Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 3 : Vestiges

5474 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/08/2025 10:23

Le silence s’était installé dans l’habitacle comme un nuage de cendres, dense et collant. Aélis tenait le volant avec une crispation inhabituelle. Elle regardait droit devant elle, les mâchoires serrées, concentrée à l’excès sur la route vide.

Methos n’avait pas tenté de parler. Il savait reconnaître un silence qu’il valait mieux ne pas briser. Il ne l’avait pas regardée non plus, pas vraiment. Son regard avait effleuré son profil, l’angle de sa mâchoire, la raideur de sa nuque. Et il avait baissé les yeux. Il n’y avait rien à dire qui puisse réparer ce qui venait de se produire.

Il s’enfonça un peu plus dans le siège passager, croisa les bras, et laissa son esprit glisser. C’était facile. Il avait eu cinq mille ans d’entraînement. Le noir l’envahit sans prévenir. Un autre silence. Plus ancien. Plus profond. Une chaleur suffocante, mêlée d’odeurs de sueur, de cuir et de sang séché. Un ciel bas chargé de poussière rouge. Et dans cette lumière de fin du monde, une cité à l’agonie.


*


Âge du Bronze – env. 2400 av. J.-C. – Mésopotamie


Methos traversait les couloirs du palais de Shar-Talem comme une ombre. Il n’était pas un homme de pouvoir ici. Pas un général, ni un roi. Juste un conseiller étranger, venu d’on ne savait trop où. Un devin, disaient certains. Un espion, murmuraient d’autres. Un démon, affirmait le vieux prêtre du temple du feu, en le regardant à travers la fumée.

Aucun n’avait deviné ce qu’il était vraiment.

Il était là depuis près de sept ans, arrivé dans un convoi de marchands venus de la mer Égée, alors que Shar-Talem prospérait encore — carrefour fertile entre les royaumes de l’Euphrate et les routes caravanières du désert. Il s’était glissé parmi les scribes, avait gagné la confiance du prince héritier lors d’un débat public sur les présages et les éclipses. Et très vite, il s’était retrouvé dans les conseils privés. Jamais au centre, mais toujours dans l’ombre du pouvoir.

Ce n’était pas la première fois qu’il agissait ainsi. Il savait que les empires s’effondraient. Il les observait, les traversait, les abandonnait. Mais cette fois… cette fois, il était resté.

Pourquoi ? Il n’aurait su le dire. L’illusion d’une certaine stabilité, peut-être. Ou simplement la lassitude de fuir. Il n’attendait rien, pas vraiment. Il ne croyait plus aux hommes, ni à leurs dieux, ni à leurs murailles. Mais il n’avait pas non plus envie de les voir tous mourir. Il ne s’était pas attaché à eux. Mais il n’avait pas réussi à rester complètement indifférent. Et peut-être était-ce cela qui l’inquiétait.


Ce matin-là, il sentit le sol vibrer avant même que les éclaireurs ne reviennent. Pas une secousse. Une tension. Comme si la terre elle-même retenait son souffle.

Depuis plusieurs semaines, des rumeurs circulaient : des villages rasés, des caravanes éventrées, des puits rendus toxiques. Pas de butin. Pas d’otages. Rien qu’une méthode : entrer, tuer, repartir. Deux cavaliers seulement, disaient les survivants. Il avait entendu ces récits avec une vigilance tendue, sans les croire tout à fait. Mais à mesure que les témoignages s’accumulaient, il avait cessé de sourire. Peut-être était-ce simplement des pillards. Des chefs tribaux enivrés de pouvoir.

Mais non, ça n’avait aucun sens. Deux cavaliers n’abattent pas des forteresses. Pas seuls. Pas sans… autre chose.


*


Dans la salle haute du palais, les torches crépitaient sur les murs d’argile sèche, projetant des ombres convulsives sur les fresques écaillées. L’air était épais, chargé d’encens froid, de sueur et de tension. La chaleur semblait monter du sol, insidieuse, comme si la ville entière bouillait de l’intérieur.

Le roi, drapé dans ses voiles tissés d’or, avait le teint cireux et les lèvres tachées d’herbes médicinales. Il tremblait, mais faisait mine d’écouter.

