Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Les jours s’enchaînaient dans un équilibre fragile entre discipline et introspection. Aélis progressait, lentement mais sûrement. L’entraînement quotidien façonnait son corps et affinait ses réflexes, mais chaque avancée venait avec son lot d’échecs. Son impatience restait son pire ennemi. Lorsqu’elle se précipitait dans un combat, elle laissait des ouvertures que ses adversaires plus expérimentés exploitaient sans pitié. Elle chutait souvent, goûtait la poussière du sol du dojo, et son ego en prenait un coup à chaque fois. Mais elle apprenait. À force d’entraînement, elle commença à anticiper les mouvements de ses adversaires, à ralentir ses gestes pour mieux les contrôler. Elle n’était pas la plus douée, ni la plus rapide, mais elle compensait par sa ténacité.
Ce ne fut pas seulement dans le maniement de l’épée qu’elle dut progresser. Sun Tzu exigeait qu’elle maîtrise aussi ses émotions, qu’elle apprenne à se détacher du poids de sa colère. Cela lui semblait bien plus difficile que de manier une lame. Elle en voulait encore à Methos, à Darius, mais surtout à elle-même. Parfois, tard le soir, elle relisait les derniers messages de Noé. Il méritait mieux que l’ignorance. Elle aurait pu faire autrement, mais à l’époque, elle ne voyait pas d’autre issue.
Elle apprit aussi à reconnaître ses propres contradictions. Son ressentiment contre les immortels s’effritait peu à peu. Ils avaient agi à leur manière, avec leurs failles et leurs maladresses. Ils avaient fait des erreurs, tout comme elle. Et peut-être qu’à force de chercher un coupable, elle avait oublié que la seule personne qu’elle devait vraiment affronter, c’était elle-même.
Ce fut à cette période qu’elle reçut la nouvelle. Kronos était mort. Ce fut le Maitre qui vint lui annoncer.
— Tu es libre de partir, ajouta Sun Tzu. Le danger immédiat est passé, mais ton chemin ne fait que commencer.
Aélis hésita. Une part d’elle voulait rentrer à Paris, retrouver une vie plus normale. Mais elle n’était pas prête. Il lui restait encore trop à apprendre, trop à comprendre.
— Je vais rester encore un peu, dit-elle simplement.
Le maître hocha la tête, comme s’il s’attendait à cette réponse.
Quelques mois de plus passèrent. Son entraînement devint plus fluide, ses erreurs moins nombreuses. Elle n’était pas une épéiste exceptionnelle, mais elle avait gagné en contrôle et en discernement. Et surtout, elle commençait à accepter ce qu’elle était devenue.
Un matin, alors que la fin de l’automne recouvrait les toits du monastère d’une fine couche de givre, une nouvelle lettre l’attendait devant sa porte. Cette fois, ce fut le nom inscrit au dos qui la fit hésiter : Adam Pierson. Methos.
Elle resta figée sur le seuil, la gorge nouée. Son regard ne quittait pas l’enveloppe, comme si elle s’attendait à ce qu’elle s’ouvre d’elle-même et lui livre un message qu’elle n’avait pas demandé. Un frisson la parcourut, et elle détourna les yeux. Elle aurait pu l’ignorer. Elle aurait dû l’ignorer. Sans y réfléchir, elle ramassa la lettre et la glissa sous un livre posé sur sa table de chevet, presque machinalement. Comme si en la cachant, elle pouvait effacer son existence. Elle ne voulait pas la lire. Pas maintenant. Pas aujourd’hui.
Toute la journée, elle tenta de l’oublier. Elle suivit l’entraînement avec Sun Tzu, enchaîna les exercices avec les novices, repoussa chaque pensée parasite qui menaçait d’émerger. Mais à chaque pause, son esprit revenait inévitablement à cette enveloppe dissimulée sous un livre, attendant, patiente, silencieuse.
Le soir venu, alors qu’elle se changeait pour se glisser sous ses draps, son regard tomba sur la table de chevet. Son cœur rata un battement. Elle la voyait. Elle sentait sa présence, comme un poids invisible dans la pièce. Avec un soupir, elle s’assit sur le lit et tendit la main, hésitante. Ses doigts effleurèrent le bord de l’enveloppe sans la saisir. Pourquoi hésitait-elle autant ? Il lui avait fallu plusieurs jours pour se décider à lire la lettre de Darius. Mais Methos… ce n’était pas pareil. Il était là quand elle avait souffert. Il avait vu et il n’avait rien fait. Il avait laissé faire.
Elle referma la main sur la lettre, ses doigts crispés sur le papier. Elle pouvait la remettre sous le livre, la cacher à nouveau. Faire comme si elle n’existait pas. Mais quelque chose en elle refusa cette fois. Dans un geste plus brusque qu’elle ne l’aurait voulu, elle rompit l’enveloppe et déplia la feuille.
L’écriture de l’immortel était fluide, posée, comme si chaque mot avait été soigneusement pesé.
"Aélis,
J’ai longuement hésité avant d’écrire cette lettre. J’ignore si tu as envie de la lire, encore moins si tu as envie d’une réponse. Mais il y a des choses que je dois dire, et c’est la seule manière que j’ai trouvée.
Je suis désolé.
Pas pour ce que je suis, mais pour mes erreurs.
Je ne peux pas revenir en arrière, et je ne peux pas prétendre que j’ai fait tout ce qu’il fallait pour t’épargner ce que tu as vécu. Je sais que tu m’en veux. Peut-être même que tu as raison. Mais si je devais tout recommencer, je ne sais pas si j’aurais pu faire autrement. Parce que j’ai fait ce que je pensais nécessaire, et que parfois, ce que l’on croit être la bonne décision laisse des cicatrices plus profondes qu’on ne l’imagine.
Tu es plus forte que tu ne le crois, Aélis. J’ai vu des gens brisés par bien moins que ce que tu as traversé. Et pourtant, tu es toujours là. Tu te relèves.
Je ne te demande pas de me pardonner aujourd’hui, ni même demain. Je veux simplement que tu saches que si un jour tu veux parler, si un jour tu es prête… je serai là.
Prends soin de toi.
Methos."
Elle soupira. Methos n’était pas du genre à s’excuser facilement. Il évitait les confrontations, préférait l’ironie aux discussions profondes. Cette lettre… c’était un effort. Un effort pour se racheter, peut-être. Elle replia doucement le papier et le rangea dans la boîte où elle gardait la lettre de Darius. Puis, elle s’assit sur son lit, observant la lumière de la lune filtrer à travers la fenêtre.
Quelque chose en elle s’était apaisé. Elle n’était pas encore prête à lui pardonner. Mais cette fois, elle se demanda si, un jour, elle le serait.
*
Paris baignait dans une lumière douce et dorée en cette fin d’après-midi. Les rues étaient animées, les cafés bruissaient des conversations des passants, et pourtant, dans un coin plus tranquille de la ville, une ambiance bien différente régnait.
Amanda s’était installée dans un fauteuil en velours, une coupe de champagne à la main, observant d’un air distrait l’homme assis en face d’elle. Methos, accoudé au comptoir du bar feutré où ils s’étaient donné rendez-vous, tournait lentement son verre entre ses doigts sans vraiment y toucher. Il était là sans vraiment l’être, perdu dans ses pensées. Elle haussa un sourcil, amusée.
— Alors, tu comptes me parler ou tu vas continuer à faire semblant de t’intéresser à ton whisky ?
Methos leva les yeux vers elle, un léger sourire effleurant ses lèvres avant qu’il ne reprenne son manège.
— Je t’écoute, répondit-il d’un ton faussement détaché.
Amanda le fixa un instant avant de secouer la tête.
— Tu es d’un ennui mortel quand tu es comme ça. Depuis quand tu es aussi préoccupé, hein ?
— Je réfléchis, c’est tout.
— À quoi ? À quel point Paris est belle en cette saison ?
Il eut un léger rire, mais elle voyait bien que son esprit était ailleurs. Elle s’installa plus confortablement, croisa les jambes et plongea son regard pétillant dans le sien.
— Tu sais, si tu voulais vraiment éviter de parler, tu n’aurais pas accepté mon invitation.
Methos soupira et but une gorgée de son verre avant de répondre.
— Ce n’est rien, Amanda. Juste… des pensées qui tournent en rond.
— Toi ? Ressasser quelque chose ? C’est bien la première fois que je te vois comme ça.
Elle le scruta un instant, plus attentive.
— Tu vas me dire ce qui te travaille, ou on joue à deviner lequel de tes démons t’a rattrapé cette fois ?
Methos esquissa un sourire las, sans relever les yeux.
— Tu deviens trop perspicace, Amanda.
Elle inclina légèrement la tête, son ton plus posé qu’à l’accoutumée.
— C’est à cause d’eux ? De Kronos ?… De cette garce de Cassandra ?
Un silence s’installa, plus dense encore que l’air tamisé du bar. Il ne répondit pas tout de suite. Il se contenta de boire enfin une gorgée de son whisky, lentement.
— Il y a des jours où le passé s’invite, c’est tout, murmura-t-il.
Amanda baissa les yeux sur sa coupe, pensive.
— Je te connais, Methos. Ce n’est pas juste du remords. Tu n’es pas du genre à t’attarder sans raison.
Il ne répondit pas, et elle n’insista pas. Un battement suspendu entre eux, fait de trop d’années et trop peu de mots.
— Qu’est-ce que tu veux que je dise ? lança-t-il finalement, las.
— Je ne sais pas… Peut-être que tu te poses trop de questions ?
Elle prit une gorgée de champagne, feignant l’indifférence, avant d’ajouter d’un ton plus léger :
— Ou alors peut-être que pour une fois, tu ressens quelque chose d’un peu trop sincère pour le noyer dans l’alcool.
— Tu me prêtes trop de profondeur, Amanda.
— Oh, s’il y a bien une chose que j’ai apprise à ton sujet, c’est que sous tes airs de cynique blasé, il y a un homme bien plus sentimental que tu ne veux l’admettre.
Methos roula des yeux et Amanda éclata de rire.
— Bon, je te laisse tranquille… pour aujourd’hui. Mais un jour, je finirai par te faire avouer ce qui te travaille.
Elle leva son verre dans un geste de toast, et après une seconde d’hésitation, Methos l’imita avec une moue amusée.
Le bar était presque désert à présent. L’immortel restait assis au fond, son verre à moitié vide devant lui, tandis que les derniers rayons de lumière s’éteignaient à travers les fenêtres poussiéreuses. Amanda était partie depuis plusieurs minutes, laissant derrière elle un silence qui paraissait plus pesant qu’il ne l’aurait cru.
Il s’appuya contre le dossier de sa chaise, fixant le liquide ambré qui dansait dans son verre. L’alcool ne lui avait jamais vraiment permis d’oublier quoi que ce soit, mais il y avait des soirs où l’illusion suffisait. Pas ce soir.
Son esprit le ramenait inexorablement en arrière, aux cavaliers, à Kronos. Aux chaînes qu’il avait brisées en fuyant, et à celles qu’il continuait de porter malgré lui. Il avait passé des siècles à croire que le temps pouvait tout effacer, que changer de nom, de vie, de continent suffirait à se réinventer. Mais Kronos était la preuve vivante que certaines ombres ne disparaissaient jamais. Pourquoi l’avait-il suivi ? La réponse lui semblait évidente, du moins à l’époque : survivre. Dans un monde sans pitié, où les Immortels comme les mortels vivaient ou mouraient au gré de la violence, Methos avait adopté la philosophie la plus simple qui soit : être du côté des prédateurs. Et Kronos était le plus redoutable de tous. Le suivre avait signifié choisir la sécurité, même au prix de sa propre humanité. Mais avec le temps, cette philosophie avait perdu de son éclat. Les cris étouffés des victimes, les villes réduites en cendres, tout cela s’était gravé dans sa mémoire comme des cicatrices qu’il ne pouvait effacer. Il avait fini par fuir Kronos, comme il avait toujours fui les chaînes qu’il s’était forgées lui-même.
