Le Revers de L'Infini - Tome 1 : Découverte

Chapitre 6 : Retour et décharges

1614 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/09/2025 23:55

Le portail se dissipe dans une lueur frémissante, avalé par l’air comme un rêve qui s’éteint. Ils réapparaissent dans la cour de Jujutsu Tech, chargés de fatigue, de silence et de poussière. Souta est le premier à avancer d’un pas ferme. Il pose le pied sur le gravier, le regard figé devant lui, les épaules raides mais le visage toujours fermé, indéchiffrable.

En hauteur, sur la rambarde métallique qui surplombe l’entrée, Gojo les attend déjà. Parfaitement campé, jambes croisées, lunettes fumées sur le nez, un gobelet de jus de fruit à la main. Il fixe le ciel avec un air d’artiste contemplatif, comme s’il ignorait tout du monde — avant de pivoter vers eux d’un mouvement presque chorégraphié.

Son bras se lève dans un grand geste théâtral, à mi-chemin entre la révérence et le salut impérial.

Mes petits champions sont de retour !

Sa voix explose dans l’air comme une envolée de fanfare. Il plisse les yeux derrière ses verres teintés.

— Et… ah ! Je vois du sang, de la poussière, et une bosse digne d’un cartoon !

Il penche la tête avec ravissement.

PARFAIT. C’est exactement ce que j’espérais !

D’un bond fluide, il quitte la rambarde, atterrit sans un bruit à côté de Rin. Il penche la tête, la scrute comme un antiquaire devant un vase fêlé.

— Rin, Rin, Rin… Une entaille pour l’honneur, hein ? Dis-moi que c’était stylé. C’est tout ce que je demande.

Il lui adresse un clin d’œil éhonté.

— On travaille l’esthétique avant la stratégie, on est d’accord ?

Puis il se retourne, pivote sur ses talons, et désigne Sho du doigt, l’air outragé comme un roi trahi.

— Et toi, mon pauvre ami ! Dis-moi : on t’a frappé ou t’as tenté un câlin avec une poutre ? Parce que cette bosse, là… elle mérite un prénom. Bernard. Elle s’appellera Bernard.

Il écarte les bras et fait un tour sur lui-même, comme s’il proclamait une révélation divine.

— Mes élèves ! Mes valeureux binômes ! Vous avez affronté l’ennemi, combattu vos peurs, mis un pied dans le monde impitoyable des exorcistes… et l’autre dans un mur. Je suis si fier.

Il pose la main sur son cœur, ses lèvres tremblent d’une émotion feinte.

Et, pour une seconde, il s’immobilise. Son regard devient presque sérieux.

— Infirmerie pour les éclopés. Rapport écrit pour les survivants. Et déjeuner amélioré pour les courageux.

Il laisse planer un silence, puis sourit, radieux.

— Vous avez une journée d’avance sur le programme. Si ça, c’est pas du génie pédagogique...

Un éclat de rire jaillit de Sho malgré lui. Il grimace en retenant Rin pour l’aider à avancer vers l’infirmerie.

— C’est elle qui a voulu me faire un câlin… Normal, je suis irrésistible… même pour les poutres… 

Jun-Ho, toujours près de son frère, balaie les blessés d’un regard froid.

— Les premières années...

Mais elle n’a pas le temps d’en dire plus. Un grondement profond émerge de l’allée. Le sol vibre à peine, mais la tension monte d’un cran. Tous les élèves se figent.

Une porte claque. Brutalement.

Une voix éclate, sourde et monumentale.

GOJO !!!

Les oiseaux fuient en panique. Le silence est tranchant.

Gojo se tourne lentement, le sourire plus large encore, comme un enfant pris la main dans le pot de miel.

— Ooooh, Yaga-sensei ! Quelle surprise ! Vous venez pour féliciter vos élèves ? Ils ont été exceptionnels...

Mais Yaga marche droit sur lui, les poings fermés, les sourcils froncés en un arc noir d’orage.

— Une élève blessée ! Un autre avec une commotion ! Des binômes seuls dans une zone infestée ! Et toi, tu fais le paon dans la cour avec un jus de fruit ?!

Gojo hausse les épaules, imperturbable.

— Bah, ils ont survécu, non ? Certains ont même fait bien mieux que prévu. Aya, Souta ? Ce duo est une pépite. Franchement, on devrait leur ouvrir une chaîne YouTube.

DANS MON BUREAU. IMMÉDIATEMENT.

Yaga gronde comme un raz-de-marée. Il se retourne vers les élèves, tente de retrouver un ton maîtrisé.

— Réfectoire. Tous. Et motus sur ce qui s’est passé hors des murs. Vous m’avez compris ?

Gojo, tiré par le col comme un adolescent puni, leur adresse un dernier clin d’œil, dramatique.

— Si je reviens pas… dites à mes lunettes que je les aimais.

Silence. Puis quelques rires nerveux. Mais pas chez Aya.

Elle ne rit pas. Ne bouge presque pas.

— Il s’est passé… quoi, là ? murmure-t-elle.

Jun-Ho soupire, l’air blasé.

