Une vie

Chapitre 14 : C'EST COMME SI TOUT RECOMMENCAIT

8296 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 24/03/2024 11:10

CHAPITRE 14

C'EST COMME SI TOUT RECOMMENCAIT...

 

Les premiers froids se faisaient ressentir, moins durement que sur les terres de Musoshi, situées au nord et comprenant logiquement les Territoires de l'Ouest mais l'hiver était apparu à la plus grande joie de tous les heureux habitants. Cette période qui marquait un relâchement de l'intensité belliqueuse pour les «barbares » comme les nommaient affectueusement les habitants, était une période festive pour ceux qui était sous la protection du vieux youkai. Rin avait pu assister et même participé à la préparation de la « hanabi-matsuri », une fête où le ciel se paraît des plus beaux feux d'artifice.

 

Tout le monde semblait en paix dans cette région. Rin avait pu le remarquer. Jamais elle n'avait vu les youkai qui l'entouraient porter d'armes, excepté la garnison qui était postée à l'extérieur de la grande muraille qui ceignait la ville. Elle trouvait ce peuple étrange, voire inconscient. Mais elle sentait bien que les autochtones partageaient ce même sentiment vis-à-vis d'elle.

 

Quand elle avait demandé à Kagami de pouvoir mériter son séjour, elle entendait faire partie de la garde. Kagami refusa et consigna la jeune femme dans un rôle inattendu : garde du corps. Mais pas de n'importe qui : celui de son fils. Rin fut d'abord surprise et ne put s'empêcher de glousser. C'est vrai que le youkai qu'elle avait sauvé lui avait fait un certain effet lors de sa venue au dîner ce fameux soir. Sur le coup, Rin devint rouge.

 

Kagami remarqua l'embarras de la jeune fille mais se garda bien d'en faire mention devant elle. Si l'état écarlate de Rin était bien dû à ce qu'il pensait, alors il était sûr d'avoir fait mouche. Pour éviter de passer pour un entremetteur, Kagami demanda innocemment à Rin:

—   Est-ce que ce rôle ne te convient pas ?

—   Si ..., si ... Kagami-sama, bredouilla Rin.

—   Tu n'as pas l'air tellement enjouée on dirait, je dirai même que tu es plutôt déçue.

—   Non ! s'insurgea Rin qui regarda Kagami droit devant les yeux. C'est juste que ... simplement ...

—   Quoi ? demanda le youkai en tentant de réprimer fortement le sourire qui menaçait d'apparaître.

—   J ... je crois qu'il n'a pas vraiment besoin d'un garde du corps, avoua-t-elle honteusement à demi-mot.

—   Balivernes ! Si tu n'étais pas intervenue, il ne serait plus de ce monde !

 

Rin fut un peu plus brave.

 

—   Mais que risque-t-il dans ces murs ? Et puis, comme nous sommes en hiver, il y aura très peu d'occasions de sortir.

Kagami adopta cette fois un air faussement outré et menaçant.

—   Je ne comprends pas ton refus, Rin-chan. Est-ce que par hasard ... tu détesterais mon fils ?

—   Grands dieux ! Bien sûr que non !

 

Kagami lui sourit de son air de patriarche béat. Rin adopta à nouveau la teinte qu'elle avait au début de la conversation. Le souverain venait de la manipuler. Dieu seul sait ce qu'il avait derrière la tête.

 

—   Soit ! J'accepte... quoique je ne vois toujours pas l'intérêt de le protéger.

—   Je n'en attendais pas moins de toi. Mais, rajouta-t-il de manière énigmatique, t'ai-je dit que ton rôle se limiterait uniquement à de la protection?

 

Sur ce, le youkai, ravi d'avoir fait céder la jeune fille de manière assez déloyale tout de même, s'éloigna en laissant derrière lui une Rin plus que confuse. Intérieurement, la jeune femme était plus qu'heureuse de se retrouver avec le fils aîné de Kagami mais d'un autre côté, elle était terriblement nerveuse. Que faudrait-il faire en plus de la protection ? Devrait-elle lui servir de dame de compagnie ? Elle n'était pas une geisha tout même ! Elle n'avait aucune conversation artistique ! Seuls les youkais, les armes, et les fleurs l'intéressaient ! Un coup d'œil à ses pieds pour observer Tai-chan. Qu'est-ce qu'elle aimerait être à sa place en ce moment ! Il ne se posait pas autant de questions, lui !

 

Toujours est-il que le lendemain de la « négociation du contrat », Kagami veilla personnellement à ce que la jeune fille ne quitte plus son aîné d'une semelle. Il était à deux doigts de les lier par une corde. Rin prit aussitôt ses fonctions tout en conservant ce rose aux joues que le souverain avait fini par interpréter comme un bon signe. Son fils faisait de l'effet et la réciproque, qui n'était pas aussi visible, lui parvenait directement aux oreilles par la cadence accélérée des battements de cœur d'Aiku.

 

Être en compagnie du fils du souverain, ce youkai qu'elle avait sauvé, était gratifiant certes, mais terriblement embarrassant. Elle savait qu'il pouvait deviner son trouble mais c'était bien la première fois qu'elle réagissait de cette manière. À bien y réfléchir, pas vraiment la première fois. Le souvenir d'un entraînement assez particulier avec Sesshoumaru-sama lui revint en mémoire. Ces bouffées de chaleur quand Aiku la regardait de ses grandes orbes noirs mais tellement chaleureuses, la chair de poule au son de sa voix, cette sensation de bien-être à ses côtés, cette curieuse envie de le voir le plus souvent possible dans la journée malgré ses obligations d'héritier. Au final, le poste qui lui avait été confié était des plus plaisants. Mais ce que Rin ignorait c'est qu'un sentiment identique naquit dans le cœur d'Aiku.