Fuir. C’était toujours la même histoire. Chaque époque apportait son lot de dangers qu’il esquivait avec habileté. Qu’il s’agisse de guerres, de traques ou de vengeances sanglantes, Methos avait appris à disparaître avant que le pire ne s’abatte sur lui. Sa survie en dépendait, ou du moins, c’était ce qu’il avait toujours cru. Mais aujourd’hui ?
Il secoua légèrement la tête, un sourire amer étirant ses lèvres. Le problème avec les fantômes du passé, c’est qu’ils finissaient toujours par revenir, sous une forme ou une autre. Kronos était mort, mais son ombre continuait de planer sur son esprit. Sa réapparition avait rouvert des blessures qu’il croyait avoir enfouies à jamais. Il avait été confronté à la partie la plus sombre de lui-même, celle qui avait suivi le cavalier sans poser de questions. Aujourd’hui Kronos n’était plus là, mais les cicatrices émotionnelles qu’il avait laissées étaient toujours vivantes. Methos s’était toujours dit que le temps effaçait tout. Pourtant, le temps n’avait jamais suffi. Il n’avait fait que repousser l’inévitable. Il baissa les yeux sur son verre. Aucune quantité d’alcool ne pouvait laver cette culpabilité. Et il le savait mieux que quiconque. Pour se libérer, il n’avait plus qu’un chemin à emprunter : avancer. Cela signifiait aussi affronter ceux qu’il avait blessés sur son chemin.
Le souvenir d’Aélis s’imposa malgré lui. Ce n’était pas son regard de colère ou ses paroles cinglantes qui lui venaient en tête, mais quelque chose de plus subtil. Sa détresse silencieuse. Son refus obstiné de se montrer vulnérable, tout en étant profondément brisée. Methos avait reconnu cette souffrance, peut-être parce qu’il l’avait portée lui-même pendant des siècles. Elle était butée. Trop obstinée, sans doute, pour demander de l’aide, tout comme lui l’avait été dans le passé. C’était peut-être ça qui le dérangeait le plus. Ce miroir involontaire qu’elle lui tendait, lui renvoyant une image qu’il aurait préféré ignorer. Il ne savait pas encore comment il s’y prendrait, ni même si elle accepterait de l’écouter. Mais il devait essayer. Pas seulement pour elle. Pour lui aussi.
Methos baissa les yeux sur son verre vide, un goût amer sur la langue. Il avait voulu croire qu’il était devenu quelqu’un de meilleur. Que les siècles passés à se cacher, à observer, à éviter le conflit, faisaient de lui un être plus sage. Mais au fond, la vérité était bien plus laide : il n’avait pas changé, il avait juste appris à se mentir à lui-même.
Et Darius ?
La pensée lui arracha un léger soupir. Darius l’avait connu à une époque où il n’était plus un cavalier, mais pas encore un homme digne de confiance. Il l’avait accepté tel qu’il était, avec ses fêlures et ses lâchetés. Et pourtant, cette fois, Methos avait l’impression d’avoir franchi une ligne. Darius ne lui avait rien reproché. Il ne lui avait adressé aucun regard déçu, aucune parole accusatrice. Et c’était peut-être ça, le pire. Car Methos savait qu’il avait failli.
Est-ce que Darius lui faisait encore confiance ? La question le hantait. Il n’aurait pas su dire pourquoi cela comptait autant. Peut-être parce que, depuis des siècles, le prêtre était le seul à croire qu’il pouvait être autre chose qu’un homme fuyant son passé. Que la rédemption n’était pas un mythe, même pour quelqu’un comme lui. Et il avait ruiné cela en un claquement de doigts.
Le barman lui jeta un regard interrogateur, mais Methos secoua la tête et se leva lentement. Il n’avait pas envie d’un autre verre. Ce soir, il n’y avait rien à noyer dans l’alcool.
Il enfila son manteau et sortit dans la fraîcheur de la nuit. Le vent portait une odeur de pluie à venir, comme un avertissement silencieux. Il marcha, les mains enfoncées dans ses poches, se demandant ce qu’il gagnerait à affronter ses fantômes plutôt qu’à leur tourner le dos.
*
De l’autre côté de Paris, l’ambiance était différente.
Dans l’espace sobre et épuré du dojo, l’odeur du bois ciré et de la sueur emplissait l’air tandis que Duncan et Richie s’entraînaient au sabre. Les lames s’entrechoquaient en un rythme mesuré, un duel plus formateur qu’agressif. Richie, concentré, tentait d’anticiper les mouvements de son mentor, mais Duncan esquivait avec une fluidité maîtrisée, lui rappelant qu’il avait encore du chemin à parcourir.
Après une énième parade, Richie recula, légèrement essoufflé, et baissa son arme avec un sourire fatigué.
— Sérieusement, Mac, tu peux pas me laisser une victoire, juste une ?
— Une victoire offerte ne vaut rien. Quand tu gagneras, tu sauras que c’est parce que tu l’auras mérité.
Richie secoua la tête et alla s’asseoir sur un banc, attrapant une serviette pour essuyer la sueur de son front.
— Ouais, ouais… mais en attendant, c’est toujours moi qui finis sur le banc.
Duncan vint s’asseoir à côté de lui et lui tendit une bouteille d’eau.
— C’est normal. Tu es encore jeune dans ce monde, Richie. Il faut du temps pour s’adapter.
Le jeune homme hocha la tête, pensif.
— Tu crois que c’est toujours aussi compliqué, même après plusieurs siècles ?
— Je crois qu’on passe sa vie à s’adapter. C’est ce qui fait la différence entre survivre et tomber.
— Et toi, t’as toujours su t’adapter ?
Le Highlander haussa les épaules.
— Pas toujours. Mais j’ai eu des gens pour m’aider à comprendre ce que signifiait être immortel.
Richie le fixa un instant avant d’ajouter, plus sérieux :
— C’est marrant… mais j’ai l’impression qu’en ce moment, il y a plus de tension entre nous tous. Comme si chacun marchait sur des œufs.
Duncan se tendit légèrement, mais ne répondit pas tout de suite.
— Il y a des périodes comme ça, admit-il enfin. Parfois, les liens sont mis à l’épreuve. Mais ce qui compte, c’est la manière dont on les répare.
— C’est une métaphore pour un truc en particulier ou… ?
Duncan éclata de rire et lui tapota l’épaule avant de se relever.
— Reprends ton sabre, gamin. On a encore du travail.
Richie grogna mais obéit, un sourire en coin.
*
L’aube peignait le ciel de nuances pastel alors qu’Aélis refermait son sac. Le monastère s’éveillait doucement autour d’elle, rythmé par les premiers chants matinaux des novices. Le froid mordant de la montagne lui piquait la peau, mais elle n’y prêtait guère attention. Elle se tenait droite, le regard fixé sur les lourdes portes de bois qui marquaient la fin de ce chapitre. Derrière elle, le pas feutré de Sun Tzu se fit entendre avant qu’il ne s’arrête à sa hauteur.
— Tu es prête ?
Sa voix était calme, empreinte de cette sagesse tranquille qu’elle avait appris à respecter. Elle prit une inspiration, observant une dernière fois la cour pavée où elle s’était entraînée, les galeries silencieuses sous lesquelles elle avait médité, l’atmosphère paisible qui l’avait abritée ces derniers mois.
— Je crois, oui.
Sun Tzu hocha légèrement la tête, comme s’il s’attendait à cette réponse.
— Le plus difficile ne sera pas ce que tu laisses derrière toi, mais ce que tu retrouves.
— J’ai changé. Je me sens plus forte.
— Et pourtant, c’est dans cette illusion de force que réside ta plus grande faiblesse, répondit-il sans la quitter des yeux. Ce n’est pas parce que tu es prête à affronter le monde que le monde est prêt à t’accueillir comme tu es devenue.
Les mots résonnèrent en elle avec une justesse qui la troubla. Sun Tzu n’avait jamais été du genre à édulcorer ses conseils, et cette dernière mise en garde ne faisait pas exception. Elle savait qu’il avait raison.
— Et si je n’arrive pas à retrouver ma place ?
Un léger sourire passa sur les lèvres du Maître.
— Alors trouve-en une nouvelle.
Aélis pinça ses lèvres, avant d’acquiescer lentement. Il avait raison, encore une fois. Elle ne pouvait pas s’accrocher à ce qu’elle était avant, pas plus qu’elle ne pouvait effacer tout ce qu’elle avait vécu. Il lui faudrait avancer, et accepter que certains liens s’étaient peut-être déjà défaits.
L’immortel observa le doute qui se peignait brièvement sur son visage avant d’ajouter d’un ton plus doux :
— Tu as appris bien plus que l’art du combat ici. N’oublie pas que la force ne réside pas uniquement dans l’acier d’une lame, mais dans la résilience de celui qui la porte.
Elle inspira profondément, gravant ces paroles dans son esprit avant de hocher la tête avec détermination.
— Merci pour tout, Maître.
Sun Tzu la regarda encore un instant avant de s’incliner légèrement en signe d’adieu.
— Prends garde à ne pas laisser le passé guider chacun de tes pas.
Elle esquissa un sourire fugace avant de se détourner et de franchir enfin les lourdes portes du monastère.
La route s’étendait devant elle, bordée par les cimes enneigées et le silence feutré de l’altitude. Elle inspira profondément l’air vif de la montagne et se mit en marche. L’appréhension était bien là, tapie dans un recoin de son esprit, mais elle ne laisserait pas la peur dicter ses choix.
Paris l’attendait, avec toutes les incertitudes qu’elle y avait laissées.
*
La première chose qu’elle fit en arrivant à la capitale fut de se rendre à l’église de Darius. Elle aurait pu rentrer chez elle, retrouver un semblant de normalité, mais quelque chose en elle refusait de repousser cette rencontre. Elle devait le voir. Pas pour clore ce chapitre, mais pour comprendre si elle pouvait, enfin, avancer.
L’église était plongée dans un silence apaisant. L’odeur familière d’encens flottait dans l’air, un rappel de tout ce qu’elle avait laissé derrière elle avant de partir. Ce lieu lui avait autrefois paru immuable, hors du temps, mais aujourd’hui, elle se demandait si c’était elle qui avait changé au point de ne plus y trouver sa place.
Sa vibration l’annonça d’elle-même. Darius apparut dans l’ombre d’un passage latéral, s’arrêtant dès qu’il posa les yeux sur elle. Aucune surprise dans son regard, ni attente. Juste cette présence calme et ancrée qu’elle lui connaissait si bien. Aélis inspira profondément avant d’avancer vers lui. Son cœur battait un peu trop vite, mais elle ne reculerait pas.
— Tu es revenue, souffla-t-il enfin, avec cette douceur qui désarmait tout.
Elle hocha la tête, le regard fuyant.
— Je devais… remettre certaines choses en ordre.
Un silence flotta entre eux, chargé de tout ce qu’ils ne s’étaient pas dit. Darius l’observa avec cette patience infinie, lui laissant le soin de franchir elle-même la distance qui les séparait encore.
— Je ne suis pas venue pour m’excuser, précisa-t-elle, la voix plus dure qu’elle ne l’aurait voulu.
— Je sais.
Il n’y avait ni reproche ni attente dans sa réponse, et c’était peut-être cela qui la troubla le plus.
— Mais je veux comprendre, ajouta-t-elle après un instant.
Le prêtre inclina légèrement la tête, un fin sourire empreint de gravité effleurant ses lèvres.
— J’ai fait un choix, Aélis. Pas par malveillance, ni par indifférence. Mais parce que certaines vérités ne peuvent être imposées. Elles doivent être découvertes.
Elle serra les bras autour d’elle, détournant les yeux.
— C’était ma vie, Darius. Vous m’avez tous regardée avancer en sachant ce qui allait arriver, et vous n’avez rien dit.
— Tu aurais préféré le savoir ? demanda-t-il avec douceur. Savoir que chaque instant compté te menait inévitablement à ce moment ?
