoute attentivement.

- Et toi alors, tu voulais t’occuper  de chèvre, tu en est où ?

- Je suis chevrier, j'ai mon propre troupeau, répond-il fièrement.

- Alors fini de t'occuper des chèvres des autres ?

- Non, j'en garde toujours quelques-unes,  ça ne me gêne pas, et c'est toujours bien d'être en bons contact avec ses voisins.

- Et ça va tu t'en sort ? Ton affaire est viable ?

- Ehh bien, répond Peter un peu moins enthousiaste tout à coup, je m'en sors tout juste. Je manque de temps pour faire des fromages, il faudrait être deux pour avoir le temps de tout faire. 

- Tu n'a jamais pensé à t'associer avec quelqu'un ?

- Si bien sûr, mais qui ? Tous ceux avec qui on a grandi  sont partis ou alors ils ont déjà un métier.

- Et la petite Heidi ? Elle ne pourrait pas ? Si je me souviens bien vous étiez  assez proche tout les deux.

- On l'est toujours, mais je ne voudrais surtout pas la freiner dans ses rêves. Tu te souviens peut être qu'elle voulait devenir auteur ?

- Oui, ça me dit quelque chose, je crois même les autres se moquait d'elle. Je ne pensais vraiment pas qu'elle poursuivrait son rêve si longtemps. Je comprends que tu ne veuille pas lui demander. Et pourquoi tu ne vendrais pas du lait ?

- J'essaie, mais je trouve peu d'acheteurs, il arrive souvent que j'en donne pour ne pas qu'il se perde.

- C'est embêtant, mais je suis sûr que tu peux trouver des solutions. "

Pendant qu'ils continuent de discuter, Joël s'approche de Heidi, et lui demande :

- Mes hommages à la plus belle jeune fille de la soirée, y a-t-il quelqu'un à côté de vous qui doit arriver ?

- Euh non, lui répond-elle en se demandant les raisons de cette question.

- Pourrais-je dans ce cas prendre place à vos côtés  ?"

N'osant pas lui dire non, Heidi acquiesce .

Il s'installe alors à sa gauche, et commence  à la questionner sur elle et sa vie à la montagne. Heidi trouve cela de plus en plus gênant, bien qu'elle soit touchée que  quelqu'un qui vient d'apprendre son mode de vie ne la repousse pas pour autant, et même, paraisse s'y intéresser.

À ce moment là, Peter tourne la tête et voit Joel.

- Pardon Stéphano, un instant.

Se tournant vers Heidi,

- Mais pourquoi tu discutes avec lui après ce qu'il t'a fait ?

- Pourquoi tu dis ça ? Tu le connaît ?

- Mais c'est lui qui t'as renversé  il y a une semaine.

- Je ne sais pas, je n'ai pas eu le temps de le voir, comment tu sais ça ?"

La jeune fille réfléchit, et c'est vrai qu'il lui a dit qu'il est au village depuis une semaine parce qu'il est le cousin de Sarah. Comment n'a-t-elle pas fait le rapprochement plus tôt? Et même si cet incident ne l'a pas perturbé comme c'est le cas de Peter, Joël avait vraiment été malpoli et irrespectueux. Elle n'a pas du tout envie de poursuivre la discussion avec lui plus longtemps. Comment le faire partir ? C'est alors que brusquement, un évènement vient  écourter cette discussion sans qu'elle n’ait rien à faire. Un des convives viens d'avaler de travers, il est en train de s'étouffer. Tout le monde panique devant cet inquiétant spectacle. Joël se lève brusquement avant de se précipiter sur le blessé. Le jeune homme lui fait quelques manipulations et aussitôt il recrache l'aliment qui pose problème. Tous sont très soulagés et se mettent à applaudir.

Tout cela ne fait qu'amplifier l'angoisse d'Heidi. Cette tenue, la foule, un inconnu irrespectueux trop entreprenant, et maintenant l'accident. Quand tout ceci va-t-il  enfin finir ? Malheureusement elle n'est pas au bout de ses peines.

De son côté, Joël discute.