 

Dès qu'il l'avait vue au dîner, il fut comme transporté. Quand il était encore dans sa chambre, sous les soins des médecins et des serviteurs, ses oreilles n'avaient cessé de bourdonner en raison des bavardages incessants du personnel. Et de son père ! Tout le monde ne cessait de louer les prouesses de l'humaine Rin. On ne tarissait pas d'éloges non plus sur sa beauté quoique très simple. De la manière dont on l'avait décrite, Aiku s'était imaginé une belle amazone, libre comme le vent, fière au combat. Toutes les qualités d'une héroïne des plus grandes chansons de gestes. Il lui tardait de voir en personne celle qui faisait l'admiration et la crainte de la maisonnée. Mais il ne put sortir de sa chambre qu'une fois totalement sur pieds. Il se contentait tout juste de la voir par la fenêtre de sa chambre garnie d'un voile pour tamiser la lumière.

 

Et là, le coup de foudre. Il ne savait pas qui était cette personne mais intérieurement, il espérait qu'elle soit celle dont on lui avait si souvent parlé pendant sa convalescence. Dans le jardin, il vit une forme sombre se détacher sur le sol gelé. Une petite bête blanche la suivait et s'était transformée pour adopter une taille appréciable. Un inumata. Puis, la forme noire sortit une épée de son fourreau. Aiku pouvait sentir une terrible aura se dégager de l'arme. Le combattant prit la pose et fit quelques katas en guise d'échauffement. Quelle souplesse ! Quelle dextérité avec ce sabre ! Même la garde n'était pas aussi agile. Mais Aiku eut le souffle coupé quand le guerrier et son animal entreprirent leur véritable entraînement. Il eut même peur pour l'humain.

 

L'inumata bondit sur l'humain, les babines retroussées, laissant voir des crocs impressionnants qui n'auraient aucun mal à transpercer une armure. Mais l'humain esquiva l'attaque en se déplaçant très rapidement sur le côté. L'inumata qui avait presque anticipé ce geste suivit le mouvement de l'humain et replongea sur sa victime qui cette fois, utilisa son katana. Les crocs de l'animal résonnèrent sur le métal qu'il agrippa dans sa mâchoire. L'humain, malgré la pression, ne lâcha pas son arme. Au contraire, les deux opposants se défièrent. Puis, brusquement, l'humain se servit de l'appui de son adversaire : tout en se cramponnant fermement au manche de son sabre, il effectua un mouvement de balancier avec les deux jambes et vint frapper violemment le poitrail de l'animal. La bête poussa un gémissement plaintif ce qui l'obligea à relâcher l'épée.

 

—   Tai-chan ! s'exclama l'humain. Ça va mon grand ? Je t'ai pas fait trop mal ?

 

Une femme ! C'était la voix d'une femme ! C'était elle ! Cela ne pouvait être qu'elle ! Quelle révélation ! Pas étonnant qu'elle ait pu lui sauver la vie ! Il n'avait vu qu'une partie de l'échauffement mais qu'est-ce que cela devait donner au combat ! Et cette épée ! Inquiétante ! Il fallait vraiment que cette femme soit exceptionnelle pour la tenir et ne pas se laisser submerger par son aura d'essence démoniaque sans aucun doute ! Mais comment une telle arme avait-elle pu tomber dans des mains aussi graciles ? Est-ce qu'elle l'avait volée ? Lui avait-on donné ? Si c'était le cas, pourquoi ? Un youkai ne faisait de présents que pour deux raisons : protéger ou courtiser.

 

Ainsi, Rin avait éveillé la curiosité du prince mais aussi embrasé son cœur. Aiku fut doublement heureux d'apprendre que son père voulait que la jeune fille lui serve de garde du corps même s'il ne risquait plus rien. Cela lui avait paru suspect de la part du souverain mais il comptait bien faire de la jeune femme une amie, une confidente ... peut-être un peu plus. Et quoi de mieux pour entamer une conversation lors d'un dîner que d'évoquer ce qu'il avait vu depuis sa chambre ?

 

 

—   Ne, Rin-chan, lui demanda Aiku plus qu'intrigué par les capacités de Rin, peut-on savoir qui t'a aussi bien entraînée? Tu me sembles redoutable et pour rien au monde, je ne souhaiterais t'avoir pour ennemie.

 

Rin rougit à ce compliment. Kagami observait et souriait intérieurement. Devait-elle, oui ou non, évoquer le nom du Taiyoukai sachant que cela allait faire resurgir de pénibles souvenirs mais aussi faire réagir négativement ses hôtes ? Elle se lança tout de même ; de toute façon, elle n'aurait pas pu cacher la vérité très longtemps. Elle inspira un grand coup et avoua à demi-mot pour tenter d'atténuer le choc de l'annonce :

 

—   Sesshoumaru-sama a été mon instructeur.

 

À ces mots, tout son auditoire se figea. Des baguettes s'échappèrent de certaines mains. Minako était blanche quoique sa carnation fut déjà très pâle ; les trois fils, eux, se regardèrent tremblants ou incrédules ; Yukiko qui était déjà à fleur de peau en raison de son état s'évanouit dans les bras de son époux qui, visiblement, était trop jeune pour connaître la réputation du seigneur des Territoires de l'Ouest. Finalement, elle aurait mieux fait de se taire. Seul Kagami ne paraissait pas surpris. Rin le regarda curieusement. N'avait-il pas bien compris ou bien ne la croyait-il pas ?

 

—   Ah ! Ah ! Ah ! fit Kagami en se tenant les côtes. Pendant un instant j'y ai cru ! Quelle actrice tu fais !

 

Deuxième option. Rin n'en revenait pas ! Pourtant, elle n'avait jamais menti. Kagami pensait qu'elle plaisantait ! Elle regardait presque avec pitié le souverain à deux doigts de se rouler par terre tellement il était mort de rire. Au bout d'un moment, les autres membres de la famille reprirent consistance et sourirent eux aussi. Rin, en plus d'être bonne combattante, avait un sens de l'humour parfois ... déconcertant. La jeune femme regardait le souverain, atterrée. Kagami se remit de sa crise de rire ; il sécha quelques larmes qui perlaient encore au coin de ses yeux.

 

—   Ah ! Rin-chan ! Jamais je n'ai aussi bien ri ! J'en ai mal au ventre et à la mâchoire mais ... Dieu que cela fait du bien !

