Kaboum : Le réveil des Karmadors

Chapitre 21 : Deux Mondes, Une Guerre

7968 mots, Catégorie: B

Dernière mise à jour 28/10/2025 13:48

Dans le silence pesant du cachot où ils étaient reclus, l'annonce tomba comme un couperet.

— STR est convoquée devant le Krashmal Suprême.

Les mots, prononcés par un geolier, se répercutèrent contre les parois. Le silence se mua aussitôt en tumulte. Les apprentis échangèrent des regards affolés, leurs respirations saccadées trahissant leur panique. Même les plus endurcis des Sentinelles pâlirent, conscients de ce que signifiait une telle convocation.

Geyser, lui, se redressa avec violence. Ses yeux brûlaient d'une rage contenue, et sa voix résonna comme un grondement de lave prête à jaillir :

— S'ils osent seulement lever un doigt contre elle... je jure que ma colère réduira ces murs en poussière !

STR, qui serrait encore dans ses mains le petit bocal où Dixie demeurait enfermée, le tendit instinctivement à Geyser. Ses doigts tremblaient, mais sa voix, bien que fragile, portait une fermeté inattendue.

— Garde-la... je t'en prie. Quoi qu'il arrive.

Les prunelles incandescentes de Geyser se radoucirent un instant. Il hocha la tête et saisit le bocal comme on saisit un serment sacré.

— Tu reviendras. Ou alors... je les ferai payer jusqu'au dernier.

Mais avant qu'elle ne puisse répondre, deux silhouettes surgirent du couloir : Fiouze et Shlak. Leur démarche martiale, leur présence oppressante, suffisaient à glacer le sang. STR eut un sursaut en apercevant Fiouze.

La creature ne baissa pas le regard. Ses lèvres se crispèrent dans un rictus amer.

— Bientot, Fiouze pourra savourer son moment avec la chair des Karmadors.

Sans lui laisser le temps de répliquer, Shlak la saisit brutalement par le bras. Le choc fut si sec qu'elle laissa échapper un gémissement étouffé. Son corps fut entraîné avec violence vers le couloir. Ses talons raclèrent la pierre, chaque pas résonnant comme une marche funèbre.

Autour d'eux, les apprentis s'agitèrent, mais Fiouze fit claquer ses doigts : les gardes Krashmals se dressèrent aussitôt, menaçants. Le message était clair : toute résistance signerait leur perte. STR, la gorge nouée, croisa une dernière fois le regard de Geyser. Sa silhouette se figea dans la lueur rougeâtre des torches, le bocal serré contre lui comme une relique.

Le trajet jusqu'à la salle du trône sembla interminable. Les couloirs s'étiraient, froids et humides, couverts de fissures où s'écoulait une lueur malsaine. STR, ballotée entre ses deux geôliers, ne pouvait contenir la peur qui s'insinuait en elle. Ses pensées se bousculaient : Viak... Jean-François... l'Eau de Kaboum... Beurk... Son souffle se fit court. Et pourtant, elle garda le silence. Personne ne devait savoir ce qu'elle avait appris.

Enfin, les lourdes portes de la salle du trône s'ouvrirent dans un fracas métallique. Une odeur âcre de cendres et de soufre emplit ses narines. La salle immense baignait dans une lueur rouge sang, projetée par des torches immenses.

Et là, au bout de la nef, Beurk. Le Krashmal Suprême, assis sur son trône d'obsidienne sculptée, silhouette colossale assiégée dans une aura d'autorité implacable. Ses yeux, deux braises froides, la fixaient déjà.

Mais ce ne fut pas lui qui glaça le plus STR. À sa droite, debout dans la pénombre, Viak Quedillux. Plus imposant encore que dans ses souvenirs. Cette fois, il était vêtu d'un long manteau noir qui flottait légèrement à chacun de ses mouvements, et son visage était à demi dissimulé derrière un masque de mascarade, finement ouvragé, noir et argent. Seule la lueur de ses yeux traversait la fente étroite : un éclat d'intelligence froide, calculatrice... et dangereusement séduisante.

Un frisson la parcourut. Elle se sentit à la fois prisonnière et spectatrice d'un jeu d'échecs dont elle ignorait encore les règles. Mais elle comprit une chose : la partie ne faisait que commencer.


Beurk se redressa lentement de son trône, ses épaules massives semblant écraser l'air autour de lui. Sa voix s'éleva, grave, grondante, comme si chaque mot contenait le poids d'un cataclysme :

— Regarde bien, STR. Regarde ce que sera le monde si les Karmadors persistent à se dresser contre moi.

