Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 6 : Une dette ancienne

8781 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/08/2025 20:27

L’éclairage nocturne perçait à peine à travers les stores, laissant filtrer des rais de lumière poussiéreux sur le tapis usé du dojo. Une respiration régulière rompait le silence, entrecoupée du bruit mat de coups portés dans le vide. Richie s'entraînait seul, torse nu, concentré, son sabre fendant l’air avec une précision encore fébrile mais volontaire. La sueur perlait à ses tempes. Il marqua un pivot, l’arme levée — et s’immobilisa d’un coup.

La vibration. Brutale. Immanquable. Inconnue. Cette onde glacée qui grimpait dans l’échine et disait une seule chose : un autre immortel est là.

Il se redressa lentement, muscles tendus, le souffle suspendu. Son regard se posa vers l’entrée du dojo. La porte était encore close, mais il sentait déjà la présence approcher.

Il resserra sa prise sur sa garde, plus par réflexe que par stratégie, yeux rivés sur la large verrière. La tension était sèche, concentrée. Il n’était pas Duncan MacLeod, mais il savait se défendre. Ou au moins, essayer.

La porte coulissa. Elle entra. Silhouette droite. Manteau long. Les cheveux châtains cascadant dans son dos comme une flamme domptée. Aucune arme visible. Aucun mot. Mais une aura. Ancienne, profonde, presque écrasante.

Richie ne bougea pas. Elle fit quelques pas à l’intérieur, ses bottes heurtant doucement le plancher. Elle le détailla brièvement — ses yeux effleurèrent l’arme, la posture, l’appréhension. Un léger sourire s’insinua sur ses lèvres, à peine perceptible. Puis elle s’arrêta.

— Bonjour, dit-elle simplement. Je cherche Duncan MacLeod.

Richie ne baissa pas immédiatement son arme.

— Il est pas là, dit-il, sur la défensive. Vous êtes ?

— Cassandra.

Elle n’ajouta rien. Son ton n’avait rien d’hostile, mais il n’était pas là pour rassurer non plus. Richie fronça les sourcils. Le nom ne lui disait rien — pas directement. Mais quelque chose dans sa manière de le prononcer... Il savait qu’il devrait le retenir.

— Richie Ryan, répondit-il après une hésitation.

Il finit par abaisser son arme, lentement. Son corps restait alerte, mais sa voix se voulait plus détendue.

— Désolé pour l’accueil... On n’est jamais trop prudent.

Cassandra inclina la tête, comme pour reconnaître le réflexe sans le juger. Elle promena de nouveau son regard dans le dojo, observant sans s’attarder, puis revint vers lui.

— Vous êtes… une vieille amie ? tenta-t-il, tout en s’essuyant le front avec une serviette.

— On pourrait dire ça.

Elle le disait sans ironie, mais sans chaleur non plus. Comme si le passé qu’ils partageaient, Duncan et elle, n'était ni une fierté ni un fardeau — juste une chose gravée dans la pierre. Richie se racla la gorge, puis esquissa un sourire maladroit.

— Vous savez, pour une vieille amie, vous n’avez pas l’air… si vieille que ça.

Elle haussa un sourcil, mi-amusée, mi-imperméable.

— Ce n’est pas le genre de compliment qu’on fait à une immortelle.

— Ah. Je prends note, dit-il en riant doucement. C’est pas grave, je me plante souvent sur les premières impressions. Mais vous avez une sacrée… prestance.

Il se reprit.

— Enfin, je veux dire… Si j’étais Duncan, je serais probablement très content de vous voir.

Elle pencha un peu la tête, un léger éclat dans les yeux.

— Tu n’es pas Duncan.

Richie leva les mains, faussement dramatique.

— C’est ce qu’on me répète tous les jours.

Un silence flotta, mais moins tendu qu’à son arrivée. Cassandra marcha lentement vers un banc près du mur et s’y assit, droite, les mains jointes sur ses genoux.

— Je vais attendre.

— Vous voulez un thé ? Un café ? J’ai peut-être un fond de bière pas trop éventée...

— Non, merci.

Il haussa les épaules, s’éloigna de quelques pas, mais continua de la regarder du coin de l’œil. Son visage était calme, presque figé, mais Richie n’arrivait pas à décider si elle le fascinait ou le terrifiait. Peut-être un peu des deux. Il soupira et murmura pour lui-même :

— Pourquoi c’est toujours les jolies femmes qui me regardent comme si j’étais un enfant de cinq ans armé d’un sabre en plastique…

Un silence. Puis, tout bas, du côté de Cassandra :

— Parce que tu as l’air d’un enfant de cinq ans armé d’un sabre en plastique.

Richie cligna des yeux, puis sourit, un brin penaud.

*


Le dojo était silencieux depuis plusieurs minutes. Richie avait repris son sabre, mais son attention n’était plus dans ses gestes. Il jetait des regards réguliers à Cassandra, toujours assise, impassible, comme sculptée dans le temps. Elle n’avait pas bougé d’un millimètre.

Soudain, une vibration familière, puis la porte s’ouvrit avec un léger claquement. Duncan entra, le regard fatigué, les traits tirés, une trace sèche de sang sur le col de sa chemise sombre. Richie se redressa instinctivement.

— Hey… souffla-t-il, soulagé.

— Kronos ? demanda-t-il d’un ton plus bas.

Le Highlander hocha lentement la tête. Son regard s’était déjà figé ailleurs. Sur elle. Cassandra s’était levée. Un silence épais s’abattit. Leurs regards se croisèrent et, pendant un instant, le temps sembla reculer de plusieurs siècles.

— Duncan, dit-elle simplement.

— Cassandra...

Il resta planté là quelques secondes, surpris, presque perdu, comme si un fantôme venait d’apparaître au milieu de son dojo.

— Ça fait longtemps... Qu’est-ce que tu fais ici ?

L’immortelle se leva lentement. Son regard était calme, mais profond. Richie, en retrait, observait la scène sans oser intervenir.

— Je suis venue parce que quelqu’un m’a attirée ici, dit-elle.

Duncan haussa légèrement les sourcils.

— Quelqu’un ? Qui ?

— Il y a eu... des rumeurs. Des messages. Des indices. Des choses que j’ai apprises, croisées, suivies. Un nom qui revenait. Une menace.

Elle le regarda dans les yeux.

— Tu sais de qui je parle.

Le silence se fit dense dans le dojo. Richie, à l’écart, ne disait toujours rien. Il sentait que cette conversation ne lui appartenait pas. Duncan, lui, avait reculé d’un pas en pensée. Son regard descendit brièvement. Il croisa les morceaux de son souvenir, les derniers jours, les stratagèmes de Methos… et la rumeur qu’ils avaient propagée. Il releva les yeux.

