Kaboum : Le réveil des Karmadors

Chapitre 22 : Le serment des Bordeleau

4453 mots, Catégorie: B

Dernière mise à jour 28/10/2025 13:49

Le monde entier fut secoué.

Aux journaux télévisés, aux bulletins radio et même dans les pages du Journal de Montréal, une même histoire revenait en boucle : le petit village de Saint-Élie-de-Caxton avait été le théâtre d'un événement qu'aucun témoin n'oublierait. Les images, captées à la hâte par des téléphones portables, montraient un ciel nocturne traversé d'éclairs, un gigantesque vaisseau lumineux suspendu au-dessus du clocher, puis un bruit sourd qui fit vibrer toutes les fenêtres à la ronde.

— "On aurait dit un ange mécanique qui sortait du ciel !", déclarait une vieille dame tremblante, emmitouflée dans sa robe de chambre, devant les caméras.

— "Moi j'ai vu des silhouettes... des gens avec des armures qui brillaient ! J'vous jure que c'était pas humain, mais... c'était beau !", ajoutait un jeune homme, les yeux écarquillés.

Les chaînes d'informations diffusaient les images en boucle. Des experts en aéronautique parlaient d'un prototype militaire, d'autres évoquaient un canular géant. Mais la vérité, plus troublante, commençait à s'imposer :

les Krashmals et les Karmadors existaient bel et bien.

Un bandeau rouge déroulait au bas de l'écran :

⚠️ Alerte mondiale : le Krashmal suprême, Beurk, serait à la tête d'une armée Krashmals. Les autorités recommandent la prudence et la vigilance.

Dans les cafés, dans les rues et sur les réseaux sociaux, le mot "Karmador" devint viral. Certains les appelaient "les Gardiens du Bien", d'autres "les Anges de l'Ombre".


Pendant ce temps, à l'Académie des Karmadors, la réalité semblait suspendue.

Dans le grand salon aux boiseries anciennes, une vingtaine d'élèves étaient assis sur les canapés ou debout près des fenêtres, le regard fixé sur la télévision murale. Le visage de chaque élève reflétait un mélange d'émerveillement, de peur et d'incertitude.

La journaliste terminait son reportage d'une voix grave :

— "Et selon plusieurs témoins, le vaisseau aurait disparu à la vitesse de l'éclair, laissant derrière lui une onde sonore qui aurait été ressentie jusqu'à Trois-Rivières. Le gouvernement promet une enquête officielle."

Un clic sec se fit entendre.

Esther venait d'éteindre la télévision.

Le silence qui suivit fut plus lourd que tous les bruits de guerre.

Personne n'osait parler. On entendait seulement le crépitement du feu dans l'immense cheminée. Certains élèves se regardaient, d'autres gardaient les yeux baissés. Martin, les bras croisés, fixait le reflet de l'écran noir où il pouvait encore voir son propre visage fatigué.

— "Alors... c'est fini ?" murmura quelqu'un au fond de la salle.

— "Fini ?" répéta Esther en secouant la tête. "Non... le monde vient à peine d'ouvrir les yeux."

Elle regarda tour à tour Gina, Martin, Huang, Anne Marie, Simon et Sebastien et les autres apprentis.

Tous avaient le même air : celui de ceux qui avaient vu trop de choses pour leur âge.

— "Et... Sollonella ?" demanda timidement Huang. "Elle a dit quelque chose ?"

— "Non," répondit Gina. "Ils sont tous réunis. Le Grand Conseil délibère depuis l'aube."

Elle désigna la grande porte au fond du couloir, celle du Sanctuaire de Réunion, fermée depuis plusieurs heures.

Derrière ces portes, on devinait les voix étouffées de Sollonella, du Dr Grosse Tête, et des autres membres du Conseil. Des éclats de lumière s'échappaient parfois du bas de la porte, comme si la discussion faisait naître des éclats d'énergie.

Esther croisa les bras sur sa poitrine, songeuse.

— "Ils doivent parler de Beurk... et de ce qu'il compte faire maintenant."