D'un geste, il leva sa main. Aussitôt, Viak Quedillux avança d'un pas, silencieux, et posa au centre de la salle une sphère translucide. Elle pulsait d'une lueur maladive, comme si elle respirait. Puis elle s'ouvrit, projetant dans les airs une vision éthérée.

Tous les yeux étaient fixés sur l'hologramme qui s'élevait.

La Terre apparut, minuscule et fragile, suspendue dans le vide. Autour d'elle, des dizaines de satellites noirs, hérissés de pointes acérées, se déplaçaient comme des vautours autour d'une carcasse. Chaque engin portait l'emblème du Krashmal Suprême : une mâchoire béante prête à engloutir le monde.

— Voilà, tonna Beurk, le sort de l'humanité. Admirez mes merveilles qui reduiras en cendres la Terre ! 

STR, les poings tremblants, osa rompre le silence. Sa voix, d'abord faible, se raffermit comme une flamme refusant de s'éteindre :

— Non... ce n'est pas possible. Votre plan... il échouera.

Beurk se tourna vers elle. Son regard enflammé l'enveloppa comme une tempête.

— Échouer ? répéta-t-il, amusé. Tu n'as encore rien compris. J'ai déjà le Grand Conseil enchaîné, suspendu entre vie et mort. Les nations ne savent rien de ce qui les attend. Et toi, petite Karmador, tu es à ma merci. Alors dis-moi, sur quelle force comptes-tu ?

STR sentit un frisson la parcourir. Malgré elle, ses pensées retournèrent à la discussion dans le cachot. Viak. Ses mots. Sa promesse empoisonnée. Renverser Beurk... en échange de l'Eau de Kaboum.

Elle cligna des yeux. La tentation l'effleura, mais son cœur refusa. Ses mâchoires se crispèrent.

— Votre règne... ne durera pas. Même si vous détruisez nos corps, même si vous éteignez nos flammes, les Karmadors ne s'inclineront jamais. Vous ne briserez pas ce que nous sommes.

La salle frémit de cette audace.

Beurk éclata d'un rire plus terrible encore, secouant son trône d'obsidienne.

— Parfait. Résiste, crie, lutte. J'aime voir une proie désespérée mordre avant de mourir. Mais sache une chose, STR : ton refus a scellé le sort du monde. Donne-moi l'Eau de Kaboum, et je t'offre une chance de sauver ce qu'il en reste. Refuse... et tu contempleras sa fin.

Derrière lui, Viak demeurait immobile, silhouette sombre dans son manteau noir, le masque argenté dissimulant son expression. Mais ses yeux... ses yeux semblaient briller d'une étrange lueur, comme s'il attendait une réponse. Comme s'il tendait un piège invisible, prêt à se refermer.

La salle du trône avait désormais la densité d'un nuage d'orage — lourd, chargé, prêt à craquer. Autour d'elle, les Krashmals chuchotaient, minaudaient, échangeaient des regards qui brûlaient d'une curiosité perverse ; Viak restait immobile, statue sombre au masque d'argent, observateur impassible d'un théâtre qui n'appartenait qu'à Beurk.

Beurk se leva, majesté bestiale. Quand il parla, la salle se contracta. Sa voix roulait, basse et sans équivoque, comme un gong qui frappe sous la peau :

— STR. Tu tiens entre tes mains la clef de ce monde. Donne-moi l'Eau de Kaboum, et je retiens mes satellites. Refuse, et regarde ce que deviennent les peuples.

Viak, d'un geste presque cérémonial, fit glisser vers le centre de la salle une console étroite d'où s'échappait un faible tic-tac. Sur la surface noire, une série de chiffres verticaux clignotait : un compte à rebours. La mécanique était implacable, précise, et chaque chiffre qui passait faisait vibrer quelque chose dans la poitrine des présents. STR vit les petites lumières descendre — 00:59... 00:58... La projection s'amplifia derrière Beurk, montrant à nouveau la Terre encerclée par les satellites comme une meute de rapaces métalliques. 

Gyorg — énorme, sale, grotesque dans sa tuque élimée — se rua en avant d'un bond malhabile, la panique évidente dans la voix.

— Mais... mais si la Terre explose, et les poubelles ? Et où ira la mer à lait de caoutchouc ? Et mes... mes déchets préférés ? s'étrangla-t-il, mi-révolté, mi-suppliant.

Un ricanement guttural parcourut l'assemblée, puis Beurk, sans ciller, répliqua comme on annonce une sentence :

— Gyorg, espèce de gros fainéant... je te l'ai répété : tout partira en cendre. Mon monde portera ma marque — chaleur, feu, obéissance. Les décombres auront de la grandeur.