"- Comment j'ai fait ? Je possède quelques connaissance de médecine, voilà tout.

- Je comprends mieux . Et sinon, je change de sujet,  mais comment tu as fait pour réussir à discuter avec Heidi ?

- Comment ça ? Et comment tu la connais ?

- J'ai grandi ici avant d'aller habiter dans le quartier d’Anna. Et je dis ça parce que tu l'as quand même jeté  au sol, et rendu furieux Peter par la même occasion ! Il est tellement remonté contre toi que tout le village est au courant qu'un inconnu a  bousculé Heidi sans ménagement ni excuses. J'imagine que c'est toi ? Tu est le seul arrivé si tôt au village.

- Comment ça ?!? C'est elle ?? "

Il réalise soudain la ressemblance , mais comment est-ce possible ? Comment ces deux  filles peuvent-elles ne faire qu'une ? L'une est si raffinée, tandis que l'autre ne sait absolument pas s'arranger. Il blêmit  soudain, il réalise que s’il veut se rapprocher d'elle, il devra gérer son frère. Ses épaules se souviennent encore de lui, il a encore deux  belles marques sur ses épaules endolories. Voilà qui contrecarre ses plans.

Pendant ce temps, Heidi voit le temps défiler lentement. Si lentement. Elle voudrait partir, la foule composée principalement d'inconnus l'oppresse de plus en plus. De nombreux convives sont venus discuter avec elle mais elle ne sait pas quoi leurs raconter, et devoir combler les blancs est encore plus stressant et épuisant.

À ce moment-là, elle aperçoit Peter qui vient dans sa direction.

"- M'accorderez-vous cette danse jeune demoiselle? lui dit-il.

- Mais Peter ! Je ne sais pas danser, surtout avec ces échasses aux pieds. Et il y du monde partout autour. Je vais avoir l'air ridicule.

- Oublie-les, moi non plus je ne sais pas danser. On sera deux à être ridicule comme ça.”

Il ne lui laisse pas le temps de protester, et la tire par la main pour l'attirer au milieu des autres danseurs.

“- Je ne tiens pas debout Peter, ce n'est pas raisonnable.

- Arrête de penser un peu. Amuse-toi ! "

En effet, on remarque facilement que Heidi n'est pas à l'aise et qu'elle peine à tenir sur ses pieds. Néanmoins, à cet instant, Peter fait pas mal de jaloux dans la salle. On voit sans mal également que Peter est au comble de la joie, Heidi pour lui tout seule ; quelle merveilleuse soirée finalement. La complicité des jeunes gens est indéniable malgré leur manque de grâce plutôt flagrant.

Tout à coup, un des talons de Heidi se dérobe  sous elle, et elle manque de justesse de chuter. Elle se rattrape aux épaules de Peter, qui la serre à la taille pour l'empêcher de tomber.

"- T'es vraiment fou de m'entraîner là dedans.

- Avoue que c'est sympa

- Moue... bon j'avoue, mais je vais me rompre les os.

- T'inquiète, je te retiens. Tu es moins lourde qu'une plume."

Soudainement, un convive s'interpose entre eux deux.

"- Vous permettez que je vous l'emprunte un instant ?"

En l’espace d’un instant, le jeune homme avait séparé les deux  amis, et entraîné Heidi près de lui.

Ni Peter ni Heidi n'ont le temps de réagir . Le jeune homme s'éloigne par la force des choses, furieux, et il se rend compte tout à coup que ce n'est nul autre que le jeune riche qui lui a "volé" Heidi. Voilà de quoi le mettre encore plus en colère.

- Je peux vous apprendre à danser, aussi bien que vous êtes belle si vous le désirez belle demoiselle, dit Joël d'un air charmeur.

- Ça ne sera pas nécessaire" répond sèchement la jeune fille sans lui laisser le moindre espoir de changement de sa part. N'importe qui lui ayant dit ce genre de phrase n'aurait déjà pas eu le moindre succès ; mais venant de lui, et malgré son ouverture d'esprit, c'est encore pire. Elle a toujours détesté ces citations pompeuses, "à l'eau de rose" comme elle dit.  