— "Ou peut-être de ce qu'on va devoir faire, nous," ajouta Martin d'une voix plus grave.

Un murmure parcourut le groupe.

Les apprentis échangeaient des regards nerveux. La peur n'était plus un concept lointain : elle s'était installée ici, dans leurs murs.

Anne Marie, les bras serrés autour d'un coussin, finit par rompre le silence :

— "C'est étrange... avant, les Krashmals étaient une légende. Et maintenant, tout le monde les a vus. Même les enfants du village savent qu'ils sont réels. On ne peut plus se cacher."

Esther soupira doucement.

— "Non, Anne Marie. On ne peut plus se cacher... Et c'est peut-être mieux ainsi."

Le tonnerre gronda dehors, comme pour marquer la fin de la discussion.

La pluie commença à tomber sur les vitres, et un éclair illumina le ciel au-dessus de l'Académie.

— "Je me demande..." murmura Esther. "Si les gens vont encore nous voir comme des héros, ou comme une menace."

— "Ça dépendra de ce qu'on fait ensuite," répondit Martin avec un demi-sourire fatigué. "Et surtout... de si Beurk revient."

Les mots restèrent suspendus dans l'air, lourds de sens.

Car, derrière les grandes portes closes du Conseil, l'avenir des Karmadors était en train de se décider.


Le salon des apprentis baignait dans une lumière tamisée, à peine troublée par les dernières gouttes de pluie qui glissaient sur les vitres.

Les Karmadors s'étaient tous rassemblés autour du grand canapé circulaire. Personne n'osait parler, comme si la tempête dehors avait emporté les mots avec elle.

Simon fut le premier à briser le silence.

— J'en reviens toujours pas... ce qu'on a vécu là-bas, c'était... irréel.

Sa voix tremblait un peu, entre l'excitation et l'épuisement.

— Vous avez vu ces types ? Riu, Gyorg... c'était pas des humains. C'était des forces de la nature.

Sébastien hocha vivement la tête.

— Ouais, et pourtant, on a tenu ! On a tenu, Simon ! T'as vu Geyser ? J'croyais que le manoir allait s'écrouler pour de bon quand il a fait tomber cette pluie de grêle !

Martin, assis un peu en retrait, esquissa un sourire gêné.

— Ouais, j'ai un peu perdu le contrôle, admit-il. J'voulais juste protéger Esther... et puis, je sais pas, tout s'est déclenché d'un coup.

Esther, qui observait la pluie derrière la vitre, se tourna vers lui avec douceur.

— Tu nous as sauvés, Martin. Si tu n'avais pas fait apparaître cette tempête, Riu aurait pu me...

Elle s'interrompit, la gorge nouée.

Simon posa une main rassurante sur son épaule.

— T'inquiète. Ce qui compte, c'est qu'on soit tous là. Vivants. Et qu'on leur ait tenu tête.

Sébastien, lui, leva les bras, encore transporté par la fierté.

— Vous vous rendez compte ? On a affronté des Krashmals pour de vrai ! Pas un exercice, pas une simulation ! Et on s'en est sortis comme des pros.

— Comme des fous, surtout, lança Martin en riant.

Le rire gagna les autres. Un rire nerveux, un peu cassé, mais sincère.

Pendant un instant, tous oublièrent la peur, les cris, la foudre et la douleur.

Leurs regards se croisèrent — complices, fatigués, mais fiers.

Esther reprit plus calmement :

— C'est étrange, vous ne trouvez pas ? Quand c'est arrivé, j'ai senti... comme si quelque chose nous reliait. Comme si nos pouvoirs se répondaient.

— C'est peut-être ça, murmura Simon. Le vrai sens d'être un Karmador. Pas juste se battre... mais se comprendre.

Un silence suivit.

Puis, au-dehors, la pluie commença à faiblir. Les gouttes se firent plus rares, plus légères, jusqu'à devenir de simples perles glissant le long des vitres.

Sébastien, les yeux levés, souffla :

— Écoutez... la pluie s'arrête.

