Retrieve Bass

Chapitre 6 : six quilles manquées

2208 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/07/2025 11:46

— Tu l'as rencontré où Jena ? me demande Yuji.

J'envoie sa énième boule contre les quilles. Il relève la tête vers le tableau d'affichage, où le score grimpe en direct.

— Je pensais que tu la connaissais.

— Oui mais je ne sais pas comment elle t'a rencontré.

Nobara est partie aux toilettes pour laver ses mains poisseuses, à juste titre. Yuji semble avoir pris sa relève dans l'interrogatoire en attendant vu qu'il enchaîne :

— Pourquoi tu ne veux pas t'inscrire au club de musique ?

— C'est pas mon truc.

— Tu adores jouer de la guitare, non ?

Il n'y pas vraiment de réponses satisfaisante à cette question. Yuji comprend où va le mener cette conversation et ne perd pas son temps :

— Ok... Je vais te dire si tu ne sais pas. Si j'en crois les rumeurs, tu as un vrai talent pour la guitare. Gojo lui-même n'a l'air de jurer que par ça.

— Gojo a tendance à tout exagérer.

— Si tu le dis. Je ne te connais pas encore et tu dois avoir tes raisons... mais franchement, je te dirai que tu gâches ton potentiel !

— Tant pis pour moi.

La boule manque une quille pour faire le strike.

— Laisse moi faire.

Yuji prend place sur la piste en récupérant une boule marbrée entre ses doigts. Du coude, il me pousse pour dégager la pise et inspire une bouffée d'air. Il tape une pose digne du Big Lebowski et envoie valser la balle... À côté des quilles. Je marmonne :

— Tout ça pour ça...

— Jena était ma voisine. Elle habitait sur le palier en dessous du mien.

Je récupère une autre boule et la fait tourner entre mes deux paumes. Derrière moi, Yuji pense encore être dans une session révélation alors que je ne lui ai pas poser de question.

— Parfois, on rentrait ensemble des cours. C'était rare - ne te fais pas d'idée - mais je dois dire que ça me suffisait pour savoir que c'était une personne agréable. Elle était tout le temps souriante, même quand il pleuvait sur le chemin. Surtout quand il pleuvait sur le chemin.

— Vous parlez de quoi ?

Nobara fait son apparition, les mains encore mouillée par son lavage intensif.

— Ne me dis pas que vous avez commencé a parlé de son ex ! J'y crois pas - attendez moi un peu je veux savoir aussi !

— T'as rien loupé. Il n'a rien dit.

Elle soupire tout en levant les yeux au ciel.

— Je me disais bien...

Et tout deux se laisse choir sur le canapé comme deux ballons de baudruche vidés de tout leur air. Affalés et amorphes, ils comptent les lattes du sol.

Mon score grimpe à un niveau suffisamment décent pour que je commence à m'ennuyer. Un regard jeté derrière moi m'indique qu'ils fixent les motifs du plafond, cette fois.

— On s'est rencontrés dans un magasin de musique.

Il n'y a aucun mouvement détecté sur le canapé. Ni de signe de vie apparant. J'attrape une nouvelle boule mais mes deux mains restent figées. Ok, c'est bon, j'ai compris le message.

— J'étais intéressé du coup j'ai bossé pour l'enseigne dans l'espoir de la revoir. Et deux mois après notre première rencontre...on sortait ensemble.

Je me mets en bout de piste. J'attends plusieurs secondes avant de conclure :

— Elle chantait. Alors j'ai repris la guitare pour l'accompagner dans ses presta.Voilà. Rien de très intéressant.

Puis la boule vient faire tomber trois quilles. Mon score ne m'intéresse plus vraiment.

— Vous allez jouer aux morts encore longtemps ?

Yuji relève la tête qui pendait dans le vide :

— T'as raison Noba, c'est une bonne technique.

La rouquine ouvre un oeil puis l'autre, comme si elle se réveillait d'une sieste improvisée, l'image même de la nonchalance :

— Il est bavard quand il veut.

— J'imagine que le bowling ne vous intéresse plus, j'annonce.

— Tu nous distrait davantage. Donc tu es en train de nous dire que tu as repris la guitare par amour ? Mais quel romantique ! T'entends ça, Yuji ?

— Moi j'ai pas bien compris l'histoire des dates. Tu l'as rencontré dans ta boutique, ensuite tu as été embauché... puis après ?

Nobara fronce les sourcils face à cette question, somme toute très anecdotique.