— Il faut envoyer un messager à Akkad ! lança l’un des généraux. Le grand roi saura quoi faire !

— Envoyer un messager ? siffla un autre. Autant leur envoyer une invitation. Vous ne voyez pas que c’est trop tard ?

— Ce ne sont que deux hommes ! Deux cavaliers, par tous les dieux ! Ils n’ont ni chars, ni bannière, ni divinité protectrice ! Pourquoi cette peur ?

— Parce qu’ils viennent du désert, répliqua une voix plus rauque. Et que le désert ne rend jamais ceux qu’il avale.

Un silence pesant suivit. Puis un autre général, plus jeune, souffla :

— Nous avons encore les réserves du sanctuaire… Et les esclaves des citernes. Qu’on sacrifie la prêtresse !

Un murmure d’approbation frissonna le long des piliers.

Methos, debout dans l’ombre, immobile depuis de longues minutes, haussa un sourcil.

La prêtresse avait survécu à trois guerres, deux épidémies, et un roi tyrannique. Il doutait qu’un sacrifice tardif suffise à la rendre utile.

Il ne dit rien. Ses bras étaient croisés sous son manteau, et ses yeux suivaient les visages comme un faucon suit une volée d’oiseaux. Il n’écoutait pas tant ce qu’ils disaient que ce qu’ils ne disaient pas : la panique, le vertige, la superstition.

Deux cavaliers. Seulement deux. Et pourtant, Shar-Talem tremblait. Certains parlaient de démons vengeurs descendus pour purifier les cités corrompues. D’anciens dieux oubliés, revenus réclamer leur dû. D’autres, plus pragmatiques, évoquaient une nouvelle tactique venue des peuples des montagnes.

Methos, lui, réfléchissait. Il avait entendu parler d’eux. Des villages entiers disparus sans laisser de survivants. Des colonnes de poussière qui ne s’étaient jamais dissipées. Il avait d’abord cru à une légende. Puis, lentement, il avait commencé à douter. Il savait ce que deux hommes pouvaient faire.

Surtout s’ils étaient comme lui.

Il ne pouvait pas encore en être certain. Mais il avait cette impression, sourde et insistante, qui lui nouait le ventre. Quelque chose approchait. Quelque chose de familier. Et de profondément dangereux. Il y avait en lui un mélange d’intuition, de crainte, et de curiosité. Une peur ancienne. Précise. Celle que seuls les siens pouvaient inspirer.


*


Le premier incendie éclata au sud, près du marché aux encens. Le deuxième frappa les greniers, et le troisième les écuries. Shar-Talem n’était pas en état de siège. Il n’y avait ni armée, ni catapultes, ni cri de guerre. Mais la ville brûlait déjà. Ce n’était pas une attaque. C’était un effondrement orchestré.

Dans la salle haute, les cris se mêlaient à la fumée. Le roi n’écoutait plus personne. Les généraux s’étaient dispersés, certains hurlant des ordres sans destinataires, d’autres fuyant sans dignité.

Methos ne dit rien. Il sentit avant de comprendre. Une onde dans l’air, un frisson sous la peau, une vibration sourde, osseuse, profonde. Ils étaient là. Il en avait douté. Espéré, peut-être, qu’il se trompait. Mais non. Ce n’était plus une impression. C’était un fait. Deux Présences. Deux comme lui. Et ils étaient proches.

Ses pieds bougèrent avant que sa pensée ne les suive. Il connaissait une sortie — un passage secondaire, glissé entre les entrepôts d’offrandes et les cuisines des prêtres, qui débouchait sur une cour arrière presque oubliée.

Il marcha vite, sans courir. Se couler dans les recoins était un art, une habitude ancienne. Il entendait derrière lui les pas précipités, les lames tirées dans la panique, les prières criées à des dieux sourds. Il descendit un escalier de pierre, tourna à gauche, poussa une porte de service. Et s’arrêta.

Un souffle. Une silhouette. Il était immense.

