Expiation

Chapitre 14 : Blase

2936 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/05/2018 22:58

Ambrose était là-haut, perchée sur un balcon à quelques mètres au-dessus de nous. Elle avait l’air essoufflée et complètement désorientée. Pas un seul mot ne sortit de sa bouche. En revanche, je pouvais entendre d’ici ses grandes aspirations, de par ses cordes vocales asséchées émettant de courts bruits aigus. Puis ce fut rapidement une toux caverneuse qui s’empara d’elle. Alors qu’elle était encore courbée sur elle-même, tentant de regagner ses forces, je ne pus m’empêcher de l’admirer dans les moindres détails. Sa longue chevelure dorée était presque devenue une épaisse tignasse trempée d’eau et de sueurs. Tout comme ses grelottantes mains bleutées, ses fines jambes tremblaient de stress et de fatigue.

Réconforté à l’idée qu’elle soit enfin parmi nous saine et sauve, je pu évacuer avec soulagement cette tension qui s’était emparé de moi quelques instants plus tôt. Mais je n’arrive pas à égarer une pensée de mon esprit : pourquoi a-t-elle mise autant de temps à nous rejoindre ? Elle était supposée nous suivre, peut-être nous avait-t-elle tout simplement perdus de vue. Alors qu’elle se redresse pour détendre ses muscles, je vois que la ceinture qui lui serre la taille est entièrement vidée de ses gourdes, celles que je lui avais précédemment accrochées au moment de s’en aller de la Corne, les seules que l’on avait pour nous trois.

« Les gourdes, lui dis-je en grommelant, où sont-elles ? »

Son regard plongea immédiatement dans le mien, mais aucun mot ne sortit de sa bouche. En une fraction de seconde, loin d’être un simple réflexe, la trajectoire de son regard se déplaça de quelques centimètres, suffisamment en tout cas pour arrêter de me regarder dans le blanc des yeux. Ignorant donc ma remarque, elle s’essuya le front du revers de sa manche pour la énième fois. Lorsqu’elle s’aperçu que tout le monde dans la pièce – y compris Thorn qui était toujours sur le pied de guerre – attendait une réponse, elle soupira longuement avant de croiser à nouveau mon regard. Je hausse les sourcils pour lui faire comprendre que j’exige une réponse. Après quelques secondes, ses lèvres se mirent enfin à bouger.

« Je les ai fait tomber, dit-elle d’un ton ferme avant de regarder maladroitement ses pieds pendant un court instant. »

Bien évidemment. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle aurait très bien pu se faire agresser par un autre tribut et se faire voler les gourdes, mais connaissant Ambrose – et ayant vu ce qu’elle était capable de faire lors des entraînements avant les Jeux – elle aurait surement triomphé sur ce tribut qui aurait osé lui dérober ces gourdes. C’est une excellente combattante, tout comme Rubia, même si les deux ne partagent pas du tout le même style de combat. En effet, de par sa carrure et sa grande taille, Rubia favorise la force et excelle dans les engagements rapprochés, surtout lorsqu’il s’agit d’utiliser les poings plutôt que des armes. Quant à Ambrose, elle est davantage dans la rapidité, l’agilité et la précision. Elle m’a d’ailleurs particulièrement impressionné lors du bain de sang où je l’ai vu en train de tuer la fille du Trois en un rien de temps. Je ne suis pas étonné que le District Un – notre District – l’ai choisi pour combattre avec moi dans ces Jeux.

« Ce n’est rien, répondis-je finalement, on trouvera bien un autre moyen pour pouvoir conserver de l’eau. »

Je me refusais de lui en vouloir pour avoir perdu les gourdes. Après tout, c’est en partie de ma faute si cela est arrivé : c’est en effet moi qui avais décidé de nous précipiter et de rejoindre au plus vite ce bâtiment. Une précipitation qui a provoqué la perte d’Ambrose pendant notre course et qui, par conséquent, a entraîné la perte accidentelle des gourdes, sans doute pas suffisamment bien accrochées à la ceinture de ma partenaire, qui a dû certainement redoubler d’efforts pour nous rattraper.