Elle ouvrit la bouche pour répliquer, puis se ravisa. Aurait-elle seulement pu comprendre, avant ? Aurait-elle voulu croire que tout ce qu’elle était était déjà écrit dans une fatalité qu’elle ne contrôlait pas ?
— Je ne sais pas, murmura-t-elle.
Darius s’approcha légèrement, mais resta à une distance qui lui laissait la liberté de reculer.
— Alors je suis désolé. Pas de t’avoir caché la vérité, mais de t’avoir laissée te sentir trahie.
Aélis déglutit, incapable de soutenir son regard plus longtemps.
— J’ai beaucoup réfléchi, là-bas, dit-elle après un silence. À tout ce que j’ai dit, à tout ce que j’ai fait.
L’immortel l’écouta avec cette attention pleine qui donnait toujours l’impression qu’il entendait au-delà des mots.
— Et qu’as-tu compris ?
Elle hésita, le poids de ses propres pensées encore trop vif.
— Que je t’en ai voulu parce que tu étais le seul en qui j’avais vraiment confiance.
Un éclat de tristesse passa dans les yeux du prêtre, fugace mais sincère.
— C’était réciproque.
Elle releva enfin la tête vers lui, sentant pour la première fois depuis longtemps une barrière s’effriter entre eux. Il ne cherchait pas à se justifier, ni à la convaincre. Il était simplement là, comme il l’avait toujours été.
Darius esquissa un léger mouvement et lui fit signe de le suivre.
— Viens.
Elle le suivit jusqu’à ses appartements, plus par instinct que par réelle volonté. Il ouvrit une armoire, fouilla un instant parmi des objets soigneusement rangés avant d’en sortir une petite boîte en bois. Il la lui tendit, accompagné d’une clé qu’il déposa dans sa paume.
— Ouvre, lui dit-il avec une lueur d’impatience presque amusée.
Aélis haussa un sourcil, mais tourna la clé dans la serrure et souleva lentement le couvercle. À l’intérieur, un bracelet de cuir tressé, vieilli mais intact. Elle le prit délicatement entre ses doigts.
— C’est pour moi ?
Il acquiesça avec un sourire énigmatique. Elle le regarda, perplexe. Sans un mot, il prit doucement le bracelet de ses mains et se pencha légèrement pour le nouer autour de son poignet.
Le contact de ses doigts contre sa peau fut plus long que nécessaire. Un instant suspendu, imperceptible, mais réel. Elle sentit la chaleur de sa paume effleurer l’intérieur de son poignet, le geste à la fois maîtrisé et hésitant, comme s’il se rendait compte trop tard de la proximité entre eux. Son expression ne trahit rien, ou presque. Un léger tressaillement de ses doigts, une infime retenue, avant qu’il ne serre le nœud et recule d’un pas.
Elle baissa aussitôt les yeux sur le bracelet pour masquer l’étrange sensation qui l’avait traversée. Son esprit chercha immédiatement à rationaliser. Darius était prêtre. C’était sans doute juste une impression, une absurdité née de la fatigue et de l’intensité de ces derniers jours.
— C’est un symbole. Pas un fardeau, ni une dette. Juste un rappel que tu as une place ici, si tu la veux toujours, lui dit-il.
Elle fit tourner légèrement son poignet, sentant la souplesse du cuir contre sa peau. Une chaleur étrange l’envahit, un mélange de nostalgie et d’apaisement.
— Merci, souffla-t-elle.
Darius sourit, un sourire doux, presque imperceptible.
— Ce n’est pas un pardon, ajouta-t-elle en relevant les yeux vers lui.
— Je sais, Aélis.
Elle inspira profondément. Ce n’était pas encore terminé. Mais c’était un début.
*
La jeune immortelle s’arrêta devant la porte de l’appartement de Methos, le cœur plus lourd qu’elle ne l’aurait cru. Elle n’avait pas prévu de venir le voir si tôt, mais après sa conversation avec Darius, une étrange nécessité s’était imposée. Elle voulait en finir avec cette rancœur persistante, comprendre si elle pouvait encore lui faire confiance. Elle leva la main pour frapper, mais avant même que ses phalanges ne touchent le bois, la porte s’ouvrit lentement. Il savait qu’elle était là. Il l’avait ressentie, tout comme elle avait appris à reconnaître sa présence avant même de le voir. Il se tenait dans l’encadrement, son regard posé sur elle avec une lueur de retenue. Pas de sourire narquois, pas de remarque légère. Juste un silence chargé d’un poids qu’ils n’avaient pas encore osé affronter.
— Je peux entrer ? demanda-t-elle, sa voix plus posée qu’elle ne l’aurait imaginé.
Il s’effaça pour la laisser passer, refermant la porte derrière elle. L’atmosphère entre eux était étrange, suspendue entre l’inconfort et une familiarité qu’elle ne savait plus si elle pouvait retrouver. Methos, d’ordinaire si désinvolte, semblait hésitant. Il passa une main dans ses cheveux, un tic nerveux qu’elle lui connaissait, et se laissa tomber sur le canapé.
— Je ne savais pas si tu viendrais, admit-il enfin, sa voix plus rauque que d’habitude.
Elle resta debout, croisant les bras sur sa poitrine comme une armure invisible.
— Moi non plus.
Elle n’était pas venue pour des excuses, pas vraiment. Mais elle avait besoin d’entendre quelque chose, de comprendre ce qu’il ressentait après tout ce qui s’était passé.
— Je suis désolé, finit-il par dire, brisant enfin la tension.
Elle aurait voulu que ces mots suffisent, mais ce n’était pas aussi simple.
— Pour quoi, exactement ?
Il releva les yeux vers elle, fatigué, mais sans chercher à fuir.
— Pour Kronos. Pour la manière dont tout s’est déroulé. Pour ce que j’ai dû faire… et pour ce que je n’ai pas fait.
Aélis serra les dents. Elle se souvenait encore de la sensation d’impuissance, de trahison, lorsqu’elle l’avait vu à ses côtés.
— J’ai compris que tu essayais de me protéger, dit-elle enfin. Mais ça n’efface pas le fait que tu lui as donné exactement ce qu’il voulait.
— Tu crois que je ne le sais pas ? Je revois cette foutue scène en boucle. Je me dis que j’aurais pu faire autrement, que j’aurais dû… Mais Kronos ne laisse jamais d’échappatoire. J’ai fait ce que j’ai cru être le seul choix possible à ce moment-là.
Il passa une main sur son visage, comme pour chasser une fatigue qui n’avait rien de physique.
— Et ça ne veut pas dire que je ne le regrette pas.
Aélis l’observa, cherchant à déceler un mensonge, une esquive, mais il n’y en avait pas. Il ne plaisantait pas, ne détournait pas la conversation. Il se montrait tel qu’il était, vulnérable, sans faux-semblants. Elle inspira profondément.
— Je ne suis pas encore prête à oublier, murmura-t-elle.
Un bref silence. Puis Methos hocha lentement la tête.
— Je ne t’en demande pas tant.
Un frisson imperceptible la traversa. Elle savait qu’elle pouvait s’accrocher à sa colère, l’utiliser comme une barrière entre eux, mais à cet instant, elle se sentit fatiguée de se battre.
— Mais je veux essayer de ne plus t’en vouloir.
— Alors c’est un début.
Elle hocha la tête et se dirigea vers la porte. Il ne la retint pas, ne chercha pas à allonger la conversation.
— Aélis, l’appela-t-il au moment où elle posait la main sur la poignée.
Elle se retourna.
— Je suis content que tu sois rentrée.
Elle ne répondit pas, mais son regard s’adoucit légèrement avant qu’elle ne disparaisse dans le couloir.
*
La ville bruissait autour d’elle, rythmée par les voitures, les conversations étouffées des passants, les feuilles humides que la pluie avait plaquées sur les trottoirs. Aélis marchait vite, une main dans la poche de son manteau, l’autre tenant son téléphone contre son oreille.
— Je reprends le cours de ma vie, maman. Rien d’extraordinaire. J’étais justement en route vers le dojo, je vais reprendre un peu les arts martiaux.
Elle marqua une courte pause, comme si elle hésitait avant d’ajouter :
— Et j’ai revu Darius.
— Darius ?
— Le prêtre dont je vous avais parlé. Celui que j’avais rencontré l’année dernière.
Un silence flotta à l’autre bout de la ligne. Puis la voix de sa mère, un peu plus tendue :
— C’est drôle, tu parles beaucoup de lui ces derniers temps. Mais… on s’inquiète, tu sais. On ne comprend pas ce que tu fais exactement. On a l’impression que tu es entourée de gens qu’on ne connaît pas, que tu te coupes de nous. Et puis… tu sais très bien qu’avec tout ce qu’on entend de nos jours sur les communautés religieuses, les mouvements fermés, les… dérapages. J’ai besoin d’être rassurée.
Aélis ferma brièvement les yeux, se forçant à garder un ton calme.
— Maman… ce n’est rien de tout ça. Il m’a juste tendu la main à un moment où j’étais paumée.
Un nouveau silence, plus long, et cette fois, sa mère parla plus bas. Comme si la question lui échappait malgré elle.
— Tu es amoureuse ?
Aélis s’arrêta net sur le trottoir, surprise par la franchise soudaine.
— Quoi ? Non… Bien sûr que non. Pourquoi tu me demandes ça ?
— Parce que tu parles beaucoup de lui. Tu as l’air de passer du temps avec lui. Et je vois bien que tu évites de rentrer. Aélis, j’ai juste peur que tu te fasses embarquer dans quelque chose… d’un peu bizarre.
— Il n’y a rien de bizarre. Je te le promets.
— Alors pourquoi tu ne viens pas nous voir ?
— Parce que j’ai besoin de temps. De recul. J’ai encore des choses à régler ici, avant de...
Elle s’interrompit, consciente qu’elle ne savait même pas finir cette phrase.
— Si tu ne veux pas venir à la maison, c’est moi qui viendrai, dit sa mère avec une détermination tranquille. Je ne sais pas quand encore, mais je ne vais pas te laisser t’éloigner comme ça, sans comprendre.
Aélis sentit un pincement au creux de la poitrine. Elle baissa un peu la voix.
— J’apprécie que tu t’inquiètes. Vraiment. Mais fais-moi confiance, d’accord ?
— Est-ce que tu as revu Noé ?
Elle marqua un temps, hésitant.
— Pas encore. C’est… compliqué.
La ligne resta silencieuse quelques secondes. Puis sa mère ajouta, plus doucement :
— Tu nous manques.
Aélis referma les yeux un instant, touchée malgré elle.
— Je sais.
Elle entendit le bruit familier d’un soupir à travers l’écouteur, puis un « fais attention à toi » avant que la ligne ne se coupe doucement.
Aélis rangea son téléphone, inspira profondément, puis reprit sa marche vers le dojo. Le cœur plus lourd qu’elle ne voulait l’admettre.
La porte coulissa doucement dans son rail. L’intérieur du dojo était baigné d’une lumière diffuse, filtrée par les hauts vitrages. L’odeur familière du bois ciré et des tatamis humides l’accueillit comme un souvenir lointain. Elle inspira profondément. Cela faisait des mois qu’elle n’était pas venue. Le lieu n’avait pas changé. Mais elle, si.
Duncan MacLeod leva la tête depuis l’arrière de la salle, là où il rangeait des armes d'entraînement. Lorsqu’il la vit, il se figea un bref instant. Pas de sourire immédiat, ni d’élan vers elle. Juste un regard, franc, légèrement sur la réserve.
— Aélis.
— Bonjour Duncan.
Un silence tendu flotta entre eux. Elle fit un pas dans la salle, ses mains croisées dans le dos comme pour se forcer à rester calme.
— Je voulais savoir si… tu donnais toujours des cours.
Duncan hocha lentement la tête.
— Tous les matins. Et certains soirs. Tu veux reprendre ?
— Si c’est possible.
Il s’approcha de quelques pas, gardant une distance respectueuse. Son regard cherchait le sien, mais elle l’évitait habilement.
