Une vie

Chapitre 12 : LES TERRITOIRES DU SUD

5288 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/03/2024 11:46

CHAPITRE 12

LES TERRITOIRES DU SUD


 

Les villageois l’avaient profondément déçue ; les humains en général. Pourquoi ne voulaient-ils pas comprendre ? Ils l’avaient acceptée quand elle était arrivée ; elle n’était pas différente de maintenant ! Elle les avait défendus, avait participé à la vie locale afin de mériter son hébergement et en guise de remerciement, ils avaient été à deux doigts de lui sauter dessus avec toutes les armes qu’ils pouvaient trouver.

 

—   Idiots d’humains ! soupira-t-elle en marchant.

 

Elle était à nouveau livrée à elle-même alors que l’hiver se rapprochait et se faisait sentir. Mais par chance, la région dans laquelle elle errait fourmillait de sources chaudes. C’était déjà ça. En plus, Tai-chan adoptait sa forme « adulte » et elle en profitait pour dormir contre ses flancs, recouverte de sa queue. Mais ce n’était pas pareil. Pas la même chose que LUI. Tai-chan était beaucoup plus démonstratif en affection mais il n’avait pas SA « chaleur ». Il n’avait pas SON charisme, SA force, SA voix, SON regard.

 

Rin se leva avant même que la nuit ne s’achève et quitta le doux cocon de son compagnon. Elle s’assit quelques mètres plus loin, au bord de la source et ramena ses genoux sous son menton. Tai-chan qui avait ouvert l’œil la suivit simplement du regard et huma l’air. Il pouvait sentir la tristesse de Rin et l’entendre murmurer tout bas :

 

—   Sesshoumaru-sama ! Où êtes-vous ? Que faites-vous à présent ? Est-ce que vous vous êtes retiré au palais comme vous le faites chaque hiver ? Est-ce que vous pensez quelque fois à votre petite Rin tout comme moi je ne cesse de penser à vous ? J’en doute. Vous m’avez chassée définitivement mais je n’arrive pas à vous oublier. Vous me manquez … énormément. Plus que je ne saurais vous le dire. Je pensais pouvoir commencer une nouvelle vie dans ce village mais le rejet que j’ai subi de la part des habitants m’a fait encore plus mal que votre répudiation. Sesshoumaru-sama ! Je crois que je vais devenir folle ; je ne supporte plus d’être loin de vous.

 

Là-dessus, elle éclata en sanglots. Aussitôt après, elle sentit quelque chose de chaud l’envelopper. Tai-chan. Il s’était assis tout contre elle de manière à ce que la petite forme de la jeune femme puisse se nicher entre ses puissantes pattes antérieures. Il baissa la tête pour la recouvrir plus sûrement. Rin se retourna et fit face au poitrail du youkai. Elle s’accrocha désespérément à sa fourrure et pleura franchement. Tai-chan émit quelques gémissements plaintifs. Même s’il ne comprenait pas la cause de la douleur de sa maîtresse, il resterait toujours à ses côtés.

 

—   Tai-chan, articula-t-elle entre deux sanglots. Si tu savais comme il me manque !

L’inumata releva légèrement la tête. Puis il administra quelques coups de langues sur le visage de Rin à plusieurs reprises pour qu’elle sèche ses larmes.

 

—   Merci, Tai-chan !

 

Rin s’efforça de stopper ses pleurs qu’elle finissait par trouver ridicules. Le « mal » était fait. Mais elle gardait encore espoir qu’un jour, elle rencontrerait quelqu’un qui l’accepte telle quelle est. Après tout, tante Kagome, une humaine, s’était bien mariée avec oncle Inuyasha, un hanyou. La cohabitation était donc possible.

 

—   Bon, allez ! C’est pas tout ça mais il faut que je me calme. Une chance qu’on a trouvé cette onsen, pas vrai Tai-chan ?

 

Rin se releva et entreprit de se déshabiller. Après avoir retiré son hakama qu’elle plia soigneusement, elle défit la ceinture qui maintenait son haori croisé sur sa poitrine. Mais tout à coup, en voulant retirer l’unique vêtement dont elle était encore pourvue, elle s’arrêta net et resserra les pans de sa tunique comme si elle avait senti que quelqu’un l’épiait. Elle se retourna et vit que Tai-chan l’observait d’un air curieux.