« Qu’est-ce qu’il fait ici, lui ? Nous demande-t-elle après un court silence en pointant du doigt Thorn. »

Je secoue brièvement la tête avant de me retourner vers lui. Je constate qu’il était désormais en train de serrer de sa main droite l’un de ses deux tridents, toujours accroché à un filet de pêche sur son dos. Rubia – qui s’était assise quelques secondes plus tôt – fut comme réanimé lorsqu’elle entendit le nom du Quatre prononcé par Ambrose et se releva brusquement.

« Bonne question, répond-elle avec agacement. Blase, continue-t-elle en se tournant vers moi, je ne comprends pas pourquoi ce chien est encore en vie, il est temps de lui régler son compte. »

Visiblement, c’en fut également assez pour Thorn qui tira avec vigueur son arme hors de son filet.

« Alors approche et bat toi, grande gueule, crache-t-il en guise de réponse sous le ton de la provocation. »

Je tente de la retenir une nouvelle fois en posant ma main sur son épaule mais cette fois-ci, plus rien ne pouvait l’arrêter. Le pêcheur venait de déchaîner la machine à tuer. Rubia me repousse d’un geste agressif et commence à se ruer vers Thorn, le sourire en coin. Ce dernier n’eut pas même le temps de faire un seul geste que Rubia lui rentra dedans, la tête la première, sans se donner la peine de réfléchir. Le Quatre s’écroula sur son dos et laissa glisser sans le vouloir son trident hors de ses mains. Il ne pouvait strictement rien faire face au poids de ma coéquipière qui en profita pour le frapper à de nombreuses reprises au visage. Thorn tenta par deux fois de récupérer son arme dans le but de se protéger mais cette dernière était complètement hors de portée. Devrais-je laisser ces deux-là s’entretuer ? Après tout, il n’y a qu’un seul vainqueur dans ces Jeux, alors pourquoi m’embêterais-je à éviter un combat entre deux tributs qui se détestent l’un l’autre ? Rubia était entré dans une fureur frénétique et ne pouvait s’arrêter de marteler Thorn, alors que ce dernier ne montrait désormais plus aucun signe de résistance. Tout bien réfléchi, je m’élance vers elle et la dégage de force de sa victime. Elle tente de s’échapper de mon emprise en se débattant comme une chienne enragée, mais je parviens tout de même à la maîtriser.

« Calme-toi, bon sang ! Lui criai-je dans ses oreilles. Tu vois bien qu’il a eu son compte, non ? »

En effet, elle avait complètement défiguré Thorn à l’aide de ses gants cloutés, qu’elle n’avait pas même eu le temps de nettoyer après s’en être servi lors du bain de sang. Le pauvre n’a certainement pas vu arriver ce qui lui est tombé dessus et a dû complètement sous-estimer la force de son adversaire. Voilà ce qui arrive quand on veut jouer au con. Encore heureux que j’ai empêché Rubia de continuer son enchaînement et que ses clous étaient particulièrement usés et pas très pointus, auquel cas il n’en serait plus rien de la boîte crânienne du Quatre.

« Je ne me calmerais que lorsque j’aurais entendu ce foutu coup de canon résonner dans mes oreilles. »

Mais les secondes passèrent et toujours rien. Pourtant le corps de Thorn n’avait toujours pas bougé d’un pouce. De son côté, Ambrose m’avais rejoint en descendant de son balcon pendant que les deux autres étaient occupés à se battre. Elle n’avait cependant laissé échapper aucun mot de sa bouche : elle ne voulait décidément pas prendre part au conflit. L’aurait-elle fait si j’étais en train de me battre à la place de Rubia ? J’ose espérer que oui, on s’était juré de se protéger l’un l’autre coûte que coûte avant le commencement des Jeux ; et puis après avoir perdu involontairement les gourdes lors de sa course, cela aurait été une bonne occasion pour elle de se racheter auprès du groupe.

