Expiation

Chapitre 1 : Jöl

2736 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/10/2017 16:26

La douleur est à peine supportable, j’ai dû m’évanouir plusieurs fois après qu’une de ces bêtes plantent ses crocs dans mon épaule. J’ai compris pourquoi les juges s’acharnent sur nous depuis le bain de sang : ils veulent réduire notre groupe, nous séparer. Qu’ils continuent donc ! Après les pièges artificiels, les mutations génétiques – qui ressemblaient à des loups, bien plus imposants et agressifs – que va-t-il nous tomber dessus ? Je l’ignore encore, mais si cela continue, on finira par tomber au fur et à mesure des attaques. Je peux comprendre que le Capitole s’ennuie depuis la fin du bain de sang, mais les juges peuvent bien s’en prendre aux autres, les carrières par exemple. Eux qui ont sans aucuns doutes pris le gouffre où se trouve la Corne d’Abondance, peut-être même la ville entière ! Non. Les juges tiennent absolument à nous tuer.

Adossé contre un arbre, je peux discerner quelques traits du visage de Sonja, la fille du Douze. Je reconnais peu à peu ces yeux bleus, ce petit nez et cette chevelure rousse qui retombe sur ces épaules tremblantes. Elle se sert de la trousse de soins que j’ai pu récupérer au commencement des Jeux. Je la vois l’ouvrir et sortir des bandages en tissu et d’autres objets médicaux que je ne parviens pas à voir correctement. En regardant par-dessus son épaule, je vois Ugo allongé dans la boue. Je me souviens du moment où un piège s’est refermé sur sa jambe droite quand les juges ont décidés de nous séparer. Son état devait être bien pire que le mien. Je prends appuis sur les racines de l’arbre contre lequel je suis adossé et hausse les sourcils pour mieux voir la situation. Sa jambe saigne tellement et ses entailles sont si profondes que l’on peut apercevoir son mollet rougissant. C’est alors qu’arrive Emy – elle aussi munit d’une trousse de secours, bien qu’elle soit plus imposante – puis Halmes, qui se tient l’arrière bras avec sa main gauche ensanglantée. Tous les deux viennent du district Six.

« Où sont passés Djory et Pilt ? Dis-je en croisant le regard de Sonja. »

Je jette un bref coup d’œil à ma droite et aperçois Lukka, du district Trois, assis sur le sol à rien faire. Il doit sans doute réfléchir, ou bien il bricole. Je ne peux pas vraiment voir ce qu’il fait. Je repose mes yeux sur ceux de Sonja au moment où elle ouvre la bouche.

« Ils sont encore à la clairière, me répond-elle, ils repoussent les derniers loups à notre poursuite. »

Oui bien sûr, évidemment. Ce sont les seuls qui n’ont pas été blessés depuis le début des Jeux, pas une seule égratignure. En fait, ils ont refusés de participer au bain de sang dès le coup de canon de départ. Pilt, lui, vient du district Dix. C’est un garçon assez silencieux mais qui se révèle être un très bon combattant au corps à corps. Les bêtes, ça le connait, alors je n’imagine pas ce qu’il fait aux loups en ce moment-même. Djory vient du Huit. Il est lui aussi un bon combattant mais il est plutôt anxieux et asocial pour ce que j’en sais.

« Bien. Dis-je en revenant à la réalité. Alors on est encore au complet. »

Je vois Sonja attraper un bâton de bois quelconque sur le sol et le mettre au niveau de la bouche. Je comprends alors que la suite de mon rétablissement n’allait pas être de tout repos.

« Serres les dents, me dit-elle »

Je ferme les yeux et m’attend au pire. Je parviens à entendre le bruit du croc de la bête se frotter contre ma peau. J’hurle sans le savoir et essaye de me débattre dans tous les sens. Sonja me retient de toutes ses forces puis retire d’un coup sec le croc de mon épaule. Après quelques secondes, elle bande la blessure et me retire le bout de bois de ma bouche, remplit de salive et de sang. Après un long silence, je parviens à lui glisser un mot.

« Merci. »

Elle aurait pu me laisser mourir, ne pas me sauver et ainsi éliminer un concurrent de plus dans la partie. J’incline la tête envers Ugo, qui a réussi à se lever difficilement puis tourne le regard vers Emy, l’autre soigneuse qui est justement en train de refermer sa trousse de secours. A ma gauche, je vois Halmes et Lukka en train de discuter. Je n’ai pas le temps d’écouter leur conversation que j’entends des bruits de pas provenant de ma gauche : Pilt et Djory reviennent vers notre position. Je repose ma tête sur le tronc de l’arbre et Sonja tend un pot de sirop vers moi.