—   Ce n'était pas une plaisanterie, Kagami-sama, reprit-elle sérieusement pour accentuer le contraste.

 

À ces mots, Kagami l'examina de manière plus tendue. Cette fois, la tension était bien palpable. Yukiko revenait peu à peu à elle.

 

—   Tu es sérieuse ?

—   Hmm, hmm, fit-elle en hochant la tête.

 

Grand silence cette fois. Tout le monde semblait suspendu aux lèvres du souverain. Comment allait-il réagir maintenant qu'il voyait que ce n'était plus de la plaisanterie ?

 

—   Attends Rin. Tu veux dire que le Seigneur des Territoires de l'Ouest en personne t'a entraînée? Nous parlons bien de Sesshoumaru et pas de son père, Inutaisho ?

 

À nouveau un hochement de tête.

 

—   Mince alors ! s'exclama Kagami. Comment ce cabot borné et ambitieux a-t-il pu s'abaisser au point d'être en contact avec une humaine et plus encore, l'entraîner ?

 

Les derniers mots du souverain furent immédiatement suivis par des grognements. Tout le monde dirigea son regard vers Tai-chan mais ce dernier, malgré l'ambiance pesante, dormait après avoir dîné comme un prince. En faisant plus attention, les sourds grognements étaient émis par une Rin dont le regard était devenu mauvais. Très mauvais même ! Dire que Kagami et le reste de la famille royale étaient étonnés était bien en dessous de la réalité. Jamais ils n'avaient vu la jeune fille aussi menaçante ! Aiku, qui l'avait vue pourtant s'entraîner, n'avait jamais été le témoin de cette lueur meurtrière dans les yeux de l'humaine. En ce moment-même, si elle avait pu passer tout le monde sur le fil de son épée, elle n'aurait pas hésité. Elle ressemblait à une louve dont les petits sont en danger : un geste de travers et elle bondirait sur le potentiel agresseur et n'en ferait qu'une bouchée ! Elle défendrait sa progéniture becs et ongles !

 

Kagami qui venait de comprendre que ses paroles avaient blessé la jeune fille plus que tout et qui craignait pour sa famille se racla vite la gorge :

 

—   Excuse-moi, Rin-chan, je ne voulais pas te vexer. Mais il faut que tu comprennes que nous sommes tous sous le choc. Connaissant Sesshoumaru, nous avons du mal à réaliser que tu aies été en contact avec lui, et toujours vivante de surcroît.

 

Rin parut se calmer et les traits de son visage se radoucir.

 

—   En effet, reprit Minako pour rattraper son maladroit d'époux. Cela paraît tellement inconcevable ! Mais pour que le Taiyoukai t'accepte, c'est que tu dois être quelqu'un d'exceptionnel, poursuivit-elle enjouée par cette histoire.

 

Rin rougit. Non, elle n'avait rien de spécial. Elle n'était qu'une faible humaine qui n'a pas arrêté d'attirer tous les malheurs sur elle et mis la vie de son protecteur en danger à plusieurs reprises.

 

—   Si tu nous racontais comment tu as pu te lier d'amitié avec lui ? demanda Aiku un peu froissé que la jeune fille ait pu être le centre d'intérêt d'un démon tel que Sesshoumaru.

—   Oh oui ! Oh oui ! s'écria Yukiko complètement remise. S'il te plaît, une histoire !

—   Yukiko ! admonesta Shiroku, cela ne te regarde pas voyons !

—   Moi, intervint enfin Keisuke, j'aimerais bien savoir ce que je risque. Est-ce que le fils d'Inutaisho ne viendra pas chez nous pour nous faire la guerre parce qu'elle se trouve sur nos terres ?

—   Non ! s'offusqua Rin, jamais il ne ferait ça ! Mais si ça peut vous mettre à l'aise et si je peux également vous montrer que Sesshoumaru-sama n'est pas celui que vous croyez, alors je veux bien vous raconter mon histoire.

 

Tout le monde s'installa plus confortablement sur les sièges, prêts à entendre la face cachée enfin dévoilée du plus craint des youkai. Rin se lança dans son récit. Elle ne savait pas combien de temps cela allait durer. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était qu'elle ne soit pas bombardée de questions gênantes et surtout, qu'elle fasse remonter dans l'estime de ses hôtes, la réputation de Sesshoumaru. D'accord, c'est un guerrier impitoyable, très peu loquace, mais tellement chaleureux.

 

Pendant que Rin racontait son épopée, Kagami en profita pour détailler les expressions de la jeune fille quand elle évoquait son protecteur. Son regard s'illuminait. C'est clair, elle le vénérait ... l'aimait-elle ? Il passa ensuite en revue le visage de son aîné. Dieu qu'il était sombre ! Aiku n'était pourtant pas réputé pour faire la moue aussi ostensiblement ! Que se passait-il chez lui ? Ah, Ah ! Se pouvait-il que son grand garçon fasse sa première expérience de jalousie ? Ça devenait intéressant ! Il était donc bel et bien épris de la jeune fille même si cette inclination était toute récente !

 

Quand Rin évoqua l'épée qu'elle avait reçu en cadeau et qu'elle expliqua à son auditoire la nature du sabre, tout le monde fut bouche bée. Ce qu'Aiku avait ressenti au moment où il l'avait vue dégainer l'arme, cette surprenante aura, c'était donc cela. C'était un don de Sesshoumaru ! Probablement l’un de ses crocs. Le plus redouté des youkai lui avait fait don de lui-même. Mais la même question le taraudait : pourquoi un tel cadeau ? Comme il ne connaissait aucune épouse au seigneur des Territoires de l'Ouest, Aiku en déduisit logiquement que c'était une forme de court. Sa mine devint encore plus sombre.

