Le Revers de L'Infini - Tome 2 : L'Eveil

Chapitre 3 : Entre lumière et ombre

3061 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/10/2025 20:11

Le matin est à peine levé. La chambre de Souta baigne encore dans l’ombre, les rideaux tirés et l’air frais. Un silence feutré règne, jusqu’à ce qu’un grincement léger trouble l’équilibre.

La poignée tourne lentement. Trop lentement.

Opération Réveil du Loup !

 La voix est chuchotée... mais fort. Beaucoup trop fort.

Gojo avance en silence, un sourire de môme en mission commando collé au visage. Dans sa main, une paille. Et sans prévenir, il souffle droit sur le visage de Souta, allongé dans son lit.

Un œil s’ouvre. Lentement. Mortellement.

— …Vous avez soufflé sur moi. Avec une paille ?

Gojo bombe le torse, fier :

— Méthode testée et validée sur Nanami ! Bon, il m’a menacé de m’écraser contre un mur, mais c’était un succès !

Souta se redresse, une main dans ses cheveux en bataille.

— Vous n’avez vraiment rien de mieux à faire ?

— Nope ! Ce matin, mission top secrète ! Entraînement de la paire lumière et ombre ! Toi et Aya. Elle veut progresser, et t’as gagné la loterie du mentorat.

Souta lève les yeux au ciel, déjà blasé.

— Ce n’était même pas une loterie. Vous avez décidé ça tout seul.

— Peut-être… Gojo siffle innocemment. Mais elle t’a choisi hier soir. Elle a dit un truc du genre “Souta m’a aidée”, donc moi, j’ai entendu “Déclaration officielle de mentor attitré”.

— Je vous rappelle que je suis pas l’élève extraverti ici…

Gojo s’adosse au mur, bras croisés.

— Justement. Elle est la lumière. Toi, t’es l’ombre. Yin et yang. Sucré et salé. Elle te rééquilibre. C’est beau !

— C’est beaucoup trop tôt pour vos métaphores pourries...

Gojo ouvre la porte avec fracas.

— À la cour dans dix minutes ! Et si t’es pas là… j’viens avec un micro et je chante du karaoké devant ta fenêtre !

— …Vous êtes la pire personne.

Dans le couloir, Gojo s’éloigne en chantonnant faux :

You are my sunshine… my only suuunshiiiine~

Devant la porte close d’Aya, il marque un arrêt. Sort un objet de sa poche, un petit “clic” se fait entendre : un minuteur de cuisine posé au sol.

— Ici l’agence des réveils urgents. On a repéré un potentiel fléau du sommeil profond dans cette chambre…

Une pause.

— Le loup a été extirpé de sa tanière. Il grogne, mais il est debout. Donc pas d’excuse.

Il colle sa tête à la porte.

— Quand ça sonne, je reviens avec un mégaphone, un ballon panda, et une playlist de génériques d’anime des années 90. Tu veux vraiment risquer ça ? Allez, on bouge, p’tite étoile. L’aube n’attend pas...

Le minuteur tictaque. Gojo siffle gaiement dans les couloirs.

Aya, dans sa chambre, se redresse d’un coup. Elle a entendu un bruit. Un cri ? Elle regarde l’heure. Très tôt.

Il est sérieux ?

Elle pousse la couette, se lève, se frotte le visage en soupirant. Elle se prépare tant bien que mal, encore dans le flou du réveil.

Il est pas croyable… mais tellement gentil.

Elle ouvre la porte, jette un œil dans le couloir. Pas de Gojo. Trop tard ?

Un hurlement traverse le bâtiment.

AYA ! SOUTAAA ! RÉVEIL SPIRITUEL EN URGENCE ! C’EST L’HEURE DE DEVENIR DES LÉGENDEEEEES !!!

Une pause dramatique.

— Si vous descendez pas dans 30 secondes, j’fais un karaoké en solo ! J’ai “Let it Go” prêt à partir !

Aya lève les yeux au ciel et sort.

— Bonjour, monsieur Gojo...

Souta arrive aussi, encore ensommeillé, les mains dans les poches.

— …Je savais que vous alliez crier. J’ai espéré que non. J’avais tort.

Il lance un regard à Gojo, puis à Aya, puis au ciel.

— Vous alliez vraiment chanter “Let it Go”, ou c’était une menace ?

— Un teaser. Tu veux l’album complet ?

— Si je meurs aujourd’hui… ce sera de honte.

Gojo ricane sous son bandeau.

— Ça va toi, ma petite Aya ? Fait pas gaffe au loup. Il mord pas le matin, il grogne juste.

— Ça va oui.

Aya sourit doucement à Souta.

— Bonjour.

— …Salut.

Souta la regarde brièvement, remarque le livre serré contre elle, puis détourne les yeux.