 

Pourquoi éprouvait-elle de la gêne face à lui ? Ce n’était pas la première fois qu’il veillait sur son bain ! Alors d’où venait cet excès de pudeur injustifié ? Son regard. Le regard de Tai-chan. Son unique œil. Sa couleur ambrée. Rin déglutit lourdement puis finit par s’adresser à son compagnon :

 

—   Tai-chan, s’il te plaît, j’aimerais que tu te retournes.

 

Un moment passa avant que l’inumata ne s’exécutât. Une nouvelle lubie de sa maîtresse. Mais le regard de Rin était tellement implorant.

 

—   Je te remercie.

 

Rin put enfin se dévêtir complètement et entra bien vite dans l’eau sans quitter son compagnon des yeux. Être de dos ne lui interdisait pas de tourner la tête. Il valait mieux être vigilant, même s’il s’agissait d’un animal et que ses réactions n’étaient pas forcément similaires à celles d’un être humain. Rin procéda donc à sa toilette et prit le temps de profiter de la source chaude. Quel plaisir ! Ses muscles se délassaient et les tensions qu’elle avait pu ressentir au niveau de certaines articulations disparaissaient comme par enchantement.

 

L’eau était chaude et apaisante. Elle décida de rester aussi longtemps qu’elle le souhaitait quitte à ressortir avec la peau des doigts et des orteils complètement fripée. Après tout, personne n’attendait son tour et elle n’avait aucune obligation de se lever tôt le lendemain. Il fallait en profiter le plus possible sous le regard vigilant et parfois inquiétant de son gardien.

 

Les minutes s’égrenaient dans le silence, excepté pour les habitants de la forêt qui avaient une vie nocturne. Mais au bout d’un temps trop court pour Rin, la quiétude fut interrompue par des bruits inhumains qui semblaient relativement proches. La jeune femme pouvait entendre de manière assez faible toutefois, le bruit de l’eau. Cela devait venir de la rivière qu’ils avaient traversée il y a peu. Rin se prépara à abréger son repos pourtant bien mérité quand elle eut un déclic.

 

Elle ne sait pas pourquoi mais cette situation lui était familière ; la dernière fois qu’elle était intervenue pour dissiper des fauteurs de trouble qui avaient perturbé son sommeil, elle s’était ensuite retrouvée avec Tai-chan. Non ! Cette fois-ci, sa curiosité ne l’emporterait pas. Si danger, même infime, il y avait, elle enverrait son compagnon rétablir le calme. Cela lui ferait un peu de mouvement et puis il ne s’offusquerait pas puisqu’il ne prenait pas de bain, lui. Elle s’enfonça un peu plus profondément dans l’eau chaude.

 

Soudain, un puissant grognement fit vibrer les alentours jusqu’à la surface de l’eau. Les cheveux de Rin faillirent se dresser sur sa tête et un frisson parcourut son échine. Jamais elle n’avait été aussi mal à l’aise. Cette fois, il fallait sortir. Elle quitta l’onde dans la précipitation et constata que Tai-chan était déjà en position d’attaque : babines retroussées, crocs exhibés, poils dressés. Une chance qu’au moins lui était prêt et qu’il n’avait pas à se soucier d’enfiler des vêtements pour se lancer dans la mêlée. Elle se vêtit uniquement de son haori qui lui arrivait à mi–cuisse et se saisit de son sabre.

 

Rin et Tai-chan se dirigèrent sans plus attendre vers la source des bruits qui devenait de plus en plus inquiétants. Toujours l’eau que l’on frappait brutalement, les grognements et, si ses oreilles ne la trompaient pas des battements d’ailes. C’était certainement deux animaux en train de se livrer combat. Oui mais même le hurlement d’un ours ne causait pas autant de remous sur l’eau ! Une seule explication : ce devait être un youkai.

 

La jeune femme et le quadrupède progressaient lentement. Encore quelques pas, quelques buissons écartés et puis… Rin s’arrêta net et ses yeux s’arrondirent tout à fait.