— Kronos.

Elle acquiesça lentement.

— J’ai senti sa trace dans les mots. Dans la peur. Ça ne ment pas.

Duncan inspira, puis s’approcha de quelques pas, son expression se durcissant à mesure.

— Kronos est mort, Cassandra.

Elle le fixa sans réagir, comme si elle voulait en être certaine.

— C’est toi qui l’as tué ?

— Oui.

Il n’y avait ni fierté, ni triomphe. Juste une gravité simple. Le poids d’un acte nécessaire.

Cassandra détourna un instant le regard. Ses épaules s’abaissèrent, à peine perceptiblement. Elle ferma les yeux, longuement. Quand elle rouvrit la bouche, sa voix était plus rauque :

— Je voulais le faire moi-même. Depuis longtemps. Je m’étais préparée. Encore et encore. Tous les scénarios, toutes les issues. Et au fond de moi, j’espérais que cette fois, ce serait la bonne. Que je le trouverais. Que je pourrais… lui faire face.

Duncan ne répondit pas tout de suite. Il s’approcha lentement, sa voix plus basse.

— Tu n’avais pas besoin de ça pour être libre.

Elle secoua doucement la tête, un sourire amer flottant sur ses lèvres.

— Peut-être pas. Mais… j’en avais besoin pour autre chose. Pour respirer. Pour cesser de me réveiller la nuit avec sa voix dans mes cauchemars.

Un silence, puis elle reprit :

— Tu ne sais pas ce qu’il m’a fait. Pas vraiment.

— Non. Mais je sais ce qu’il aurait continué à faire. C’est pour ça qu’il est mort.

Un silence. Long. Chargé d’échos anciens. Puis Cassandra reprit, plus doucement :

— Je suis arrivée trop tard.

— Tu es arrivée vivante, corrigea doucement Duncan. C’est déjà beaucoup.

Elle leva les yeux vers lui. Quelque chose dans sa posture s’était relâché. Et pourtant, son visage gardait la marque de l’amertume.

— Tu as toujours été plus rapide que moi, MacLeod. même pour les guerres qui ne sont pas les tiennes.

Un sourire léger, presque triste, traversa son visage.

— Tu n’as pas changé.

Il s’approcha d’un pas supplémentaire. Cette fois, ses gestes étaient sans calcul.

— Toi non plus.

Un battement. Une pause. Et Duncan ouvrit lentement les bras. Un geste ancien. Peut-être trop simple. Peut-être trop tard. Mais elle le regarda, et dans son silence, il n’y avait plus de défi. Juste une fatigue. Alors elle s’avança. Lentement. Et elle posa la tête contre son épaule, fermant les yeux. Ce n’était pas un aveu, ni un pardon. Juste deux immortels qui avaient partagé autrefois un monde de brume et de légendes, et qui en portaient encore les cicatrices.

Puis une nouvelle vibration. Duncan redressa légèrement la tête. Cassandra s’écarta de quelques centimètres, le regard en alerte. Richie se redressa instinctivement.

— Amanda, murmura Duncan, presque pour lui-même.

Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit d’un geste familier. L’immortelle entra, démarche vive et assurée. Elle s’arrêta net en voyant les trois autres. Son regard glissa rapidement de Richie — surpris mais neutre — à Cassandra — droite, calme, encore debout à proximité de Duncan. Amanda sentit tout de suite l’électricité dans la pièce. Ce genre de tension qui ne se fabrique pas en dix minutes. Elle força un sourire, tout en s’avançant lentement, comme si de rien n’était.

— Eh bien… visiblement, j’arrive en plein conseil de guerre. J’espère qu’on a gardé un siège pour moi.

Duncan, mal à l’aise, recula d’un pas, sans oser trop regarder sa compagne dans les yeux.

— Amanda, je te présente Cassandra.

Amanda s’arrêta à quelques mètres, haussant légèrement les sourcils.

— La Cassandra ? répéta-t-elle, avec un ton à peine teinté de surprise.

Elle jeta un coup d’œil vers Duncan, puis vers l’immortelle, plus longue cette fois.

— J’ai entendu parler de toi.

Cassandra inclina légèrement la tête.

— Moi aussi.

— On ne s’est jamais croisées… étrange, non ?

Cassandra ne réagit pas. Son ton resta posé.

— Le monde est vaste. Et puis, certaines préfèrent l’ombre.

Amanda esquissa un sourire.

— D’autres savent très bien comment briller… quand il le faut.

Elle fit un pas vers Duncan, et sans attendre, posa une main légère sur son bras, se rapprochant comme si c’était un automatisme.

— Tu ne m’as jamais parlé d’elle, murmura-t-elle à son oreille, assez bas pour que seul lui l’entende.

— Ce n’était pas prévu qu’elle revienne, répondit-il, un peu raide.

Amanda se redressa, le sourire toujours aux lèvres, mais son regard glissait encore vers Cassandra, avec ce subtil éclat de possessivité déguisée.

— Alors, qu’est-ce qui t’amène à Paris ? reprit-elle à voix haute. Le tourisme ? La gastronomie ? Ou tu viens faire un pèlerinage dans les vieux souvenirs ?

— Je cherchais quelqu’un, répondit Cassandra sans détour.

— Tu l’as trouvé ? demanda Amanda, faussement légère.

— Il était déjà mort à mon arrivée.

Amanda haussa les sourcils, surprise par la réplique, mais elle se reprit aussitôt.

— Eh bien, au moins, ça t’aura évité de te salir les mains. C’est toujours ça.

— Je n’ai jamais eu peur de me salir, répondit Cassandra calmement. Mais parfois, c’est l’action des autres qui t’épargne le sang.

Le ton restait poli. Mais la tension était palpable. Richie, toujours en retrait, aurait juré que la température dans la pièce avait baissé de quelques degrés. Amanda croisa les bras, feignant l’indifférence.

— Charmante. Tu l’as toujours été comme ça ?

— Seulement quand c’est nécessaire.

Duncan leva la main, soupira.

— Amanda, ce n’est pas un concours.

Elle tourna la tête vers lui, minauda légèrement.

— Oh, mais je ne fais que faire connaissance. Je suis très sociable.

Elle se rapprocha encore de Duncan, glissant un doigt sur son épaule comme par jeu.

Cassandra se détourna lentement, comme si elle refusait d’entrer dans ce jeu-là. Elle haussa un sourcil, le regard distant.