— T’as pensé à manger ? T’as l’air plus pâle que d’habitude.

Un silence.

— …Je dis pas ça méchamment.

— Ça va… Je mangerai plus tard.

Elle se tourne vers Gojo.

— On fait quoi, du coup ?

Gojo sort les mains de ses poches, le sourire large.

— Mission express ! Vous deux, moi, et un fléau de rang B planqué dans une vieille animalerie. Des ombres suspectes, des bruits bizarres… peut-être un chat maudit, peut-être un hamster ninja. Qui sait ?

Il commence à marcher.

— Allez, en route ! Et Aya, tu mangeras après. Sauf si le fléau te mange avant !

— Je veux pas me faire manger, moi...

Gojo rit.

— Alors faut penser comme un prédateur, pas comme un biscuit !

Il se tourne, clin d’œil sous le bandeau.

— T’inquiète, avec Souta à l’arrière et moi en tête, t’es entre deux pare-chocs de luxe.

— Si un hamster géant arrive, j’vous abandonne, hein.

— Vous avez peur des rongeurs ?

— Pas peur. Stratégique. Y’a des rats explosifs, ok ?

Il se tourne vers Souta.

— Toi, t’as peur des carottes, non ?

— …Ça sort d’où ça encore ?

Aya les écoute, un léger sourire aux lèvres.

— Je suis pas un biscuit… mais je suis pas un lion non plus...

Souta marche à côté d’elle, les yeux sur la ville au loin.

— Tu sais...

Il touche la garde de la lame à sa ceinture.

— Tu devrais apprendre à te servir de ça aussi. Une lame. Quand Cindy flanche, c’est bien d’avoir une autre option.

— Il a pas tort. Et quelques techniques de combat. Mais faudra lâcher ton doudou pour ça !

— …J’ai jamais fait ça. Je sais pas me battre. Et je veux pas.

— T’as pas besoin d’aimer ça. Mais parfois… t’as pas le choix.

Un silence. Souta ajoute :

— On t’apprendra. C’est pas pour frapper. C’est pour rester debout.

— C’est elle la guerrière… Pas moi...

Gojo lève un doigt.

— Tu crois que j’étais un guerrier, gamin ? J’étais un sale gosse ! Bon… ça a pas trop changé.

Il s’arrête, la désigne.

— Cindy, c’est toi. Si elle sait se battre, c’est que toi aussi. T’as juste à aller la chercher.

Aya baisse les yeux. Murmure :

— Si elle sait... je sais...

Gojo lève un pouce sans se retourner.

— Voilà l’esprit ! Faut juste l’écouter sans flipper.

Ils tournent dans une ruelle étroite. Les murs sont tagués, les fenêtres barricadées. L’air change. Plus dense. Plus chargé.

Gojo ralentit.

— Ok. Finie la promenade.

Son regard balaie les alentours.

— L’énergie est bizarre. Gardez les yeux ouverts. Et le cœur aussi, si c’est un fléau romantique...

— Tant que c’est pas celui d’hier...

Souta, main sur sa lame :

— Moins fort. Mais plus vicieux.

— Celle-là joue à cache-cache… avec vos entrailles.

Devant l’animalerie, Gojo s’arrête et se tourne vers eux, faussement grave.

— Vous deux, à l’intérieur. Inspection occulte express.

Il sort son téléphone, tout sourire.

— Moi, je vais chercher les croissants. Faut faire tourner l’économie.

Et il disparaît au coin de la rue.

— …Il nous a vraiment laissés ?

Souta soupire.

— Évidemment qu’il nous a laissés. C’est Gojo.

Il s’avance vers la porte.

— Allez. Plus vite on entre, plus vite on sort. Avec un peu de chance, c’est juste des chats.

Aya le suit, son livre serré contre elle.

Ils entrent.

 


L’animalerie est plongée dans une pénombre grise. L’air y est épais, chargé d’un silence malsain. Les cages sont renversées, les jouets pour animaux déchiquetés, les rayons poussiéreux. Une odeur métallique flotte, mêlée à celle d’un vieux bois humide.

Aya s’arrête après quelques pas, le souffle plus court, les doigts crispés sur son livre.

Souta reste près de l’entrée, calme, bras croisés, en veille. Il lève une main, paume ouverte, puis l’abaisse doucement.

Une ombre glisse sur le sol. Un petit renard d’énergie noire naît sous ses pieds, ses yeux luisant d’un bleu pâle. La créature serpente dans les allées, éclairant l’espace d’une lumière étrange.

— Je fais la lumière. À toi de jouer.

Il reste en arrière, attentif.

— C’est ton test, pas le mien. Gojo observe toujours, même quand il fait semblant d’être ailleurs.

Aya le regarde, apeurée. Puis elle inspire doucement. Hoche la tête.