Le silence prit alors toute la pièce.

On entendait à peine le craquement du feu dans la cheminée, et le bruit discret d'une goutte qui tombait d'un toit au loin.

Puis, lentement, un rayon de lumière fendit les nuages et traversa la fenêtre.

Un éclat doré vint se poser sur la table basse, puis grimpa sur les visages des jeunes héros.

Le salon tout entier se teinta d'une clarté chaude, presque irréelle.

Esther esquissa un sourire.

— Vous sentez ?

Martin la regarda sans comprendre.

— Quoi donc ?

— Le calme... comme si le monde nous disait merci.

Simon s'adossa au canapé, les bras croisés derrière la tête.

— Ou alors, il nous dit de profiter du soleil avant la prochaine tempête.

Un éclat de rire général éclata, cette fois sincère, presque libérateur.

Même Martin, d'ordinaire réservé, éclata de rire à son tour.

Leur joie, légère mais vraie, emplit la salle comme un souffle nouveau.

Et lorsque les rires s'apaisèrent, il ne resta que le doux chant des oiseaux à travers la fenêtre entrouverte.

Le soleil brillait désormais sans timidité, effleurant les murs de l'Académie.

Sous cette lumière dorée, les Karmadors savaient que quelque chose avait changé.

Ils n'étaient plus simplement des élèves.

Ils étaient désormais unis — par le courage, la peur, et la promesse d'un avenir qu'ils étaient prêts à défendre.


Le rire s'était éteint doucement dans le salon.

Il ne restait plus que le cliquetis discret des tasses de thé et le crépitement du feu dans la cheminée.

Le soleil, à présent haut dans le ciel, filtrait à travers les grandes fenêtres, dessinant sur le parquet des formes mouvantes, presque apaisantes.

Esther, adossée contre le dossier du canapé, savourait enfin un instant de répit.

Mais soudain, une étrange vibration traversa son esprit — un écho lointain, comme une onde invisible.

Puis une voix, claire, grave, résonna dans sa tête :

« Esther Bordeleau... viens. Le Grand Conseil t'attend dans la grande salle. Viens seule. »

Le timbre était celui de Sollonella, reconnaissable entre mille.

Majestueux, presque céleste.

Mais dans cette voix flottait aussi une gravité qui fit aussitôt frissonner la jeune fille.

Esther se redressa brusquement, portant la main à sa tempe.

— Sollonella... ? murmura-t-elle, comme pour s'assurer qu'elle n'hallucinait pas.

Tous les regards se tournèrent vers elle.

Simon fronça les sourcils.

— Ça va, Esther ? Tu deviens toute pâle, là.

Martin s'approcha aussitôt, inquiet.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu entends encore des voix ou... ?

Elle leva les yeux vers lui, hésitant à parler, avant de souffler d'un ton nerveux :

— C'est Sollonella. Elle... elle vient de m'appeler. Dans ma tête. Elle veut me voir, seule.

Un silence pesant s'abattit aussitôt sur le salon.

Même le feu sembla crépiter plus doucement.

Sébastien blêmit.

— Seule ? C'est jamais bon signe, ça...

Simon tenta un sourire maladroit, cherchant à détendre l'atmosphère.

— Bah... peut-être qu'elle veut juste te féliciter, non ? Pour tout à l'heure.

— Ou peut-être qu'elle veut lui demander des explications, lança doucement Gina en croisant les bras.

Son ton calme n'était pas rassurant, et Esther sentit son cœur se serrer.

Martin posa une main sur son épaule.

— Si c'est le cas, je t'accompagne.

Mais elle secoua la tête, la gorge serrée.

— Non. Elle a dit que je devais venir seule.

Un nouveau silence s'installa, plus lourd encore que le précédent.

Tous semblaient retenir leur souffle.

Les flammes de la cheminée vacillèrent, comme si elles-mêmes craignaient d'enflammer l'atmosphère déjà tendue.

Esther inspira lentement, rassemblant son courage.

— J'y vais.

Elle se leva, le pas incertain au début, puis plus ferme à mesure qu'elle avançait vers la porte.