Le « QUOI ? » excité de Gyorg fit sursauter quelques serviteurs, mais ce fut la réplique qui suivit qui glaça l'air. Beurk se pencha en avant, la mâchoire travaillant comme une gueule d'acier froide. Sa voix, soudain plus proche, entoura STR comme une tempête :

— Réfléchis, petite. À toi la responsabilité de ce qui reste.

STR sentit que ses jambes fléchissaient ; elle n'arrivait plus à former de phrase cohérente. Les mots, pourtant, semblaient peser une tonne — une réponse pouvait retenir ou libérer l'apocalypse. Les yeux de toute la salle se posèrent sur elle, une masse compacte d'attente affamée. Elle sentit le souffle de Viak, derrière, comme un froid calcul prêt à avaler ses hésitations. L'univers tout entier, pensa-t-elle, se tendait au rythme de son hésitation.

Autour d'eux, les Krashmals murmurèrent, certains intrigués, d'autres déjà angoissés à l'idée d'un monde fait de braises. Quelques voix — pas encore hostiles — proposèrent des alternatives, des rires fébriles d'euphorie mal contenue. STR entendit les syllabes, mais elles rebondissaient, inaccessibles. Sa poitrine se serra. Elle revoyait son père ; elle revoyait l'hôpital ; elle revit Greg, son carnet, la Goutte, Dixie dans son flacon ; et, entre toutes ces images, la vérité la poignarda : que ferait-elle si la réponse qu'elle donnerait condamnait la planète ?

La minuterie continua sa chute, implacable. 00:40... 00:39...

Beurk prit une inspiration longue, théâtrale, comme un prédateur avant la morsure. Sa voix, alors, se fit presque douce, mais le calme n'avait que l'apparence du masque ; partout, on sentait la colère contenue.

— Réfléchis vite, sale Karmadore. Le temps n'est pas un ami.

Une voix se fit entendre, rauque, plus humaine que les autres, mais ce fut Gyorg encore qui cracha une dernière objection grotesque :

— Mais... et nos poubelles ? Et mes flaques préférées ? hurla-t-il, moitié bouffon, moitié panique.

Un ricanement cruel gagna la salle. Beurk leva la main et l'ombre du dragon qu'on voyait se dessiner dans le brouillard mural sembla s'animer : elle rampe, serpente, engloutit le silence. L'ombre décrivit un cercle autour de STR, plus qu'un simple jeu de lumière — une menace physique, une présence qui se refermait. Les torches crachèrent, l'air se chargea d'odeur de soufre. Les Krashmals se turent, comme si la dragonne elles-mêmes intimidaient leurs homologues.

STR occupa un monde minuscule : ses doigts, crispés, ne lâchaient pas de ressentir son coeur. Son cœur battait si fort qu'elle crut l'entendre à travers ses tempes. Le compte à rebours continuait, chaque seconde un couteau dans la gorge du monde.

00:20... 00:19...

STR sentit l'écho d'une promesse ancienne, le poids d'une proposition qui l'avait effleurée — renverser Beurk en échange d'un moyen. Tout à coup la salle résonna d'une attente clinique, implacable, où l'on pesait la moralité contre la survie.

00:10... 00:09...

La voix de STR sortit, quand elle parla, ce fut à voix basse, presque sans volonté. Elle chercha un appui dans sa mémoire, dans la force reçue de son père, dans les leçons volées au QG, et dans la conviction que la bonté pouvait être plus que naïveté. Elle comprendrait, plus tard peut-être, pourquoi elle répondit ce qu'elle répondit ; pour le moment, ce fut surtout un cri intérieur, un choix fait sur la corde d'un monde qui vacillait.

La salle entière attendait sa décision. Le monde entier, peut-être, retenait son souffle.

Un silence soudain, si dense qu'il semblait avaler les torches elles-mêmes, tomba sur la salle du trône. Le tic-tac du minuteur avait cessé — arrêté net à 00:09 — et cet arrêt donna l'impression de suspendre le monde. On entendait seulement le souffle court de STR, le raclement d'une tunique, le cliquetis nerveux d'un doigt qui frappe une console. Puis, comme si l'absence de bruit explosa en une bouffée de vie ridicule, Gyorg poussa un hurlement de triomphe aussi gras qu'un gargouillis de marais.

— YEAH ! Mes déchets vont être sauvés ! cria-t-il, comme si l'arche de la fin du monde venait soudain de lui annoncer un bienfait personnel.