— Tu es revenue depuis longtemps ?
— Quelques jours. J’ai pris le temps de voir… certaines personnes.
— Darius ?
Elle hocha la tête.
— Et Methos aussi.
Le nom flotta dans l’air comme une tension à peine voilée.
— Tu as changé, murmura-t-il.
— Il fallait bien, répondit-elle un peu sèchement.
Il accepta sans broncher. Un silence s’installa de nouveau, plus pesant. Puis Duncan s’éclaircit la gorge.
— Tu m’en veux encore ?
— Est-ce que tu m’en aurais voulu, à ma place ?
Il ne répondit pas tout de suite. Puis, doucement :
— Probablement.
Elle baissa les yeux, et cette fois sa voix fut moins défensive.
— Mais je ne suis pas venue pour régler nos comptes. Pas maintenant. J’ai juste besoin de me recentrer. De retrouver un équilibre. Et je me suis dit que… reprendre l’entraînement pourrait m’y aider.
Duncan acquiesça, avec une gravité tranquille.
— Tu es toujours la bienvenue ici. Même si c’est pour me lancer des regards noirs pendant les échauffements.
Aélis esquissa un sourire, presque malgré elle.
— Je ne promets rien.
Il s’apprêtait à répondre quand une voix chantante surgit derrière eux.
— Oh, quel tableau charmant. Les retrouvailles tendues mais pleines de sous-entendus. J’adore.
Amanda s’était faufilée dans le dojo sans bruit, son sac jeté négligemment sur l’épaule, un sourire en coin aux lèvres. Aélis se raidit légèrement.
— Amanda, intervint Duncan en soupirant.
— Quoi ? Je passe dire bonjour et je tombe sur la tragédie grecque du jour, je ne vais pas ignorer la scène.
Elle s’approcha d’Aélis avec un brin d’élégance nonchalante.
— On s’est croisées brièvement, mais on n’a jamais vraiment eu l’occasion de parler. Amanda.
— Aélis.
Elles échangèrent une poignée de main, polie, un peu méfiante.
Duncan, sentant l’ambiance glisser dans un autre registre, reprit doucement :
— Tu avais l’air préoccupée en arrivant, Aélis. Tu veux en parler ?
Elle hésita un instant, puis soupira.
— C’est ma famille. Mes parents surtout. Je leur ai dit que j’étais de retour à Paris… et maintenant ils veulent que je vienne les voir. Et moi… je cherche des excuses pour retarder le moment.
Amanda haussa un sourcil curieux.
— Tu ne veux pas les voir ?
— Ce n’est pas ça. C’est juste que… je ne sais pas comment gérer tout ça. Je suis immortelle maintenant. Et eux… ils ne savent rien. Je ne peux pas leur dire, bien sûr, mais je ne peux pas non plus faire comme si de rien n’était. J’ai quelques années devant moi avant qu’ils commencent à se poser des questions, mais… je dois déjà commencer à me détacher. À leur faire croire que je suis ailleurs. Loin. Moins disponible.
Elle passa une main dans ses cheveux, visiblement tendue.
— Mais plus j’essaie de prendre mes distances, plus ils s’accrochent. Ma mère veut venir me voir. Elle croit que je suis en train de m’isoler, que je fréquente des gens « étranges ». Elle s’inquiète. Et je ne sais pas comment la rassurer sans mentir.
Amanda, étonnamment douce, posa une main sur son bras.
— C’est normal. Ils sentent que tu changes, sans comprendre pourquoi. Et ça les fait paniquer.
Puis, d’un ton plus léger, elle ajouta :
— C’est nous maintenant ta famille, ma chérie. Un peu plus dysfonctionnelle peut-être, mais on tient bien la route.
Aélis esquissa un sourire, mais son regard restait préoccupé.
— Je me dis que le mieux serait peut-être de les éloigner doucement… leur faire croire que je suis absorbée par un nouveau travail, ou une vie trop remplie… Je ne sais pas.
— Ou peut-être, dit doucement Duncan, que le mieux serait d’abord de les rassurer. Leur montrer que tu n’es pas seule, que tu n’es pas en danger.
Amanda hocha la tête, visiblement d’accord.
— Fais-les venir. Qu’ils voient par eux-mêmes à quoi ressemble ta vie ici. S’ils rencontrent quelques-uns d’entre nous, s’ils voient un environnement sain — bon, relatif, on ne va pas leur dire qu’on se décapite entre nous, hein — ils seront moins tentés de croire à une secte obscure.
Aélis les regarda, dubitative.
— Vous voulez que je vous présente ?
Amanda éclata de rire.
— Pourquoi pas ? Je peux faire la fille charmante. Richie est adorable… et Duncan ici présent a déjà le look du gendre idéal.
Duncan leva les yeux au ciel, amusé.
— L’idée n’est pas si mauvaise, insista-t-il. Ce serait une façon de recadrer leur inquiétude avant que tu ne commences à t’éloigner pour de bon.
Aélis réfléchit un instant. Elle n’avait pas envisagé cette option. Mais elle devait admettre que cela pourrait fonctionner.
— Je vais y penser.
Amanda lui lança un clin d’œil.
— Et puis, avoue, tu as toujours rêvé d’un dîner avec tes parents, un Écossais stoïque, une voleuse mondaine et un éternel ado qui se bat comme un pro. Ça ferait un roman passionnant.
— Ou un désastre, répliqua Aélis.
— Parfois, les deux vont ensemble, murmura Duncan.
*
Le dojo était presque vide. L’air sentait le lin et la sueur, imprégné des efforts de l’entraînement du soir. Le calme était revenu. Seul restait Duncan, balai en main, traçant des gestes réguliers sur le tatami. Des gestes mécaniques, concentrés en apparence, mais qui ne parvenaient pas à fixer son esprit ailleurs.
Il n’eut pas besoin de le voir entrer pour reconnaître cette vibration familière. Silencieuse, vieille, teintée d’un sarcasme latent qu’aucun millénaire ne semblait avoir terni. Il se retourna néanmoins, sans hâte. Methos se tenait là, sur le seuil, un sac de toile pendu au bout du bras, l’air de celui qui avait décidé d’être de passage, sans s’excuser.
Duncan haussa à peine un sourcil.
— Tu ne m’avais pas dit que tu passerais.
Methos leva le sac avec un haussement d’épaules faussement désinvolte.
— Je sais. J’ai retrouvé ce bouquin que je t’avais promis. L’art de la guerre à travers les siècles. Avec des annotations très personnelles, tu verras. Passionnant.
Duncan le regarda un instant, comme s’il évaluait le poids de cette excuse. Puis il hocha la tête et désigna un banc contre le mur.
— Pose-le là.
Methos s’exécuta, déposa l’ouvrage avec soin, puis resta debout, les mains dans les poches, comme s’il hésitait à s’asseoir. Ou à fuir.
— Tu sais, je ne suis pas venu pour m’incruster, ajouta-t-il, le ton presque trop léger. Juste… rendre un service en retard. Rien de plus.
Duncan balaya deux fois en silence, puis répondit d’un ton moins tendu :
— Tu restes rarement pour “rien de plus”, Methos.
Un sourire s’esquissa sur le visage du plus ancien.
— Touché.
Le silence s’installa, d’abord neutre, puis un peu trop long pour ne pas dire quelque chose. Methos fit un pas vers la sortie, mais Duncan, sans le regarder, rompit enfin la tension.
— Tu sais… Ce que Cassandra a raconté… ça m’a hanté, au début.
Methos se figea. Il ne répondit pas tout de suite. Le silence, encore une fois, sembla lui coller à la peau.
— Je ne pouvais pas imaginer… que l’homme que je connais ait pu faire partie de ça.
Un long moment passa avant que Methos ne réplique, à voix basse :
— Tu ne peux pas imaginer tout ce que j’ai été, MacLeod.
Duncan s’arrêta. Il posa le balai contre le mur avec une lenteur mesurée, puis se tourna vers lui.
— Mais ce n’est plus ce que tu es.
Le vieil immortel releva la tête, surpris, et cette surprise n’était pas feinte.
— Je t’ai jugé pour des actes qui remontent à quatre mille ans. Qui ne m’impliquaient pas. J’ai essayé de faire ce qu’il fallait pour elle, pour Cassandra. Mais j’ai fini par comprendre que ce que tu es devenu, aujourd’hui… ce n’est pas quelqu’un que je peux haïr.
Methos croisa les bras, mal à l’aise, regardant ailleurs. Il n’avait pas l’habitude de ces ouvertures trop franches.
— Alors c’est Darius qui t’a soufflé cette sagesse toute chrétienne ?
Le Highlander esquissa un sourire, à peine perceptible.
— Disons qu’il m’a aidé à voir plus clair. Mais la décision, c’est la mienne.
Le regard de Methos se posa enfin sur lui. Quelque chose dans son expression se détendit, une retenue qui lâchait doucement prise.
— Cassandra ne me pardonnera jamais. Je ne lui demande pas. Mais toi… il hésita, le regard plus franc. Merci.
Duncan s’approcha de quelques pas, tendit une main sans trop solennité.
— Tu fais partie des rares immortels que je respecte. Même si tu es souvent insupportable.
Methos éclata d’un petit rire sincère et serra la main tendue.
— C’est touchant. Tu veux qu’on trinque ? Ou tu préfères un duel à mort pour sceller ça ?
— J’ai peur que tu triches.
— Toujours.
Ils relâchèrent leur étreinte avec un naturel retrouvé. Methos s’installa sur un banc contre le mur. Duncan le rejoignit après avoir ramené deux bouteilles d’eau.
Ils parlèrent un peu. De tout, de rien. De l’actualité, d’un antique duel perdu à Prague… L’échange n’était pas profond, mais il était vrai. Une paix fragile, tissée de respect et de silences. Pas un oubli. Mais un pardon possible.
*
L'acier résonnait contre l’acier dans l’enceinte feutrée du dojo, chaque coup porté créant un écho vibrant dans l’espace. Aélis bloqua une attaque de Duncan, les bras tendus, les muscles contractés sous l’effort. Son souffle était court, mais son regard restait fixé sur lui, déterminé. Depuis son retour à Paris, elle s’était remise à l’entraînement avec une assiduité nouvelle, concentrée sur le combat à l’épée.
Elle ne voulait plus être spectatrice. Elle voulait être prête.
Duncan la testait, cherchant à évaluer ses progrès. Elle avait gagné en discipline, en précision, mais il voyait encore des hésitations dans ses mouvements.
Elle fit tournoyer son épée entre ses doigts, testant son équilibre. Face à elle, le Highlander restait impassible, sa lame levée dans une posture défensive, comme s’il n’avait même pas besoin d’attaquer. Elle le savait, il était plus expérimenté. Il analysait, anticipait, attendait le moment parfait pour frapper. Elle, en revanche, avait toujours préféré l’action à l’attente.
Elle attaqua la première, avec l’intention de le forcer à bouger. Duncan para aisément, se contentant d’un pas fluide sur le côté. Aélis enchaîna, accélérant le rythme, tentant de le surprendre par sa vitesse. Mais il continuait d’esquiver, absorbant ses coups sans jamais vraiment riposter.
— Tu ne fais que reculer, grogna-t-elle en bloquant un contre trop léger pour être sérieux.
— C’est toi qui t’épuises, répondit-il calmement.
Elle serra les dents. Il avait raison. Elle sentait déjà la brûlure dans ses muscles, alors que lui paraissait à peine essoufflé. Elle feinta une ouverture à gauche, puis pivota brusquement pour attaquer de l’autre côté. Un mouvement rapide, efficace… sauf que Duncan ne mordit pas à l’hameçon. D’un geste maîtrisé, il dévia son épée, la déstabilisant juste assez pour qu’elle perde l’équilibre.
Elle vacilla, rattrapa son appui au dernier moment. Son irritation monta en flèche. Sans réfléchir, elle attaqua à nouveau, avec plus de force. Trop de force. Duncan esquiva d’un pas fluide et, d’un mouvement précis, lui balaya les jambes. Avant même qu’elle ne comprenne comment, elle se retrouva au sol, sa propre lame échappée de ses mains.