Avant de sortir, elle se retourna vers les autres :

— Peu importe ce qu'elle veut... restez ici, d'accord ?

— Fais attention à toi, souffla Martin d'une voix basse.

Elle lui adressa un mince sourire, puis poussa la porte.



Le couloir de l'Académie s'étendait devant elle, long, silencieux et éclairé par la lueur filtrée du soleil.

Pourtant, chaque pas qu'elle faisait semblait l'éloigner un peu plus de cette lumière rassurante.

Les murs, chargés d'histoire, portaient encore les cicatrices des anciens affrontements.

Des symboles d'or et d'argent luisaient faiblement sur les piliers, comme des yeux qui l'observaient passer.

Le son de ses pas résonnait dans l'immense corridor.

Par moments, elle croyait entendre un murmure derrière elle, mais chaque fois qu'elle se retournait, il n'y avait rien — seulement l'écho de sa propre respiration.

En approchant de la grande salle du Conseil, l'air devint plus dense, plus froid.

Une étrange aura flottait dans le couloir : un mélange d'encens, de poussière ancienne et d'électricité statique.

On aurait dit que le lieu lui-même retenait son souffle.

Esther posa la main sur la lourde porte sculptée.

Son cœur battait si fort qu'elle croyait qu'il allait exploser dans sa poitrine.

Elle ferma les yeux une seconde, cherchant un peu de courage dans le souvenir de sa mère, de son père, et de Martin.

Puis, dans un souffle à peine audible, elle murmura :

— Allons-y...

Et la porte s'ouvrit d'elle-même, lentement, dans un grincement solennel, dévoilant la grande salle du Grand Conseil — vaste, circulaire, illuminée par une lumière d'argent, où l'attendaient déjà Sollonella et les autres Sages, leurs silhouettes auréolées d'énergie mystique.

Le destin d'Esther Bordeleau venait, une fois de plus, de basculer.

Les portes massives se refermèrent derrière Esther dans un grondement sourd, comme un tonnerre étouffé.

Le silence qui suivit fut presque irréel.

Devant elle, s'ouvrait la grande salle du Conseil, vaste comme une cathédrale antique, illuminée par une lumière céleste qui semblait venir d'aucune source précise.

L'air y vibrait d'une énergie étrange — une aura de sagesse, d'autorité et de mystère.

Le sol, pavé de dalles de marbre noir et or, reflétait par endroits les éclats d'un plafond infini, où dansaient des rayons dorés entre les arches.

Autour de la salle, de gigantesques piliers incrustés de symboles runiques s'élevaient jusqu'à disparaître dans la hauteur.

Chaque symbole luisait faiblement, comme s'il respirait, pulsant d'une vie propre.

Esther avança d'un pas lent, le cœur battant, ses doigts tremblants effleurant la pierre froide.

À mesure qu'elle progressait, les torches murales s'allumaient une à une, libérant des flammes argentées.

Leurs reflets se projetaient sur son visage, découpant son ombre dans un ballet d'or et de lumière.

Au bout de l'immense nef, le podium du Grand Conseil dominait l'espace.

Sept sièges, imposants et sculptés de cristal, formaient un arc de cercle.

Chacun était occupé par un membre du Conseil — silhouettes solennelles, drapées de longues robes couleur or.

Leur présence imposait un respect instinctif.

Ils semblaient presque irréels, comme des entités entre deux mondes, suspendues entre la lumière et la matière.

Et, au centre de cet arc sacré, siégeait Sollonella.

Ses yeux, à demi clos, semblaient capter toute la lumière de la salle.

Une lueur douce, mais ferme, entourait son visage.


Esther s'arrêta au bas des marches, incapable de parler.

Le silence était si dense qu'elle entendait les battements de son propre cœur résonner contre les murs.

Puis, doucement, la voix de Sollonella s'éleva — profonde, harmonieuse, presque réverbérante, comme si mille échos divins l'accompagnaient :

— Esther Bordeleau...

Avance.