— J'ai été embauché et pendant trois ans durant les vacances je bossais là-bas. J'ai arrêté l'année dernière - ce qui coïncide avec ma rupture.

— Je pense qu'il voulait te demander pourquoi vous vous êtes séparés, rectifie Nobara avec un grand sourire.

 Je pense que je vous en ai suffisamment dit pour aujourd'hui, non ? je lui rétorque avec la même énergie.

Elle souffle.

— Tu omets le plus important surtout. Ça, c'est pas cool ! Tu nous auras à la botte jusqu'à ce que tu craches le morceau je te préviens !

— Génial. Merci pour le respect de ma vie privée...

— T'as que ça d'intéressant en même temps t'emballes pas !

Je soupire. Je tente de dissoudre ma mauvaise humeur quand mes mains se saisissent d'une boule. Tout en ignorant ses commentaires, je me place déjà en bout de piste.

— ...Lance ta boule avant que ça ne ferme !

— Je me concentre.

— Tu te concentres trop. Pas besoin de mathématique pour calculer ta trajectoire ! Laaaance !

Je lève les yeux au ciel et envoie la boule contre les quilles.

Et merde...

— UNE ?! s'égosille ma détractrice du moment. Une seule quille ? Tu avais l'air si sûr de toi quel dommage !

— J'ai glissé.

Elle envoie son dos contre le dossier du canapé, prise d'un hilarité trop puissante :

— Je comprends pourquoi Jena a rompu avec toi !

Je me pince les lèvres. J'ai envoyé des guignols à l'infirmière pour moins que ça...

— ... Le mec a trop d'ego pour assumer qu'il a perdu ! Tu m'étonnes que Jena a dû prendre ses jambes à son cou !

— Aïe balle perdue pour Megumi, commente Yuji en se relevant les mains en l'air. Je ne veux pas prendre partie.

— Quoi qu'est-ce qu'il y a ? fait-elle alors qu'il s'éloigne en tranchant l'air devant sa gorge pour lui signer de se taire. Tu vas me dire que vous avez rompu de manière consensuelle ? ajoute-t-elle dans ma direction.

— Tu sais quoi ...?

— C'est elle qui t'a plaqué j'ai pas raison ?

— Ta gueule. Tu casses les couilles.

Elle ouvre la bouche en s'affaissant sur le canapé, comme si je l'avais tiré dessus à bout portant. Quelle mise en scène.

— C'est ce que tu dis quand tu es énervé ? Et c'est toi la terreur du lycée ! Mort de rire.

— Nobara ? s'ensuit Yuji en clapant des mains pour obtenir son attention. Une dernière partie pour la route ? J'ai bien l'impression que tu as besoin de te défouler...

— Je te trouve vulgaire, j'ajoute alors qu'elle trouve encore cette situation encore hilarante.

— Et moi je te trouve ennuyeux à mourir ! Mais on peut pas tout avoir. Au moins j'ai la beauté, toi en revanche...

— Connasse...

Elle ricane.

— Bouffon.

— La meuf est célibataire et se permet de faire des commentaires. Si c'est pas l'hôpital qui se fout de la charité. Je comprends mieux pourquoi t'es seule.

Elle se relève.

— Répète.

Elle s'approche mais Yuji lui bloque un bras entravant toute confrontation physique.

— Les boules sont ici Nobara ! lui indique-t-il en la tirant vers le récupérateur. Megumi a déjà la sienne haha.

— Répète, m'ordonne-t-elle. Regarde moi dans les yeux et redis ce que tu viens de me dire espèce de petit con. Vas-y assume.

— Regarde une jolie boule verte ! Elle irait très bien avec tes yeux...marrons...?

— Personne ne voudrais se mettre en couple avec une fille aussi épuisante que toi. Vieille meuf-

— Il improvise en plus !

Elle fait un geste pour s'extraire de la poigne de Yuji, mais dans la précipitation, ce dernier fait glisser la boule qu'il avait dans les mains...

Qui s'écrase sur son pied.

— Je ne savais pas que tu prenais ce bus.

La session bowling s'est conclut après que Yuji se soit fait emballé le pied dans une poche de glace, et que nous avons décidés de rentrer chacun chez soi. D'un commun accord.

— Moi non plus, je lance à Nobara alors que nous sommes adossés contre une vitre à regarder nos baskets respectives. C'est le chemin le plus court pour rentrer chez moi.

— Si j'avais su je serais rentrée à pied.