Debout au milieu de la cour, entre les colonnes ébréchées, un homme — ou quelque chose qui lui ressemblait — le fixait. Le torse nu, peint d’ocres et de suie, les yeux larges, injectés, luisants. Une hache de guerre à la lame sombre pendait de ses bras puissants. Sa bouche entrouverte formait un sourire incertain, ou peut-être une grimace. Il ne dit rien. Methos non plus.

La présence était là, indiscutable. Lourde comme une pierre posée sur la poitrine. Un Immortel. Mais pas comme ceux qu’il avait déjà croisés. Celui-là semblait fait pour la guerre. Taillé pour la destruction. Il n’y avait aucune ruse dans ses yeux, seulement une volonté brute, animale.

Methos fit un pas en arrière. Sa main alla lentement vers la garde de sa lame.

— Je ne cherche pas à me battre, dit-il.

Mais l’autre ne répondit pas. Il s’avança. Un pas. Puis un autre. Et chargea.

Methos tira son épée à temps. La hache siffla à quelques pouces de sa tempe, s’écrasant contre un pilier dans une gerbe de poussière. Il recula, esquiva, feinta. Il était plus rapide. Il devait l’être. L’autre abattait sa hache comme on fauche des arbres. Des coups larges, puissants, brutaux. Mais lents. Methos frappait à la volée, aux côtes, au bras, au flanc. Il le touchait, le blessait. Mais l’autre ne s’arrêtait pas. Comme si la douleur n’avait aucun sens pour lui.

Une dalle céda sous leurs pieds. Ils roulèrent dans la poussière. Methos se redressa le premier, para un coup, riposta. Le colosse trébucha. Methos bondit. Il le frappa à la cuisse. Puis à l’épaule. Et enfin, il le désarma. La hache tomba dans un bruit mat. L’autre poussa un cri rauque, presque une plainte.

Le vainqueur leva son épée. Le sang lui battait les tempes. Il pouvait le faire. Maintenant. Décapiter. Fuir. Survivre.

Et c’est alors qu’il la sentit. L’autre Présence. Juste derrière lui.

— Si tu fais ça, dit la voix, c’est moi qui prendrai ta tête pendant le quickening.

Une voix basse. Calme. Le ton d’un homme qui n’a jamais eu besoin de hausser le ton pour être obéi.

Methos ne bougea pas. Il garda la lame levée, son souffle retenu.

— Et si je me retourne sans frapper ? demanda-t-il, d’une voix neutre.

Un silence, étiré. Puis :

— Alors tu auras le luxe de m’entendre parler.

Il hésita une seconde. Puis abaissa lentement son épée. Assez pour que le colosse au sol ne soit plus une cible immédiate. Pas assez pour se déclarer vaincu. Enfin, il se retourna.

L’homme qui lui faisait face était plus petit que le géant blessé, mais il dégageait une présence plus dense, plus dangereuse. Comme une lame dissimulée sous un manteau de fourrure. Un casque de métal ornait son front, gravé de symboles indistincts. Le cuir de son plastron semblait avoir été tanné par des années de sable et de sang. Mais c’étaient ses yeux que Methos ne pouvait pas quitter : clairs, inquisiteurs, et profondément anciens. L’homme souriait.

Il fit un pas en avant. Derrière lui, le colosse blessé — toujours vivant, toujours docile — se redressa sans un mot.

— Tu sais ce que nous sommes, dit l’homme.

Ce n’était pas une question. Methos ne répondit pas. Ses sens étaient tendus à l’extrême. Chaque fibre de son corps lui disait de fuir. Mais une autre, plus silencieuse, plus obscure… voulait comprendre.

— Tu aurais pu le tuer, poursuivit l’homme.

— J’allais le faire.

— Je sais. Et c’est pour ça que tu m’intéresses.

Il s’arrêta à quelques pas. Il ne brandissait aucune arme, ne levait pas la voix. Il n’avait pas besoin de menace. Il était la menace.

— Tu n’as pas frappé au hasard, reprit-il. Pas par rage. Pas par peur. Tu cherchais les ouvertures. Tu attendais qu’il se fatigue. Tu voulais le dominer, pas seulement survivre.

Il pencha légèrement la tête.

— Tu n’as pas crié. Tu n’as pas tremblé. Tu as pensé.

Un silence. Methos plissa les yeux. Il cherchait l’angle, le piège. Mais il n’y en avait pas.