La jeune Karmadore obéit, le souffle court.

Ses pas résonnaient dans toute la salle, rythmés par la lente montée des marches.

Chaque marche semblait plus haute que la précédente, comme si l'air lui-même pesait sur ses épaules.

Arrivée au centre du cercle, elle sentit le regard de tous les membres du Conseil se poser sur elle.

Il n'y avait ni hostilité ni douceur dans ces regards, seulement une évaluation silencieuse, une attente chargée de sens.

C'était comme si chacun d'eux sondait son âme.

Et c'est alors qu'elle le vit.

Debout à droite de Sollonella, Greg.

Il ne siégeait pas comme les autres — il se tenait droit, immobile, son aura plus stable qu'elle ne l'avait jamais vue.

Son regard, calme et profond, croisa celui d'Esther.

Il portait maintenant le costume de Chrono, celui qu'elle avait elle-même imaginé pour lui.

Une vague d'émotion la traversa.

Pendant une fraction de seconde, elle revit le Greg qu'elle avait connu — maladroit, rieur, humain.

Mais celui qu'elle voyait maintenant n'avait plus rien du garçon d'autrefois.

C'était un Karmador accompli. Un gardien du temps.

Et pourtant, derrière son calme, il y avait dans ses yeux une ombre de tristesse, un éclat muet qui disait : "Ne t'inquiète pas. Ce qui arrive devait arriver."

Esther détourna le regard, sentant ses mains devenir moites.

Sollonella, toujours assise, la regardait avec une intensité sereine.

— Tu as bravé la tempête, dit-elle enfin.

Tu as vu la destruction, tu as affronté la peur, et pourtant tu es restée debout.

Aujourd'hui, le Grand Conseil t'a convoquée... non pour te juger, mais pour te révéler.

Autour d'elle, les autres membres du Conseil inclinèrent lentement la tête, comme pour appuyer ces mots.

Des halos de lumière descendirent du plafond et vinrent encercler Esther, traçant sur le sol un vaste symbole doré qui se mit à pulser faiblement, au rythme de son souffle.

Elle osa enfin parler, d'une voix tremblante :

— Me... me révéler ?

Sollonella hocha la tête, le visage grave.

— Oui, Bordeleau.

Car le monde que tu crois connaître vient de franchir un seuil... et toi, plus que quiconque, devras en porter la lumière.

Un murmure parcourut les rangs du Conseil, semblable à une prière ou un chant ancien.

Les murs vibrèrent d'une résonance subtile, comme si l'Académie entière écoutait ces paroles.

Esther sentit alors le sol se couvrir d'une brume dorée qui montait jusqu'à ses genoux, et dans cette lumière mouvante, les silhouettes du Conseil paraissaient flotter, divines, hors du temps.

Son souffle s'accéléra.

Elle sentit qu'elle allait entendre quelque chose qui changerait tout. 

Elle tourna ensuite son regard vers Esther.

— Parle, enfant. Le Conseil t'écoute.

Esther prit une grande inspiration.

Ses jambes tremblaient, mais sa voix, lorsqu'elle s'éleva, portait une conviction nouvelle.

— J'ai fait des erreurs, je ne le nierai pas. J'ai douté, j'ai eu peur... mais tout ce que j'ai entrepris, je l'ai fait pour comprendre... pour sauver mon père.

Jean-François a plongé notre famille dans la douleur, dans le coma, dans l'incompréhension. Et chaque jour, j'espérais trouver une trace, une explication...

Sa voix se brisa, l'émotion l'étreignant à la gorge.

— J'ai cru que l'Eau de Kaboum me donnerait les réponses. J'ai cru que je pouvais réparer le passé. Mais tout ce que j'ai trouvé, c'est une vérité plus grande que moi : on ne guérit pas le monde en remuant ses blessures.

Un silence recueilli suivit ses mots.

Les membres du Conseil échangeaient des regards pensifs.

Greg, à ses côtés, la fixait avec bienveillance — comme si le temps s'était arrêté pour lui seul.