Sur ce dernier mot, lentement nos têtes de retournent l'une vers l'autre. Nobara à déjà un éclair de regret dans le regard.

— Il va boîter jusqu'à la fin de semaine à cause de moi...

— Il doit te détester.

— Pas plus que toi.

Elle hausse les mains avant que je n'ai le temps de m'expliquer.

— Tu as raison. Je n'ai jamais été en couple et c'est en grande partie à cause de mon caractère. Sinon, franchement, qui passerait à côté d'une bombe pareil ?

— Pas un démineur en tout cas.

Elle se fige.

— Non, c'est bien, articule-t-elle épuisée. T'essaies de détendre l'atmosphère. Même si c'est raté je salue l'effort.

— Je suis désolé. D'avoir joué le petit con.

— Oublie. Je me suis emportée la première.

Nobara croise les bras et colle son épaule contre la vitre. Alors qu'elle est pensive a contempler le paysage, j'interviens :

— Le pire qui puisse lui arriver c'est qu'il finisse en fauteuil roulant-

— N'en rajoute pas.

— Mais je ne pense pas qu'on ira jusqu'à là. Il est assez costaud tout de même.

— Dis, tu comptes réellement refuser l'offre de Gojo ?

Sur ce, le bus s'arrête le long de la route pour laisser sortir des passagers. Je presse mon sac contre mes jambes pour faciliter l'accès tandis que Nobara reste immobile. Je m'éclaircis la voix alors que le véhicule accélère.

— Ça dépend.

— Ça dépend de quoi ?

Je hausse les épaules.

— Tu te souviens quand je t'ai dis que t'étais ennuyeux ? Sache que c'était pas une blague.

— Ce n'est pas moi qu'il faut.

— Perso, je ne connais pas tes capacités, alors j'aurai tendance à dire que oui, tu n'as rien à faire à ce poste. Cependant - et il est rare que je nuance - le proviseur et le prof t'ont donné cette chance. Ça doit être certainement pour une bonne raison.

— Yuji m'a dis la même chose. Tu sais ils n'ont pas vraiment bon goût si tu veux mon avis.

— Je veux bien te croire. En revanche, Jena en avait. Yuji est perspicace quand il veut et il va me rejoindre sur ce point : c'est bien grâce à ta guitare que tu as réussis à la convaincre de remonter en scène.

— Tu m'accorde trop de crédit. Jena était ma copine alors elle ne voulait pas être méchante. Mais, je n'étais pas très bon dans mes accompagnements.

— Si tu étais si nul crois-moi que tu l'aurais su. Elle te l'aurais fait comprendre.

Elle lève un doit sous mon nez.

— Et là - je te devance - tu vas me demander, "comment peux-tu le savoir ô chère Nobara ? Tu ne la connaissais pas".

— Sans le "ô chère".

— Et je te répondrai "de la même manière que j'ai sû, mon cher Megumi, que tu n'étais pas l'origine de votre rupture." J'ai tors ?

Un feu rouge s'enclenche à côté de nos têtes, alors que le ciel crache une pluie légère. Quand le vert se reflète sur ses traits, l'eau se transforment en sillons sur nos vitres. Nobara lit la réponse sur mon visage et traduit mes silences. Elle continue :

— Je suis la dernière à vouloir de convaincre, tu peux me faire confiance. Mais je serai là première à te dire la vérité, Megumi. Tu es bon. Tu dois même être excellent. Le problème c'est que tu n'accepte pas d'être vulnérable. Preuve en est, tu refuses d'assumer tes erreurs au bowling de la façon la plus grotesque possible - à moins que tu ne sois juste mauvais joueur. Et si je m'avance un peu plus, c'est bien ce que Jena a ressenti elle aussi.

— On peut... arrêter de parler d'elle ?

— Pardon. Pour résumer, la seule personne qui te met des barrières et qui est contre toi est juste sous ton nez. Petit indice : ce n'est pas moi.

— J'ai...confiance en moi. J'ai juste... La flemme de continuer la musique.

Le bus s'arrête et ses portes s'ouvrent sur une rue bondée. Nobara est déjà sur le départ :

— La prochaine fois, trouves-toi de meilleures excuses. Et de meilleures insultes par la même occasions parce que le coup du "ta gueule" - mmmh pas terrible, ajoute-t-elle alors qu'elle est déjà descendue du bus.

Derrière mon épaule, je lui adresse un majeur en l’air alors que les portes se referment.


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