Duncan pointa la sienne juste sous sa gorge. Un instant de silence s’étira. Aélis jura intérieurement, levant les mains en signe de reddition. Elle était allée trop vite, une fois de plus. Elle serra la mâchoire, un éclat d’agacement brûlant dans son ventre. Duncan baissa lentement son arme et tendit une main vers elle.
— Tu laisses encore tes émotions dicter tes mouvements, fit-il remarquer, sans trace de moquerie dans la voix.
Elle fixa un instant sa main tendue, les poings crispés contre le sol. Son premier réflexe fut de repousser l’aide, de se relever seule par fierté. Mais une part d’elle savait qu’il avait raison. Elle inspira profondément, essaya d’apaiser la tension dans sa poitrine, puis accepta finalement sa main pour se relever.
— Je déteste quand tu as raison, marmonna-t-elle en époussetant son pantalon.
Duncan eut un léger sourire.
— Alors tu risques de me détester encore un moment.
Elle souffla, à mi-chemin entre l’exaspération et l’amusement. Mais, au fond, elle savait que c’était une leçon dont elle avait besoin. Elle essuya une mèche de cheveux qui collait à son front et recula d’un pas, le laissant baisser son épée.
— J’imagine que ça viendra avec le temps.
— Ça viendra avec l’expérience, corrigea-t-il.
Elle serra brièvement les dents. Une autre leçon qu’elle n’avait pas envie d’entendre, même si elle savait qu’il avait raison.
Duncan lui adressa un signe de tête avant de se détourner vers l’entrée du dojo, où un inconnu venait de faire son apparition, précédé de la vibration caractéristique de la présence annonçant l’un des leurs. Aélis suivit son regard et vit un jeune homme d’une vingtaine d’années s’approcher avec un sourire naturel, sa veste en cuir négligemment jetée sur l’épaule.
— Richie, je te présente Aélis. Aélis, voici Richie Ryan.
Le nouveau venu s’appuya sur le mur en croisant les bras, l’observant avec curiosité.
— Alors c’est toi, la nouvelle ?
Elle haussa un sourcil, légèrement piquée par le terme.
— Si on veut.
Il éclata de rire.
— T’en fais pas, c’est juste que d’habitude, c’est moi le petit dernier.
Duncan les laissa à leur conversation, et Aélis récupéra une bouteille d’eau avant de s’asseoir sur le banc, Richie prenant place à côté d’elle.
— Ça fait combien de temps que t’es… comme nous ? demanda-t-elle.
— Une bonne vingtaine d’années. J’ai encore du mal à me faire à l’idée, mais ça devient plus naturel avec le temps.
Elle hocha la tête, son regard se perdant un instant.
— J’ai encore l’impression que tout ça est irréel, avoua-t-elle.
— Ça l’est un peu. Au début, j’étais paumé. J’ai perdu des gens, j’ai dû mentir à d’autres… et surtout, j’ai dû apprendre à me battre. Mais heureusement, j’ai eu Mac.
— Tu veux dire Duncan ?
— Ouais. Il a été là dès le début. Si je devais affronter ça seul, je sais pas où j’en serais aujourd’hui.
Elle l’observa en silence, sentant une vérité plus profonde derrière ses mots.
— C’est important, d’avoir quelqu’un pour nous guider, reprit-il. Un mentor, un modèle… Appelle ça comme tu veux, mais sans ça, c’est facile de se perdre.
Elle serra les doigts autour de sa bouteille d’eau, réfléchissant à ses paroles. Elle avait Darius. Et elle avait Duncan. Pourtant, elle n’arrivait pas encore à savoir où les placer dans sa vie.
Richie se releva et lui donna une tape sur l’épaule.
— Allez, je te laisse souffler. Mais la prochaine fois, c’est moi qui t’entraîne.
Elle le regarda partir en riant, mais une pensée persistante lui resta en tête. Peut-être qu’il était temps qu’elle cesse de tout affronter seule.
*
La lumière tamisée baignait le salon d’Aélis, jetant des reflets doux sur les murs pâles. Un mug de thé refroidissait à côté de son carnet ouvert, mais elle n’y prêtait plus attention. Son téléphone coincé contre l’oreille, elle écoutait la voix familière de sa mère, mêlée à quelques grésillements légers.
— ...et donc, j’ai posé mes jours. J’arriverai dans deux semaines pile. Juste quelques jours, mais assez pour te voir un peu. Tu seras là, hein ?
Aélis ferma les yeux un instant, appuyant doucement son front contre le dossier du canapé.
— Oui, je… je serai là, maman. Promis.
— Pas de changement de dernière minute, pas de silence radio ? Je ne voudrais pas débarquer à Paris pour te voir disparaître dans la nature.
Aélis esquissa un sourire invisible, mélange de culpabilité et de tendresse.
— Je ne me défile pas. C’est juste que… parfois, j’ai besoin de temps pour moi.
— Je comprends. Enfin… j’essaie. Mais j’ai besoin de te voir.
Elle reprit avec douceur.
— Ton père ne pourra pas se libérer, malheureusement. Et Seren est débordée avec ses partiels. Mais moi, je viens. Juste toi et moi.
Aélis caressa distraitement le coin effiloché du coussin contre elle. Elle sentait cette chaleur familière, et avec elle, une pointe d’angoisse qu’elle ne pouvait plus ignorer.
— C’est gentil, maman. Vraiment. Je… je suis contente.
— Moi aussi. Très.
De l’autre côté, le silence résonna comme une caresse.
— Bon, je ne te retiens pas plus longtemps. Mais note-le quelque part : je débarque le jeudi dans deux semaines. Et je veux un vrai câlin à la gare.
Aélis sourit pour de bon cette fois.
— Tu l’auras. Promis.
— Je t’aime, ma chérie.
— Moi aussi, maman.
Elle raccrocha. Le silence revint, doux, suspendu. Aélis fixa un moment l’écran noir de son téléphone, songeuse. Deux semaines. Le compte à rebours était lancé.
Elle se leva, et prépara machinalement son sac de sport. Demain, elle retournerait au dojo. Elle avait besoin de ça : d’effort, de discipline, de douleur physique pour faire taire le reste.
*
L’air frais de la nuit était une bénédiction après l’intensité de l’entraînement. Aélis referma la porte du dojo derrière elle, tirant légèrement sur l’élastique retenant ses cheveux avant de les relâcher en un mouvement sec. Ses muscles endoloris lui rappelaient que Duncan ne la ménageait pas, mais quelque part, elle appréciait cette rigueur. Cela lui vidait l’esprit.
Elle hésita un instant, observant les rues éclairées par les réverbères. Elle n’avait pas envie de rentrer tout de suite. Trop de choses tournaient encore dans sa tête. Noé. Sa nouvelle vie. Et la visite prochaine de sa mère.
Un bruit de pas derrière elle la tira de ses pensées. Elle n’eut pas besoin de se retourner pour savoir de qui il s’agissait.
— Tu me suis, maintenant ? lança-t-elle sans se presser.
— Si ça peut flatter ton ego, dis-toi que c’est une coïncidence, répliqua Methos en se plaçant à sa hauteur.
— Une coïncidence, vraiment ?
— J’avais envie de marcher, répondit-il avec un haussement d’épaules. Et comme tu as eu la même idée…
Elle ne répondit pas tout de suite. Il n’y avait rien d’hostile dans sa présence, mais elle était encore incapable de déterminer ce qui la dérangeait le plus : le fait qu’il soit là, ou le fait qu’elle ne soit pas certaine de vouloir qu’il parte. Ils avancèrent en silence pendant quelques minutes, leurs pas résonnant sur les pavés humides. Loin du tumulte de la journée, Paris avait une autre saveur à cette heure-là.
— Tu encaisses mieux les coups qu’avant, fit remarquer Methos avec un sourire en coin.
— Un compliment, venant de toi ? Je suis presque touchée.
— Faut pas t’y habituer. C’était purement factuel.
— Évidemment.
Elle secoua la tête, un sourire effleurant ses lèvres.
— Mais je dois admettre que je t’ai sous-estimée, reprit-il d’un ton léger. Quand Duncan m’a dit que tu voulais apprendre, je pensais que tu abandonnerais au bout de quelques semaines.
— Charmant.
— Ce n’est pas une critique, juste une observation. La plupart des gens qui s’entraînent avec lui finissent par jeter l’éponge.
— Et toi, tu l’as fait ?
Methos eut un léger ricanement.
— Moi ? J’ai appris à me battre bien avant que Duncan ne naisse.
— Évidemment. Tu fais partie de ceux qui aiment se vanter de leur grand âge.
— Oh non, moi j’évite de compter. Ça devient déprimant passé un certain stade.
Elle eut un sourire en coin malgré elle. C’était étrange, presque familier. Avant que tout ne bascule, elle avait déjà aperçu cette facette de lui, plus légère, presque insouciante. Et ces derniers temps, elle avait l’impression qu’il redevenait cet homme-là, petit à petit. Comme si, malgré tout, ils retrouvaient un terrain d’entente.
— Tu es toujours comme ça ?
— Comme quoi ?
— Insaisissable.
Il réfléchit un instant, puis haussa les épaules.
— Ça dépend des époques.
— Et en ce moment ?
Un silence. Methos ne répondit pas tout de suite. Il baissa légèrement la tête, un sourire indéchiffrable flottant sur ses lèvres.
— En ce moment, je fais ce que je peux.
Aélis ne savait pas si c’était une réponse honnête ou une façon d’esquiver, mais elle n’insista pas.
Ils marchèrent encore un moment, le silence entre eux plus naturel qu’elle ne l’aurait cru. Il y avait quelques semaines à peine, elle n’aurait jamais imaginé pouvoir tenir une conversation sans tension avec lui. Mais ce soir, dans l’obscurité paisible des rues désertes, elle se surprit à penser que Methos, quand il ne portait pas son masque d’ironie ou de détachement, était peut-être quelqu’un qu’elle pourrait apprendre à connaître.
*
L’agitation familière de la gare battait son plein, entre roulements de valises, annonces étouffées dans les haut-parleurs et conversations trop bruyantes dans les files d’attente. Aélis jeta un coup d’œil à l’horloge, puis à la voie. Le train était arrivé. D’un pas un peu trop calme pour être sincère, elle s’avança vers le quai.
Elle avait tout organisé : le planning, les points de passage, les réponses toutes prêtes. Elle savait que cette visite n’était pas anodine. Ce n’était pas une simple envie de retrouvailles, c’était un contrôle parental semi-déguisé, un audit maternel en bonne et due forme. Sa mère venait pour être rassurée, et Aélis comptait bien lui offrir ce qu’elle attendait… ou du moins, une version suffisamment convaincante de la vérité.
Une silhouette familière émergea dans le flot des passagers : tailleur bien coupé, sac léger sur l’épaule, regard vif et scrutateur. Anne-Sophie, la cinquantaine élégante, les cheveux légèrement grisonnants aux tempes, portait cette même expression de douce fermeté qu’Aélis connaissait par cœur.
— Maman.
— Ma chérie !
Elles se serrèrent brièvement dans les bras. Pas de grandes effusions, ni trop de distance. Un équilibre fragile qu’elles avaient appris à maintenir avec le temps.
Anne-Sophie s’écarta pour l’observer d’un œil critique mais tendre.
— Tu as l’air fatiguée. Mais plus… posée, je dirais.
— Merci ? répondit Aélis avec un demi-sourire.
— Ce n’est pas un reproche. Juste une constatation. Ton voyage ne t’a pas changée — enfin, pas trop.
Aélis esquissa un sourire plus franc, mais ses doigts s’étaient refermés nerveusement sur la sangle de son sac.
— On va d’abord passer à mon appartement. Tu pourras poser tes affaires, boire un café.
— Parfait. Je suis curieuse de voir comment tu vis ici.