 

Rin continua son récit et arriva au moment où son mentor la rejeta définitivement. Tout à coup, le visage du prince parut s'illuminer à nouveau. Ce n'était qu'un présent pour la protéger alors ! S'il avait été seul, il se serait permis de soupirer bruyamment de soulagement. Évidemment ! Comment un être tel que Sesshoumaru aurait-il pu éprouver des sentiments pour un humain ... err, hanyou, enfin ... une Rin plus tout à fait humaine ? Pour simplifier : Sesshoumaru n'aurait jamais pu éprouver des sentiments tout court. Et pourtant, avec ce qu'il avait entendu pendant cette soirée, il avait quelques doutes. L'affection que lui portait Rin était sans ambivalence ; mais le youkai ? N'en parlons plus. Il l'avait chassée, il n'avait donc plus aucun droit sur elle, ni en tant que futur compagnon (si jamais le youkai avait manifesté cette hérésie) ni en tant que tuteur.

 

L'heure était déjà bien avancée quand quelques convives commencèrent à bailler. Une chance que Rin n'avait pas fait dans les détails ; elle venait juste de terminer et éprouvait un singulier mal de tête. Était-ce pour avoir évoqué son ancien maître ? Kagami proposa à toute la tablée de rejoindre ses quartiers. Tout le monde se leva mais Rin était comme étourdie. Aiku fut le seul à le remarquer : Rin était encore assise. Il s'inquiéta et lui proposa de l'aider à se relever et de l'accompagner jusqu'à sa chambre. La jeune femme accepta et prétexta une fatigue passagère. Aiku souhaita bonne nuit à Rin en lui faisant le baisemain. Elle fut d'abord étonnée mais pas choquée. Elle savait déjà ce dont était capable le père quand il appréciait quelqu'un. Alors maintenant qu'un youkai manifestait un peu plus de civisme ... elle n'allait pas fuir.

 

Le baiser dura néanmoins quelques secondes qui parurent interminables à Rin. Elle eut d'ailleurs à nouveau très chaud. Aiku releva doucement la tête ; Rin eut tout le loisir d'examiner le regard de son hôte. Ses yeux d'un noir très sombre brillaient d'un éclat intriguant. On aurait dit celui d'un animal prêt à bondir sur sa proie alors que Rin savait le peuple de Kagami inoffensif. Un feu brûlait derrière ces longs cils noirs.

Quand Aiku se redressa enfin, le ton de la voix du jeune homme était un peu différent.

 

—   Bonne nuit, Rin-san. Au plaisir de vous revoir demain.

 

Puis il prit congé d'elle dans une dernière révérence. Une fois seule devant la porte de sa chambre, Rin remarqua que sa main était toujours levée. La voix de ce youkai, chaude, envoûtante, suave ; ses yeux, brûlants, transperçants ; et ses lèvres sur sa peau, douces, délicates et ... terriblement sensuelles ... La jeune femme porta sa main sur son cœur qui cognait dans sa poitrine. Ses tempes aussi bourdonnaient. Elle avait de plus en plus chaud malgré le frisson qui lui avait parcouru l'échine quand les lèvres du prince avaient touché sa main. Était-ce l'effet du youkai ou bien étaient-ce les signes d'un refroidissement ?

 

Le lendemain matin, Aiku fut surpris de ne pas trouver Rin levée et prête à l'accompagner. Avait-elle peur de lui après le baiser qu'il avait déposé sur sa main ? Il l'avait sentie troublée mais positivement. Il percevait les battements de son cœur, bien qu'il ne soit pas inuyoukai, mais il savait qu'il ne l'avait pas laissée de marbre. D'ailleurs, il savait aussi que son père jouait les entremetteurs. Le jeune héritier soupira. Si seulement son auguste paternel voulait bien arrêter de le couver ! Il était assez grand pour se choisir une compagne et n'avait nul besoin de l'aide de son père dans sa quête.

 

Aiku se dirigea vers la chambre de l'humaine pour s'assurer si elle était bien là. Il s'arrêta devant la porte. Un petit bruit se faisait entendre. Des gémissements. Rin pleurait ? Non, en faisant bien attention, ce n'étaient pas des bruits émis par un humain. Son animal ? Le petit Taichan ? Que se passait-il là derrière ? Aiku était inquiet mais au lieu de rentrer précipitamment dans les quartiers de la jeune femme au risque de lui voler son intimité, il toqua sur le support en bois de la porte et demanda :

 

—   Rin-san ? C'est moi. Tout va bien ?

 

Aucune réponse de la part de l'intéressée. Peut-être qu'elle n'était pas là tout compte fait et que son inumata pleurait d'avoir été abandonné. Possible mais totalement improbable. Si Rin était effectivement sortie, son inumatata ne l’aurait pas quittée d'une semelle, sauf pour le bain, et encore, il était simplement derrière la porte à l’attendre patiemment. Qui plus est, elle ne se séparait jamais de son compagnon. Donc, elle était toujours à l'intérieur. Tai-chan continuait à pleurnicher. Tout cela ne se présentait pas bien. Aiku prit son courage à deux mains :

 

—   Rin-san, je vais entrer.

 

Aussitôt dit, aussitôt fait. Aiku fit lentement glisser la cloison de bois et entra. Rin était effectivement à l'intérieur, toujours sous son futon, d'après la forme qu'il voyait. Tiens ! Elle avait oublié de se réveiller et était trop fatiguée d'avoir raconté ses aventures. Le prince héritier s'approcha du lit. Il vit Taichan lécher frénétiquement le visage de la jeune femme. Normalement, elle aurait dû ouvrir les yeux sous l'insistance de son animal. Ce n'était décidément pas normal. Aiku s'agenouilla à côté du futon ; Rin lui faisait face ... du moins, Taichan qui lui léchait le visage lui faisait face !

 

—   Que se passe-t-il, Taichan ?

 

Le chien s'arrêta automatiquement à la question et s'écarta pour que le youkai puisse enfin voir le visage de sa maîtresse. Aiku prit le parti de toucher le visage de l'endormie avec l'autorisation tacite du quadrupède. Quand il posa sa main sur la joue de la jeune fille, il frémit. Elle était brûlante ! Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre les gémissements de Tai-chan. Rin était malade. Il s'assura de son état en faisant remonter sa main jusque sur le front. C'était bien cela. Le regard du youkai put également observer un fin voile de transpiration ; il descendit et vit que la poitrine de Rin se soulevait et se rabaissait à un rythme trop rapide. Plus de temps à perdre ! Aiku sortit précipitamment de la chambre et demanda au premier garde qui se trouvait là de chercher le médecin du palais.

