Le Revers de L'Infini - Tome 1 : Découverte

Chapitre 7 : Boucliers de papier

1649 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/09/2025 21:07

Le couloir est désert, baigné d’une lumière glacée que les néons crachotent par intermittence. Le silence n’est pas paisible, il est lourd, suspendu, presque coupant.

Aya est recroquevillée dans un renfoncement du mur, assise à même le sol. Les genoux remontés contre elle, le dos appuyé à la cloison, elle serre son livre contre sa poitrine comme on s’agrippe à un gilet de sauvetage en pleine mer. Ses yeux sont humides, brillants, mais aucune larme ne coule. Pas vraiment. Pas encore. Son souffle est calme en apparence, mais ses pensées, elles, tournent en boucle.

{Pourquoi tu fais toujours n’importe quoi…

 Ils vont tous te détester maintenant…

 Je sais même pas comment je fais… je fais rien… rien de bien…}

Un claquement sec résonne au loin. Une porte. Puis des pas. Lents, traînants, presque exagérés dans leur nonchalance. Une silhouette s’avance, et un soupir théâtral fend le couloir.

Pfiuuu… Yaga-sensei a vraiment besoin de vacances… ou de chocolat.

Gojo apparaît au détour du couloir, lunettes en place, les mains bien ancrées dans les poches de sa veste. Il s’arrête net en apercevant la silhouette blottie contre le mur. Il ne parle pas tout de suite. Il penche la tête sur le côté, doucement, comme un animal curieux. Puis sa voix se fait plus douce qu’à l’habitude, presque… normale.

— Ooooh… mais qu’est-ce qu’on a là ? Une petite lectrice égarée ? Ou une future exorciste planquée dans un coin ?

Il avance sans précipitation, chaque geste mesuré, presque silencieux, et s’accroupit face à elle, laissant une distance respectueuse. Il ne cherche pas à croiser son regard. Il est juste là.

— T’as ce regard, Aya. Celui que j’ai vu sur beaucoup trop de gamins. Celui qu’on a la première fois qu’on comprend que ce monde-là, celui des fléaux, des combats, des pertes… n’est pas fait pour les gentils.

Sa voix se fait plus grave, plus lente. Un ton rare chez lui.

— C’est pas grave d’avoir peur. C’est pas grave d’être paumée. Ce qui compte, c’est que t’étais là. Et t’as réagi. Et parfois… surtout au début… c’est tout ce qu’on attend.

Il fouille dans sa poche et en sort une sucette, rouge cerise. Il la pose doucement au sol, à côté d’elle, sans commentaire, sans mise en scène. Juste là. Comme un signal discret.

Aya lève lentement les yeux. Elle fixe l’emballage brillant, presque surprise de ce petit éclat absurde dans le gris du couloir. Puis son regard remonte vers Gojo, encore incertain.

— J’ai… j’ai arrosé Jin-Ho pour le calmer. Enfin, non. J’ai rien fait. Enfin… je sais pas…

Elle secoue la tête, les mots s’emmêlent, la gorge serrée.

— Il est furieux. Il me déteste, c’est sûr.

Gojo ne rit pas. Mais un sourire léger étire ses lèvres. Sous les verres teintés, ses yeux la détaillent avec une douceur qu’il montre rarement.

— Jin-Ho est toujours furieux. C’est sa façon de dire bonjour. Quand il se sera calmé, il reverra la scène dans sa tête… et il verra que t’as rien fait de mal.

Il lève un doigt, façon professeur facétieux.

— Et tu sais quoi ? Ne pas savoir ce que t’as fait… c’est souvent signe que t’as fait un truc énorme. Les techniques maudites, elles viennent pas avec un manuel. Y a pas de notice. Tu crois que moi, j’ai trouvé comment inverser la réalité dans un bouquin de bricolage ?

Il rit, doucement, sans moquerie. Puis sa voix s’adoucit encore.

— Ce que t’as fait, c’est pas rien. Et ce que tu ressens… là, maintenant… c’est normal. T’es pas en retard. T’es juste au début. Et le début, Aya… c’est un moment puissant. Fragile, mais puissant.

Il tapote le sol du bout des doigts, comme pour rompre le silence sans l’effrayer.

— Tu veux rester ici encore un peu ? Ou tu préfères faire une entrée théâtrale au dîner, genre héroïne maudite en pleine rédemption ?

Il jette un regard au livre qu’elle garde contre elle.

— Tu le tiens comme un bouclier. Ton bouclier en papier. Il parle de quoi ?

Elle hésite, puis tend lentement le livre. La couverture est sobre, presque académique.

— C’est un recueil des plus belles interventions d’exorcisme… des cinq dernières années.

Elle baisse les yeux.

— Souta dit que j’ai fait disparaître le fléau… mais c’est pas possible. Hein ?

Gojo lit le titre. Un sourire étire ses lèvres.

— Un recueil, hein ? T’as du goût. Même si le titre fait un peu vendeur de tapis…

Il plisse les yeux avec malice.