Aélis hocha la tête, et elles se mirent en marche. Le trottoir s’étirait devant elles, baigné d’un léger soleil de fin de matinée.
— J’ai aussi prévu un petit programme, annonça Aélis. Pour que tu rencontres les gens de mon quotidien.
La fameuse promesse. Celle d’un aperçu de sa vie « normale ».
Une version soigneusement éditée, bien sûr. Filtrée, allégée, expurgée de toute immortalité ou épée dissimulée dans un sac de sport.
— Très bien, dit Anne-Sophie, avec une pointe d’enthousiasme prudent. Et qu’est-ce que tu as prévu ?
— On ira là où je m’entraîne. Tu te souviens, je t’en ais parlé. Les arts martiaux.
— Bien sûr. Je suis curieuse. Tu dis que tu t’y es remise sérieusement ?
— On va dire que ça me fait du bien. Ça m’aide à garder l’équilibre.
Pas tout à fait un mensonge. Mais pas la vérité non plus. Une spécialité en devenir.
Anne-Sophie plissa légèrement les yeux, intriguée, mais n’insista pas.
— Et ensuite ?
— Ensuite je te présenterai quelqu’un que tu avais envie de rencontrer.
Elle évita soigneusement de prononcer le nom de Darius tout de suite. Chaque chose en son temps. Anne-Sophie acquiesça en silence, le regard déjà en alerte.
Aélis se força à respirer calmement. Elle savait que ces quelques jours en compagnie de sa mère allaient être un exercice d’équilibriste de chaque instant : entre ce qu’elle pouvait dire, ce qu’elle devait cacher, et ce qu’elle voulait protéger.
Et pour commencer, il allait falloir survivre à la visite du dojo — et à la petite « surprise » qu’Amanda avait glissée dans son agenda sans même lui demander son avis.
*
Le dojo était encore à quelques pas quand Aélis s’arrêta net.
Quatre présences. Simultanées. Son instinct réagit aussitôt, plus rapide que la pensée. Elle les reconnut sans mal : Duncan, Amanda, Methos… et Richie. Tous les quatre. En même temps. Elle fronça les sourcils.
— Tu as oublié ton chemin ? demanda sa mère avec un sourire amusé.
— Non. Juste… concentrée.
Une seconde de pause. Puis elle poussa la porte d’un geste maîtrisé, masquant son trouble sous un air parfaitement neutre.
À l’intérieur, le dojo baignait dans la lumière douce de l’après-midi. Et au centre du tatami, comme une saynète trop bien répétée pour être honnête, les quatre immortels étaient... à l’œuvre.
A l’arrière, Richie exécutait un kata avec un sérieux presque caricatural, le front perlé de sueur, concentré comme un élève modèle. À côté de lui, Methos maniait un sabre en bois avec toute la solennité d’un acteur de théâtre en pleine répétition, dans un keikogi noir si cintré qu’il donnait plus l’impression d’avoir été taillé sur mesure pour une démonstration de mode que pour un combat.
Amanda, appuyée nonchalamment contre le mur, croisait les bras, visiblement ravie de la scène. Elle fut la première à les remarquer.
— Oh, mais voilà nos invitées, lança-t-elle avec un sourire radieux.
Duncan, en pleine démonstration avec un bokken, s’interrompit aussitôt et s’approcha d’un pas fluide, essuyant ses mains sur une serviette.
— Bonjour. Vous devez être Anne-Sophie. Bienvenue.
Sa mère répondit poliment, tendant la main avec le sourire affable qu’elle réservait aux personnes qu’elle avait déjà mentalement passées au crible.
— Enchantée. Vous êtes… ?
— Duncan MacLeod, répondit-il. Je suis le professeur d’Aélis ici.
— Il est aussi le propriétaire du dojo, ajouta Aélis, un peu raide. Un excellent instructeur.
— Charmée, répéta Anne-Sophie.
Amanda arriva à son tour, légère, un brin trop élégante pour une simple journée d’entraînement.
— Et moi, je suis Amanda. Disons… la compagne de ce charmant écossais.
Anne-Sophie haussa légèrement un sourcil, mais sourit avec grâce.
— Vous formez un joli duo. On voit que vous avez de l’expérience dans le domaine.
— Oh, vous n’avez pas idée, répondit Amanda avec un clin d’œil.
Pendant ce temps, Methos s’était discrètement rapproché. Il s’inclina légèrement, les yeux brillants d’un amusement à peine dissimulé.
— Adam, dit-il simplement.
Aélis hésita une demi-seconde. C’était ridicule, bien sûr. Il ne lui avait jamais demandé de l’appeler autrement. C’était la couverture. Rien de plus.
— Adam est un élève régulier ici. Et… un ami, ajouta-t-elle après une pause.
Un léger sourire étira les lèvres de Methos, comme s’il goûtait à chaque mot.
— À votre service, madame, dit-il en inclinant la tête. Et je peux vous assurer que votre fille a du talent. Duncan la fait souffrir sans la ménager, c’est bon signe.
— Il le faut, répondit Aélis, les bras croisés. Sinon je pourrais finir comme certains élèves… désinvoltes.
— Ouch, ricana Richie, qui les rejoignait à son tour, essoufflé mais visiblement ravi. Moi je dis qu’elle est juste jalouse de mon style. Je suis Richie, au fait.
— Etudiant ici aussi ? demanda Anne-Sophie.
— Depuis un moment, ouais. Mais je vous rassure, je ne suis pas aussi maladroit que j’en ai l’air.
— Il triche, ajouta Amanda. Il a la sympathie naturelle des petits derniers.
Aélis se mordit l’intérieur de la joue pour ne pas sourire. C’était ridicule. C’était absurde. Et c’était… touchant. Cette mise en scène n’était pas improvisée. Amanda avait clairement organisé cela. Duncan l’avait tolérée. Richie avait joué le jeu. Et Methos… était là. En tenue. À faire le pitre pour détendre l’atmosphère.
Il croisa son regard, un éclair tranquille dans les yeux. Il ne dit rien, mais quelque chose dans sa posture, dans le pli discret de son sourire, ressemblait à une question silencieuse : ça va ?
Elle hocha imperceptiblement la tête. Ça irait.
— Eh bien, souffla Anne-Sophie en observant la salle, vous avez trouvé un endroit… animé.
— On fait de notre mieux, répondit Amanda, bras ouverts. Et elle est entre de bonnes mains.
Aélis roula des yeux. Et s’efforça de ne pas sourire.
La visite ne s’éternisa pas, mais Amanda avait prévu quelques rafraîchissements, installés avec goût dans un coin du dojo, et Duncan avait consenti à faire une pause dans l’entraînement pour discuter brièvement avec Anne-Sophie. Richie, toujours un peu trop enthousiaste, racontait ses dernières « galères de débutant », tirées d’expériences fictives soigneusement arrangées pour son rôle. Methos, quant à lui, se tenait un peu en retrait, laissant les autres bavarder tout en suivant la scène d’un regard attentif.
L’atmosphère s’était détendue peu à peu. Anne-Sophie s’était assise avec un verre de thé glacé à la main, écoutant avec un intérêt poli, mais non feint. Aélis, d’abord crispée, avait relâché un peu la pression, observant son entourage avec une certaine reconnaissance silencieuse. Ils n’étaient pas parfaits — loin de là — mais ils faisaient l’effort. Pour elle. Même Methos. Surtout Methos.
Quand elles quittèrent enfin le dojo, elle poussa un discret soupir de soulagement, tout en jetant un coup d’œil rapide à sa mère.
— Tu n’as pas l’air traumatisée.
— C’est même plutôt le contraire, répondit Anne-Sophie, le regard encore tourné vers la façade du bâtiment. Tes amis sont… surprenants. Mais ils ont l’air bienveillants. Même s’ils sont… un peu plus vieux que toi ?
Aélis ne dit rien mais ne pu s’empêcher de sourire à cette remarque. Un peu plus vieux. Si seulement tu savais...
Anne-Sophie reprit :
— Disons qu’on sent qu’ils ont vécu. Amanda, en particulier… elle a ce genre d’aura qu’on retrouve chez certaines actrices ou diplomates de haut rang.
— Ce n’est pas totalement faux.
Sa mère continua, l’air pensif :
— Et celui avec qui tu t’entraînes… Richie ? Il est charmant. Très souriant. Et il a à peu près ton âge, non ?
Aélis tourna légèrement la tête, le coin de ses lèvres frémissant.
— Un peu plus vieux, en réalité.
— Oh. Il fait jeune. C’est mignon. Vous vous entendez bien, j’ai l’impression ?
Le ton se voulait léger, mais Aélis reconnut sans peine le test à peine voilé. Sa mère s’aventurait, tâtonnait, comme si elle posait un pied à la fois sur une glace trop fine.
— C’est juste une connaissance, répondit-elle avec calme. On s’entraîne ensemble, c’est tout.
— D’accord. C’est juste que… ça me fait plaisir de te voir entourée. Et tu as l’air plus… ancrée.
Aélis garda le silence une seconde, les mains dans les poches de sa veste, l’air songeur.
Ancrée, c’était peut-être un peu fort. Mais elle se sentait moins à la dérive, c’était vrai. Du moins, pour l’instant.
— Ils m’aident à tenir le cap, répondit-elle simplement.
Anne-Sophie la regarda sans rien dire pendant quelques pas, puis hocha doucement la tête, satisfaite pour l’instant.
— Bon. Alors je me tais. Pour aujourd’hui.
— Merci, ironisa Aélis.
— Mais je garde Richie dans un coin de ma tête, glissa sa mère en coin.
La jeune femme éclata d’un rire bref et leva les yeux au ciel.
— Je savais que c’était une erreur de t’amener ici.
— Trop tard, répondit Anne-Sophie en attrapant son bras avec affection. Tu m’as ouvert une fenêtre sur ta vie. Je compte bien y jeter un œil.
*
La pierre ancienne de l’église Saint-Julien-le-Pauvre exhalait l’humidité tranquille des vieux sanctuaires. Le square de l’église bruissait d’enfants et de passants, mais à mesure qu’on approchait du portail en fer forgé, un calme presque solennel retombait. Aélis ralentit inconsciemment le pas. A ses côtés, sa mère observait les lieux avec curiosité.
— C’est… plus paisible que ce que j’imaginais. Presque hors du temps.
La jeune femme sourit doucement.
— C’est un peu pour ça que je viens ici.
Elle franchit la grille et poussa la lourde porte latérale qui menait non pas à la nef, mais directement vers l’annexe réservée au presbytère. Juste avant d’entrer, Aélis sentit la présence familière, posée, douce, comme une nappe d’eau tranquille.
Darius était là. Il apparut au bout du couloir, dans une lumière pâle, une tasse à la main.
— Aélis, dit-il doucement en s’approchant. Et vous devez être sa mère.
— Anne-Sophie, répondit cette dernière avec un sourire poli. Et vous êtes Darius, je suppose ?
— C’est bien moi. Entrez donc, vous tombez bien — j’allais justement faire du thé. Vous m’aidez à ne pas en boire seul.
Il ouvrit la porte d’une pièce attenante. Modeste mais chaleureuse, le presbytère n’avait rien de pompeux : une bibliothèque bien fournie, quelques tapis usés, des fauteuils dépareillés, des rideaux simples mais propres. Une grande fenêtre laissait entrer la lumière du jour.
— C’est ici que vous vivez ? demanda Anne-Sophie, observant l’ensemble avec une certaine curiosité.
— Depuis longtemps, répondit-il simplement. C’est à la fois mon chez-moi et mon poste de veille.
Il invita les deux femmes à s’asseoir et alla chercher le plateau qu’il avait préparé. Sans solennité, il servit le thé et quelques biscuits dans une vaisselle ancienne.
Aélis s’installa en silence, un peu en retrait. Elle observait sa mère du coin de l’œil. Pour l’instant, tout allait bien. Pas de froncement de sourcil suspect. Pas de remarques inquiètes.