— {Ça va aller… Ça va aller.}

Elle avance à petits pas, suit le renard comme une étoile filante tombée au sol. L’animal trace un chemin discret entre les cages brisées.

— Respire. Avance à ton rythme, dit Souta.

 Sa voix résonne faiblement dans l’espace.

— Si c’est trop, tu recules. Mais si tu veux progresser… faut oser. Même un pas tremblant, ça reste un pas.

Aya serre son livre, les tremblements parcourent ses bras.

— {J’ai jamais reculé… Je vais pas commencer maintenant.}

Souta, depuis l’ombre, la suit du regard, impassible mais concentré.

— Suis le renard. Il t’emmène là où l’énergie maudite est la plus forte.

Sa voix se fait plus grave :

— Et si ça bouge… tu fais ce que toi seule sais faire.

Aya acquiesce d’un signe de tête.

— Tu me sous-estimes, Souta…

Il esquisse un sourire à peine perceptible.

— Non. Je te connais pas encore assez pour ça. Montre-moi.

Elle fait deux pas de plus. Le renard s’arrête. Griffe doucement le sol. Les poils de son échine se hérissent. Un grondement, bas et long, gonfle l’air autour d’eux.

Une cage, à demi ouverte. L’ombre qui s’en échappe se déforme comme un reflet dans l’eau. Puis deux yeux luisent dans le noir.

— Je ne peux agir que si je le vois, souffle Aya.

— Alors approche encore. Il attend. Et moi, je suis juste derrière.

Aya inspire lentement.

— {Il ne regarde pas. Je fais que ça, avancer…}

Soudain, le fléau se manifeste. Une silhouette floue, son corps déformé par l’énergie maudite, se dresse lentement comme une marée montante.

Aya recule d’un pas, le cœur battant à tout rompre.

— {Montre-toi… Cindy va s’occuper de toi.}

Elle ferme les yeux. Dans son esprit, elle visualise. Cindy apparaît à ses côtés, calme, puissante, immobile. Elle tend les mains vers le fléau.

Les paumes se referment lentement.

Et l’air autour du fléau se resserre. Comme deux murs invisibles, convergeant avec lenteur, puis force.

— {Vas-y, Cindy.}

Cindy claque des mains.

Le fléau, comme écrasé dans un étau, frémit, hurle sans bruit, puis se dissout. Son énergie se disloque dans un souffle, sans fracas. Pas d’explosion. Juste… le silence.

Aya rouvre les yeux. Le monstre a disparu.

Souta, à l’arrière, reste immobile. Son regard s’attarde un peu plus longtemps sur elle que d’habitude.

— Tu progresses.

Un battement de silence.

— Et tu flippes toujours autant. Mais tu progresses. Bien joué. Impressionnant.

Le renard s’approche d’Aya, lentement. Sa lumière est paisible maintenant.

Aya se penche, tend la main, hésitante.

Le petit animal frôle ses doigts du museau, puis ferme les yeux contre sa paume.

Souta, derrière elle :

— Il t’a acceptée.

 Il croise les bras.

— Il sent que tu tiens debout toute seule. Même en tremblant.

Il baisse un peu la voix, presque pour lui-même :

— {Pas étonnant que c’est toi qu’elle ait choisie.}

 


La porte s’ouvre brusquement dans un fracas.

C’EST MOOOOIIIIII~ !

Gojo débarque comme une tornade, deux sacs de viennoiseries à la main, un café dans chaque doigt, sourire XXL.

— Et j’apporte la paix dans le monde… sous forme de croissants au beurre et cafés au lait !

Il s’arrête net. Il voit la cage brisée, l’ambiance retombée, la tension dans le dos d’Aya.

— Oh. Vous avez vraiment bossé ?!

Il tend un café à Souta, l’air impressionné.

— Je pensais que vous débattriez encore sur qui passe la porte en premier.

Il tend un croissant à Aya, comme une médaille.

— Et toi… Miss Biscuit, t’as bien mérité ton p’tit déj’ !

Aya attrape le croissant, la main encore un peu tremblante.

— Tu nous sous-estimes...

— Toujours. Mais jamais au bon moment.

Souta prend le café avec un regard blasé.

— On n’est pas des enfants à féliciter avec un goûter…

Il boit une gorgée.

— …Mais il est bon, votre truc.

Gojo le fixe, hilare.

— Voilààà, ça grogne, mais ça boit. Un vrai louveteau !

Il se tourne vers Aya.

— Et toi, tu viens de gagner ton insigne de "Dompteuse de bestioles niveau 1" !

Aya croque doucement dans son croissant.

— Niveau 1 ?

Gojo lève les yeux au plafond, dramatique.

— Hmm… Niveau 1, parce que le fléau faisait pas encore ses courses à Shibuya !

Il lui fait un geste de la main.