— Tu me proposes quoi, exactement ?

L’homme sourit. C’était un sourire sans chaleur, mais pas dénué de séduction.

— Une place. Pas à mes pieds. À mes côtés.

— Et si je refuse ?

Il haussa les épaules, comme si la réponse était évidente.

— Alors je te tue. Ou lui. Ou les deux. Peu importe. Tu peux choisir. Prédateur ou proie.

Il s’approcha encore d’un pas, calme.

— Regarde autour de toi. Cette ville tombe. Et tu es seul.

Son regard se planta dans le sien.

— Mais tu n’es pas obligé de l’être.

Methos abaissa enfin son épée. Lentement. Il aurait pu fuir. Peut-être. Mais cet homme… ce qu’il portait en lui… il n’y aurait pas de cachette assez profonde. Pas de fuite assez longue. Et quelque chose, en lui, quelque chose de très ancien, se tendait. Pas par peur. Par reconnaissance.

Et s’il disait vrai ? Et si, pour une fois, au lieu de survivre dans les interstices de l’Histoire, il pouvait la façonner ? Non plus survivre, mais imposer.

Il croisa les bras.

— Très bien, dit-il. Je t’écoute.


*


Âge du Bronze – env. 2300 av. J.-C.


Il n’y avait pas de nom pour ce qu’ils étaient. Pas encore. Pas à cette époque.

Ils passaient comme une peste à cheval, laissant derrière eux la cendre, le sang, le silence. Dans les campagnes dévastées et les cités mortes, on parlait d’ombres montées sur des chevaux noirs, de fantômes hurlants, de bêtes qui riaient en tuant. Et toujours, ce même chiffre : quatre.

Quatre cavaliers.


Caspian fut le dernier à les rejoindre.

Cela faisait déjà plusieurs décennies que Kronos, Silas et Methos chevauchaient ensemble. Trois visages de la même nuit : la volonté, la force, l’esprit. Ils suivaient les routes de poussière à travers les montagnes de l’Hindou Kouch, redescendaient vers l’Assyrie, puis bifurquaient vers l’ouest. Ils n’avaient ni royaume ni forteresse. Ils dévastaient, puis disparaissaient, comme des vents de peste.

C’est dans une vallée reculée, au sud de la mer Caspienne, qu’ils tombèrent sur lui. Un village éventré, déjà pillé, la moitié des maisons fumantes. Mais quelque chose n’allait pas. Ce n’était pas leur œuvre.

Kronos mit pied à terre le premier.

Il observa les cadavres, les marques de lames, les restes de mise en scène rituelle. Des bras tranchés et disposés comme des couronnes. Des yeux crevés, soigneusement alignés.

— Ce n’est pas un pillage, grogna Silas.

— Non, murmura Methos. C’est… un avertissement.

Et puis ils le sentirent. Et il l’entendirent. Un rire. Sec. Haut perché. À contretemps du silence.

Il était là, au centre de la place. Torse nu, les bras couverts de sang séché, occupé à découper ce qui restait d’un corps déjà vidé. Ses cheveux collaient à son visage, ses yeux brillaient d’une lueur instable. Il tenait une mâchoire dans ses mains et la faisait claquer comme une marionnette.

Quand Kronos s’approcha, il leva la tête. Il souriait. Aucun étonnement. Aucune peur. Juste un intérêt vague, comme s’il jugeait s’ils valaient la peine d’être tués à leur tour.

— Tu as fait ça tout seul ? demanda Kronos.

L’autre inclina la tête, faussement modeste.

— Ils avaient des réserves. Je n'aime pas gaspiller.

Silas, en arrière, émit un grognement. Methos, lui, ne disait rien. Mais il le regardait. Quelque chose en lui clochait. Pas comme Silas. Pas comme Kronos. Une faille. Une cassure mal recollée. Kronos s’en approcha encore. Lentement.

— Tu es seul ?

— J’étais.

— Et tu pilles, seul, depuis combien de temps ?

— Le temps n’est pas important. Il recommence souvent, je crois.

Kronos ne rit pas. Il le fixa longuement. Puis, simplement :

— Ton nom ?