Cette fois  s'en était de trop. Elle ne peut pas s'échapper loin de cet individu bien trop entreprenant, mais sitôt que les instruments s’arrêteront,  elle quittera ce lieu en vitesse. Les quelques minutes avant la fin du morceau durent une éternité pour Heidi, et elle n'adressa pas un mot à Joël. Aussitôt fini, elle se précipite vers Peter, lui aussi contrarié.

"- J'en peux plus, là c'est trop! Sors moi de là s'il te plait, grand frère. "

Elle n'a pas besoin de le dire deux  fois. Pour Peter aussi la soirée semble très longue. Il la saisit par la main et l'entraîne hors des lumières de la fête.

" - Un instant s'il te plait. "

Elle se baisse pour ôter ses chaussures qu'elle ne supporte plus, et part en courant escarpins à la main. Tous deux courent jusqu'à en perdre le souffle. Ils vont loin du tumulte de la fête et s'arrêtent enfin près du ruisseau, qui descend tout droit du haut des montagnes.

Heidi qui n'en peut  plus de toutes ces épaisseurs, qui lui donnent chaud et la compriment, attrape le bas de sa robe et s'apprête à la retirer.

" - Oh ! Oh !!! Ça va pas non !! s'exaspère Peter

- Ne t'inquiète pas, j'ai une robe en lin en dessous, comme quand j'étais petite.

- Tu pourrais prévenir quand même !"

Heidi jette sa robe et ses chaussures au pied d'un arbre, et se jette au sol dans la position de l'étoile. Tous ces gens débordant de bonnes manières lui ont rappelées Francfort, et Mme Rottenmeier qui était obsédée par l'ordre et la discipline, au détriment de la vie elle-même. Elle ne pensait qu'à toutes ces bonnes manières jusqu'à l'excès. L'angoisse qui l'avait saisie dans cette ambiance mondaine se libère enfin peu à peu.

"- Enfin libre! Je suis heureuse Peter!

J'ai tellement envie de me baigner, viens!

- Est-ce que c'est vraiment raisonnable ?

- Quelqu'un m'a dit ce soir d'arrêter de réfléchir ! Dit-elle en plongeant.

- Elle est bonne viens !” L'encourage Heidi 

Voyant qu'il ne viendra pas, elle lui demande de lui donner la main.

“- Mais pourquoi ? Ça ne vas pas ?” Dit-il en lui tendant la main.

La jeune femme lui agrippe la main et le tire en avant. Aussitôt il bascule et chute à l'eau.

“- Pouaa ! J'ai bu la tasse

- Ahahah ! Avoue que je t'ai bien eu!

Elle est bonne hein ?

- Bourique ! Je voulais pas y aller !!

Hummm, c'est vrai qu'elle est bonne, dit-il en recrachant l'eau qu'il a dans la bouche."

Ils nagent un moment, puis sortent se sécher. Les deux amis s'allongent dans l' herbe fraiche.

Ce soir, le ciel est magnifiquement étoilé, et pas un nuage ne vient gâcher ce si beau plafond. On distingue la voie lactée à travers le gros hêtre où Hedi a déposé ses affaires. Elle connaît un grand nombres de constellation, habituée à regarder le ciel par sa fenêtre. La ligne des montagnes se détache en une grande tache noire où l'on ne voit pas les étoiles. La rivière émet de légers clapotis on ne peut plus apaisant. Déjà les oiseaux nocturnes entament leur chasse quotidienne et le chant des grillons accompagne leurs hululements. C'est une chaude et agréable nuit d'été qui commence.

" - C'était vraiment génial hein ? intervient Heidi.

- Oui j'avoue, je regrette pas.

- Merci qui ?

- Humm ... Merci ptite soeur!!

Le visage de Heidi affiche un large sourire.

“-J'ai un peu froid maintenant. Je peux me réchauffer un peu ? demande la jeune montagnarde avec le regard du Chat Poté. 

- Allez, viens ! répond-il d'un ton affectif."

Très vite, fatigués par la journée, ils s'endorment tous deux, Heidi la tête posée sur l'épaule de Peter.