 

Deux énormes animaux ! Deux youkai ! Elle ne s’était pas trompée. Ces derniers luttaient. Encore une fois elle avait eu raison. Le premier, un ours géant. L’intuition féminine est on ne peut plus correcte. Le monstre s’en prenait à un volatile. C’était le froissement d’ailes qu’elle avait cru percevoir ! Mais l’oiseau qui était de la même taille que son agresseur avait quelque chose de plus fin, de plus gracieux, presque noble. On aurait dit un cygne. Son plumage d’un blanc immaculé était recouvert de tâches de sang et on pouvait deviner sur son corps de sévères entailles que l’ours n’avait pas manqué de lui infliger.

 

Les deux bêtes étaient tellement engagées dans leur combat qu’elles n’avaient même pas senti deux présences étrangères alors que cela faisait quelques secondes que Rin et Tai-chan étaient à découvert. Si Sesshoumaru avait été l’un des combattants, il est clair qu’il se serait d’abord débarrassé des intrus. En somme, ces deux youkai étaient soit inconscients, soit des démons de très basse classe.

 

Rin se dégagea de cette digression et reporta ses yeux sur le combat. Elle ne pouvait s’empêcher de se sentir mal pour le volatile. L’ours le malmenait, tentait de l’assommer de l’une de ses grosses pattes qui heureusement atterrissait dans l’eau, ou de mordre son adversaire au cou. Le cygne apparemment, se contentait d’esquiver les coups en raison de son état de faiblesse ; il devait avoir perdu beaucoup de sang. En plus, il ne disposait pas des mêmes armes meurtrières que son opposant. Ni griffes, ni crocs. Et ce n’était pas quelques malheureux coups de bec qui allaient mettre le plantigrade en fuite.

 

Mais pourquoi ne s’envolait-il pas s’il n’était pas capable se riposter ? Ce serait facile d’échapper à ce gros lourdeau ! Oui. Ce serait facile si l’aile gauche du cygne n’était pas ballante le long de son corps. Mais Sesshoumaru, lui, n’avait jamais eu de problème pour se battre, même avec un bras en moins !

 

Ne pouvant plus en supporter davantage devant ce combat perdu d’avance, Rin se résolut à intervenir en faveur de l’animal blessé. Encore une fois, une sensation de déjà vu ressurgissait dans son esprit.

 

—   Tai-chan, reste-là. Je n’en aurai pas pour longtemps.

 

Aussitôt dit, la jeune femme se rapprocha des deux youkai en hurlant à pleins poumons, tel un animal sauvage, et en brandissant son sabre au-dessus de la tête. Pas très distingué comme technique ! Plutôt barbare même. Elle avait pourtant reçu de bonnes leçons du youkai ! On aurait dit un vulgaire paysan en train de manier la bêche.

 

Elle se retrouva en face des deux youkai. Le cygne gisait dans la rivière tandis que l’ours la dévisageait dangereusement, les crocs visibles et les babines retroussées, furieux d’avoir été interrompu dans son combat. Qui était cette imprudente et impertinente petite humaine qui osait s’interposer entre son repas et lui ? Il s’éloigna progressivement du cygne inconscient pour se rapprocher de la berge d’où le narguait Rin, un sourire provocateur plaqué sur son visage. Cette réaction était assez amusante. Rin se remémorait Sesshoumaru juste avant qu’il ne supprime quelqu’un. Elle avait dû acquérir ce réflexe par inadvertance.

—   Eh le gros ! Arrête de t’en prendre à lui plus longtemps !

 

À ce moment, l’ours se dressa sur ses pattes postérieures ce qui le rendit encore plus imposant. Il ne pouvait souffrir davantage de provocation. De sa gueule béante sortit un râle assourdissant qui effraya les animaux cachés alentours. Mais cela ne suffit pas pour que Rin détale ; au contraire, elle faisait toujours face et on pouvait sentir dans sa voix une touche de mépris, autre trait qu’elle a involontairement assimilé :

 

—   Si tu crois qu’un youkai de basse classe comme toi m’impressionne !