L’homme haussa les épaules, les yeux brillants d’une fièvre intérieure.

— J’en avais peut-être un. Il s’est... effacé.

Un silence. Le vent souffla un instant entre les maisons éventrées. Kronos tourna légèrement la tête vers Methos, puis de nouveau vers l’homme accroupi.

— Très bien. Tu en auras un. Caspian. Puisque c’est ici que je t’ai trouvé.

Le nouveau-nommé cligna des yeux. Il goûta le mot sur ses lèvres, en silence. Puis il sourit. Un sourire d’enfant. Kronos s’accroupit en face de lui, à sa hauteur.

— Tu pourrais être utile.

Caspian ouvrit de grands yeux. Presque déçu.

— Je croyais que tu allais me tuer.

— Peut-être plus tard.

Methos s’approcha enfin, croisa le regard de Kronos.

— Il est instable, dit-il à mi-voix.

Kronos ne détourna pas les yeux de Caspian. Il souriait.

— Oui. Mais il est à moi maintenant.

Et Caspian rit. Un rire aigu, désaccordé. Presque… heureux.


*


Âge du Bronze – env. 2100 av. J.-C.


Ils étaient descendus sur le village comme une tempête de cendres. La chaleur de midi était suffocante, mais Silas riait à chaque coup de hache. Kronos menait la charge, le visage peint de noir, hurlant dans une langue que plus personne ne parlait. Caspian avait disparu entre les tentes, bondissant comme un chacal, son rire saccadé rebondissant contre les peaux tendues et les pieux calcinés. Il déchirait les toiles au hasard, saccageait les réserves, lançait des torches en l'air comme des jouets. Les cris qu’il laissait derrière lui n’appartenaient plus à des vivants. Methos, lui, était calme. Il avançait sans se hâter, les yeux aux aguets. Il ne tuait pas inutilement. Il cherchait.

Et puis il la sentit. Une vibration faible, mais distincte. Pas encore pleinement éveillée, mais présente. Il la suivit à travers les cris, à travers la fumée.

Elle était là, penchée sur un corps blessé, les mains rougies de sang, les yeux fiévreux. Elle tentait encore de soigner. Au milieu de la mort, elle espérait encore sauver.

Elle était jeune. Belle, sans doute. Mais ce n’était pas ça qui retint Methos. C’était la lumière étrange qu’elle portait en elle. Une force dormante. Le pressentiment de quelque chose qui allait durer... trop longtemps. Il s’arrêta à quelques pas.

Elle le vit. Se redressa lentement. Elle ne cria pas. Ne supplia pas. Elle le regarda en face.

— Si tu viens me tuer, fais-le vite, dit-elle.

Sa voix était rauque, digne. Il ne répondit pas. Il s’approcha. Il sentait battre en elle cette possibilité. Pas encore une Immortelle, mais elle le deviendrait. Il se pencha vers elle, lentement, et sortit un petit poignard de sa ceinture, un geste presque tendre.

— Tu n’as pas encore commencé, murmura-t-il.

— Quoi ? dit-elle, les sourcils froncés.

Il planta la lame dans son cœur. Elle s’effondra sans un cri. Le pillage continuait derrière. Les cris, les flammes, les rires. Mais Methos ne bougeait pas. Il s’assit près du corps. Croisa les jambes. Et attendit.

Quelques temps plus tard, quand le soleil commença à descendre, Cassandra se redressa, haletante. Elle était de retour. Et elle lui appartenait.


*


Ils avaient établi leur campement près d’un oued asséché, entre deux dunes déchirées par le vent. Les chevaux dormaient les flancs creusés. Les cris, cette nuit-là, avaient cessé plus tôt.

Il ne restait que la chaleur du feu. Et elle. Cassandra. Elle dormait parfois. Pas vraiment. Elle s’effondrait d’épuisement, les poignets liés, les muscles tendus, les rêves toujours en alerte. Elle avait compris, très vite, que Methos n’était pas comme les autres. Il était moins brutal, moins cruel. Mais pas innocent. Il la prenait, comme on prend une chose à soi, sans rage, sans rires, sans plaisir visible. Juste parce qu’elle lui appartenait.