 

Aiku réintégra vite la chambre de la moribonde. Au bout de cinq minutes, toute la famille royale était au courant de l'état de santé de leur hôte. Kagami vint rejoindre son fils accompagné du médecin. Ce dernier était un hanyou ; il était donc familiarisé avec les maladies des humains. Après un premier examen visuel il demanda aux deux autres hommes de sortir pour une analyse plus approfondie. Le médecin referma la porte derrière eux. Le père et le fils sortirent donc sous les yeux de la souveraine, de sa fille et des autres hommes. Minako, en bonne mère, était inquiète. De quoi était atteinte la brave petite humaine ? Était-ce contagieux ? Tout le monde attendait le verdict. Le médecin sortit mais son visage n'exprimait pas la désolation.

 

—   Alors ? demanda aussitôt Aiku.

—   Ce n'est rien de grave, Aiku-sama. Notre hôte a attrapé une belle grippe.

—   Une grippe ? s'exclamèrent toutes les personnes.

—   Oui, poursuivit le médecin. Son extrême fatigue et le fait que nous soyons en hiver ont rendu la maladie un peu plus coriace. Mais avec de bons remèdes, elle devrait s'en sortir.

—    

Comment diable une personne telle que Rin avait pu être victime d'une maladie aussi bénigne ? Quoique ... au regard des circonstances, la maladie pouvait se révéler mortelle, surtout pour les humains. Mais Rin était jeune et forte.

 

—   Si vous voulez-bien m'excuser, je dois préparer les remèdes. Comme le reste de la population humaine, a également tendance à tomber malade pendant cette période, je vais en faire en quantité suffisantes. Toutefois, je ne pourrai pas être au chevet de notre malade. Il faudra que quelqu'un s'occupe d'elle de manière soutenue.

—   Je suis volontaire ! lança immédiatement Aiku.

—   Moi aussi, reprit Kagami.

—   Moi de même, fit écho sa femme.

—   J'aimerais bien offrir mon aide, dit timidement Yukiko, mais ..., termina-t-elle lamentablement en regardant son gros ventre.

—   Ne t'en fais pas ma chérie, reprit la souveraine. Il vaut mieux pour toi et ton fils que vous ne soyez pas en contact avec Rin.

—   « Fils » ? coupa Kagami. Qui vous dit que ce n'est pas une charmante petite fille ?

—   Mon chéri ! s'indigna Minako.

 

Puis la souveraine s'arrêta dans les réprimandes qu'elle allait adresser à son époux. Par moments, le manque de sérieux du souverain avait le don de l'agacer prodigieusement. Comment pouvait-il décider du sexe du bébé aussi légèrement quand Rin, celle qui avait sauvé leur fils, était malade ? C'était une chance qu'elle le connaissait bien après tous ces siècles de vie commune. D'aucuns auraient pu penser que le souriant Kagami était de nature désinvolte : en fait, il ne faisait que cacher son inquiétude et aussi détendre un peu l'ambiance. Certes, Rin n'était pas mourante, mais on ne savait pas comment allait évoluer la maladie pour peu que Rin s'affaiblisse encore.

 

Quoiqu'il en soit, les tours de garde seraient assurés par Minako et ses trois fils. Bien sûr, Aiku avait insisté pour s'occuper lui-même de l'humaine mais il avait beau être youkai, il tomberait aussi victime de la fatigue. En revanche, il a été décidé à l'unanimité que Kagami ne prêterait pas main forte : non pas parce qu'on avait peur de le voir seul, en compagnie d'une jeune femme, mais parce que le peuple avait besoin de son souverain et que ce n'était pas une maladie qui allait venir à bout de quatre youkai.

 

Les rotations s'effectuèrent donc avec une organisation toute militaire, ce qui était étrange sachant les visées pacifiques des youkai cygnes. Minako veillait Rin quelques heures l'après-midi tandis que ses fils s'étaient répartis les autres heures de la journée. Néanmoins, Aiku faisait du zèle ; en plus de ses heures diurnes, il tenait absolument à garder Rin le soir. Kagami et Yukiko venaient constamment aux nouvelles.

 

Malgré les médicaments administrés régulièrement, l'état de Rin ne semblait pas vouloir s'améliorer. Aussitôt que l'on pensait assister à une régression de la maladie, celle-ci devenait plus sérieuse. Les jours passaient et Rin suivait ce cycle infernal. Elle transpirait abondamment et en était même venue à délirer dans sa fièvre. Pour la calmer, Minako ordonna qu'on lui fasse prendre des bains bien chauds, presque bouillants. Comme Rin était inconsciente, la souveraine et les deux caméristes qui étaient en charge de l'humaine ne furent pas de trop pour déshabiller la malade, la soutenir dans le bain et la rhabiller.

 

Le plus délicat était de faire manger Rin, du moins, lui faire avaler un peu de liquide pour qu'elle ne s'affaiblisse davantage. Tout le monde se relayait pour administrer des becquées en très petites quantités et faciliter la déglutition en massant la gorge. Ce n'était pas une mince affaire. Quand la nourriture tombait de la bouche de Rin, Tai-chan faisait office de ramasse miettes. Ordre avait été donné en cuisine de préparer des boissons suffisamment riches pour que Rin ne souffre pas trop de carences alimentaires. On craignait toutefois que le trop plein d'énergie soit néfaste au petit compagnon de l'humaine. La peur était injustifiée ; Tai-chan se couchait sur les pieds ou les avant-bras de sa maîtresse pour que les membres des extrémités ne soient pas mis à mal. Malgré cela, toujours pas d'amélioration.

 

Aiku se demandait combien de temps encore cette situation allait durer. Un soir qu'il était de garde, il observa longuement Tai-chan. Le petit canidé, d'une certaine manière, veillait à masser les muscles de Rin qui était alitée depuis trop longtemps. Pas si bête cette idée ! Aiku souleva alors délicatement le bras gauche de Rin sous l'étroite surveillance de Tai-chan.