Darius reprit place, les mains croisées sur ses genoux, son regard posé sur Anne-Sophie avec cette attention tranquille qu’il savait offrir, sans en faire trop.
— Aélis m’a beaucoup parlé de vous. Je suis heureux de pouvoir mettre un visage sur son histoire familiale.
Anne-Sophie sourit, mais ne relâcha pas complètement sa garde.
— C’est un peu inhabituel, j’avoue. Ma fille n’a jamais vraiment été... tournée vers la religion.
— Et je ne suis pas un prêtre très habituel, répondit Darius avec un sourire en coin.
Il ne tentait pas de se justifier. Juste d’être là, vrai. Il servit une tasse à Anne-Sophie, qui le remercia, un peu prise de court.
— Je crois comprendre que vous avez été… un appui important pour Aélis ces derniers mois.
— J’ai simplement été là quand elle avait besoin d’un espace pour souffler. Rien de plus.
Il tourna la tête vers la jeune immortelle un instant, et elle soutint son regard, légèrement touchée par cette façon qu’il avait de ne jamais s’attribuer de mérite. Et pourtant, elle savait ce qu’elle lui devait.
— Vous savez, ajouta-t-il en se tournant à nouveau vers Anne-Sophie, parfois, un endroit tranquille et une oreille bienveillante font plus que tous les discours du monde. Je n’ai pas de vérité à lui offrir. Seulement un peu de paix. Le reste… vient d’elle.
Elle hocha doucement la tête, le regard adouci.
— Vous parlez avec beaucoup de sagesse.
Darius inclina légèrement la tête, comme pour esquiver le compliment.
— Je parle avec le temps, surtout. Et peut-être… un peu d’expérience.
Aélis, en retrait, sentit ses épaules se détendre. La rencontre se passait mieux qu’elle ne l’aurait espéré. Elle n’avait pas besoin de défendre Darius. Il savait exactement comment rassurer, sans forcer. Il n’en disait pas trop, mais ce qu’il laissait entrevoir suffisait.
— Je suis rassurée, dit-elle après un moment. Vous êtes… différent de ce à quoi je m’attendais.
— Je le prends comme un compliment, répondit-il en souriant.
Ils restèrent encore quelques minutes à discuter de banalités. Darius évoqua quelques ouvrages qu’il prêtait aux étudiants de passage, quelques souvenirs de la ville, glissant ici et là une anecdote sur les passants du quartier. Il ne posait aucune question indiscrète. Il ne cherchait pas à en savoir plus. Il offrait juste une parenthèse.
Quand elles ressortirent dans le jardin de l’église, le soleil avait baissé d’un cran. Anne-Sophie laissa échapper un soupir — pas de lassitude, mais de relâchement.
— C’est un homme bien, ton ami.
Aélis hocha la tête.
— Je sais.
— Il a quelque chose… de très apaisant. Il me fait penser à ton grand-père, un peu.
— Tu dis ça parce qu’il parle doucement, et qu’il sert du thé.
— Pas seulement, répondit-elle avec un demi-sourire. Il voit les gens tels qu’ils sont. Et il n’a pas l’air de vouloir te changer. C’est précieux, ça.
Elles s’éloignèrent tranquillement, bras dessus bras dessous, le gravier du chemin crissant sous leurs pas.
*
Amanda sirotait un cocktail en faisant tourner lentement la paille entre ses doigts, le regard fixé sur Methos qui, pour une fois, n’avait rien de l’homme détendu et insaisissable qu’elle connaissait si bien. Il s’était affalé sur la banquette en face d’elle, bras croisés, un verre intact posé devant lui, perdu dans ses pensées. C’était une scène suffisamment rare pour qu’elle ne puisse s’empêcher d’en jouer.
— Tu sais, je t’ai vu dans des états pas possibles au fil des siècles, lança-t-elle d’un ton faussement désinvolte. Epuisé, traqué, en plein milieu d’une énième mascarade pour fuir un créancier ou un mari jaloux. Mais préoccupé ? Ça, c’est nouveau.
Methos leva les yeux vers elle, l’air blasé, mais ne mordit pas à l’hameçon.
— Je vais bien, Amanda.
Elle haussa un sourcil moqueur avant d’étirer un sourire satisfait.
— Oh, je n’ai jamais dit que tu allais mal. Mais tu n’es pas toi-même. Tu es trop silencieux, trop sérieux… et pire encore, tu n’as même pas râlé quand j’ai commandé la bouteille la plus chère.
Il esquissa un sourire, mais elle vit bien qu’il n’avait pas la force de jouer avec elle ce soir-là. Il soupira, décroisant enfin les bras pour attraper son verre et en boire une gorgée.
— Ce n’est rien. Juste… l’épuisement de ces dernières semaines.
Amanda posa son coude sur la table et appuya son menton contre sa main, l’observant avec un amusement teinté de curiosité.
— C’est drôle, Methos. Parce que moi, j’aurais dit qu’il s’agissait d’autre chose.
Il haussa un sourcil, sur la défensive.
— Ah oui ? Et de quoi donc ?
Elle se pencha légèrement en avant, un éclat malicieux dans le regard.
— Oh, peut-être du fait que tu n’arrêtes pas de penser à Aélis.
Il s’immobilisa un instant, et ce fut suffisant pour qu’elle sache qu’elle avait visé juste. Il roula des yeux et reprit une gorgée de son verre, mais Amanda ne comptait pas le laisser s’en tirer si facilement.
— Allons, Methos. On sait tous les deux que ce n’est pas juste de la culpabilité.
— Et qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? répliqua-t-il, plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu.
— Tu tiens à elle.
— Bien sûr que je tiens à elle. Je ne voulais pas qu’elle finisse entre les mains de Kronos, je ne voulais pas qu’elle souffre.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, murmura Amanda.
Methos planta son regard dans le sien, et pour la première fois depuis longtemps, Amanda vit une hésitation réelle dans ses traits. Il ne cherchait pas à nier, mais il n’était pas non plus prêt à l’admettre.
— Ce que tu ressens est un problème, c’est ça ? continua-t-elle, plus sérieuse.
Il se passa une main sur le visage, évitant de répondre immédiatement.
— Ce n’est pas un problème, Amanda. C’est juste…
— Compliqué, compléta-t-elle à sa place.
Il soupira, haussa légèrement les épaules.
— Elle m’en veut encore, je crois.
Amanda prit un air faussement dramatique en posant une main sur son cœur.
— Pauvre Methos. Pour une fois qu’une femme ne succombe pas instantanément à ton charme.
Il lui lança un regard exaspéré, mais elle se contenta de rire.
— Laisse-lui du temps, finit-elle par dire, plus sérieuse. Mais sois honnête avec toi-même. Parce que si tu continues à jouer au type détaché, tu vas finir par le regretter.
Il ne répondit rien, se contentant de fixer son verre comme si la réponse s’y trouvait. Amanda sourit de nouveau, mais cette fois avec une sincérité plus profonde.
— Tu sais, c’est peut-être la première fois que je te vois réellement inquiet pour quelqu’un d’autre que toi-même. Depuis Alexa du moins…
Methos releva les yeux vers elle, et malgré lui, un léger sourire s’esquissa sur ses lèvres.
— Il fallait bien que ça arrive un jour.
Amanda haussa son verre dans un geste de célébration.
— À ta révélation tardive, alors.
Il soupira, leva son verre à son tour, et but enfin une vraie gorgée.
*
Le dojo s’était peu à peu vidé, laissant derrière lui une atmosphère tiède et paisible, saturée de l’odeur familière du bois ciré et de l’effort. Aélis, encore en tenue, était accroupie près d’un banc, défaisant lentement les bandes autour de ses poignets. Les muscles encore chauds, l’esprit légèrement embrumé par la concentration qu’avait exigé l’entraînement, elle savourait cette fatigue-là. Celle qui rend le silence presque doux.
— Tu n’as plus qu’à enseigner, maintenant, fit une voix moqueuse juste derrière elle.
Aélis sursauta légèrement, un sourire lui échappant malgré elle. Amanda se tenait nonchalamment adossée à la porte, les bras croisés, le regard pétillant, un brin trop amusé.
— J’étais sûre que tu m’espionnais, répliqua la jeune femme en se relevant.
— Espionner, non. Observer, avec un œil bienveillant et un sens aigu de l’esthétique, oui.
Amanda s’approcha, lui tendant une petite bouteille d’eau fraîche.
— Merci, souffla Aélis en l’attrapant. Et merci aussi pour la mise en scène. Pour ma mère. C’était… malin. Et très bien joué.
Amanda eut un sourire satisfait, presque félin.
— Je suis ravie qu’elle ait apprécié le spectacle. Qu’en a-t-elle pensé ?
— Elle vous a tous trouvés très sympas, admit Aélis en s’asseyant sur le banc. Même si elle m’a glissé en partant que Richie avait l’air mignon. Et "plus dans mes âges", je cite.
Amanda éclata de rire.
— Oh, j’adore. Et toi ? Tu en penses quoi ?
— C’est juste un ami. Et accessoirement un peu plus vieux qu’il n’y paraît.
— Comme tout le monde ici, non ? murmura Amanda avec un clin d’œil.
Aélis haussa les épaules, puis but une gorgée d’eau. Amanda s’assit à côté d’elle, le ton devenant un rien plus joueur.
— Et puis, reprit-elle, avec une mine faussement innocente, il n’était pas le seul à avoir soigné son entrée. J’ai trouvé que certains de nos camarades s’étaient montrés… étonnamment investis dans leur rôle.
Elle disait ça comme une remarque en l’air, mais le sous-texte clignotait presque en lettres capitales.
Aélis fit mine de ne pas comprendre, mais elle sentit une légère chaleur lui monter aux joues. Amanda ne cita aucun nom, et c’était bien là le piège. Elle n’avait pas besoin.
— Il a mis du cœur à l’ouvrage, murmura-t-elle finalement, les yeux fixés droit devant elle.
— Un très bel ouvrage ! Quand je lui ai proposé de venir, il a prétendu que c’était juste par curiosité. Mais j’ai senti qu’il y avait plus. Tu ne trouves pas qu’il était… étrangement attentif ?
— Il aime jouer les érudits charmants, rétorqua Aélis, évasive.
— Ne fais pas semblant de ne pas avoir vu, soupira Amanda, amusée. Oh allez, ne me dis pas que tu ne l’as pas remarqué. Il ne te quitte pas des yeux quand tu es là.
— Il essaie de se racheter, dit-elle enfin. C’est pour ça qu’il fait tout ça. Ce n’est pas moi qui l’intéresse. Juste sa propre conscience.
— Tu crois vraiment ? fit Amanda d’un ton doux. Moi, je vois un homme qui ne sait plus très bien s’il doit fuir ou flirter. Et qui, du coup, reste planté là, avec ce petit sourire ironique dont il pense qu’il masque tout.
Aélis ne répondit pas tout de suite. Elle repensa à ce moment fugace, dans le dojo, quand leurs regards s’étaient croisés. Ce n’était pas un regard pressant, ni lourd, ni même romantique. Juste… attentif. Présent. Comme quelqu’un qui cherchait une brèche.
Ne fais pas ça, se dit-elle à elle-même. Ne commence pas à lire dans ses silences. Tu ne survivrais pas à ses regrets bien emballés. Ou pire : à une tentative de rédemption.
— Il ne te laisse pas indifférente, souffla Amanda, presque sur le ton de la confidence.
— C’est un problème, non ? répondit Aélis, plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu. C’est un homme qui traîne cinq mille ans de bagages. Je suis pas certaine d’avoir l’espace pour ça dans mon placard.
Amanda sourit, mais ne chercha pas à argumenter. Elle savait reconnaître les défenses bien dressées. Elle en avait possédé quelques-unes, autrefois.
— Tu sais, les hommes, immortels ou non, restent assez simples dans certains domaines. Ils regardent, ils insistent, ils font semblant de ne pas s’impliquer… Et puis un jour, ils réalisent qu’ils se sont laissés embarquer sans le vouloir.