Sollonella, elle, ferma les yeux un instant, puis se leva lentement.

Lorsqu'elle parla, sa voix était douce, mais son ton portait la sagesse d'un millénaire.

— Esther... ton cœur est noble, mais ton esprit est encore prisonnier d'une quête impossible.

Jean-François est perdu, pour l'instant. Peut-être le retrouveras-tu un jour... mais pas maintenant.

Si tu poursuis cette route, tu risques d'y laisser ton âme.

Elle descendit les marches du podium et s'approcha d'Esther, posant une main bienveillante sur son épaule.

— Laisse le passé reposer. Ton véritable devoir n'est plus de chercher, mais d'enseigner.

Forme les nouveaux Karmadors, guide-les, et rends ton père fier là où il t'observe, entre la vie et le silence.

Esther sentit une larme chaude couler sur sa joue.

— Et... l'Académie ? demanda-t-elle d'une voix tremblante. Qui la dirigera ?

Sollonella esquissa un sourire paisible.

— Moi, pour un temps. Jusqu'à ce que tu sois prête à en hériter, peut-être.

Quant à tes compagnons... ils seront libres. Libres de choisir leur propre voie.

Mais leur mission, à tous, demeure : retrouver Beurk, et veiller sur le monde des hommes.

Les torches autour d'elles vacillèrent soudain, puis une lumière dorée se répandit dans toute la salle, caressant les visages des Conseillers.

L'aube filtrait à travers les vitraux, peignant de ses rayons le blason ancien des Karmadors.

Sollonella leva la tête, observant la clarté nouvelle.

— Le soleil revient toujours, dit-elle doucement. Même après les tempêtes.

Esther leva les yeux à son tour. Le faisceau du matin effleurait son visage.

Et dans ce silence sacré, elle sut qu'un cycle venait de se clore — pour en ouvrir un autre.


Les lourdes portes de la Grande Salle se refermèrent lentement derrière eux, dans un bruissement feutré qui résonna longuement dans les couloirs du château.

Esther marcha aux côtés de Greg sans un mot, encore imprégnée du poids des paroles de Sollonella.


Greg brisa enfin le silence.

— Tu sais... je crois que Sollonella avait raison. Parfois, il faut savoir lâcher prise avant de se perdre soi-même.

Esther tourna la tête vers lui.

— Oui, mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Mon père est toujours dans ce lit, entre deux mondes. Comment pourrais-je ne pas essayer ?

Greg hocha lentement la tête.

— Peut-être qu'en aidant les autres à se relever, tu finiras par trouver la force de le ramener, d'une autre manière. Ton père a formé des héros. Et maintenant, c'est ton tour.

Ses mots résonnèrent dans l'esprit d'Esther comme une vérité qu'elle refusait jusque-là d'accepter.

Elle esquissa un mince sourire.

— Toi aussi, tu as bien changé, Greg. Chrono te va à merveille.

Il ricana doucement.

— Je t'avoue que ce n'est pas vraiment le costume que j'avais imaginé... mais il me ressemble plus que je ne le croyais. Grâce à toi.

Ils avancèrent côte à côte dans le long couloir tapissé de portraits anciens, jusqu'à atteindre le grand salon.

À peine eurent-ils franchi la porte que des cris de joie et des applaudissements éclatèrent.

— Greg ! — Regardez-le ! — Incroyable, ce costume !

Petronille, Gina, Sébastien et Simon s'étaient précipités vers lui, riant, l'entourant d'enthousiasme et d'émerveillement.

Greg, un peu gêné, leva les bras, submergé par cette énergie amicale.

Les mains se tendaient, les rires éclataient, et pendant quelques instants, tout semblait redevenir normal.

Esther, elle, resta un peu en retrait, observant la scène.

La chaleur du feu dans la cheminée jetait des reflets dans les yeux de ses compagnons.

Elle sentit un apaisement l'envahir. Ces visages fatigués, mais lumineux, étaient la preuve que leurs luttes n'avaient pas été vaines.

— Tu ne participes pas à la fête ?