Elle avait pensé qu’il l’épargnerait. Mais ce terme n’existait pas, ici. Seulement des nuances dans la violence. Alors elle se faisait douce. Docile. Elle baissait les yeux. Elle apprenait à sentir le moment où ses gestes devenaient les bons, où ses silences valaient mieux que ses mots.

Elle n’avait jamais cru qu’il l’aimait. Mais elle pensait, peut-être, qu’il la préservait. Ou plutôt : qu’il la protégeait des autres pour se la garder à lui. C’était déjà beaucoup. Et surtout : tant qu’elle le contentait, elle ne finirait pas dans la tente de Kronos. sous les dents de Caspian, ou à la merci de Silas. Et elle savait, dans son corps et dans son cœur, que ce serait pire. Alors elle jouait son rôle. Elle écoutait, quand il parlait de langues mortes et de temples effondrés. Elle hochait la tête, quand il évoquait des plantes médicinales dont elle connaissait déjà les effets. Et parfois, quand il s’endormait contre elle, elle gardait les yeux ouverts. Longtemps. Parce qu’il ne fallait jamais, jamais croire qu’on était en sécurité. Même avec le plus humain des monstres.


Et lui… Lui s’était mis à la croire différente.

Elle ne criait jamais. Elle obéissait, d’un geste, d’un regard. Elle se laissait faire. Et parfois, elle souriait. Pas un vrai sourire. Pas pour lui. Mais assez pour que Methos y voie ce qu’il voulait.

Il pensait, certains soirs, qu’elle s’habituait à lui. Qu’elle commençait à comprendre.

Qu’elle acceptait peut-être… de rester. Mais elle restait parce qu’avec lui, elle risquait moins. Et lui, il préférait ne pas voir que la peur, bien apprise, pouvait ressembler à de la loyauté.

Elle ne savait toujours pas ce qu’elle était. Il ne le lui avait jamais dit. Trop dangereux. Savoir, c’était comprendre qu’elle pouvait les tuer. Savoir, c’était chercher une épée, un moment de solitude, une fuite. Alors il mentait.

Il la poignardait parfois — pour l’exemple. Et quand elle revenait à la vie, il se penchait sur elle, la main posée sur sa gorge, et murmurait :

— Je t’ai laissée revenir. N’oublie jamais à qui tu dois ça.

Elle hochait la tête. Elle ne disait rien. Mais ses yeux, parfois, brillaient d’une haine silencieuse.


— Elle t’écoute comme si tu étais un dieu, avait lancé Caspian un soir, les yeux brillants de malice mauvaise. Tu lui as mis quoi dans la bouche, pour qu’elle se taise comme ça ?

Methos n’avait pas répondu.

Silas avait grogné, occupé à partager des crânes comme des trophées. Mais ce soir-là, une tension nouvelle s’installa.


Quelques jours plus tard, une dispute éclata pour un collier arraché à une prêtresse. Caspian le voulait. Silas l’avait déjà accroché à sa ceinture. Les deux en vinrent aux mains. Une lutte de bêtes. Du sable, des dents, du sang. Methos les sépara d’un geste autoritaire.

— Assez.

Caspian le fixa, le souffle court. Il sourit. Lentement.

— Tu joues au chef, maintenant ? Ou c’est parce que t’as peur qu’on vienne toucher ta chienne ?

Le mot tomba comme une gifle. Il s’avança vers Cassandra, les doigts tendus. Un frisson de panique traversa le regard de la jeune femme. Methos lui bloqua le poignet.

— Elle est à moi, dit-il.

Caspian éclata de rire.

— Tu te l’es gardée au chaud, hein ? Mais on partage tout, entre frères, non ?

Un silence. Puis une voix, grave, coupante :

— Depuis quand tu t’attaches, Methos ?

Kronos était là. Immobile, mais prêt à frapper. Methos le regarda. Il connaissait ce regard. Il savait ce que Kronos allait faire. Et il comprit ce qu’il devait faire s’il voulait survivre. S’il voulait rester parmi eux. S’il voulait garder la place qu’il avait mise des siècles à forger. Alors il se tut. Il baissa les yeux. Et il laissa Kronos s’approcher.