— J’imagine que tu as dit ça de moi aussi… il y a quelques siècles.

Duncan resta figé. Ouvrit la bouche. Puis se ravisa. Rien ne viendrait sans maladresse. Richie, qui sentait la température chuter dangereusement, glissa, prudent :

— Je vais euh… aller chercher du thé ? Quelqu’un en veut ?

Silence. Puis Cassandra s’éloigna de quelques pas. Elle s’arrêta devant Duncan, juste assez proche pour qu’il l’entende, mais assez loin pour ne pas croiser Amanda du regard.

— Je ne voulais pas déranger. Et je n’ai plus de raison de rester ici.

Elle se tourna vers lui, une dernière fois. Son regard n’était ni blessé ni froid — simplement distant, comme une mer calme qu’on laisse derrière soi.

— Merci pour ta sincérité.

Elle jeta un regard neutre à Amanda, puis un autre à Richie — presque amusé, comme si elle devinait ce qu’il pensait — avant de franchir la porte du dojo d’un pas lent, digne.

Le silence s’installa. Amanda croisa les bras, le regard toujours fixé sur la porte.

— Elle sait faire des sorties dramatiques, je lui accorde ça.

Richie, de son côté, se pencha vers Duncan, à mi-voix :

— Elle est flippante… mais canon.

Le Highlander poussa un long soupir. Amanda leva un sourcil.

— Quoi ? Tu vas me dire que tu ne vois pas où est le problème ?

— Non, répondit-il, l’air las. Je le vois très bien. C’est juste que pour une fois… j’aurais aimé un peu de calme.

— Tu fréquentes des immortelles depuis des siècles, chéri. Tu sais que le calme, c’est surfait.

Il haussa les épaules, résigné. Richie leva une tasse imaginaire.

— À l’immortalité.


*


La porte de l’église grinça doucement sur ses gonds. Methos entra, sans hâte, comme s’il voulait laisser le silence intact. L’intérieur baignait dans une lumière dorée, filtrée par les vitraux. L’encens avait depuis longtemps cessé de brûler, mais son parfum discret s’attardait entre les colonnes. Darius était là, bien sûr. Assis sur une des chaises du chœur, un ouvrage ancien ouvert devant lui. Il ne leva pas immédiatement les yeux. Il n’en avait pas besoin. Il tourna doucement une page, puis dit d’un ton calme :

— Je ne pensais pas te revoir si vite.

Methos s’arrêta quelques pas plus loin. Il sourit, sans amusement.

— Moi non plus.

Un silence. Puis il s’approcha de l’autel et s’assit sur la chaise la plus proche. Un geste lent, mesuré, comme si son corps pesait plus lourd qu’avant. Il se pencha légèrement, les avant-bras posés sur les genoux.

— Je pensais que je me sentirais… plus léger. Mais non.

Darius referma son livre avec soin.

— Il arrive qu’on porte un fardeau si longtemps qu’on oublie comment le poser.

Methos acquiesça lentement, sans mot. Un silence s’étira. Puis il redressa légèrement la tête.

— Il ne méritait pas mieux. Pas moins non plus.

Darius garda le silence quelques instants. Puis, comme s’il changeait doucement de registre :

— Tu n’es pas le seul à être venu ici ces derniers jours.

Le vieil immortel tourna la tête vers lui, intrigué.

— Une visite particulière, ajouta Darius. Récente. Silencieuse… mais pas sans poids.

— Une immortelle ?

Darius acquiesça lentement.

— Ancienne. Très ancienne. Une présence que l’on n’oublie pas, même après des siècles.

Methos se redressa légèrement. L’ombre d’un doute traversa ses traits.

— Elle t’a dit pourquoi elle était là ?

— Elle a parlé de Kronos. Des rumeurs. Des messages qu’elle avait interceptés. Elle a suivi une piste… qui menait jusqu’ici.

Methos détourna brièvement le regard. Il comprenait. Pas seulement les mots. Pas seulement les rumeurs. Il comprenait qui était venue. Un nom ancien, enfoui si profondément qu’il en avait oublié le goût… jusqu’à ce que cette vieille culpabilité lui torde le ventre comme une lame rouillée.

Il murmura presque :

— Cassandra.

Darius ne répondit pas, mais son silence suffisait.

— Elle n’a pas prononcé ton nom, précisa-t-il enfin. Mais je crois qu’elle n’avait pas besoin de le faire.

— Elle t’a parlé de moi ?

— Non. Mais son silence était… éloquent. Et tu sais aussi bien que moi que les fantômes ont leur propre manière de parler.

Un silence. Methos laissa son dos s’affaisser contre le dossier de la chaise, le regard perdu vers la nef.

— Elle ne me cherche pas, dit-il enfin. Elle ne sait même pas si je suis en vie. Mais si elle tombe sur moi… je doute que ça finisse en conversation autour d’un thé.

Darius lui jeta un regard en coin. Il attendait la suite. Methos inspira longuement, comme s’il devait forcer les mots à sortir.

— Tu veux savoir comment ça a commencé ? dit-il d’un ton neutre. Comme une vieille chronique. Un pillage, un de plus. Le village était déjà à feu et à sang. Elle était là, tentant de soigner ceux qui pouvaient encore l’être...

Il se tourna légèrement vers Darius, comme pour s’assurer qu’il écoutait.

— J’ai planté ma lame dans son cœur. Sans un mot. Sans colère. Elle s’est effondrée sans un cri.

Il marqua une pause.

— Je l’ai gardée à mes côtés, j’ai dit qu’elle m’appartenait. Elle est devenue mon esclave. Mon jouet.

Il inspira.

— Elle a vite compris que je n’étais pas comme les autres. Que j’étais moins brutal. Moins cruel, peut-être. Mais pas… pas innocent. Je la prenais. Comme on prend une chose. Sans rage. Sans plaisir apparent. Juste… parce qu’elle m’appartenait.

Sa voix s’était faite plus rauque.

— Mais Kronos a commencé à douter. À penser que je m’adoucissais. Que je faiblissais. J’ai dû réagir. Leur prouver qu’elle ne comptait pas. Alors je l’ai laissée. Entre leurs mains. Trois monstres. Trois bêtes. Je les ai laissé la détruire, et j’ai fait comme si je n’y voyais rien.

Le silence tomba. Lourd. Épais. Il se détourna, comme s’il ne supportait plus le regard de Darius.

— Je ne l’ai jamais revue, murmura Methos. Elle s’est enfuie un matin, sans un bruit. Je n’ai pas cherché à la retrouver. J’ai prétendu que c’était mieux ainsi. Que je la laissais libre.

