Le Revers de L'Infini - Tome 1 : Découverte

La porte du réfectoire s’ouvre lentement dans un grincement léger. Aya franchit le seuil, son livre toujours plaqué contre sa poitrine comme une protection dérisoire. Ses pas sont hésitants, mais constants. Souta est juste derrière elle. Immobile dans l’embrasure, les bras croisés, il veille. Sa présence est silencieuse, solide. Comme un rempart derrière lequel on peut respirer.

À l’intérieur, les conversations meurent instantanément. L’air devient dense. Tous les regards se tournent vers elle. Des visages figés. Des murmures étouffés. Des jugements qui n’ont pas encore choisi s’ils seront moqueurs ou attentifs.

Aya ne baisse pas les yeux. Mais elle sent le poids de chaque regard sur ses épaules.

Jin-Ho, affalé sur une chaise au fond de la pièce, redresse lentement la tête. Son regard est noir, tranchant. Un rictus glisse sur ses lèvres.

— Oh tiens. La revoilà, la star du jour…

Il tapote du bout des doigts sur la table. L’agacement perce dans le rythme sec de ses gestes.

— T’as balancé de l’eau sans prévenir et t’as fui comme une gamine. Et là, tu reviens, tranquille, genre “j’ai oublié mon goûter” ?

Il se redresse à moitié. Son regard quitte Aya pour fondre sur Souta, avec une hostilité assumée.

— Et toi, le toutou silencieux, tu vas encore lui tenir la main ou tu comptes lui dire la vérité à un moment ?

Souta ne réagit pas tout de suite. Il décroise lentement les bras. S’avance. Chaque pas est mesuré. Sa voix, quand elle s’élève, est calme, mais sonne comme une gifle retenue.

— Si t’as un problème, règle-le. Mais arrête de cracher sur tout le monde pendant que tu fais semblant d’être blessé.

Il marque une pause.

— Elle est revenue. C’est plus que ce qu’on attendait de toi quand Rin s’est retrouvée seule.

Le silence devient tendu. Tranchant. Les autres retiennent leur souffle.

Aya ne bouge pas. Ses doigts se referment un peu plus fort sur son livre. Elle inspire, lentement. Puis elle dépasse Souta. Avance. Droite. Son regard accroche celui de Jin-Ho, sans faiblir.

— Je vais pas m’excuser pour t’avoir calmé. T’avais clairement besoin qu’on te remette les idées au frais.

Un silence. Elle cherche ses mots. Sa voix tremble un peu, mais tient.

— Mais… comme je sais pas comment j’ai fait, je te présente mes excuses. Pas pour l’eau. Pour l’avoir fait sans le choisir.

Elle déglutit.

— J’aurais dû le faire moi-même. Te lancer ce verre à la figure.

Un éclat de surprise traverse les yeux de Jin-Ho. Il cligne des yeux. L’expression un instant fendue. Il rit. Un rire court, amer.

— T’es sérieuse ? Tu sais pas ce que t’as fait, mais tu dis que t’aurais dû le faire exprès ?

Il passe une main sur son visage, secoue la tête.

— Putain… t’es vraiment perchée.

Il recule d’un pas, croise les bras, le regard à nouveau froid.

— T’as les nerfs d’une brindille. Mais t’as tenu. J’vais pas te féliciter, mais j’te reconnais ça.

Plus bas. Murmuré, presque malgré lui :

— Et Rin m’en voudrait de t’en coller une maintenant. Elle t’aime bien. Cette furie…

Souta se poste calmement à côté d’Aya. Son regard effleure Jin-Ho.

— On dirait que tu l’as calmé. Avec ou sans verre d’eau.

Un silence, puis un demi-sourire discret.

— Pour ce que ça vaut… elle est pas perchée. Juste différente.

Aya ne le regarde pas. Elle fixe Jin-Ho.

— T’étais en colère. Tes yeux… j’ai cru qu’ils allaient m’engloutir.

Elle baisse légèrement la voix.

— Alors oui, si j’avais eu un verre… il aurait volé. Et je l’aurais regretté. Mais seulement après.

Elle détourne enfin le regard.

— Tu peux penser ce que tu veux de moi. Les gens l’ont toujours fait.

Puis elle s’éloigne. Va s’asseoir à l’écart. Le livre toujours ancré contre elle, comme un talisman.

La porte s’ouvre brusquement. Sho déboule, l’air ravi.

— Voilà le plus beau !

Il s’arrête net en percevant la tension.

— …J’ai raté quoi, encore ?

Jin-Ho soupire, s’affaisse un peu sur sa chaise.

— C’est pas une raison pour me balancer un tsunami, sérieux.

Il s’adosse au mur, l’air plus fatigué qu’en colère.

— J’ai jamais dit qu’elle était nulle. Juste qu’elle m’énervait.