— Ils sont obligés de hurler comme ça ? Et on peut même pas se vanter d’avoir fait exploser un fléau…

Souta, calme et distant, murmure, les mains dans les poches.

— Le quotidien à Jujutsu Tech. Tu t’y feras.

Il marque une pause, un léger soupir.

— Il s’en sortira. Comme toujours.

Ils avancent vers le réfectoire. Souta pousse la porte d’un coup d’épaule, attend que les autres passent. Puis referme derrière eux.

— …C’est plus calme ici.

Il choisit une table au fond, dos au mur, son poste habituel. Jin-Ho s’effondre sur une chaise sans cérémonie.

— Des fléaux, un portail, un proviseur en mode kaiju... S’il y a un fantôme dans la soupe, on coche la grille complète.

Souta croise les bras sur la table. Son regard ne quitte pas Aya. Elle tient encore son livre contre elle. Comme si lâcher ce bloc d’encre la ferait s’effondrer.

{Tu t’es bien débrouillée. Même si c’était pas ton rôle.}

— Encore un plan foireux signé Gojo, maugrée Jin-Ho. On finira tous avec un syndrome post-trauma ou un palmarès national. Pas de milieu.

{S’il pouvait se taire une minute…}, pense Souta, la mâchoire contractée.

Jun-Ho s’assoit près de son frère, sans un mot. Toujours accroché à son bras, mécanique. L’œil critique.

— Gojo est un gamin. Heureusement qu’il est puissant. Sinon on se demanderait ce qu’il fout là.

Aya lève les yeux, doucement. Sa voix, douce, fend le silence.

— Tu pourrais partir… Si tu détestes ça autant.

Jun-Ho arque un sourcil.

— Oh. Elle parle. J’en doutais, à vrai dire.

Souta lève enfin les yeux. Son regard glace la pièce.

— Tu veux pas la fermer deux secondes, Jun ? Elle a pulvérisé un fléau sans comprendre comment. Toi, t’as fait quoi ?

Jin-Ho rit, amer.

— Ça y est. Ambiance. Je fais juste une remarque sur le moral collectif, et je me prends des shikigami dans la tronche…

Il se tourne vers Aya.

— Sérieusement, t’as assuré. Alors redresse-toi, au lieu de te planquer derrière ton grimoire. T’as rien à cacher.

— Ferme-la, Jin.

Le ton est sec. Souta, toujours.

Jin-Ho grimace, mais poursuit :

— Une première année qui sauve un deuxième. Une autre en sang. On est censés applaudir ?

— Gojo nous testait, tranche Souta. Et elle, elle a réussi.

Aya lève le regard. L’ancre de sa voix est claire, fragile mais ancrée.

— Je sais pas ce que j’ai fait. Mais Souta…

Elle le fixe.

— Je suis sûre que tu l’avais déjà affaibli. Il suffisait d’un souffle pour qu’il tombe.

Puis elle se tourne vers Jin-Ho.

— Tu critiques les premières années. Mais t’as perdu ton binôme. Peut-être que t’aurais dû mieux veiller sur elle.

Le silence devient coupant. Jin-Ho se lève brusquement, la chaise grince.

— Tu crois que c’est moi qui l’ai envoyée là ?! Tu sais rien de Rin ! Rien de ce qu’elle a affronté !

Il tremble. Souta ne bronche pas. Mais sa voix tombe, froide.

— Elle t’accuse pas. Elle constate. Et elle a raison.

— Tu te crois meilleur, Zenin ?! Le mec silencieux qui regarde tout le monde de haut ?!

Aya sursaute. Ferme les yeux. Sa respiration s’emballe.

{Stop…}

SPLASH.

Le bruit claque dans la salle. Brutal. Mouillé.

Jin-Ho se fige. Trempé. Les cheveux ruisselants, les bras écartés.

— Qu’est-ce que… ?!

Tous les regards convergent. Aya. Immobile. Les yeux toujours fermés. Souta fronce les sourcils.

— C’était elle…

Il fixe le sol. Les flaques.

— Deuxième fois…

Jin-Ho explose.

— Son pouvoir, c’est m’arroser au moment dramatique ?!

Aya entrouvre les yeux. Aperçoit l’eau. Blêmit. Renverse sa chaise, un geste nerveux.

— Non… je… j’ai pas…

Elle court. La porte claque derrière elle.

Jin-Ho, trempé, fulmine.

— Sérieusement ? Elle se barre ?!

Souta, calme, fixe la flaque à ses pieds.

— Elle contrôle rien. C’est la peur. Et c’est la deuxième fois que ça arrive.

Il se lève. Redresse la chaise d’un geste lent. Puis se tourne.

— Je vais la retrouver.

— Elle ferait mieux de retourner à la bibliothèque si c’est pour noyer tout le monde, grommelle Jin-Ho.

Souta le regarde. Une dernière fois.

— T’as failli perdre ton binôme. Peut-être que tu devrais y penser avant de hurler sur une fille qui panique.

Et il quitte la pièce. Sans hausser le ton. Sans se retourner.

Son pas est rapide. Décidé. Et silencieux comme une ombre.

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