— Mais au rythme où tu vas, tu dompteras des classe S avant la fin du mois. S’ils te mangent pas avant, bien sûr.

Il se tourne vers Souta, faussement sérieux :

— T’as vu ? Elle a l’instinct. Toi t’as… les cernes.

Aya :

— Et moi ? Je suis quelle classe ?

Elle regarde Souta.

— T’aimes pas l’école, hein ?

Gojo répond à sa place :

— Classe “Potentiel explosif avec supplément de mystère”. Non classée, mais à surveiller de très près.

Souta lève les yeux au ciel.

— Ça veut rien dire, ça…

Gojo tape sa tempe.

— Si, dans ma tête, c’est très clair !

Aya fronce un peu les sourcils.

— Mais on peut pas lire dans ta tête...

Souta appelle calmement le renard, qui revient aussitôt vers lui, paisible. Il le fait disparaître d’un simple geste, comme une ombre qui se replie.

Gojo, croissant à la main, les observe tous les deux avec satisfaction.

— SUPER ! Une bonne chose de faite ! On rentre ?

Aya lève les yeux vers lui.

— T’es quel rang, toi, Souta ?

Gojo répond à sa place, l’air satisfait :

— Lui ? Il vient d’être promu rang 1. Mais il veut pas le dire visiblement…

Souta hausse les épaules, laconique :

— Parce que moi, j’ai pas besoin de me la péter.

Il passe devant les autres et quitte l’animalerie en soupirant.

Aya le regarde partir et commente, sincèrement :

— Répondre à une simple question, c’est pas se mettre en avant. C’est de la politesse.

Un instant de silence.

— T’es fort, en rang 1...

Gojo ajoute en suivant le mouvement, toujours les mains dans les poches :

— Pourtant c’est bien d’être fier de soi !

Souta, sans se retourner :

— Il a répondu pour moi...

— Je t’aide à faire des économies de mots, c’est tout ! lance Gojo, hilare.

Aya, son livre toujours contre elle, regarde Souta du coin de l’œil.

— Pourquoi t’aimes pas les gens ?

Souta marche un instant sans répondre, puis dit simplement :

— J’aime pas les complications.

Il tourne légèrement la tête vers elle, sans méchanceté.

— Et les gens, ça complique toujours tout.

Une pause.

— Mais t’es pas trop du genre bruyante, toi. C’est déjà pas mal.

Gojo, quelques pas plus loin, n’écoute plus. Il est occupé à prendre des selfies.

Aya regarde Souta longuement.

— Pourtant… monsieur Gojo m’a dit que pour être fort, faut s’entourer.

Souta ne réagit pas tout de suite. Sa voix, plus basse, finit par se faire entendre :

— Ouais… s’entourer, c’est utile.

Il marque une pause, son regard perdu dans les pavés.

— Mais ça veut dire devoir compter sur quelqu’un. Et ça, ça foire souvent…

Il tourne à peine la tête vers elle.

— T’as peut-être eu la chance de tomber sur des gens fiables. Tant mieux. Mais c’est pas toujours donné à tout le monde.

Aya marche toujours à son rythme.

— J’ai pas de chance. Je crois en l’amitié, c’est tout.

Un silence suit. Puis elle reprend, plus doucement :

— C’est dommage de rester dans ton coin… T’es un garçon gentil, et intéressant. Et ça, personne le sait.

Souta ralentit, surpris. Il la regarde, un sourcil levé.

— Gentil, intéressant… tu me prends pour un personnage de shōjo, là...

Il soupire un peu, mains dans les poches.

— Mais bon... T’es bizarre, Aya. Dans le bon sens. Alors… t’as le droit de savoir. Juste toi.

Il détourne le regard.

— Mais va pas le dire partout. J’ai une réputation de mec froid et solitaire à entretenir.

Aya cligne des yeux, un peu émue.

— Je suis bizarre… ?

— C’est pas un défaut. Bizarre, ça veut dire que t’es pas comme les autres. Et vu les gens ici, c’est pas plus mal.

Il ajoute, plus bas :

— Et t’as un truc que la plupart ont pas. Un truc vrai.

Il accélère un peu le pas, comme pour chasser ce qu’il vient de dire.

— Bon. T’arrives à suivre ou faut que je te porte, la bibliothèque ?

Gojo lève le nez de son téléphone.

— On est arrivés ! Je vous laisse ! Filez au réfectoire avant qu’il ferme !

Il les salue d’un geste et disparaît dans la lumière du milieu de matinée. 

Aya n’a pas le temps de répondre que Souta a déjà pris les devants.

— C’est bon, j’arrive… souffle-t-elle.

Elle jette un dernier regard vers l’endroit où Gojo a disparu, puis serre son livre un peu plus fort contre elle.

— Bon…

Et elle suit Souta, vers le réfectoire, vers la suite de son aventure… 


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