Ce qui suivit, il ne le vit pas. Il resta à l’écart. Assis, seul, près du feu. Les poings serrés jusqu’au sang. Les mâchoires bloquées. Il entendit les pas. Les souffles. Les rires. Silas. Caspian. Kronos. Et elle… elle ne cria pas. Pas pour lui.


*


Le feu mourait lentement dans le vent du matin. Autour du camp, les restes de la nuit s’étiraient : cendres, sang sec, grognements de chevaux mal nourris. Silas et Caspian dormaient à même le sol. Kronos n’était pas là. Parti chasser, sans doute. Ou méditer la prochaine boucherie.

Methos se tenait seul, près des braises. Il n’avait pas dormi. Il avait entendu. Chaque souffle, chaque râle, chaque geste arraché à Cassandra comme un tribut.

Elle s’approcha de lui sans bruit. Il ne comprit pas tout de suite. Elle n’avait plus de corde aux poignets. Elle marchait d’un pas calme, droit, comme si rien ne pouvait plus lui faire peur. Et dans ses yeux… rien. Aucune colère visible. Juste une fixité tranquille, plus effrayante encore.

Elle savait ce qu’elle allait faire. Et lui aussi.

Il aurait pu se lever, l’arrêter. Un mot, un geste, et elle se serait figée. Il était plus fort. Plus rapide. Mais il ne fit rien. Il se redressa à peine. Assez pour la regarder en face.

— Cassandra…

Sa voix n’était qu’un souffle. Ni prière, ni reproche.

Elle ne répondit pas. Elle s’arrêta devant lui. Le regarda. Longtemps. Pas avec haine. Avec… connaissance. Comme si elle le voyait pour la première fois. Et puis, sans mot, elle leva la main. Le tesson de bronze brilla à peine dans la lumière pâle. Un simple éclat taillé dans un vieux plat de cuivre. Elle le planta dans sa poitrine. Juste sous le sternum. Il tomba à genoux, sans un cri. Elle ne dit rien. Elle le contourna. Et elle courut. Loin. Vite. Sans se retourner.

Quand Methos revint à la vie, Cassandra avait disparu. Il resta là, un moment, les mains pleines de poussière, la gorge nouée et les yeux vides.

Il aurait pu mentir. Dire qu’elle avait été enlevée. Qu’un autre groupe l’avait prise. Mais il ne dit rien. Parce qu’il comprenait. Parce qu’il avait voulu qu’elle parte. Et parce qu’à cet instant précis, quelque chose en lui s’était brisé.

Ce n’était pas de l’amour. C’était pire. C’était la honte. Et elle ne mourrait pas.


*


Ils avaient continué, année après année, pillage après massacre. Toujours quatre. Toujours les mêmes. Toujours la même danse de feu, de lames et de terreur.

Et Methos avait tenu. Parce que c’était plus simple. Parce qu’il fallait survivre. Parce qu’il n’avait pas encore trouvé le moment où partir serait moins risqué que rester.

Mais ce moment était venu. Il ne s’était pas annoncé par un cri. Ni par une blessure. Ni par une nouvelle horreur. Il était venu dans le silence, dans l’indifférence froide qu’il ressentait à chaque nouveau village brûlé, dans l’ennui presque méthodique de leurs gestes, devenus mécaniques.

Ils tuaient encore, oui. Mais lui… il ne sentait plus rien. Et c’était ça, le pire. Il regardait Kronos et ne voyait plus un roi de guerre. Juste un animal de sang. Un homme figé dans sa propre fureur.

Il avait tenté, une fois, de parler. Proposer autre chose. Bâtir un royaume. Régner autrement. Par la peur, certes, mais avec des règles. Devenir plus que des ombres. Devenir mémoire. Kronos avait ri. Doucement. Comme on rit d’un enfant qui rêve.

Et Methos avait compris. Il n’y aurait jamais de fin. Jamais de répit. Sauf si lui la créait.


Il était seul, ce soir-là. Assis à l’écart du camp, le regard perdu dans les flammes. Silas dormait. Caspian rêvait tout haut. Kronos était au sommet d’une colline, à scruter les ombres comme s’il y cherchait des ennemis ou des dieux. Methos tenait une fiole entre ses doigts. Une décoction ancienne. Un poison discret. Il ne voulait pas de son quickening. Il voulait juste le neutraliser.