Il serra la mâchoire.

— Elle a dû mourir des dizaines de fois dans sa fuite. De faim. De soif. De chaleur, de froid. Et malgré tout… malgré tout, je crois que mourir seule dans le désert a dû lui sembler plus doux que de rester un jour de plus avec nous.

Darius le regarda longuement.

— Tu ne peux pas réécrire ce que tu as fait. Ni exiger d’être absous.

— Je ne veux pas de pardon, dit Methos. Je veux juste… ne pas la revoir. Pas parce qu’elle me menace. Mais parce qu’elle me renvoie tout ce que je me suis efforcé d’oublier.

Il serra les mains, les coudes appuyés sur ses genoux.

— Je peux affronter bien des choses, Darius. Mais pas ça. Pas son regard. Pas le souvenir exact de qui j’étais.

— Et pourtant, dit doucement Darius, c’est elle qui pourrait le réclamer. L’affrontement. Le combat. Elle ne le dit pas encore, mais tu la connais.

Methos hocha lentement la tête.

— Si elle me retrouve, elle me provoquera. Ce ne sera pas une mise en garde. Ce sera une sentence. Et peut-être qu’elle aura raison. Peut-être que c’est ce que je mérite.

— Tu ne peux pas fuir ce que tu as été. Mais tu peux choisir ce que tu veux devenir.

Le prêtre posa une main apaisante sur l’épaule de son ami.

— Ne baisse pas les yeux si elle te croise. Pas pour te défendre. Mais pour qu’elle voie en toi autre chose. Une faille. Un homme. Pas une ombre.

Methos se leva, lentement. Il acquiesça. Mais son regard restait vide, fuyant.

— Je ne sais pas si elle verra un homme. Ou juste le monstre.

Il hocha la tête pour lui-même, comme s’il acceptait un verdict invisible. Puis il tourna les talons, son manteau effleurant les dalles de pierre, et s’éloigna vers la sortie sans un mot de plus. Le grincement lent de la porte refermée résonna comme un écho d’aveu.


*


La lumière rasante de fin d’après-midi filtrait à travers les stores du dojo, découpant des lignes pâles sur le sol ciré. Dans le bureau aux murs tapissés de livres et de souvenirs anciens, Duncan referma un classeur avec un soupir. Il portait encore sa tenue d’entraînement noire, les cheveux humides d’une douche trop rapide. Face à lui, assise sur le coin de son bureau, Amanda croisait les jambes avec nonchalance. Mais ses yeux, eux, étaient sérieux.

— Tu ne vas pas faire comme si de rien n’était, j’espère.

Duncan leva les yeux, un sourire prudent au coin des lèvres.

— Bonjour Amanda. Tu veux du thé, ou tu préfères commencer directement l’interrogatoire ?

Elle leva un sourcil, amusée malgré elle, mais ne lâcha pas l’affaire.

— Cette Cassandra. Elle sort d’où ?

Duncan s’étira lentement, gagnant du temps. Il savait que ce moment viendrait.

— Elle m’a sauvé, une fois. Quand j’étais gamin. J’étais inconscient, blessé… Elle m’a recueilli. M’a caché, protégée. Puis elle a disparu, comme un rêve. Je ne l’ai revue que des siècles plus tard.

Amanda le regardait, bras croisés. Elle haussa un sourcil.

— Et entre les deux, il ne s’est rien passé ? Une fugace illumination spirituelle ? Une séance de tricot à la lueur d’une chandelle druidique ?

Il se retourna vers elle, adossé au meuble.

— Je ne vais pas mentir. Il y a eu quelque chose. Mais c’était il y a plusieurs vies.

— Et pourtant, elle a encore les clefs de ton regard, souffla Amanda. Tu ne l’as pas quittée des yeux une seconde, hier.

Il s’approcha d’elle, doucement. Son regard se fit plus tendre.

— Parce que je ne comprenais pas pourquoi elle est revenue maintenant. Et parce que je te connais, Amanda. Et je sais que tu fais semblant de ne pas être jalouse.

Elle planta ses yeux dans les siens, le menton légèrement relevé.

— Je ne suis pas jalouse. Je suis… attentive.

Elle se leva, se planta devant lui, et passa un doigt le long de son torse, non sans une ironie caressante.

— Tu me dis que je suis la seule. Mais ton passé n’est pas mort. Il a juste de très belles jambes.

Duncan rit doucement, baissant la tête. Il posa ses mains sur les hanches d’Amanda.

— Mon passé est un champ de mines. Mais c’est bien toi que je veux voir traverser la tempête avec moi.

Elle feignit un frisson.

— Charmant. Mais je préfère les bals masqués aux champs de mines.

Il s’apprêtait à répondre quand la vibration se fit sentir. Un frisson dans l’échine, immédiat, familier. Ils échangèrent un regard bref. La porte s’ouvrit sans fracas. Methos entra, sans se presser, les mains dans les poches de son long manteau sombre. Il avait l’air… usé. Pas blessé, mais tendu. Comme un homme qui n’avait pas dormi depuis des jours et que le silence dérangeait autant que le bruit.

Duncan esquissa un sourire, vaguement ironique.

— Tiens, Methos. Je croyais que tu allais arriver avec un pack de bières et un mauvais film pour célébrer la fin du monde.

— J’ai hésité, admit ce dernier en retirant son manteau. Mais je me suis dit que tu avais probablement assez d’alcool bon marché pour trois guerres civiles dans ton armoire à trophées.

Amanda observa l’échange sans mot dire, mais elle capta la tension dans les épaules du plus vieux des immortels. Il n’était pas là pour faire de l’esprit. Quelque chose clochait. Duncan aussi le sentit. Il s’avança légèrement, les bras croisés.

— Qu’est-ce qui t’amène ?

Methos évita brièvement son regard.

— J’ai besoin de disparaître quelques jours. Prendre du recul. Respirer un peu d’air frais, ou ce qu’il en reste.

Amanda s’appuya contre le bureau, bras croisés.

— Depuis quand as-tu besoin d’air frais, Methos ? T’as vécu trois siècles sous les sables et tu respirais très bien.

Il lui jeta un regard bref, mais sans animosité. Juste fatigué.

— Je suis pas d’humeur, Amanda.

Duncan fronça les sourcils.

— Est-ce que… c’est à cause de Kronos ? De ce qu’il t’a dit ? Ou de ce que tu lui as fait ?

Methos ne répondit pas immédiatement. Il semblait peser chaque mot, comme si chaque syllabe devait franchir un champ de mines.

— Kronos est mort. Définitivement. C’est fait. Mais son ombre est… tenace.