 

Sans se répandre plus longtemps en paroles, Rin bondit sur son adversaire et lui asséna à la vitesse de l’éclair un coup de sabre qui décapita instantanément le youkai. Le cadavre s’affala dans la rivière alors que la tête fut entraînée par le courant. Pour se débarrasser complètement du gêneur et agresseur de l’autre youkai, elle découpa le reste du corps en quartiers qu’elle laissa aux bons soins des charognards. Elle aurait très bien pu s’en prélever une portion mais l’idée de manger de cette chair, manger du youkai, ne l’enthousiasmait nullement. Ironiquement, elle se demandait bien pourquoi.

 

Une fois, la tâche finie, Rin leva la tête vers son compagnon qui s’était approché.

 

—   Tu vois ! Je t’avais dit que ce serait vite fait ! Je progresse, tu ne trouves pas ? s’exclama-t-elle avec un grand sourire

 

Tai-chan l’attendait sur la rive, la tête penchée sur le côté suite à cette remarque. Quand Rin voulut revenir auprès de son compagnon, elle s’arrêta devant le corps du youkai cygne et le considéra sérieusement. Elle leva ensuite les yeux vers son quadrupède. Celui-ci comprit immédiatement et entra aussitôt dans l’eau. Sortir le corps ne représentait pas un problème insurmontable, même si Tai-chan n’avait pas une aussi grande taille que Sesshoumaru, mais comment soigner un youkai blessé ?

 

Rin retourna quelques années en arrière. Après tout, ce n’était pas bien difficile ! Et puis au moins, celui-là  ne risquerait pas de montrer les crocs si jamais elle s’approchait un peu trop près de sa précieuse personne. Dans le pire des cas, il lui pincerait le doigt ! Cette situation la fit sourire.

 

Mais à peine retourna-t-elle à la réalité qu’un tourbillon d’air qui semblait émaner du youkai enveloppa ce dernier et empêcha la jeune femme d’approcher. Tai-chan fut aussi maintenu à distance. Mais loin d’être terrorisée par le spectacle, elle observa ce phénomène avec une vive attention. Cela voulait dire, que le youkai reprenait son apparence humaine.

Confirmation fut faite lorsque le vent cessa et que Rin attrapa par les épaules le corps inerte d’un jeune homme avant qu’il ne se fasse lentement traîner par les eaux de la rivière.

 

—   Bon ! Ben… Je crois que ce sera plus facile comme ça, non ? dit-elle en envoyant une œillade à son compagnon.

 

Rin hissa le corps de l’homme sur le dos de l’inu-youkai et tous les deux sortirent de la rivière pour se rediriger vers le campement. Comme Tai-chan marchait devant elle, elle prit tout à coup conscience d’une chose : l’homme était nu. Pourquoi ne l’avait-elle pas remarqué avant ? Elle secoua vigoureusement la tête. La priorité était de le soigner ! Pas le temps de s’attarder sur son anatomie dont elle avait pourtant fait abstraction en plaçant l’homme sur le youkai. Allez ! Plus de temps à perdre dans les réflexions.

 

Elle allongea le blessé sur la couverture qu’elle utilisait pour dormir en prenant soin de cacher immédiatement avec son haori une certaine partie qui aurait pu la déconcentrer. Tai-chan s’allongea perpendiculairement au blessé en présentant ses flancs au niveau de la tête, faisant ainsi barrage de son corps à l’air froid qui pourrait nuire à la récupération du moribond. Rin, de son côté, réactivait le feu pour prodiguer un maximum de chaleur.

 

La jeune femme se saisit ensuite doucement du bras, ou plutôt de l’aile, qui avait reçu la blessure. Elle le manipula avec précaution et remarqua qu’aucun os n’avait été déplacé ou brisé. Tant mieux ! Seule une plaie longue et profonde faisait l’objet de son attention. Elle déchira deux morceaux de tissu de son kimono : le premier pour nettoyer la blessure et le second pour bander cette dernière. Elle courut mouiller le premier bout et revint au pas de course quelques secondes plus tard.

 

Rin nettoya la plaie et une fois la surface propre, serra le bandage assez fortement sans toutefois couper la circulation. Le plus dur était fait mais le youkai ne manifestait aucun signe de réveil. Peut-être avait-il reçu un mauvais coup sur la tête ?