Souta, sans bouger, répond doucement :

— Tu t’énerves contre elle alors qu’elle t’a fait face. Et toi, t’as gueulé. Pas très glorieux.

Il se détourne. Va s’asseoir à une table, le regard perdu.

Deux silhouettes franchissent alors le seuil. Gojo entre le premier, toujours décontracté, lunettes ajustées, sourire au coin des lèvres.

— On dirait que j’arrive pile pour la fin du spectacle. Personne n’a pris feu ? Décevant.

Derrière lui, une présence beaucoup plus dense. Kento Nanami. Le costume est parfait, la cravate impeccable, les gestes mesurés. Son regard, froid mais lucide, traverse la pièce comme une lame.

— Tch. C’est donc ici que ça dégénère.

Il observe d’un coup d’œil précis la tension dans la salle. Son regard s’arrête brièvement sur Aya.

— Tu dois être la nouvelle. Kento Nanami.

Gojo, enjoué :

— C’est Aya. Elle fait des trucs cool… sans faire exprès.

Nanami hoche la tête.

— On discutera. Plus tard.

Puis il fixe Jin-Ho. Tranchant.

— Toi. Marche. Tu vas refroidir un peu.

Gojo lève la main dans un geste de départ :

— On vous rend Sho. Et Rin arrive. Ne déclenchez pas une guerre civile d’ici là.

Ils quittent la pièce.

Jin-Ho grogne, se redresse.

— Je reviens, Jun. J’vais parler aux profs.

Sho, hilare, s’assoit à côté de Jun-Ho.

— Alors, c’est quoi cette histoire de verre d’eau ? Salamèche a encore perdu le contrôle ?

Jun foudroie Sho du regard, froidement.

__ Tu l'appelles pas comme ça…

Sho se recroqueville un peu sur sa chaise.

Aya garde les yeux baissés et murmure :

— De l’eau… venue de nulle part.

Un courant d’air soulève la tension. La porte s’ouvre en grand. Rin entre, bras en écharpe, mais l’allure fière.

— Et ben j’espère que vous avez pas commencé la guerre sans moi !

Elle parcourt la pièce du regard, blasée. Ses yeux tombent sur Sho.

— T’es encore vivant toi. Miracle.

Puis elle salue Souta d’un bref hochement de tête. Vient s’asseoir à côté de lui sans cérémonie.

— Si une autre mission me fout à l’infirmerie, je jure que je découpe le prochain fléau à mains nues. Même avec un bras tout pété.

Elle se tourne vers Aya.

— Alors, cette première mission ? T’en penses quoi ?

Aya hésite, puis sourit.

— Disons que… tu me dois un dessert. Enfin… je crois.

Souta soupire, se lève, sort sans un mot.

Sho, curieux :

— Sérieux, c’est quoi cette histoire d’eau ?

Rin lance un clin d’œil à Aya.

Aya fixe un instant Jun-Ho qui la fixe froidement, puis murmure :

— J’ai… Non. De l’eau a arrosé Jin-Ho.

C'est à ce moment précis que ce dernier revient dans la pièce et s'affale de nouveau dans sa chaise en soupirant bruyamment.

Sho éclate de rire.

— Sérieux ? Juste ça ?! Mais c’est rien du tout !

Jin-Ho, grognon :

— Ouais. De l’eau. Venue de nulle part. Dans la tronche.

Rin, hilare :

— T’es en sucre ou quoi ?

— Fermez-la, tous. Ou sinon… *se ravise quand sa sœur pose une main sur son épaule.

Aya, plus calme maintenant, esquisse un sourire.

— L’eau… elle t’a fait du bien, en fait.

Sho la taquine :

— Mais elle est venue d’où ? T’as jeté ton verre, Aya ?

Silence. Elle ne répond pas. Jin-Ho comble.

— Gerbe d’eau. Inexplicable. Mais c’est elle. Pas de doute.

— Incident clos, comme dirait Nanami…

Rin se penche vers Aya, plus douce :

— T’as fait ce que t’as pu. Et franchement… c’était pas rien.

Jin-Ho, soupirant :

— Si tu veux, on bosse ensemble la prochaine fois. Gojo le demande. Apparemment.

Rin, moqueuse :

— Ou alors elle nous refait son tour et explose tout. Faudra qu’on s’y habitue…

Aya baisse la tête, mais sourit discrètement.

Jin-Ho se lève :

— Allez. Si on traîne, Gojo va débarquer avec une mission surprise.

Il sort avec sa sœur.

— À plus, les nuls !

— C’est toi le gros nase… marmonne Rin.

Elle se tourne vers Aya. Lui tend une main franche.

— On bouge, voisine ?

Aya serre son livre, se lève doucement. Sa main rejoint celle de Rin.

— Oui. Allons-y.

Sho, toujours souriant, les salue et sort aussi :

— Bonne nuit les filles !

Et la porte se referme derrière eux.

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Prochain chapitre mardi entre 20h et 22h30