Les rires — brefs, incrédules, nerveux — fusèrent à demi. Pour un instant, l'absurdité permit à quelques Krashmals de sourire — sourire féroce ou malade, mais sourire quand même. Beurk eut un spasme. Son visage, immense et ténébreux, se contracta d'abord en confusion, puis en un nuage noir d'indignation. Il frappa la console d'un poing si lourd que la pierre vibra ; des étincelles jaillirent, crispées.

— Qu'est-ce que... murmura-t-il d'abord, comme si sa propre voix lui était étrangère. Puis la colère monta, sourde, vorace. Comment osez-vous? hurla-t-il, et la salle résonna au son de sa fureur.

Beurk bascula alors dans l'excès : il tapa sur la télécommande, il fit tourner des molettes et tenta de relancer la séquence. Les bras de ses lieutenants s'agitaient autour de lui, tâtonnant, appuyant sur des leviers, cherchant à remettre en marche l'engrenage infernal. Mais la machine — pour un instant — restait muette. Les serviteurs reculaient, inquiets ; on sentait sous leurs cuirasses le frémissement d'un doute que l'on croyait impossible chez eux : l'échec.

Viak, immobile à la droite du trône, regardait la scène d'un œil d'ombre. Il ne jugeait pas, il mesurait. STR, elle, sentit ses muscles se crisper sous l'étreinte du bocal. Elle n'avait jamais aspiré tant à ruser qu'en cet instant : un battement de cœur, un battement du monde.

Beurk se redressa, avala le silence comme on engloutit un morceau de chair crue, et parla lentement, mot par mot, comme on martèle une condamnation :

— Personne ne sortira de ce manoir, tant et si longtemps que les satellites ne seront pas activés. Obéissez. Obéissez, ordonna-t-il, et sa voix devint la loi. Que mon fils, Riu, soit convoqué immédiatement dans la salle.

Le nom tomba comme un glaçon dans la cervelle de tous. Riu. L'idée même de voir surgir le fils capricieux, l'héritier cruel, fit courir un frisson d'appréhension. Beurk, dans sa nervosité, commença alors à appuyer sur n'importe quel bouton à portée, dans une gestuelle à la fois désespérée et performative. Les lampes clignotèrent ; un sifflement métallique parcourut les tuyaux ; des jauges fumèrent. On sentait le manoir tout entier retenir son souffle, craindre l'orage de colère de son maître.

Viak et STR s'observèrent un instant — regard contre regard, un échange sans mots. Entre eux, il y avait une fatigue commune, faite d'une compréhension tacite : ici, le calcul et la perfidie parlaient plus fort que la force brute. Ils savaient combien Beurk pouvait être imprévisible quand la rage le piquait ; ils savaient aussi qu'il ne reculerait devant rien, même si la situation semblait lui échapper.

Puis Beurk pivota soudain, la silhouette colossale se tournant vers STR comme on braque un canon. Son doigt crochu se planta dans sa direction, et sa voix, glaciale et mielleuse à la fois, cloua la salle sur place :

— Toi ! misérable STR. Tu as sans doute manigancé quelque chose avec tes soi-disant pouvoirs de Karmador. Tu crois pouvoir jouer au marionnettiste dans mon domaine ? Tu n'es rien, misérable. Si tes petites ruses mènent à l'échec, tu leur auras donné la mort — à tes Karmadors, voir meme au Bordelau, à tout ce que tu aimes. Tu leur feras voir leur chute. Tu seras la cause de leur fin.

Chaque mot était une lame. STR sentit le souffle brûlant du dragon d'ombre lécher son visage ; elle sentit la détresse de ceux qui regardaient, espérant une faille. Sa gorge se noua. La culpabilité l'assaillit, profonde, accrochée à la douceur du bocal qu'elle ne pouvait lâcher.

Un silence pesant suivit, comme une chambre d'écho avant l'orage. Puis, presque sinistre, la minuterie — capricieuse et mécanique — reprit son cours. Le chiffre sur l'écran, figé à 00:09, cligna, puis s'égrena à nouveau : 00:08... 00:07...

Beurk laissa échapper un rire mauvais et triomphant, sans joie mais chargé d'un soulagement féroce. Il leva la tête et, d'une voix pleine de venin, hurla :

— Enfin ! L'ère des Krashmals est arrivée !!!

Le cri fut accueilli d'un grondement d'enthousiasme ; des hurlements de bêtes, des applaudissements saccadés, des bruits qui ressemblaient à des sabots et à des griffes. La salle elle-même sembla vibrer ; la pierre retint les résonances de cette jubilation inhumaine.

STR sentit le monde se refermer autour d'elle. Son regard chercha une issue, un mensonge, un stratagème. Les torches crachèrent, projetant des silhouettes longues et tremblées sur les murs. La menotte de la fatalité se refermait — non plus sur une seule personne, mais sur l'avenir entier. Autour d'eux, les Krashmals se préparaient ; ils attendaient l'ordre, les injections de feu, la signature d'un règne.