Soudainement, alors que l’on commençait à croire que les juges avaient oublié de coller un mouchard sous la peau de Thorn, celui-ci se réveilla si brusquement qu’il nous fit tous les trois bondir de trois centimètres. Etant donné qu’il avait visage orienté vers le plafond, le mélange de sang et de salive qu’il venait de recracher lui était retombé en pleine figure. A l’entendre, on pouvait en déduire qu’il était à deux doigts de s’étrangler. « Dégueulasse » avait l’air d’exprimer Ambrose en grimaçant tandis que mon regard croisa celui de Rubia au même moment. On partageait tous les deux un sentiment de stupéfaction mélangé à de la confusion. « Il est vraiment coriace, ce taré » avait-on l’air de se dire à nous-même. Mais alors que j’avais gardé mon calme, elle ne put de son côté s’empêcher de grogner lamentablement. Elle était prête à finir Thorn une fois que ce dernier sera à nouveau debout. Et ça n’allait sans doute pas tarder, étant donné que le tribut du Quatre avait l’air de s’en remettre plutôt rapidement de sa précédente raclée. En effet, il prenait désormais appui sur son pied droit tandis que son genou gauche était posé sur le sol. Entre deux essoufflements, il prit le temps de vomir ses derniers échantillons d’hémoglobine avant de débarbouiller son visage ensanglanté. Pas de doute, Rubia l’avait bien amoché, mais les dégâts n’étaient pas aussi graves que je le pensais à première vue. En le regardant plus en détail, je pu observer que son œil droit était complètement injecté de sang. Je n’imagine pas à quel point cela doit être affreusement pénible pour lui, sa vue doit en être certainement affectée, et je n’ai pas encore mentionné cette sensation de picotement qu’il doit également endurer. Après quelques secondes de repos, Thorn tâta le sol de ses mains abîmées à la recherche de son trident, puis, après l’avoir retrouvé, il se mit lentement à lever ses yeux vers nous tout en se redressant sur ses deux jambes, avec néanmoins encore un peu de difficulté. Il se mordit les lèvres avant de se racler la gorge pour enfin défier Rubia du regard.

« C’est tout ce que t’as ? Dit-il en s’efforçant d’articuler »

Étonné de sa réplique, je hausse sans le vouloir mes sourcils. Je dois reconnaître qu’il en a une sacré paire, ce type. Alors que Rubia s’apprêtait à engager le deuxième round, je tente de l’empêcher une nouvelle fois d’agir mais elle me repousse violemment de ses bras. Déterminé, je cours me placer entre les deux tributs. Je ne voulais pas que la même scène se reproduise. J’écarte mes bras vers les deux adversaires et essaye tant bien que mal de les maintenir à distance l’un de l’autre.

« Stop ! Crai-je. On arrête, maintenant. Je pense que vous vous êtes suffisamment battu pour aujourd’hui.

– Ne me dis pas que tu comptes laisser ce salopard s’enfuir, Blase ? S’insurge Rubia en me lançant un regard confus.

– Bien sûr que non…

– Alors qu’est-ce que tu attends de moi ? Me coupe Thorn, presque aussi perdu que son ennemie.

– Joins-toi à nous, lui répondis-je avec fermeté. Tu veux retrouver Mesaline, n’est-ce pas ? La fille de ton district ? (Je marque une pause, attendant une quelconque réponse de sa part, mais aucun mot ne semblait vouloir sortir de sa bouche) Tu cherches à la protéger, je comprends. Intègre notre meute et on la cherchera ensemble. Aide-nous à chasser les autres tributs et je te promets en retour qu’il ne lui sera fait aucun mal. (Il secoua la tête de gauche à droite en souriant) Qu’est-ce qu’il y a ?

– Tu veux que je te rejoigne ? Moi ? Questionne-t-il en se moquant. Avec cette taré qui a failli me tuer il n’y a même pas quelques secondes ? (Il pointe du doigt Rubia) Désolé mais j’ai comme l’impression qu’elle n’a pas vraiment l’air de vouloir m’accepter.