Il s’interrompit. Duncan n’insista pas tout de suite.

— Tu peux rester ici, tu sais. Tu n’as rien à fuir.

— J’aimerais te croire.

Son regard se perdit un instant vers la baie vitrée, comme s’il y cherchait une échappatoire. Amanda s’en détacha et s’approcha d’un pas, le regard plus sérieux qu’à l’accoutumée.

— Methos… Tu n’as pas vraiment l’air d’un homme qui vient de fermer une boucle. Tu as plutôt l’air de quelqu’un qui en voit une autre s’ouvrir.

Il la fixa un bref instant. Puis soupira, plus las que contrarié.

— Je suis venu vous dire au revoir. Rien de définitif. Juste… quelques jours. J’ai besoin de silence. De recul.

Duncan allait répondre quand une nouvelle vibration fendit l’air comme une lame invisible. Tous trois s’immobilisèrent d’instinct. Le silence qui suivit fut plus lourd qu’un cri.

Amanda se redressa, les sens en alerte, la main effleurant machinalement le bras de son compagnon. Methos resta figé, ses traits figés dans une expression qu’ils ne lui connaissaient pas. Comme si, soudain, quelque chose en lui venait de céder — un verrou ancien, un souvenir enfoui. Il se leva lentement. Puis, à voix basse, il murmura presque pour lui-même :

— Ça ne se peut pas…

Mais il savait que si. La porte du dojo s’ouvrit. Cassandra entra.

Elle était vêtue sobrement, presque comme la veille — manteau sombre, bottes lustrées, les cheveux relevés, impeccablement tressés. Mais il y avait dans sa posture une tension nouvelle, une détermination glacée. Elle balaya la pièce du regard, s’attarda sur Amanda une fraction de seconde, puis s’arrêta net sur Methos. Le monde sembla se rétracter autour d’eux.

Amanda fronça les sourcils. Son instinct n’avait jamais été aussi clair : il y avait là plus qu’une vieille connaissance. Duncan, lui, sentait le danger. Ce n’était pas de la surprise dans leurs yeux — c’était de la mémoire.

— Vous vous connaissez ? demanda-t-il.

Personne ne répondit. Cassandra avança de quelques pas. Lentement. Méthodiquement.

— Je ne savais pas que tu étais encore en vie, souffla-t-elle, le regard braqué sur Methos. Mais j’aurais dû m’en douter… ce sont toujours les pires qui s’accrochent au monde.

Methos resta immobile. Son visage ne trahissait presque rien. Sauf, peut-être, cette fatigue ancienne, ce poids qu’il n’avait jamais su déposer.

— Cassandra…

Sa voix était rauque. Brisée. Amanda jeta un regard rapide à Duncan, puis à Methos.

— D’accord… quelqu’un veut bien m’expliquer ce qui se passe, là ?

Mais Cassandra avait déjà dégainé son épée. Un son clair, net, froid.

— Non ! s’exclama Duncan, s’interposant instinctivement. Attends ! Qu’est-ce que tu fais ?

— Ce que j’aurais dû faire il y a des millénaires, répondit-elle sans détour. Il m’a volé ma vie. Il m’a fait naître à l’éternité dans la douleur. Il a regardé, et il n’a rien fait.

Elle ne levait pas encore sa lame, mais elle la tenait prête, comme un prolongement de sa colère. Amanda, à quelques pas, ne bougeait pas. Fascinée. Inquiète.

Methos ne fit aucun geste pour sortir son épée.

— Je ne veux pas me battre avec toi, dit-il calmement.

— Mais moi, je veux, cracha-t-elle. Tu as fui pendant quatre mille ans. Quatre mille ans ! Tu pensais que j’étais morte, n’est-ce pas ? Que le désert m’avait avalée ?

Il baissa la tête, honteux. Amanda ne dit rien. Sa main restait posée sur son épée, mais elle ne bougeait plus. Les mots suffisaient. Duncan, plus tendu que jamais, regardait Methos.

— Qu’est-ce qu’elle raconte ? Tu la connais, Methos ?

Il ne répondit pas. Pas tout de suite. Son regard ne quittait pas Cassandra.

— Je t’ai trahie, murmura-t-il. Et ça n’a jamais cessé de me hanter.

Cassandra sourit. Un sourire dur, brisé.

— Ce n’était pas de la trahison. C’était de l’abandon. De la lâcheté. Tu n’étais pas le pire des quatre, non. Tu étais celui qui regardait, celui qui prétendait être "différent". Mais quand il a fallu choisir entre moi… et eux… tu as baissé les yeux.

— Je sais, souffla-t-il.

— Alors prends ton épée, Methos. Défends-toi. Ou meurs en lâche.

Il ne bougea pas.

— Si tu veux ma tête… je ne l’empêcherai pas.

Duncan intervint, choqué.

— Methos ! Non ! Tu ne peux pas…

— Il a raison, le coupa Cassandra. Il sait ce qu’il m’a fait.

Elle leva son arme. Et cette fois, elle attaqua. Le choc des lames résonna dans le dojo comme un coup de tonnerre. Methos avait sorti son épée au dernier moment, par pur réflexe. Il para, recula, sans contre-attaquer. Il se contentait de bloquer, d’esquiver.

— Je ne veux pas me battre, répéta-t-il entre deux souffles.

— Tu n’as pas ce luxe ! rugit-elle.

Le combat s’intensifia. Amanda resta en retrait. Duncan, figé, ne savait plus qui arrêter. Il voulait comprendre, mais la lame de Cassandra n’était pas métaphorique. Elle voulait le sang. Et Methos contrait sans rage, sans hargne. Jusqu’à ce qu’il désarme Cassandra d’un geste sec, inattendu. Sa lame vola à travers la pièce et heurta le sol.

Ils restèrent face à face, haletants. Il ne leva pas son épée, laissant tomber son bras le long de son corps.

— Je suis désolé, dit-il simplement.

Elle le fixa, tremblante. Les yeux pleins de rage… et d’un chagrin plus profond encore.

— Tu crois que ça suffit ? Tu crois qu’un mot, un regard… ça efface ce que t’as fait ?

Il secoua doucement la tête.

— Non. Ça n’efface rien. Mais je ne te supplierai pas. Tu mérites d’être libre de me haïr.

Il tourna les talons, rangea son épée, et sortit sans un mot de plus. La porte se referma sur lui dans un souffle. Cassandra voulut s’élancer mais Duncan l’arrêta d’un geste ferme.

— Non. Laisse-le partir.

Elle se débattit un instant, furieuse.

— Lâche-moi !

