Le Revers de L'Infini - Tome 1 : Découverte
Une brume sale s’accroche aux murs déchiquetés d’une vieille ville oubliée. Les lampadaires tordus grincent sous le vent, les vitres soufflées reflètent un passé fracassé. Quelque chose, ici, s’est brisé à jamais. Le sol lui-même semble avoir tenté de fuir, fendu, arraché.
Les binômes envoyés par Gojo progressent dans ce paysage éventré, entre silence nerveux et concentration tendue.
Aya marche aux côtés de Souta Zenin, le livre serré contre elle comme un gri-gri, les yeux rivés à chaque ombre, chaque craquement. Souta ouvre la voie, calme et attentif.
La voix de Gojo claque dans leur oreillette, légère et insolente :
— Aloooors mes exorcistes en herbe… Mission du jour : repérer et sceller trois nids de fléaux de classe moyenne. Travail d’équipe obligatoire. Et souvenez-vous : si ça n’a pas de visage et que ça bouge… fuyez. Ou tuez. Bonne chance !
Souta soupire, mains dans les poches.
— J’adore quand Gojo nous fait faire son boulot...
Il tourne la tête vers Aya.
— Reste près de moi.
Elle hoche la tête, déjà collée à lui comme son ombre.
— C’est prévu...
Ils s’enfoncent dans une ruelle lézardée. Le silence pèse, rompu seulement par les craquements de gravats sous leurs pas. Soudain, Aya s’arrête.
— Souta… là…
Elle désigne le sol. Griffures profondes. Lui s’agenouille, les yeux sombres.
— C’est frais. Trois griffes, irrégulières. Pas humain.
Il se relève doucement et, dans un souffle maîtrisé, trace un signe. Un loup noir émerge des ombres, yeux blancs comme la lune, museau frémissant.
— On va le débusquer. Reste derrière moi. Si ça part en vrille, tu fermes les yeux, tu penses très fort à t’en sortir. Tu sais faire. T’as déjà fait. Tu recommenceras s’il le faut.
Un sourire discret, fugitif, effleure ses lèvres.
— T’es pas toute seule.
Aya reste figée devant le loup.
— Wow… D’accord. Fais attention toi aussi.
Le loup grogne, capte une piste, s’élance. Souta le suit sans attendre.
— Le fléau tente de nous attirer. Il est pas idiot. Garde les yeux ouverts.
Une bâtisse éventrée surgit plus loin, étranglée de lierre et d’oubli. Souta s’arrête.
— Là-dedans.
Il croise le regard d’Aya. Elle tremble à peine.
— Tu veux toujours voir ça ?
— Je veux le voir.
Un claquement de doigts, le loup bondit à l’intérieur. Ils le suivent, entrent dans une pièce sans air. Une silhouette rampe dans l’ombre. Épines. Yeux. Chair qui respire à l’envers.
Souta lève la main. Invoque un corbeau d’ombre.
— Reste derrière moi. Mais regarde bien.
Aya lève le visage. Ne cille pas. Serre son livre comme on serre une arme.
Le corbeau fond. Le loup attaque. Le monstre jaillit, hurle, vrille. Souta trace un sceau dans l’air.
— Ten Shadows : Piercing Fang.
Un renard d’encre perce la créature. Elle explose dans une brume noire, se dissout.
Aya rouvre les yeux.
— C’est fini ?
— C’était qu’un petit. Un éclaireur. Y en aura d’autres. Tu veux continuer ?
Elle hoche la tête.
— On doit tous les faire disparaître.
Ils avancent encore. Le loup s’arrête net. Grogne.
Souta lève la main. Arrête Aya. Tous ses sens en éveil.
— Il est là. Le gros. Je sens son énergie. Tu la sens aussi ?
Aya acquiesce, la voix minuscule, les doigts blancs de tension.
— C’est… pesant...
Un fléau de classe 2 se tapit dans l’ombre. Gigantesque. Recouvert de visages marmonnants. Souta invoque un tigre, un nouveau corbeau.
— Reste ici. Si ça tourne mal, tu cours.
Il franchit l’embrasure, découvre la bête : masse déformée, allongée, griffes traînantes, corps tâché de visages qui murmurent.
(…Tu vas me faire perdre du temps... Tss, Gojo…)
Le tigre surgit. Le corbeau descend du plafond.
Souta commande ses shikigami d’un geste précis. Le corbeau pique, balayé net par une patte monstrueuse. Un craquement sec. Plus d’oiseau.
— Tch...
Le tigre attaque. Crocs plantés. Mais la chair du fléau s’ouvre en bouches folles. Souta trace un symbole. Prêt à tout.
— Extension du ter— ... non. Trop risqué ici.
Il recule. Trop tard. Le bras du fléau fend l’air. Souta esquive de justesse. Chute. Main au sol, l’autre saisit une dague.
— Il est rapide… putain...
Le tigre s’écrase contre un pilier, se dissout. Le fléau bondit.