Il aurait pu partir sans ça. Fuir. Mais Kronos l’aurait retrouvé. Toujours. Il le connaissait trop bien. Et Kronos aussi, quelque part, le connaissait. Alors il fallait ruser.

Il observa la fiole un long moment. La fit tourner entre ses doigts. Pas de colère. Pas de remords. Juste une fatigue ancienne, comme une armure devenue trop lourde.


— Tu n’as pas sommeil ? demanda Kronos sans se retourner, quand Methos s’approcha.

Il était accroupi au bord d’un promontoire rocheux, les yeux perdus dans la plaine.

— Pas vraiment, répondit Methos.

Il tendit une gourde.

— Du vin. Vieux, mais buvable.

Kronos la prit sans méfiance. Il but, une longue gorgée.

— Tu deviens généreux, dit-il en essuyant sa bouche.

Methos sourit à peine.

— Peut-être. Ou peut-être que je me lasse de tout garder pour moi.

Le vent soufflait fort, soulevant la poussière autour d’eux. Kronos s’assit.

— Tu crois que ça finira un jour ? demanda Methos, presque distrait.

Kronos haussa les épaules.

— Rien ne finit. Tout pourrit. Et nous sommes là pour ça.

Il tourna enfin la tête vers lui.

— Tu es étrange, ce soir. Trop calme. Trop… léger.

Methos soutint son regard.

— Et toi, trop lucide. Tu sais, n’est-ce pas ?

Kronos le fixa longuement. Puis il sourit.

— Bien sûr. Depuis des semaines. Tu n’es plus des nôtres.

Sa main glissa vers la garde de son épée — mais déjà, ses muscles tremblaient. Le poison agissait. Il chancela.

— Qu’as-tu fait ?

Methos s’approcha. Le soutint pour ne pas qu’il tombe.

— Ce qu’il fallait.

Kronos voulut parler encore, mais sa langue se figeait déjà. Son corps se raidissait. Methos le coucha au sol. Lentement. Comme un frère malade.


Il avait préparé l’endroit des jours plus tôt. Un ancien puits, scellé par une dalle. Des chaînes. Des symboles tracés à la cendre. Une cache oubliée dans les collines de Thrace. Il y traîna le corps de Kronos sous la lune. Pas un mot. Pas un regret. Juste le poids de l’inévitable.

Il le déposa au fond du puits, encore vivant, les yeux ouverts, figés par le poison.

— Tu ne mourras pas, murmura-t-il.

Il repoussa la dalle. Une, deux, trois pierres. Puis la dernière. Et il scella la surface avec de la boue et des cendres. Sans cérémonial.

Il resta un moment debout, la main posée sur la pierre. Puis il tourna le dos. Et il partit.


Il ne laissa rien. Pas un mot. Pas un signe. Silas et Caspian ne le chercheraient pas longtemps.

Ils croiraient à un caprice. Une errance. Une disparition de plus.

Il marcha. Jours après jours. Sans but, sans direction. Juste pour mettre du temps entre lui et ce qu’il avait été. Mais pour la première fois depuis des siècles… Il fuyait par choix.


*


Methos rouvrit les yeux. La route défilait lentement sous les phares, pâle bande droite entre les rues endormies. Aélis conduisait toujours. Silencieuse. Concentrée. Un calme tendu planait, trop fragile pour être paisible.

Il l’observa du coin de l’œil, sans oser la fixer. Elle ne disait rien. Ne lui posait pas de questions. Mais il savait. Elle avait vu. Elle avait compris.

Et lui… Lui sentait encore le goût de la poussière dans sa bouche.

Il s’était cru guéri. Lavé de ces siècles-là. Il s’était dit qu’on pouvait réécrire le présent sans rouvrir les tombes. Il s’était menti. Ce qui s’était passé dans l’entrepôt… tout avait ressurgi, comme si rien n’avait jamais été enterré.

Il croyait avoir fui. Il n’avait fait que tourner en rond. Et maintenant, il n’avait plus de place où se cacher. Pas même derrière les siècles.

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