— Non, pas comme ça. Pas ici.

Elle le repoussa, mais ne franchit pas la porte. Le silence tomba à nouveau. Amanda, en retrait, observait sans mot dire. Cassandra reprit enfin son souffle. Ses mains tremblaient légèrement.

— C’est pour ça que je suis venue, dit-elle, la voix rauque. Pour parler avec toi. Pour comprendre.

Duncan resta immobile. Il attendit.

— Je voulais te remercier, officiellement. Pour Kronos. Pour ce que tu as fait. Mais aussi… je voulais en avoir le cœur net.

Elle releva les yeux vers lui, durement.

— Parce que je savais que Kronos n’était pas seul. Que ces messages, cette mise en scène… il y avait une autre main derrière tout ça. J’ai cru à un piège. À une manipulation. Et je n’ai pas eu tort, pas vrai ?

Duncan ne répondit pas.

— Methos, murmura-t-elle. Il était là depuis le début.

— Il nous a aidés, dit doucement Duncan.

Cassandra eut un rire sec.

— Je n’en doute pas. Il a toujours été habile pour se glisser du bon côté, au bon moment.

Elle fit quelques pas dans le dojo, récupéra son épée, puis se retourna vers Duncan.

— Et toi ? Tu savais ce qu’il avait fait ? Ce qu’il était ?

Il soutint son regard.

— Je sais qu’il n’est plus cet homme-là.

— Tu en es si sûr ?

Un silence.

— Alors tu es plus naïf que je ne le pensais.

Elle le fixa un moment de plus, puis son regard glissa vers Amanda, restée en retrait. Une étincelle d’ironie dans ses yeux.

— Tu choisis bien tes amis, Duncan MacLeod.

Et sur ces mots, Cassandra tourna les talons et sortit du dojo, laissant derrière elle un silence qu’aucun d’eux ne voulut briser.


*


L’église était silencieuse, baignée d’une lumière douce et dorée. Darius était là, comme toujours, assis près de l’autel, les mains croisées sur ses genoux, comme s’il priait — ou peut-être attendait-il simplement. La porte claqua brusquement. Des pas décidés martelèrent la nef. Cassandra avançait d’un pas vif, les mâchoires serrées, les yeux brillants de colère retenue.

— Tu le savais, lança-t-elle dès qu’elle fut à portée de voix.

Darius leva doucement la tête. Aucun étonnement dans son regard. Juste cette sérénité presque désarmante.

— Je savais qu’un jour, vous finiriez par vous croiser, répondit-il.

Elle s’arrêta net devant lui, les poings fermés.

— Tu aurais pu me prévenir. Me dire ce qu’il était devenu. M’épargner cette… mascarade.

— Et t’empêcher de voir par toi-même ? Non. Ce n’est pas ainsi que la vérité s’apprend, Cassandra.

Elle détourna le regard, un rictus amer au coin des lèvres.

— Tu parles comme un prêtre.

— C’est sans doute parce que je le suis, dit-il avec un sourire paisible.

Elle fit quelques pas, comme un fauve enfermé dans une cage trop étroite. Puis se retourna, fulminante :

— Il n’a même pas essayé de se défendre. Il aurait pu me tuer. Il a eu l’occasion. Pourquoi ne l’a-t-il pas saisie ?

— Parce qu’il n’est plus celui qu’il était. Et il ne veut pas redevenir cet homme-là, même pour survivre.

— Ce n’est pas un homme, siffla-t-elle. C’est un masque. Un mensonge.

— Alors pourquoi ce masque tremble-t-il devant toi ?

Cassandra resta figée. Cette phrase s’enfonça en elle comme une écharde. Darius poursuivit, doucement :

— Ce que tu as vu aujourd’hui, ce n’était pas un stratagème. Pas un calcul. C’était un homme qui s’effondre de l’intérieur, parce que ton regard l’a renvoyé à celui qu’il ne supporte plus d’être.

— Tu veux que je le plaigne, maintenant ?

— Non, dit Darius. Je veux que tu comprennes. Que tu saches qu’il souffre. Qu’il porte chaque jour les cris de ceux qu’il a fait tomber. Et que toi… tu es l’une de ses cicatrices.

Elle le regarda, les lèvres entrouvertes, la colère s’effritant doucement. Il poursuivit, posément :

— Tu es libre de vouloir sa tête. Tu es libre de chercher justice. Mais dis-moi, Cassandra… Que changera sa mort, au fond ? Crois-tu que cela guérira la tienne ?

— Je ne veux pas guérir, lâcha-t-elle. Je veux qu’il paie.

— Il paie. Depuis plus longtemps que tu ne peux l’imaginer. Il vit chaque jour avec ce qu’il a fait. Et crois-moi… la vengeance est une justice bien plus douce que celle qu’il s’inflige lui-même.

Elle baissa les yeux. Un silence lourd s’installa. Sa voix, lorsqu’elle reprit, n’était plus qu’un souffle.

— Je l’ai haï pendant si longtemps.

— Et peut-être le dois-tu encore, murmura Darius. Mais ne laisse pas cette haine te voler ce que tu es devenue. Tu as survécu à son ombre. Tu es bien plus que ce qu’il t’a prise.

Elle resta immobile. Alors, avec une douceur grave, il ajouta :

— Tu ne m’as connu que prêtre. Moine. Homme de paix. Mais tu sais ce que j’ai été.

Elle releva lentement la tête, le regard plus trouble qu’avant.

— Tu étais un conquérant. Un chef de guerre.

— J’étais un boucher, Cassandra. Un homme dont le nom faisait trembler les murs. J’ai pillé, brûlé, tué. J’ai eu des esclaves. Et j’ai savouré chaque victoire comme une preuve que j’étais invincible. Jusqu’au jour où j’ai gagné un combat. Et perdu un autre.

Il marqua une pause, ses doigts se refermant lentement sur le bois poli de la chaise.

— Le quickening d’un homme de paix m’a transformé. Emrys. Sa sagesse, sa lumière… ont effacé quelque chose en moi. J’ai changé, oui. Mais je n’ai aucun mérite. C’est sa vie qui m’a redéfini.

Il tourna alors les yeux vers elle, et ajouta, plus bas :

— Methos, lui… n’a pas été sauvé. Il n’a absorbé aucun miracle. Il a choisi. Lentement. Péniblement. Il a changé non pas parce qu’il a reçu la paix… mais parce qu’il l’a cherchée.

Un silence.

— Et à mes yeux, cela demande bien plus de courage.

Cassandra détourna le regard. Un souffle plus long s’échappa d’elle.