— Aya ! Ne bouge pas ! Je le bloque...! Mais si tu peux faire ton truc… c’est le moment !
Aya tremble. Ferme les yeux. Le cœur en chaos. Mais l’esprit, ailleurs. Stable. Elle visualise. Elle veut qu’il disparaisse. Qu’il fonde. Qu’il soit réduit à rien.
{Je le ferai fondre. Je le comprimerai jusqu’à l’effacer.}
Quelque chose se lève dans la pièce. Une pression étrange. Silencieuse.
Le fléau s’arrête net. Tremble. Grogne de peur.
Souta, bras levé, reste figé.
— ...Qu’est-ce que...
Le monstre s’écrase sur lui-même. Les visages se tordent. Il implose. Une brume muette. Plus rien.
Silence. Les ombres retombent. Les shikigami se dissipent.
Souta se redresse. L’œil fixe Aya, toujours figée, livide.
— Tu l’as fait… Tu as utilisé ton don…
Aya entrouvre les yeux. Haletante.
— Il est… parti ? C’est fini ?
Elle regarde autour. Perdue.
— Tu as réussi ?
Souta avance, lentement. Toujours abasourdi.
— Non. C’est pas moi.
Il la regarde.
— C’est toi, Aya.
Elle secoue la tête.
— J’ai rien fait. J’ai juste... imaginé...
— Et il a disparu. C’est pas un hasard, Aya. Tu comprends pas encore, mais tu l’as fait.
Un silence.
— Allez. On rentre.
Ils marchent dans la ville morte. Souta, devant. Aya, toujours serrée contre son livre, le suit. Un peu plus près.
Des pas précipités. Souta tend le bras, arrête Aya. Une silhouette déboule. Jin-Ho, échevelé, griffé.
— Rin est blessée. Elle a pris un sale coup. Je pouvais pas la porter seul. Faut l’aider à rejoindre le portail.
Souta hoche la tête. Suit. Aya derrière, le cœur cognant.
Ils débouchent dans une ruelle. Rin, contre un mur, bras en sang, souffle court.
Souta s’agenouille.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Elle sourit, malgré la douleur.
— Le fléau a pas aimé que je lui dise qu’il avait une sale gueule. Il avait de l’ego, j’crois.
Jin-Ho explose :
— Non mais t’as un grain ?! Je pars deux minutes et tu saignes comme un rôti ?!
— J’ai pas envie de finir en casse-croûte. Je frappe quand faut.
— Tu vas crever un jour à force de jouer les kamikazes !
— Tu veux me faire une hémorragie verbale ?
Sho arrive, front bosselé.
— On dirait un vieux couple. C’est touchant.
Jun-Ho les rejoint, impeccable malgré la poussière. Il observe Rin.
— Elle tient debout. C’est qu’elle a gagné.
— Et Sho, il a perdu contre une poutre ? grogne Rin.
— Elle m’est tombée dessus ! J’étais pas prêt.
Il lui tend la main. Rin l’attrape, grimace.
— Si tu racontes ça, j’te fous dans une benne.
— Déjà noté.
Aya, en retrait, glisse à Souta :
— Ils sont toujours comme ça ?
— C’est leur manière de dire qu’ils vont bien...
Jin-Ho se tourne vers eux.
— Et vous ? Balade de santé ?
Souta, calme, bras croisés :
— Fléau de classe 2. Il m’a presque eu. Sans elle...
Il désigne Aya. Tous les regards convergent.
Elle rougit.
— J’ai rien fait. J’ai juste... imaginé ce que je voulais qu’il lui arrive… Et puis… il a disparu.
Jun-Ho la fixe, intrigué.
— Tu l’as effacé en y pensant ?
Rin ricane.
— Si tu peux pulvériser des fléaux par la pensée, on te garde.
— Faut lui trouver un surnom, lance Sho. Miss Pouf-ça-disparaît ?
— Sho…, soupire Souta.
— Quoi ? C’est affectueux !
Rin grimace, se redresse.
— J’me vide de mon sang, mais j’me marre. C’est bon signe.
— T’as eu chaud, marmonne Jin-Ho. Et Zenin, pas une égratignure ?
— Elle a agi avant que je me fasse découper.
Rin plisse les yeux.
— Toi, te faire avoir ? J’aurais payé pour voir.
Souta regarde Aya, plus bas :
— T’as tenu. C’était pas un hasard.
Elle ne dit rien, mais ses doigts relâchent un peu leur étreinte sur le livre.
— Allez. Si on tarde, Gojo va nous accueillir avec un feu d’artifice et un sandwich à la main.
Sho sourit.
— Ou un mégaphone. Il en planque partout.
— Restez groupés, dit Souta. On rentre. Cette fois, sans fléaux.
Ils marchent vers le portail. Fatigués. Amochés. Mais debout.
Aya jette un regard à Souta. Il avance, mains dans les poches. Elle le suit. En silence.
Mais cette fois… un peu plus près.