– Blase, s’énerve Rubia en m’attrapant le bras, je t’en supplie dit-moi que c’est une blague. Dit-moi au moins qu’il s’agit d’une ruse, que dès que l’on aura retrouvé cette fille on les tuera tous les deux.

– Non, je suis sérieux, dis-je en me dégageant de son emprise. Trek est mort, ce n’était bien évidemment pas prévu. Mais rester à trois, ce ne sera pas suffisant et beaucoup trop risqué si l’on compte traquer nos adversaires. Il nous faut quelqu’un pour le remplacer (mon regard se tourne quelques instants vers Thorn) et si ce quelqu’un peut convaincre un autre tribut de nous joindre à son tour, ce sera extrêmement bénéfique pour nous.

– Nous trois, pas suffisant ? Répète-t-elle en haussant le ton. Les autres tributs ne feront pas le poids face à nous, même s’ils sont à plusieurs au même endroit. On est plus fort qu’eux.

– Dois-je te rappeler ce que l’on a vu toi et moi lors des phases d’entrainements avant les Jeux ? Dois-je te rappeler les scores anormalement élevés de la plupart des autres tributs après les évaluations des juges ? (Son visage se crispe, elle gratte ses courts cheveux roux, coiffés comme un garçon l’aurait fait) Nous ne sommes pas dans des Jeux ordinaires. Cette année, c’est différent. Ce ne sont pas des tributs comme les autres, là dehors. Tous sont déterminés, tous sont motivés et animés par la haine qu’ils éprouvent vis-à-vis de leurs proches ayant voté pour eux lors de la moisson. Et même si tu penses le contraire, dis-toi que certains ont certainement dû voté leur meilleur combattant, dans l’espoir de voir leur district remporter cette édition.

– Très bien, soit, répond-elle calmement après un court silence. Mais je ne pourrais jamais pardonner cette pourriture pour avoir tué Trek, continue-t-elle en fusillant du regard le tribut masculin du Quatre.

– Bon sang, oublie ça tu veux ? Trek est mort. Ce qui est arrivé est arrivé, point. Il a fait l’erreur de se jeter sur Thorn, celui-ci n’a fait que se défendre, tu ne peux pas le blâmer pour ça !

– Oh parce-que tu as vraiment cru ce qu’il a dit ?

– Qu’importe ce que je crois, tout ce que je te demande, c’est de me faire confiance. Et puis de toutes façons, si toi et Trek étiez les deux derniers survivants à la fin, qu’est-ce que tu aurais fait, hein ? (Elle fit la grimace avant de regarder ses pieds) C’est bien ce que je croyais.

– Si je comprends bien, intervient Thorn, je n’ai pas vraiment le choix, n’est-ce pas ?

– Dans un sens, oui, lui répondis-je. Tu tiens à peine debout, tu es faible. Nous sommes ta seule chance pour survivre et pour espérer retrouver Mesaline.

– Je vous rejoint, on cherche Mesaline ensemble, on se débarrasse des autres tributs… et une fois ceci fait, chacun part de son côté ?

– Chacun part de son côté, je répète en acquiesçant. »

Thorn prit toutefois le temps de réfléchir, il hésita quelques secondes avant de plonger à nouveau son regard dans le mien. Il me dévisagea un court moment avant de finalement hocher la tête brièvement, ce qui fut suffisant pour me prouver son acceptation du marché. Je dirige mon regard à nouveau vers Rubia. Celle-ci acquiesça avec autant – si ce n’est plus – de difficulté.

« Je n’en ai pas encore fini avec toi, dit-elle en néanmoins en s’adressant au tribut de la pêche. On est peut-être alliés tous les deux désormais, mais saches que si tu foire quoi que ce soit, et je dis bien quoi que ce soit, je te tuerais sans hésiter. Et je te promets également ceci : une fois notre petit arrangement arrivé à terme, je serais celle qui règlera ton compte une bonne fois pour toute.

– Encore faudra-t-il survivre jusqu’à ce moment-là, lui répond finalement Thorn dans un murmure. »

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