— Et s’il ne faisait que se cacher derrière une autre façade ? Un autre rôle ?

— Alors il tombera. Mais pas à cause de toi. Et pas aujourd’hui.

Elle le regarda de nouveau. Dans ses yeux, la colère ne s’était pas éteinte. Mais quelque chose d’autre avait pris racine, plus ancien encore : le doute. Et dans ce doute, une faille.

Darius, lui, ne dit plus rien. Il la regardait avec cette tendresse infinie, inébranlable, de ceux qui ne croient pas au pardon immédiat, mais à la possibilité d’un chemin.

Elle ne répondit pas. Mais cette fois, lorsqu’elle tourna les talons, ce n’était pas la colère qui l’animait. Seulement le poids de ce qu’elle n’était peut-être pas encore prête à abandonner.



*


Les rues parisiennes étaient calmes, étouffées sous un ciel chargé. Un vent léger balayait les façades anciennes. Duncan gravit les marches de l’immeuble de Methos sans s’arrêter, les mâchoires serrées. Il n’était venu là qu’une poignée de fois. Et jamais pour ça.

Methos releva la tête, fronça légèrement les sourcils en sentant la vibration familière.

— MacLeod…

Il se redressa depuis le canapé où il pliait quelques affaires à la hâte. Un sac à moitié rempli attendait sur la table basse, entouré de deux canettes de bière vides et d’un t-shirt roulé en boule.

La porte s’ouvrit, et Duncan entra sans un mot. Son pas était lourd. Contrôlé. Son regard, dur comme un couperet. Ils se fixèrent. Methos leva légèrement les mains, en une parodie de paix.

— Si tu cherches les bières, elles sont chaudes. Si tu cherches un duel, je préfère l’autre option.

Duncan ne répondit pas. Il balaya du regard l’appartement, les affaires éparpillées, le sac.

— Tu pars ?

Methos haussa une épaule, presque nonchalant.

— Je prends un peu de recul. Changer d’air. Voir les montagnes. Ou la mer. Ou un coin sans immortels dans un rayon de cent kilomètres.

— Ou fuir Cassandra ?

Un blanc. Methos resta un instant immobile, puis lâcha, amer :

— Elle t’a parlé.

— Elle m’a tout dit.

Un soupir s’échappa des lèvres du vieil immortel. Il s’assit sur le bord du canapé, les coudes posés sur ses genoux. Il semblait soudain dix siècles plus vieux.

— Je n’ai jamais prétendu être un homme bien, MacLeod.

— Non. Mais tu ne m’as jamais parlé d’elle.

— Et toi ? Tu me parles de toutes les têtes que tu as coupées ? De toutes les femmes que tu as abandonnées ?

— Ce n’est pas la même chose. Elle n’était pas un duel. Elle était ton esclave.

Un silence. Lourd. Presque sacré.

— Tu l’as réduite à une chose, Methos. Tu l’as tuée. Tu l’as transformée. Et ensuite tu l’as laissée entre les mains de Kronos et des autres. Tu savais ce qu’ils lui feraient.

Methos hocha lentement la tête.

— Oui. Je le savais.

— Alors pourquoi ?

— Parce qu’à cette époque, tout ce qui n’était pas un ordre était un risque. Parce que si j’avais levé la main pour la protéger, Kronos aurait compris que j’étais faible. Qu’elle comptait. Et j’aurais été le suivant. Je l’ai sacrifiée pour rester dans le groupe. Pour survivre.

— Tu l’as sacrifiée pour ton confort, gronda Duncan. Tu n’étais pas un soldat pris dans un conflit. Tu étais un monstre. Et tu le savais.

— Oui, MacLeod, je le savais ! cria Methos, se levant brusquement. Tu veux quoi ? Que je me mette à genoux ? Que je t’offre ma tête pour ce que j’ai fait il y a quatre mille ans ? Dis-le ! Dis-le et finissons-en !

Le silence tomba brutalement entre eux. Le vent secoua les volets. Duncan avança d’un pas.

— Elle veut t’écouter. Peut-être. Peut-être pas. Mais elle est chez Darius. Et tu vas y aller.

Methos sourit sans humour.

— Un procès dans une église. Parfait. Il ne manque plus que le confessionnal.

Duncan s’avança d’un pas.

— Tu vas venir. Et tu vas lui parler. Parce que si tu refuses, si tu fuis encore, alors c’est moi que tu devras affronter.

— Tu plaisantes ?

Duncan fit un pas de plus. Sa voix se fit plus basse. Plus tranchante.

— Je ne plaisante pas.

Un long silence. Methos le jaugea. Et comprit qu’il ne bluffait pas.

— Tu me juges pour ce que j’étais. Pas pour ce que je suis.

— Ce que tu es, c’est quelqu’un qui veut fuir plutôt que faire face.

Un long silence. Puis Methos souffla :

— Très bien. Allons voir si les fantômes pardonnent.

Il attrapa son manteau et suivit Duncan dans le couloir, sans un mot de plus.


*


La porte se referma lentement derrière eux, le battant résonnant doucement dans la nef silencieuse.

Cassandra était là, assise sur une chaise près de l’autel, les mains jointes, le regard baissé. Darius, debout à ses côtés, se tourna à leur arrivée. Il croisa brièvement le regard de Methos, puis celui de Duncan. Un simple signe de tête. Pas de mots.

Puis il dit, à Cassandra, avec douceur :

— Je vais prendre l’air. Il y a assez de lumière ici.

Elle ne répondit pas, mais son corps se redressa légèrement. En alerte.

Darius posa une main légère sur l’épaule de Duncan, l’invitant à le suivre d’un geste discret. Ce dernier hésita à quitter Methos des yeux… puis hocha lentement la tête. Il suivit son vieil ami jusqu’à la porte latérale qui menait au petit jardin du cloître, baigné d’obscurité et de senteurs d’été.


Methos resta debout. Il n’avait pas bougé d’un pouce depuis leur entrée. Cassandra tourna enfin la tête vers lui. Ses yeux n’étaient pas pleins de rage. Ils n’étaient pas tendres non plus. Ils étaient lucides. Clairs. Comme après une longue nuit sans sommeil.

— Tu es venu, dit-elle simplement.

— On m’a traîné, corrigea-t-il, une ombre de sourire triste au coin des lèvres. J’étais sur le point de me défiler. Une vieille habitude.

Un silence.

— J’aurais pu te tuer, dit-elle.

— Tu aurais eu raison.

— Et pourtant tu ne t’es pas battu.

Il haussa une épaule.

— Parce que je savais que je ne gagnerais rien. Même si j’en sortais vivant… je perdais quand même.