 

Rin posa sa main dans la douce chevelure d’un blanc immaculé du blessé pour déceler une éventuelle bosse ou plaie. Elle souffla, rassurée. Elle en profita pour dégager de son autre main quelques mèches du visage. La base des paupières du youkai était ourlée de rouge tout comme la base de ses yeux. À part cela, aucun marquage spécifique. Enfin, elle enveloppa entièrement le blessé dans sa couverture.

 

Trois heures s’écoulèrent. Le youkai ne bougeait toujours pas pourtant, Rin savait que leur capacité de récupération était impressionnante. Pendant ce temps, la jeune femme s’était rhabillée mais il lui manquait son haori noir et l’état de l’homme l’inquiétait. Elle ne se priva pas d’en faire la remarque à Tai-chan. Ce youkai devait bien avoir un clan, une famille. Il valait mieux le ramener chez lui pour de meilleurs soins.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Tai-chan renifla ardemment le moribond pendant que Rin rangeait le petit campement. Quand son odeur fut bien enregistrée, Rin plaça le youkai avec précaution sur le dos de l’animal et s’installa à califourchon derrière lui pour le maintenir tout contre elle pendant le trajet. Avec un peu de chance, ils n’en auraient pas pour longtemps. Tai-chan s’envola dans les airs.

 

Le soleil commençait à poindre. Magnifique ! Elle n’avait absolument pas fermé l’œil de toute la nuit, elle avait froid et devait veiller sur un youkai qu’elle ne connaissait même pas ! Pourquoi était-ce toujours à elle qu’arrivait ce genre de choses ? Le blessé lui semblait inoffensif, d’accord, mais ce n’est pas parce qu’il avait manqué se faire mettre en pièces qu’il était aussi doux qu’un agneau ! Pourtant, elle en était convaincue.

 

Cela faisait une heure et demie qu’elle était juchée sur le dos de son compagnon. Au moment où elle allait soupirer pour la énième fois, Tai-chan amorça une descente. Pas trop tôt ! Au loin, elle pouvait voir une forteresse moins imposante que celle de Sesshoumaru mais impressionnante tout de même. Apparemment, la personne qu’elle tenait dans ses bras devait être une personnalité. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient, les silhouettes de gardes devaient visibles, et, chose extraordinaire, tous avaient les cheveux blancs. Rin put enfin voir quelques détails de leur habillement : ils n’étaient pas aussi lourdement armés qu’une sentinelle normale. Étonnant ! N’étaient-ils pas conscients des risques de guerre et d’invasions ou bien … est-ce que cette partie du Japon ne connaissait pas les conflits ?

 

Tai-chan atterrit enfin devant un parterre de gardes médusés. Immédiatement, ils s’emparèrent de ce qui leur servait d’arme offensive mais n’avancèrent pas vers les étrangers. Une humaine à moitié habillée, qui plus est comme un homme avec un fardeau dans les bras, juchée sur un youkai borgne. Le spectacle était plus curieux qu’inquiétant. Rin, qui avait assez attendu et qui était pressée d’en finir, débuta la conversation :

 

—   Bonjour, messieurs, fit-elle avec un petit mouvement de tête. Il y a quelqu’un qui appartient à ces lieux et qui aurait grand besoin d’aide.

 

Ce faisant, elle laissa tomber l’un des pans de la couverture pour faire apparaître le visage du youkai toujours inconscient. Les yeux des gardes s’arrondirent et, en un clin d’œil, ce fut l’agitation la plus extrême.

 

—   Aiku-sama !

 

Deux gardes se précipitèrent vers elle et lui retirèrent le blessé des bras, un troisième aida les deux premiers à transporter le youkai, un quatrième ouvrit la porte de la citadelle et un dernier resta auprès de Rin qui descendit de sa monture et se dérouilla les articulations passablement ankylosées et contractées en raison de sa position statique. Elle adressa un franc merci à son compagnon, qui, sous le coup de la fatigue, adopta sa petite forme. Rin se baissa pour le saisir et le placer sur son épaule.

 

La jeune femme attendit tranquillement pour connaître l’évolution de l’état du blessé mais elle ne put supprimer un bâillement très long. Le garde était toujours à ses côtés mais ne semblait pas vouloir entamer la conversation pour au moins lui demander si elle allait bien. Pays de barbares ! Elle prit les choses en main et voulut lui demander s’il connaissait un endroit où dormir bien qu’il fît jour quand un autre youkai franchit la porte par laquelle les soldats et le blessé s’étaient engouffrés et s’arrêta devant elle. Ce n’était pas un soldat.