 

—   Ne t'en fais pas, lui murmura-t-il, comme elle ne peut pas encore se lever, je vais simplement lui masser les bras et les jambes. Et qui sait ? Peut-être que cela créera quelque chose ?

 

Tai-chan inclina la tête en signe d'approbation. Aiku observa l'inumata du coin de l'œil. Pourquoi avait-il eu le besoin de se justifier ? Tai-chan n'était pas le père de la jeune fille tout de même ! Ni son amant ! Mais pendant un très court instant, il lui avait semblé voir le seigneur des Territoires de l'Ouest devant lui, à la différence près que Tai-chan n'avait qu'un œil. Est-ce que tous les inuyoukai étaient possessifs à ce point, même les « genres inférieurs »? Il savait que Sesshoumaru avait un demi-frère d'origine hanyou. Réagissait-il de la même manière ou bien se comportait-il plus humainement en raison de son sang dilué ?

 

Aiku passa à l'autre bras tandis que Tai-chan était sur les pieds de Rin. Le prince massait délicatement les avant-bras, les bras et les mains de la jeune fille par des séries de palper-rouler. Toutefois, lorsqu'il prit la main droite de Rin, celle qui tenait l'épée, il s'arrêta un moment et la considéra plus sérieusement. La paume était assez malmenée : calleuse et parfois usée. La raison en était l'entraînement. Il retourna la main et passa ses propres doigts sur le dos : là aussi, la peau n'était ni blanche ni soyeuse comme il convient à une jeune fille de bonne famille. Bien que sous la protection de Sesshoumaru, Rin était bien loin de mener la vie d'une princesse recluse dans son palais.

 

Comme elle l'avait raconté la veille, la vie de Sesshoumaru se résumait essentiellement à patrouiller sur ses territoires. La seule fois où il regagnait le château de ses ancêtres, était en hiver, c'est-à-dire précisément en cette saison. Rin l'avait toujours suivi pieds nus jusqu'à ses dix-ans ; très jeune elle avait appris à chasser et à pourvoir à ses besoins par elle-même. Il savait aussi que Sesshoumaru ne versait pas dans le luxe, et que pour un souverain, tout comme son père d'ailleurs, il ne se vautrait pas dans l'oisiveté et l'opulence. Apparemment, ce mode de vie ne dérangeait pas Rin.

 

Aiku caressa plus doucement la main de Rin et soupira. Si elle voulait bien demeurer à ses côtés, il pourrait lui offrir une vie un peu moins chaotique que celle qu'elle a connue. Elle ne serait pas obligée de porter les armes et de défendre sa vie puisqu'elle vivrait sur une terre pacifique. De plus, son humanité ne gênerait personne, pas même les youkai. Kagami lui-même ...

 

—   Hmmmm ...

 

Aiku s'arrêta aussitôt en entendant la faible voix de Rin. Tai-chan se leva et vint directement s'asseoir à côté du visage de sa maîtresse. Finalement, cette idée de massage était vraiment géniale. Puis il reprit en espérant que la jeune fille daigne ouvrir les yeux. Mais Rin plissa davantage les paupières et commença à gigoter. Sa respiration s'accéléra et elle se mit à transpirer. Une autre crise de délire, pensa Aiku. Pour la soutenir dans cette épreuve, il ne lâcha pas sa main et continuait à la caresser. Les lèvres de Rin remuèrent à nouveau ; on aurait dit qu'elle faisait un cauchemar.

 

—   N ...non ... Ses ... shoumaru-sa ... ma, geignit-elle, ne me ... rejetez pas ! Non ... pas la ... morsure ... non ... mal ... !

 

Morsure ? Rejeter ? Aiku se demandait si Rin n'était pas en train de revivre l'épisode qu'elle avait raconté la veille et suite auquel elle avait été contrainte d'errer. Mais pourquoi « morsure » ?

 

—   Rin-san, murmura tout-à-coup le jeune prince, je suis là. Ce n'est qu'un cauchemar. Personne ne vous rejettera. Tout le monde vous aime ici.

 

Rin parut se calmer légèrement. Elle replia même ses doigts sur la main d'Aiku. Le prince en prit conscience.

 

—   Rin-san, accrochez-vous. Je suis là, je ne vous laisserai pas tomber comme ... Sesshoumaru, termina-t-il à contre-cœur.

—   Hmm ... Sesshou ...maru-sama ... koi ...

 

Aiku écarquilla les yeux. Avait-il bien entendu ? Sur le coup de la surprise, il serra encore plus fortement la main de la moribonde. Rin avait bien prononcé le nom du Taiyoukai suivi de... « koi » ! Son « amour » ?! Non ! Ce n'était pas possible ! Il l'avait rejetée et elle ... elle ... l'aimait ? Aiku ressentit une incroyable douleur dans son cœur. C'était comme si on le poignardait abruptement. C'était impossible ! Rin était malade et elle délirait un point c'est tout. Tout se confondait dans son esprit tordu par la douleur et drogué par les médicaments. Il n'y avait rien de rationnel dans ce qu'elle venait de dire.

 

Après quelques minutes à lui tenir la main, Rin s'apaisa et retomba dans un sommeil paisible. Aiku lui administra encore quelques remèdes mélangés à de la nourriture. Keisuke arriva au moment où les premiers rayons du soleil apparaissaient pour prendre la relève. Aiku, tout en sortant, lui dit qu'il y avait quelques améliorations et lui conseilla de masser les bras et les jambes de la jeune femme. Cela favoriserait considérablement sa rémission. Le cadet hocha la tête et Aiku referma la porte.

 

Aiku passa le reste de la journée lamentablement. Il tenta de dormir quelques heures mais comme le sommeil avait décidé de le fuir, il se résolut à vaquer à ses occupations habituelles. L'après-midi, il revint près de la chambre de Rin. Il savait que sa mère veillait actuellement la jeune fille. Aiku se reposa sur la rambarde. Sa sœur cadette arriva mais sans son père. Bien sûr, la jeune youkai ne manqua pas de demander des précisions sur l'état de santé de Rin et fut surprise quand elle apprit de la bouche de son frère que Rin avait parlé dans son sommeil et même réagi au contact de son frère.