Il marqua une pause avant de reprendre.

— Tu n’aurais pas été la seule à mourir. Une autre part de moi y serait restée. Une des rares que j’arrive encore à supporter.

Cassandra le fixa longuement, sans bouger.

— Tu ne t’es jamais excusé.

Methos inspira doucement. Puis, d’une voix rauque :

— Je sais qu’il n’existe aucun mot, aucun acte, qui efface ce que j’ai fait. Ni pour toi, ni pour les autres. Ce que j’ai pris ne sera jamais rendu, et ce que j’ai détruit ne renaîtra pas.

Il s’approcha d’un pas. S’arrêta à bonne distance.

— Mais je suis désolé. Pas pour t’acheter un pardon. Pas pour soulager ma conscience.

Il baissa les yeux.

— Je suis désolé parce que c’est vrai. Et que c’est la seule vérité que je sois encore capable d’offrir.

Un silence pesant s’abattit. Puis Cassandra se leva, lentement. Elle ne le regarda pas tout de suite.

— Tu sais, dit-elle, ce que tu es devenu n’efface rien.

— Je sais.

Elle le regarda enfin, ses yeux pleins de cette ancienne douleur que ni le temps ni les siècles n’avaient entièrement effacée.

— Mais je refuse que ce que tu m’as fait me définisse encore. Ce poids-là… je ne veux plus le porter. Ni pour toi, ni contre toi.

Methos hocha la tête. Lentement. Respectueusement. Elle s’approcha. Il ne recula pas.

— Tu as été un monstre. Et peut-être que tu l’es encore. Mais moi, je suis vivante. Et je n’ai plus besoin de toi dans ma mémoire pour l’être.

Un très long silence. Puis elle ajouta, plus bas :

— Adieu, Methos.

Elle tourna les talons et sortit, sans un mot de plus.


Il resta un moment seul au milieu de la nef vide. Les mots de Cassandra flottaient encore autour de lui comme une fumée qui ne voulait pas se dissiper. Ses épaules s’étaient affaissées. Mais son visage n’était plus tendu. Juste fatigué.

Il s’approcha de l’autel. Lentement. Y posa deux doigts, comme pour s’assurer que le monde autour de lui ne s’était pas effondré, et ferma les yeux. L’ombre de Cassandra commençait à peine à s’estomper, et déjà une autre se dressait. Moins ancienne. Mais tout aussi réelle.

Des cheveux clairs. Une voix douce. Des yeux pleins d’attente, pleins de colère, pleins de tout ce qu’il n’avait pas su reconnaître à temps.

Aélis.

Il la revoyait comme s’ils s’étaient quittés la veille. Ce qu’il lui avait fait… ce qu’il avait laissé pourrir entre eux. Les vérités qu’il avait enfouies trop longtemps. Et sa colère, qu’il n’avait pas voulu entendre.

Il rouvrit les yeux. Son regard s'était durci, mais sans violence. Sans fuite, cette fois.

— Il est temps, murmura-t-il. Peut-être qu’il est temps de ne plus laisser traîner les dettes.


*


La nuit était tombée depuis un moment déjà, mais la chaleur douce de ce début d’automne s’attardait encore entre les buissons taillés et les allées de gravier. Une fontaine ancienne murmurait en arrière-plan. Quelques réverbères projetaient une lumière ambrée sur les allées bordées de végétation.

Duncan marchait à côté de Darius, les mains dans les poches, l’air fermé. Ils avaient quitté la nef pour laisser Methos et Cassandra seuls. Un vent léger faisait bruisser les feuilles au-dessus d’eux. Darius s’arrêta près d’un banc, s’y installa avec lenteur, et leva les yeux vers les étoiles voilées. Duncan resta debout, les bras croisés, dos tendu.

— Tu l’as entendu, dit-il d’un ton bas. Tu as entendu ce qu’il lui a fait.

Darius hocha la tête sans quitter le ciel du regard.

— Oui.

Duncan se tourna vers lui, les mâchoires serrées.

— Alors comment peux-tu... le soutenir ? L’écouter ? Le laisser marcher encore librement après ça ? Il l’a brisée, Darius. Il a détruit sa vie.

Le prêtre le regarda, calme.

— Et toi ? En quatre cents ans d’existence… tu n’as jamais commis d’actes que d’autres jugeraient impardonnables ?

Duncan resta figé. Le vent léger souleva un pan de sa veste.

— Ce n’est pas pareil. Jamais je n’ai réduit un être à l’état d’objet. Jamais je n’ai... fait ce qu’il a fait à Cassandra.

Darius pencha la tête. Sa voix resta douce, mais ferme.

— Et moi ?

Le Highlander fronça les sourcils, surpris.

— Tu sais ce que j’ai été. Tu n’étais pas encore né que j’avais déjà ravagé des royaumes entiers. J’étais un chef de guerre, sans pitié. J’ai égorgé des enfants sur les marches des temples. J’ai violé des femmes en riant. Des villages entiers ont disparu sous mes sabots.

Sa voix ne tremblait pas. Elle n’était ni coupable ni théâtrale. Juste factuelle.

— Et si tu avais rencontré l’un de ceux qui m’ont vu faire... aurais-tu levé ton épée contre moi ? M’aurais-tu condamné aussi facilement ?

Duncan recula d’un pas, mal à l’aise.

— Toi, tu as changé.

— Oui. Mais pas par vertu. Pas par choix. J’ai absorbé le quickening d’un homme de paix. Et tout en moi a basculé. Une chance. Une grâce. Je n’ai aucun mérite.

Il marqua un silence.

— Methos, lui, a changé sans miracle. Sans lumière divine. Il l’a fait seul. Lentement. Avec ses démons pour seule compagnie. Et c’est cela que je respecte. Pas ses crimes. Sa volonté d’être autre chose que le monstre qu’il fut.

Duncan laissa retomber ses bras. Il semblait soudain fatigué.

— Je ne peux pas lui pardonner.

— Tu n’as pas à lui pardonner, Duncan. Mais si tu choisis de le condamner, fais-le pour l’homme qu’il est aujourd’hui. Pas pour celui qu’il fut il y a quatre mille ans.

Duncan resta longuement silencieux. Puis il se laissa tomber sur le banc à côté de Darius.

— Il a peur de Cassandra. Mais ce n’est pas la mort qu’il craint.

— Non, dit doucement Darius. C’est son propre reflet dans ses yeux.

Ils restèrent là, un moment, côte à côte dans la nuit chaude, tandis que la lumière des réverbères dessinait des halos flous sur les graviers.

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