« Avale-ça, me dit-elle doucement. »

Je sais très bien de quoi il s’agit : du sirop pour le sommeil. Mais je ne peux pas refuser, je n’ai pas pu me reposer depuis le début de l’édition et je ne pourrais pas aller bien loin avec mes bandages. J’engloutis donc le sirop en quelques gorgées avant d’attendre que le produit fasse effet. Quand mes paupières s’alourdissent, Sonja me glisse une dernière parole mais je ne parviens pas à les entendre…


Comment en sommes-nous arrivé là ? Pour le savoir, il faut revenir en arrière, il y a maintenant deux ou trois jours, au moment où les tubes nous ont embarqués en plein centre de l’arène. Je m’appelle Jöl et je viens du District Neuf. Celui où l’on sème et cultive les grains pour en faire du pain, oui. Mais cela n’a pas d’importance. J’ai hésité longuement à participer ou non au bain de sang. Je me suis dit que j’allais sans doute mourir, que je n’étais peut-être pas assez fort pour combattre les carrières et les autres tributs mais je n’avais pas le choix. Je devais récupérer des provisions, peu importe lesquelles. Quand je regardais les précédents Jeux chez moi, l’endroit ressemblait généralement à un terrain dégagé, parfois plat, parfois un peu dénivelé. Les tributs étaient soit disposés en demi-cercle ou soit en cercle complet autour de la Corne d’Abondance. Mais ici, il s’agissait d’une édition d’Expiation. Il fallait aux juges une arène qui sorte du lot, une arène originale qui pourrait marquer les âmes sensibles du Capitole. C’est pourquoi la Corne se trouvait ici au fond d’un gouffre rempli d’eau. Elle flottait sur une sorte de plate-forme en bois rigide et il y avait quelques petits sacs répartis autours. Les tubes formaient un cercle parfait autours du gouffre, certains étaient sur de la roche, d’autres sur les fleuves qui se jetaient dans le trou. Autour de nous se trouvait une ville abandonnée où la nature et la faune sauvage y ont repris leurs droits. Je pouvais voir deux hauts immeubles écroulés l’un contre l’autre et les grandes lianes verticales qui tombaient des fenêtres. L’architecture des bâtiments pourrait ressembler à celle du Capitole. Mais la ville n’était pas immense. En fronçant les sourcils, on pouvait discerner la grande forêt qui empiète et englobe la ville de toutes parts. Les fleuves qui provenaient des hauteurs de la forêt venaient s’écouler dans des canaux un peu partout en ville pour venir chuter en plein milieu de l’arène où se trouve le gouffre.

Quand le compte à rebours avait déjà commencé, je me posais déjà une question dans ma tête : Si les tributs assez courageux plongeraient dans l’eau pour rejoindre la Corne et ainsi participer au bain de sang, il devrait avoir un moyen pour les survivants de remonter jusqu’au point de départ ! En baissant les yeux vers les parois du gouffre, j’ai pu apercevoir des lianes et des escarpements rocheux qui pourraient permettre d’escalader et de revenir aux tubes. En relevant les yeux, une autre question me réconforta. La plupart des tributs ne savaient sans doute pas nager. Je pouvais déjà savoir que les tributs du Quatre pourraient tenter leur chance. Les carrières aussi. Même si je ne sais pas forcement nager, je sais flotter. Alors, au moment du coup de canon de départ, je n’ai pas hésité une seconde : j’ai plongé.

Le niveau de l’eau se trouvait à peu près à dix voir quinze mètres en dessous de la ville. Il faut le vouloir. C’est un sacré saut. J’ai fermé les yeux pendant ma chute, fais le vide dans ma tête. Qu’allait-il m’arriver une fois en bas ? Cela s’est passé en quelques secondes seulement. J’avais la sensation de prendre un mur en pleine figure au contact de l’eau. J’ouvris les yeux instinctivement et vit un autre tribut plonger dans l’eau non loin de ma position. En relevant la tête, je vis la plate-forme flotter à peu près à trois mètres au-dessus de moi. Après avoir retrouvé pleinement mes esprits, je me mis à gigoter avec mes membres pour regagner la surface le plus rapidement possible. Alors près du but, je sens une main se refermer sur ma cheville et m’attirer dans les profondeurs. Malgré la précipitation et la faible visibilité sous l’eau, j’ai pu reconnaître le visage terrifiant de Klay qui venait du district Cinq. Je me suis débattu de la meilleure façon que j’ai pu en donnant des coups de pieds sur son visage jusqu’à ce qu’il lâche prise. Il remonta par la suite au niveau de la surface rapidement, ce que je fis sans perdre une seconde en allant vers une autre direction.