— Tu l’as lu, le chapitre sur moi ? Pas mal, non ? Bon… en-dessous de la vérité, évidemment. Difficile de résumer un mythe en quelques pages.

Puis il redevient sérieux.

— Souta n’a pas rêvé. Le pouvoir, il est là. T’as fait quelque chose. Tu le vois pas encore, mais c’est là. Et un jour, tu le regarderas en face. En attendant, ton livre… il ne peut pas se battre à ta place.

Aya serre l’ouvrage contre elle. Sa voix est plus calme.

— Oui, je l’ai lu… Ton chapitre. C’était impressionnant. Vraiment.

Elle lève les yeux, presque timidement.

— J’espère un jour pouvoir faire ne serait-ce qu’un dixième de ce que t’as accompli.

Puis, plus bas :

— Ce livre m’aide à pas me noyer dans ma peur. À respirer.

Gojo incline légèrement la tête. Attendri.

— Alors garde-le. Tant qu’il t’aide à avancer, c’est pas un fardeau. C’est un allié.

Il s’adosse au mur, croise les bras.

— Et pour faire le dixième de ce que j’ai fait… tu sais, t’as déjà surpris pas mal de monde.

Il la fixe avec une sincérité rare.

— T’es pas en retard. Tu démarres. Et ça, c’est déjà énorme.

Un silence.

Aya lève enfin la tête. Plus droite. Moins fuyante.

— Je… je crois que je suis prête à y retourner. Je peux pas rester ici à me cacher.

Elle se tourne brusquement.

— Rin ! Est-ce que Rin va bien ?

Gojo se redresse, rassurant.

— Elle est entre les mains de Shoko. Discrète, mais imbattable côté soins. Une ancienne camarade. Et d’après les murs de l’infirmerie… Rin veut déjà repartir taper des fléaux.

Il hoche la tête.

— Elle va bien.

Un bruit de pas. Lents, calmes. Souta apparaît à l’angle du couloir. Il avance sans précipitation, mains dans les poches. Il s’arrête à quelques mètres. Son regard, posé sur Aya, reste neutre, mais attentif.

— T’es là.

Il jette un coup d’œil vers Gojo, puis revient à elle.

— Tu devrais pas partir comme ça. Pas pour… lui.

Il s’approche. Sa voix est basse, posée.

— Ça va ?

Gojo, satisfait, leur adresse un clin d’œil discret.

— Bon, je vous laisse entre coéquipiers. Évitez de vous perdre dans les couloirs, hmm ?

Et il disparaît.

Souta se tient près d’elle. À distance juste.

— C’est pas grave, tu sais. Jin, c’est un abruti. Il gueule sur tout ce qui bouge. Même sur lui-même, parfois. T’as rien fait de mal.

Aya le regarde, étonnée de le voir là.

— Oui… ça va.

Elle serre son livre un peu plus fort.

— Tu… tu me cherchais ?

Souta hoche la tête. Presque imperceptible.

— Ouais. Pas longtemps. Mais ouais.

Elle inspire, profondément.

— Je sais pas ce que j’ai fait. J’ai eu peur qu’il me frappe… et c’est arrivé. L’eau. C’était comme si… c’était pas moi.

— C’était toi. Ton pouvoir a réagi. C’est tout. Il t’en veut, peut-être. Mais il en veut à tout le monde. C’est pas ton problème.

Un silence.

Puis, plus bas :

— Et… j’étais pas tranquille. De pas savoir où t’étais.

Il la fixe. Enfin.

— C’est pas facile ici. Mais t’as ta place, Aya.

Il baisse les yeux. Un détail le fait tiquer.

— C’est quoi, cette sucette ?

Aya suit son regard. Rit doucement.

— Gojo. Il a dû croire que j’avais six ans...

Elle se relève, rassemble ses pensées, retrouve un peu de souffle.

— J’aimerais comprendre ce que je fais. C’est flou. Comme si c’était pas vraiment moi.

Elle jette un œil vers la porte du réfectoire.

— Je dois y retourner…

Elle le regarde. Sincère.

— Merci, Souta.

Il hausse une épaule. Ramasse la sucette, lui tend.

— Elle va pas rester là, quand même…

Il soupire, doucement.

— Ce que t’as fait, c’était pas un accident. Peut-être pas volontaire. Mais réel.

Il marque une pause.

— Si tu veux y retourner… vas-y. Jin aboie plus qu’il mord. Et moi, je suis juste derrière.

Puis, à peine audible :

— Et t’as bien fait. C’est un abruti.

Aya prend la sucette. La tourne entre ses doigts.

— Rin l’aimera peut-être. Après sa blessure...

Elle la glisse dans sa poche. Se tourne vers le couloir. Avance d’un pas lent mais assuré.

Souta la suit. Quelques pas derrière.

Elle esquisse un sourire.

{Juste derrière moi…}

Devant la porte du réfectoire, elle s’arrête. Inspire profondément.

Puis pousse la porte.

Et entre.

  

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