 

—   Alors pourquoi fais-tu une tête aussi terrible, Aniki ? Tu devrais te réjouir, au contraire !

—   Rin faisait un cauchemar.

—   Normal ! s'exclama naïvement Yukiko. Elle est malade.

—   ...

—   Il n'y a pas que ça qui te dérange, on dirait, affirma-t-elle de manière plus avisée.

 

Aiku sourit faiblement. Sa sœur le connaissait trop bien et il ne pouvait pas lui mentir.

 

—   Effectivement. Il y a un détail qui me tracasse.

—   Et lequel ? demanda Yukiko de plus en plus curieuse.

—   Dans son délire, Rin revivait sa séparation d'avec Sesshoumaru ...

—   Oh ! coupa soudainement Yukiko. Apparemment, cette histoire l'a marquée.

 

Elle vit la mine blessée de son frère.

 

—   Oups ! Désolée ! Continue.

—   Elle a eu très peur, très mal et a même parlé de morsure.

—   Morsure ?!

 

Cette fois, ce fut au tour de Yukiko d'être plus préoccupée. Son frère le remarqua aussitôt.

 

—   Tu sais quelque chose ?

—   Je crois, oui. La première fois que Rin et moi nous avons pris notre bain ensemble, je l'ai sentie extrêmement gênée. J'ai bien vu qu'elle n'avait pas l'habitude d'être en contact avec d'autres personnes dans la nudité ; elle s'éloignait de moi. Toutefois ..., laissa-t-elle planer.

—   Toutefois ? reprit son frère dont la curiosité avait été stimulée.

—   J'ai pu observer une trace de morsure sur son cou. Je n'ai pas voulu évoquer le sujet avec elle car je la voyais déjà troublée. Se pourrait-il qu'il y ait un rapport ?

—   Une morsure sur son cou ?

—   Oui.

—   Où exactement ? Tu t'en souviens ?

—   Attends voir ...

 

Yukiko ferma les yeux pour se remémorer la scène. Puis elle porta sa propre main sur son cou pour signaler l'endroit à son frère.

 

—   C'était à peu près ici, dit-elle en passant sa main près de la jugulaire. Pourquoi ? C'est important à ton avis ? Tu crois que Sesshoumaru a pu faire ça ? Elle ne nous a jamais parlé de cet épisode pourtant.

—   Plus ça va et plus je me dis que c'est certainement le Taiyoukai qui lui a infligé ça. Et si elle ne l'a pas mentionné, c'est qu'elle ignore la signification de cette morsure.

—   Tu en es sûr ?

—   Oui. Rin a eu peur ; elle croyait certainement que Sesshoumaru allait la tuer. Pour elle, c'est une punition. Or, nous savons tous les deux que les youkai carnivores sont les seuls à agir de cette façon.

 

Grand silence. Le frère et la sœur s'observent sans mot dire. Yukiko sent toutefois le malaise de son frère et la peine qui commence à le ronger.

 

—   Tu comptes lui dire ce que ça signifie ?

—   Probablement, oui. Une fois qu'elle sera sur pieds.

—   Tu n'as pas peur de la perdre ?

—   ... ?

—   Aiku, implora Yukiko, je sais qu'elle te plaît énormément et que d'une certaine manière, tu ne lui es pas indifférent non plus. Si tu lui dis la vérité ...

—   Si je ne lui dis rien, je m'en voudrai toute ma vie. Je préfère être honnête.

—   Tu es sûr ?

—   Je suis déterminé.

 

Yukiko sourit faiblement à son aîné. Il était brave tout de même son grand frère. Mais elle serait là si jamais il éprouvait le besoin de pleurer à chaudes larmes.

 

—   Tu sais que tu peux compter sur moi, murmura la princesse en enlassant son frère.

—   Je sais, je sais, répondit Aiku en lui rendant son étreinte.

 

Les deux enfants du couple royal furent tirés de leur soutien par la voix de leur mère toujours au chevet de la malade.

 

—   Rin-san ! Enfin ! s'écria la souveraine presque au bord des larmes. Tu ne peux pas savoir quelle frayeur tu nous as faite !

 

À cette manifestation de joie, Aiku frappa timidement contre la porte. Sans attendre que sa mère lui donne l'autorisation d'entrer, il franchit le pas de la porte suivi de sa sœur. Tous les deux virent leur mère en train de verser effectivement des larmes de joie et Tai-chan en train de lécher plus que de raison le visage de sa maîtresse qui souriait faiblement. Dans le procès, les cheveux de Rin étaient en bataille. Le teint de la jeune fille était également encore très pâle et sa carrure semblait avoir quelque peu diminué mais tout serait rentré dans l'ordre au bout de quelques jours.

 

—   Rin-chan ! s'écria Yukiko avant de se jeter au cou de la malade.

—   Je ... je suis vraiment désolée de vous avoir causé toute cette inquiétude, dit-elle d'une voix encore rocailleuse.

 

La princesse se redressa aussitôt et s'éloigna un peu. Sa mère parla :

 

—   Ne dites pas de bêtises, mon enfant, corrigea immédiatement la souveraine. Ce sont des choses qui arrivent naturellement. Mais une chance que vous soyez parmi nous : qui vous aurait soigné si vous aviez continué vos errances ?

 

Rin baissa la tête. La souveraine se reprit :

 

—   Ahem... vous m'avez mal comprise. Je ne vous accuse en rien, simplement, le fait de voyager seule peut s'avérer fatal. Il serait bon que vous songiez à vous installer pour éviter ce genre de ... « désagrément ».