Une fois ma tête hors de l’eau, le massacre avait déjà commencé. Épuisé, je pris appui sur une des nombreuses petites plates-formes qui entouraient la Corne. Malheureusement pour moi, il n’y avait pas de sac, ni d’armes, ni quoi que ce soit dessus. Mon devoir était de rejoindre malgré moi la plate-forme principale au centre du gouffre, où de nombreux équipements étaient empilés les uns sur les autres. En frottant vivement mes yeux avec mes mains, je vis un combat en train de naître entre Ambrose, le tribut féminin du District Un et la fille du Trois, dont je ne me rappelle plus le nom. Cela ne prit que quelques secondes pour permettre au tribut de carrière de triompher. Le corps de son adversaire reposait peu de temps après sur le rebord de la plate-forme, avec une machette entre les mains.

Sans y réfléchir, je me mis une nouvelle fois à gesticuler – telle une grenouille dans l’eau – vers son cadavre. Une fois arrivé, je pris appui sur les premières planches puis basculai mon corps afin de grimper entièrement sur la plate-forme. En jetant un coup d’œil autour de moi, je vis la montagne de muscle qu’était Rubia, un autre tribut féminin de carrière. Elle venait d’assassiner froidement les deux tributs du Cinq : Jayn et Klay, que je venais de croiser quelques minutes plus tôt. Je m’emparai rapidement de la machette puis me mis en route vers le centre de la plate-forme pour espérer y récupérer des provisions. J’aperçu un sac sur lequel était dessiné une croix rouge qui devait certainement contenir un kit de premiers secours. Au moment de m’en emparer, je reçu un coup sur la tête : on m’avait frappé avec une barre en métal. En levant les yeux vers le ciel, je vis le tribut féminin du Dix prête à m’achever. Mais cela ne se déroula pas comme prévu. Gore, le tribut masculin du Douze, lui avait planté son épée dans le dos, la tuant sur le coup. Il venait de sauver ma vie sans le vouloir. C’est alors qu’une autre fille, celle venant du District Onze, s’élança sur lui. J’en profitai alors pour fuir avec tout ce que j’avais emporté. En plein milieu de ma course, mon pied trébucha sur un cadavre au sol. Je découvris avec stupéfaction qu’il s’agissait de Trek, l’autre tribut du District Deux. On lui avait perforé la gorge qui continuait à cracher des litres de sang. En me relevant, je jetai un coup d’œil vers le centre de la plate-forme, où Gore avait finalement triomphé de la fille du Onze, cette dernière étant morte la tête fracassée contre une caisse remplie de filets. Cependant son chemin croisa celui de Blase, du District Un. En seulement quelques coups d’épée, le carrière avait vaincu le tribut des mines. Arrivé au rebord de la plate-forme, je vis une succession de planches flottantes en direction des parois escarpées du gouffre, de là-bas je pouvais escalader la roche jusqu’à attraper les lianes et remonter à notre point de départ.

Je pris le temps d’expirer un bon coup avant de m’élancer dans un jeu de sauts interminables où l’adresse était de mise. J’aperçu entre deux sauts le corps de Typhen – le tribut féminin de mon propre district – qui s’était probablement noyée peu après sa chute. On ne s’était pas beaucoup parlé elle et moi, avant les Jeux. A vrai dire, je ne voulais pas apprendre à la connaître et je pense que c’était pareil pour elle. Je l’ai fait pour éviter de m’attacher à elle et de vouloir la protéger une fois dans l’arène. Je lui avait cependant conseillé de ne pas participer au bain de sang, mais plutôt de s’enfuir le plus loin possible dès le départ. Elle a sans doute voulu me rejoindre en me voyant sauter. J’espère me tromper.

A mon plus grand étonnement, j’avais réussi à atteindre les parois rocheuses sans être tombé une seule fois. Je me dépêchai d’escalader tant bien que mal en direction des lianes les plus proches. Sans regarder vers le bas, j’attrapai la première qui s’offrait à moi. Tout à coup un objet ricocha à quelques mètres de moi pour finalement retomber dans l’eau : les survivants auprès de la Corne nous jetaient surement des projectiles pour nous blesser ou nous faire tomber. Je ne fis pas attention à cela et continuai à me concentrer à ma remontée. C’est alors qu’une main hostile se referma sur le poignet de ma main gauche. En balançant ma tête, je reconnu Brust, le tribut chauve du Sept, qui m’attirait vers lui avec un regard menaçant. Lui aussi était accroché aux lianes et tentait désespérément de me faire tomber en me donnant des coups de pieds. Au moment où ma main droite allait lâcher prise, mon adversaire reçut un projectile en pleine figure, ce qui l’assomma un moment. J’en profitai alors pour sortir ma machette et couper d’un geste brusque les lianes auxquelles il était resté bloqué. Quand il reprit conscience, il était déjà trop tard. Son corps tomba comme un poteau pour se fracasser violemment sur une des nombreuses plates-formes en bois au fond du gouffre, le tuant sur le coup. A la fois surpris et soulagé, je repris moi-même mes esprits et continuai mon escalade jusqu’à rejoindre enfin les tubes. Je venais de commettre de manière indirecte mon premier meurtre dans les Jeux ainsi que dans ma vie toute entière.

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