 

D’après ses vêtements, il devait occuper un certain rang, peut-être un notable ou le chef des lieux. Elle observa son visage maintenant qu’elle avait enfin la possibilité d’examiner un youkai cygne de près et parfaitement conscient. Elle fut immédiatement frappée par un détail : la partie normalement blanche de l’œil était noire en plus de l’iris. Assez troublant.

 

Mais tout comme celui qu’elle avait sauvé, Aiku comme l’avaient nommé les gardes, le contour de l’œil et le bord de la paupière étaient rouges. La chevelure était de la même couleur de neige et certainement cotonneuse mais plus longue et reliée en un catogan. Quelques mèches de longueur inégale encadraient son visage. Ses traits étaient fins, ses sourcils très bien dessinés. En plus, elle trouvait qu’il avait un port assez altier alors que ses yeux, deux énormes billes noires, dispensaient une petite lueur d’espièglerie. Minute ! Et si c’était … Il avait l’air jeune, mais comme il s’agissait d’un youkai…

 

—   Jeune dame, fit le youkai, merci d’avoir sauvé et ramené mon fils.

 

Elle n’eut pas le temps de répondre qu’une violente accolade de la force d’un ours lui coupa le souffle. Tai-chan fut tellement effrayé que le poil de son échine se dressa. Rin resta aussi raide qu’un piquet, les bras le long du corps. Quelques secondes plus tard, le youkai daigna enfin la relâcher pour son plus grand soulagement. Eh bien ! Si elle s’était attendue à cela ! Avait-il au moins conscience qu’il venait de toucher une humaine ? Peut-être que sa vue lui jouait des tours, qu’il n’avait pas suffisamment de flair pour savoir de quelle race elle était ou tout simplement qu’il était dans un état de sénilité précoce !

 

Quoi qu’il en soit, elle n’allait pas se monter ingrate face à ce démon qui la surprenait. Maintenant qu’elle était remise de sa frayeur, elle s’agenouilla face à lui et lui rendit la politesse due à son rang qu’elle ignorait toujours mais qu’elle pensait deviner.

 

—   Je vous en prie, Monseigneur. C’était tout naturel, dit-elle en inclinant la tête.

Rin fut surprise de sentir une main sur chaque épaule lui intimant l’ordre de se relever. Elle s’exécuta et osa regarder le youkai droit dans les yeux. Elle y pouvait clairement y lire de l’attendrissement.

 

—   Mon enfant, lui dit-il sur un ton paternel, je t’en prie. Pas de mondanités. C’est un père qui te parle et non le souverain d’une nation ; un père reconnaissant de voir son fils en vie. Je me nomme Kagami. Quel est ton nom ?

 

J’avais vu juste ! Le souverain ! Je viens de sauver le fils d’un seigneur youkai !

 

—   Et bien, reprit la jeune femme, je m’appelle Rin, Kagami-sama.

 

Le youkai sourit devant la gêne de l’humaine. Il retira ses bras et observa sa bienfaitrice. Il s’inquiéta tout à coup de son état. Elle devait avoir froid mais aussi être complètement fatiguée.

 

—   Accepterais-tu de venir te reposer et te restaurer chez nous. Apparemment, tu manques de sommeil et c’est une bien maigre compensation par rapport à ce que tu as accompli, Rin-chan.

 

Surprise par cette requête, Rin écarquilla les yeux. Un youkai qui accepte de côtoyer une humaine, qui l’étreint tellement fort qu’elle en a le souffle coupé et qui lui demande de venir sous son toit ?! On aura tout vu !

 

—   Je ne voudrais pas vous froisser, Kagami-sama, mais je suis … humaine. Il serait malvenu …

 

Un énorme éclat de rire franc et guttural l’interrompit. Kagami se tenait les côtes et des larmes se formaient aux coins de ses yeux. Qu’y avait-il de drôle dans ce qu’elle venait de dire ? Avait-elle fait un lapsus ? Tai-chan, révéillé par ce fracas, ouvrit l’œil pour détecter la source de son dérangement et arqua les sourcils. Il était vraiment bizarre ce youkai.