 

Rin releva la tête et s'aperçut qu'Aiku était également présent. Ce dernier, qui n'avait rien perdu de ce que sa mère venait de dire, lui en fut secrètement reconnaissant. Avec un peu de chance, Rin se rendrait compte qu'elle avait besoin de se fixer, que la vie d'ermite n'était vraiment pas faite pour un humain. Même si elle savait se défendre contre d'éventuels agresseurs, de plus petits « ennemis » pourraient aisément venir à bout d'elle.

 

—   Mère a raison, Rin-san, dit le prince tout en s'agenouillant près d'elle.

 

Puis il prit la main de la jeune femme entre les siennes et y déposa un baiser. Quelques mèches de ses cheveux effleurèrent la main de Rin. La jeune fille rougit malgré son extrême faiblesse. Kagami et ses deux autres fils arrivèrent au pas de course. Dieu soit loué ! Elle s'était enfin réveillée.

 

—   Quoi qu'il en soit, nous sommes tous heureux de te retrouver parmi nous. Autant tu étais encore délirante la veille, autant te voilà en « pleine forme », oserais-je dire.

—   Moi aussi, poursuivit Rin, j'ai du mal à expliquer ce qui se passe. Mais j'ai senti une présence à mes côtés et je pouvais entendre une voix qui me disait de m'accrocher. C'était comme ... comme un cocon de chaleur qui m'enveloppait.

 

À cette remarque, Aiku resserra son étreinte. Kagami se racla la gorge et Keisuke regarda innocemment le plafond qui avait beaucoup d'intérêt tout à coup. Les autres membres de la famille tentaient de dissimuler un petit rictus. Dieu seul sait ce qu'Aiku avait pu dire ou faire pendant ses heures de veille. En tout cas, Aiku était le digne fils de son père. Soudain, un borborygme innommable troubla l'ambiance. Rin retira sa main de celles d'Aiku et remonta la couverture un peu plus haut. Aiku sourit franchement :

 

—   Je crois qu'un bon repas s'impose, Rin-san.

—   Tout à fait d'accord ! beugla Kagami.

 

Shiroku et Keisuke secouèrent la tête en signe de lassitude. Minako se dut d'intervenir :

 

—   Chéri, je crois qu'il vaut mieux que Rin prenne son repas dans sa chambre ; elle n'est pas encore en mesure de se lever.

—   Très vrai, ma chère épouse. Nous serons donc privés une fois de plus de ta présence, mon enfant mais tu nous rejoindras vite.

 

Rin hocha de la tête et sourit. Ce youkai était un indécrottable optimiste !

 

—   Je vais aux cuisines, décida Yukiko. Je vais leur dire de te préparer quelque chose de plus solide que ces breuvages mais avant cela ...

 

Sans même terminer sa réplique ou attendre une éventuelle réponse, Yukiko sortit de la chambre comme une furie et se dirigea aussi vite que son ventre le lui permettait vers les cuisines.

 

—   C'est vrai, reprit Minako, avant cela, c'est d'un bon bain dont vous avez besoin.

 

Rin sourit. Tout le monde se dirigea vers la porte. Tout irait bien maintenant. Les deux caméristes arrivèrent aussitôt et aidèrent Rin dans sa tâche. Ce fut bien plus facile que les fois précédentes. Rin se laissa frotter vigoureusement, laver les cheveux, rincer, coiffer et habiller puis elle rejoignit sa chambre. Elle remercia les deux servantes de s'être autant démenées et s'excusa pour la gêne occasionnée. Les deux femmes prirent ensuite congé de la jeune femme.

 

Rin s'installa alors sur son futon dont la couverture avait été remplacée par une toute fraîche. Tai-chan se pelotonna dans son giron. Rin le caressa.

 

—   Merci mon grand. Toi aussi tu t'es inquiété, je parie.

 

Puis elle se tut mais continua à caresser son compagnon. Ce geste la délassait énormément au point qu'elle aurait voulu dormir. Mais comme son repas n'allait pas tarder à arriver et qu'elle mourait littéralement de faim, elle devait rester éveillée. Elle avait, au reste, pas mal « dormi » ces derniers jours. Rin sourit en pensant à la chance qu'elle avait eu. Minako avait raison : si elle avait continué à vagabonder dans tout le Japon, elle ne s'en serait peut-être pas sortie, même avec Tai-chan.

 

Les humains l'auraient une fois de plus laissée à son triste sort en voyant son inumata et l'accueil auprès des youkai n'aurait pas été meilleur. Enfin ... pas tous les youkai. Le peuple des Territoires du Sud était d'une bienveillance extrême. Kagami était un vrai père ; Minako d'une douceur incomparable ; Yukiko la petite soeur en ébullition qu'elle aurait peut-être eue si le destin n'en avait pas décidé autrement ; Keisuke et Shiroku, les deux extrêmes, ses deux petits frères, et Aiku ...

 

Aiku  ... Son grand frère ? Un bon ami ? Un gardien ? Tout à l'heure, quand tout le monde paraissait gêné, elle avait bien compris que c'était l'héritier du trône qui avait passé énormément de temps à son chevet. C'était grâce à lui qu'elle avait repris connaissance. Sa façon de lui avoir pris la main la laissait pensive ; on aurait dit qu'il avait eu énormément peur de la perdre même s'il ne s'était pas répandu en larmes ou avait manifesté sa joie aussi bruyamment que Yukiko et Kagami.

 

Le regard du youkai aussi lui disait qu'il avait beaucoup d'affection pour elle même s'il ne la connaissait que depuis peu. Il suffisait de se remémorer son dernier repas et le moment où il avait pris congé d'elle. Mais peut-être qu'elle se faisait des idées ? Peut-être qu'il voulait tout simplement rembourser la dette qu'il avait envers elle ?

 

C'est vrai qu'elle le trouvait magnifique mais il était prince, futur souverain des Territoires du Sud et ... youkai, tout l'opposé de ce qu'elle était. Rin soupira lourdement. Tai-chan leva soudain la tête. On frappa sur l'encadrement en bois. C'était son repas. Une fois de plus, Tai-chan était plus guidé par son estomac que par son affection pour sa maîtresse.

 

La porte s'ouvrit et Rin cligna deux fois des paupières pour bien réaliser ce qui arrivait.

 


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