— Tu sembles parler d’expérience, dit Aélis avec un demi-sourire.
— J’en ai à revendre. Rebecca, ma mentore me disait toujours que les femmes immortelles devaient apprendre deux arts : l’escrime… et la subtilité. Le premier te garde en vie, le second t’offre une chance d’être libre.
— Tu veux dire que manipuler les hommes est un mode de survie ?
— Oh, pas seulement. Parfois, c’est aussi un plaisir raffiné. Un sourire bien placé peut éviter un duel. Ou en provoquer un. Tout dépend de l’intention.
Aélis secoua la tête, rieuse malgré elle.
— Tu es incorrigible.
— C’est bien pour ça que je suis encore debout. Et que je peux te proposer ceci :
Amanda se leva, tendant une main d’un geste théâtral.
— On va boire un verre. Rien de dramatique, pas de grande révélation existentielle. Juste... un moment à nous. Et qui sait, peut-être que je te raconterai comment j’ai volé les bijoux de la reine Victoria. Par erreur.
Aélis arqua un sourcil.
— Par erreur ?
— Longue histoire. Implique un château, un majordome aveugle et deux perroquets.
Un éclat de rire lui échappa.
— D’accord. Mais tu payes.
— Évidemment. Je suis une voleuse, pas une radine.
Elles quittèrent le dojo côte à côte, dans la lumière dorée du soir, deux immortelles aux siècles d’écart, unies par quelque chose d’étrangement simple : le besoin d’un peu de légèreté, dans une vie parfois trop lourde.
*
La jeune immortelle s’arrêta devant les portes de l’église, observant un instant l’ombre paisible qui régnait à l’intérieur. Depuis son retour, elle revenait régulièrement ici, voir Darius sans toujours de raison particulière. Ce soir, pourtant, elle savait pourquoi elle était là. Elle poussa la porte et avança lentement, son regard balayant l’espace jusqu’à trouver la silhouette familière du prêtre. Darius était assis près de l’autel, une bible ouverte sur ses genoux. Il leva immédiatement les yeux vers elle, et un silence presque imperceptible s’installa dans son regard. Il aurait voulu croire qu’il s’agissait d’une impression passagère, mais il savait que ce n’était pas le cas. Depuis qu’elle était revenue, quelque chose en lui vacillait, une sensation qu’il n’avait pas éprouvée depuis longtemps. Il se redressa, s’efforçant d’enfouir ce qui le traversait sous le calme habituel qu’il affichait.
— Aélis.
Elle s’arrêta à quelques pas de lui, jouant machinalement avec le bracelet à son poignet. Il y avait moins de tension entre eux, moins de colère aussi, mais elle ne savait pas encore comment nommer ce qu’il restait. Elle inspira profondément avant de s’asseoir à côté de lui.
— Je crois que j’ai besoin de tes conseils.
Darius referma doucement la bible et la posa sur la chaise à côté de lui. Son regard s’attarda une fraction de seconde de trop sur elle, sans qu’il ne s’en rende compte immédiatement. Il maîtrisait chaque émotion, chaque pensée, et pourtant, il y avait quelque chose qu’il ne parvenait pas à chasser.
— Je t’écoute.
— J’ai décidé d’aller voir Noé.
Il ne parut pas surpris, se contentant d’un léger hochement de tête.
— Tu es sûre de toi ?
— Autant que possible, souffla-t-elle.
Il laissa un silence, respectant son rythme.
— Tu veux lui dire quoi ?
— Je n’en sais rien. Que je suis désolée, je suppose. Que je n’ai pas su gérer les choses autrement.
Darius croisa les doigts sur ses genoux, réfléchissant un instant avant de parler.
— Et attends-tu quelque chose de lui en retour ?
Aélis releva les yeux vers lui, prise au dépourvu par la question.
— Non… enfin, je ne crois pas. Je ne cherche pas à ce qu’il me pardonne. Je veux juste… fermer cette porte correctement.
— Et s’il refuse de t’écouter ?
Elle prit une inspiration plus longue, sentant une pointe d’anxiété poindre dans sa poitrine.
— Alors au moins j’aurai essayé.
Le prêtre inclina légèrement la tête, un fin sourire empreint d’une tendresse discrète effleurant ses lèvres.
— C’est une raison juste. Mais tu sais que tu ne peux pas tout réparer, n’est-ce pas ?
Elle détourna le regard, le cœur plus lourd qu’elle ne voulait l’admettre.
— Oui.
Un silence s’installa, et elle sentit le regard de Darius sur elle, patient, comme s’il cherchait à lire entre les lignes de ce qu’elle ne disait pas.
— Qu’est-ce qui te fait le plus peur ?
Elle soupira, le regard fixé sur un point invisible.
— Je ne veux pas lui mentir, mais je ne peux pas lui dire la vérité.
— Alors dis-lui ce qui est vrai, sans dire ce qui doit rester caché.
Aélis laissa ces mots résonner en elle.
— J’ai l’impression qu’il n’y a pas de bonne façon de faire, avoua-t-elle.
— Il n’y en a peut-être pas. Mais il y a ta façon de faire.
Elle releva les yeux vers lui, troublée par la simplicité de sa réponse.
— Et si je me trompe ?
— Alors tu apprendras de cette erreur.
— Tu rends toujours les choses plus simples qu’elles ne le sont.
— Prendre du recul aide à voir plus clair, sourit-il.
Elle roula des yeux, amusée malgré elle.
— Ça t’arrive de ne pas avoir réponse à tout ?
Darius rit doucement.
— Plus souvent que tu ne le crois.
Elle baissa les yeux sur son bracelet, effleurant du bout des doigts le cuir usé.
— Et si, au fond, je cherche à me racheter plus qu’à lui parler ?
Il prit un instant avant de répondre, posant son regard sur elle avec une attention sincère.
— Cherches-tu à être pardonnée, ou à te pardonner toi-même ?
Elle resta silencieuse, troublée.
— Parce qu’au fond, Aélis, c’est peut-être ça le plus dur. Ce n’est pas tant ce que Noé pense de toi qui te hante… mais ce que toi, tu penses de ce que tu as fait.
— Je n’avais pas le choix, murmura-t-elle.
— Non. Mais cela n’empêche pas de regretter.
Elle releva enfin la tête vers lui, et elle sentit qu’il comprenait exactement ce qu’elle voulait dire. Il ne cherchait pas à la rassurer avec de faux espoirs, ni à minimiser ce qu’elle ressentait. Il l’acceptait, simplement.
— Merci, Darius.
Il posa une main brève mais sincère sur la sienne.
— Quoi qu’il arrive, tu n’es pas seule, Aélis.
Elle releva les yeux vers lui, et cette fois, elle le crut vraiment.
*
L’air frais de la rue portait encore l’humidité de la dernière averse lorsqu’elle poussa la porte du café. L’odeur du café brûlant et des viennoiseries satura l’espace, mais Aélis n’y prêta pas attention. Son regard balaya la salle jusqu’à apercevoir Noé, assis dans un coin, une tasse devant lui. Il était arrivé avant elle, comme s’il voulait garder l’avantage. Son visage était fermé, ses traits tirés par une lassitude qu’elle lui connaissait mal. Il leva à peine les yeux quand elle s’approcha et s’installa en face de lui.
— Merci d’être venu, souffla-t-elle.
— J’ai failli ne pas le faire.
Il porta sa tasse à ses lèvres et laissa un silence s’installer, pesant.
— Pourquoi maintenant, Aélis ? Pourquoi après tout ce temps ?
Elle entrelaça ses doigts sur la table, tentant de trouver les mots justes.
— Parce que j’ai fui assez longtemps.
Un rire bref et sans joie lui échappa.
— Tu as fui. C’est bien, au moins tu l’admets. Mais tu es partie sans un mot, sans une putain d’explication. Tu m’as laissé comme un con à me demander ce que j’avais fait de mal.
Elle ferma les yeux une fraction de seconde, encaissant sans broncher.
— Ce n’était pas toi, Noé.
— Ah non ? Alors c’était quoi ? Un coup de tête ? Un caprice ?
Sa voix se fit plus dure, plus tranchante.
— Tu sais ce qui est le pire, Aélis ? Ce n’est même pas que tu sois partie. C’est que tu m’as fait croire que je comptais pour toi. Que j’avais une place dans ta vie.
Elle déglutit, sentant la colère contenue sous ses mots.
— Tu comptais.
Il éclata d’un rire amer et posa brutalement sa tasse sur la table.
— Arrête ça. Arrête de me balancer des phrases creuses pour te donner bonne conscience. Si j’avais compté, tu ne serais pas partie comme tu l’as fait.
Elle baissa les yeux. Elle n’avait pas d’excuses valables à lui offrir. Elle le savait. Lui aussi.
— Je n’ai pas d’excuses, admit-elle.
— C’est bien, au moins tu es lucide.
Il la fixa longuement, son regard oscillant entre rancune et quelque chose de plus profond, plus douloureux.
— J’ai passé des semaines à me demander ce que j’avais raté. Ce que j’avais mal fait. Et toi, tu étais où ?
Elle inspira lentement.
— J’étais perdue.
— Et tu t’es retrouvée dans les bras d’Adam, c’est ça ?
Son ton n’était pas seulement accusateur. Il y avait autre chose dessous. Quelque chose qui ressemblait à de la douleur. Un frisson d’agacement remonta l’échine de la jeune femme. Évidemment, il ramenait tout à ça. Comme si Methos était la seule explication possible à son départ, comme si tout ce qu’elle avait vécu se résumait à une histoire de jalousie mal placée.
Elle sentit l’impulsion monter, une réplique cinglante prête à jaillir. Les mots brûlaient sur sa langue, impatients, comme un réflexe ancré dans ses veines. Elle aurait pu lui cracher au visage qu’il ne savait rien, qu’il ne comprendrait jamais ce qui s’était réellement passé. Mais à quoi bon ?
Elle se mordit l’intérieur de la joue, juste assez fort pour se forcer à ravaler sa colère. Lui balancer la vérité en pleine figure n’arrangerait rien. Il ne pouvait pas comprendre. Et elle n’allait pas s’excuser pour quelque chose qu’il imaginait à tort. Elle releva la tête, posant sur lui un regard plus posé qu’elle ne le ressentait vraiment.
— Ce n’est pas ce que tu crois.
— Ah oui ? Alors explique-moi. Parce que moi, j’ai juste vu un mec débarquer de nulle part et foutre en l’air ce qu’on avait.
— Ce n’est pas lui, Noé. C’est moi.
Il se tut un instant, la mâchoire serrée.
— Tu aurais pu me laisser une chance.
— J’aurais dû, admit-elle.
Elle le pensait sincèrement. Mais il était trop tard pour ça. Un silence tendu s’installa entre eux. Le bruit des conversations autour d’eux paraissait lointain, étouffé par l’intensité du moment. Noé finit par détourner le regard, exhalant un soupir las.
— Et maintenant ?
— Maintenant, je voulais juste te dire que je suis désolée. Que j’ai eu tort et que j’aurais dû m’expliquer. Plus tôt…
Il serra les poings sur la table, comme s’il luttait contre quelque chose.
— Ça ne change rien.
— Je sais.
Elle se leva, sentant que tout avait été dit. Mais Noé ne bougea pas. Il la regarda se lever, ses doigts crispés sur sa tasse, et pendant un bref instant, il sembla sur le point de dire quelque chose. Une part de lui attendait. Une autre chance, un mot de plus. Mais Aélis n’ajouta rien. Elle hocha simplement la tête.
— Prends soin de toi, Noé.
Il ne répondit pas tout de suite. Juste avant qu’elle ne s’éloigne, il murmura, presque à contrecœur :
— Toi aussi.
Elle quitta le café sans se retourner. Une part d’elle aurait voulu que les choses se terminent autrement, mais une autre savait que c’était inévitable. Noé ne lui pardonnerait pas. Peut-être jamais. Mais au moins, elle avait affronté ce qu’elle avait fui. Et ce poids-là, enfin, cessait de peser sur elle.