 

—   Ah ! Ah ! Ah ! Rin-chan ! finit-il pas articuler entre deux crises de rire. Je ne sais pas de quelle contrée barbare tu arrives mais sache que dans les territoires du Sud, ningen, hanyou et youkai vivent en paix et sur le même pied d’égalité. Alors ne t’inquiète pas et accepte mon hospitalité.

 

Le youkai finit par se calmer et sécher ses larmes de joie. Jamais il n’avait passé un si bon moment. Il tendit la main à Rin pour qu’elle le suive. Cette dernière regarda Tai-chan du coin de l’œil pour son approbation. Même s’il avait passé une nuit blanche et été réveillé par un rire inhumain, le chien battit frénétiquement de la queue.

 

—   Entendu, répondit Rin qui avait du mal à cacher sa fatigue.

 

Le sourire du seigneur des territoires du Sud s’élargit davantage. Rin aurait presque pu parier qu’il allait sauter de joie tellement il était heureux. On aurait dit un grand enfant qui venait de recevoir le plus beau des cadeaux. Il s’adressa au garde qui était resté non loin d’eux.

 

—   Dites au personnel de préparer une chambre, un bain et un repas pour notre invitée, Rin-chan, celle qui a sauvé la vie de mon fils.

 

Le garde hocha la tête puis courut rejoindre le palais dispenser les ordres de son souverain. Pendant ce temps, Rin marchait aux côtés de Kagami. Ils traversèrent une grande allée bordée de maisons abritées par les hauts murs de la citadelle. L’heure matinale voyait les habitants se réveiller et commencer leurs tâches quotidiennes.

 

Quelle ne fut pas la surprise de Rin quand elle vit sortir d’une habitation un humain saluer poliment son voisin youkai qui lui rendit la pareille avec le sourire. Les deux hommes en voyant leur souverain déambuler dans le village lui firent part de leur respect. Ce n’était pas tout. Deux femmes, une humaine et une youkai, préparaient ensemble le petit déjeuner côte à côte. Sans compter les hanyous ! Enfants et adultes qui se mêlaient à ce petit échantillon de la population.

 

Rin dut se frotter les yeux plusieurs fois. Soit elle était vraiment très fatiguée et avait la berlue, soit l’endroit dans lequel elle se trouvait était bien réel. Si seulement oncle Inuyasha pouvait voir cela ! Si seulement Sesshoumaru-sama était présent !

 

Elle regarda Kagami d’un air interrogateur. Ce dernier affichait toujours la même jovialité et se promenait nonchalamment, les mains croisées derrière le dos, tel un bon patriarche. Il pouvait être fier de son royaume et de cette symbiose entre les différentes races. Rin dut se rendre compte de quelque chose qui lui déplaisait : elle devait effectivement venir d’une contrée barbare où les humains et les démons passaient le plus clair de leur temps à s’entretuer au lieu de cohabiter.

 

Perdue dans ses pensées, Rin ne remarqua même pas qu’elle était arrivée au palais. Il n’était pas aussi imposant que celui de son ancien maître mais il émanait de lui autant de noblesse. Kagami s’arrêta devant deux servantes : une youkai et une hanyou. La première portait des serviettes et du savon ; la seconde, des vêtements propres.

 

—   Je te laisse entre les mains de ces charmantes demoiselles, Rin. Tu pourras leur demander tout ce que tu veux.

 

Kagami prit congé d’elle probablement pour aller au chevet de son fils.

 

—   Rin-san, dit la femelle hanyou, si vous voulez bien nous suivre votre bain vous attend.

—   J’arrive, mais … hésita-t-elle, il peut venir aussi ? termina-t-elle en désignant Tai-chan du pouce.

 

Les deux servantes sourirent.

 

—   Bien sûr, répondit la youkai, même votre sabre.

 

Sur ce, Rin se laissa guider. La perspective d’un bon bain suivi d’un repas puis d’un repos largement mérité lui donnèrent encore la force de se mouvoir. Peut-être en saurait-elle un peu plus sur ce drôle de royaume. Si elle rêvait, elle souhaitait ardemment ne pas se réveiller.


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