La voix douce et familière de Martin, la tira de ses pensées.

Elle se retourna vers lui. Il souriait, les mains dans les poches, l'air légèrement inquiet.

— Je voulais être sûr que tout allait bien, dit-il doucement. On t'a tous vue partir tout à l'heure avec le Conseil.

Esther soupira et s'assit sur le bord du grand canapé de velours, invitant son frère à s'asseoir près d'elle.

— C'était... intense, avoua-t-elle. Ils ont parlé de Chrono, de ses pouvoirs... de moi aussi.

— De toi ?

Elle hocha la tête.

— Ils m'ont rappelé la responsabilité que j'ai, maintenant. Sollonella m'a dit de cesser mes recherches sur Jean-François... du moins, pour un temps.

— Abandonner ? répéta Martin, fronçant les sourcils. Ce n'est pas ton genre.

Esther esquissa un sourire amer.

— Ce n'est pas abandonner. C'est... attendre le bon moment. Et en attendant, je dois me concentrer sur autre chose : les Karmadors, l'Académie, tout ce qu'on a construit.

Martin la regarda longuement, puis posa une main sur son épaule.

— Tu sais, papa disait toujours que le courage, ce n'était pas de se battre sans relâche... mais de savoir quand il fallait se relever, même quand tout semble fini.

Esther resta silencieuse un moment. Les mots de son frère la touchaient profondément.

Puis elle leva les yeux vers lui, un éclat nouveau dans le regard.

— Tu as raison. On a encore du travail.

— Du travail ? s'amusa Martin. J'ai comme l'impression que tu prépares déjà quelque chose.

Elle se leva lentement, fit quelques pas vers la fenêtre et observa le ciel le ciel dégagé.


— Oui, murmura-t-elle. Une nouvelle quête.

Martin se leva à son tour, la rejoignant près de la fenêtre.

Leurs reflets se mêlèrent dans la vitre, deux silhouettes prêtes à affronter le monde.

Esther serra doucement le poing.

— Nous devons être forts, Martin. Plus que jamais.

Les Krashmals sont toujours là, quelque part, tapis dans l'ombre. Et Beurk n'a pas dit son dernier mot.

Elle se tourna vers lui, le regard décidé, habité d'une lumière nouvelle.

— Nous avons une nouvelle quête. Faisons-le pour papa.

Un silence se fit, plein de promesses.

Puis Martin acquiesça lentement, un sourire mêlé d'émotion au coin des lèvres.

— Pour papa, répéta-t-il. Et pour tout ce qu'il nous a transmis.

À cet instant précis, un éclat lumineux apparut au-dessus d'eux.

Une petite sphère dorée, douce et vibrante, flottait dans l'air — une lumière familière, presque vivante.

Elle ondulait paisiblement, comme mue par un souffle invisible.

Esther leva les yeux, son cœur se serra.

— Dixie...

La lumière vacilla légèrement, comme si elle souriait, puis répandit autour d'elle une pluie d'étincelles dorées qui vinrent effleurer leurs visages.

Le salon tout entier se remplit d'une chaleur douce et silencieuse.

Dans le calme revenu de l'Académie, sous la bénédiction du soleil, naissait la promesse d'un nouvel espoir.




Chers lecteurs,

Ainsi s'achève le premier grand chapitre de l'histoire des Bordeleau — une aventure faite de lumière, d'ombre et d'espoir.

Ce n'est pas une fin, mais plutôt une respiration avant le prochain souffle du destin.

À travers leurs épreuves, Esther, Martin et leurs compagnons ont appris que le courage se trouve parfois dans les silences, et que même une simple étincelle — comme celle de Pixie — peut rallumer la flamme de tout un monde.

Cette conclusion marque la fin d'un cycle, celui des origines, des promesses et des premières batailles.

Mais au loin, d'autres horizons se dessinent. Les Bordeleau n'ont pas encore livré leur dernière lutte.

Car là où la lumière veille, l'aventure ne s'éteint jamais.

Merci d'avoir marché à leurs côtés.

Ce nest que le commencement... 


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