STR prit une inspiration, si profonde qu'elle sentit la pierre autour d'elle se rapprocher. Son choix, désormais, ne serait pas qu'une affaire privée. Il serait peut-être le dernier mot d'un monde.

Le décompte, implacable, poursuivit sa marche funèbre.

00:05... 00:04... 00:03...

Alors, les écrans sphériques flottant au-dessus du trône s'illuminèrent d'un éclat aveuglant. Devant les yeux de tous, l'image de la Terre apparut, suspendue dans le vide noir de l'espace. Autour d'elle, une myriade de satellites prenaient position, formant une ceinture meurtrière. Leurs carapaces métalliques scintillaient d'une froideur mécanique, et bientôt, dans un grondement sinistre, les réacteurs se mirent en marche.

Un bruit profond, presque guttural, résonna dans la salle : le vrombissement des canons énergétiques, préparant leurs charges destructrices. Puis un à un, les faisceaux rouges s'allumèrent, striant l'obscurité spatiale d'une lumière d'enfer. Chaque rayon vibrait, pulsait, jusqu'à saturer l'air d'un crépitement de fusion.

Beurk leva alors les bras, comme un prêtre d'une messe noire. Ses doigts s'écartèrent, ses yeux se fermèrent, et sa voix, pleine d'une extase perverse, emplit la salle.

— Voyez ! Voyez la naissance de mon monde ! La Terre n'est plus qu'un souvenir. Elle renaîtra dans le feu, et ce feu portera mon nom !

Un rugissement s'éleva des Krashmals. Ils frappaient leurs poitrines, hurlaient leur allégeance. Même ceux qui craignaient le plus le résultat n'avaient pas d'autre choix que de participer à cette liesse forcée. Le vacarme résonnait comme une armée infernale.

Tous... sauf Gyorg. Dans un coin, recroquevillé sur lui-même, il grognait, boudeur, les bras croisés sur son ventre gonflé.

— Pff... tous mes beaux déchets... disparus en fumée... grommela-t-il, comme un enfant privé de jouet.

Sa voix fut avalée par l'enthousiasme des autres, mais STR l'entendit. Et étrangement, une étincelle fugace de lucidité traversa son esprit : même parmi eux, tous n'adhéraient pas aveuglément.

Pourtant, son regard était captif. Captif de Viak Quedillux, qui ne l'avait pas quittée des yeux. Derrière son masque de mascarade noir et argent, ses prunelles luisaient d'un éclat froid, calculateur. Pas un mot ne franchit ses lèvres ; il se contentait d'observer, d'évaluer. STR sentit la morsure de la culpabilité lui traverser le cœur. Il savait. Il voyait sa peur, son hésitation, son incapacité à stopper cette apocalypse.

Les rayons se stabilisèrent. D'un mouvement uniforme, la flotte de satellites ajusta son angle. Puis, dans un rugissement de tonnerre cosmique, les faisceaux s'élancèrent.

Rouges. Massifs. Dévastateurs.

Ils fendirent l'espace en direction de la Terre, convergeant vers les continents avec une précision impitoyable.

À cet instant, STR fut engloutie par une vague de souvenirs.

Elle revit son enfance, ses rires étouffés dans la petite maison des Bordeleau, le parfum de pain chaud à l'épicerie familiale. Elle entendit la voix grave et rassurante de son père, aujourd'hui réduit au silence du coma. Le sourire de sa mère, disparu depuis longtemps, mais toujours vivant dans un recoin fragile de son cœur.

Elle revit l'Académie des Karmadors, ses couloirs baignés de lumière, les amitiés sincères qu'elle y avait forgées. Martin, son frère, dont l'humour maladroit avait toujours su lui redonner courage. Anne Marie, Huang, son frere Martin, tant de visages, de liens qui l'avaient façonnée.

Puis, un autre souvenir s'imposa : celui du Gardien de l'Eau de Kaboum. La silhouette solennelle, drapée de mystère, tenant l'urne sacrée dans ses mains. L'eau étincelait, fragile et infiniment puissante. STR comprit : tout cela... c'était pour ça. Pour ce choix qui pesait maintenant entre ses doigts tremblants.

Le vacarme s'amplifia, infernal. Les rayons approchaient, illuminant la Terre d'une lueur rougeoyante. La planète entière baignait dans l'ombre d'un incendie imminent.

Et alors... la lumière devint aveuglante. Les faisceaux atteignirent presque leur cible, si proches qu'on pouvait sentir le souffle brûlant du cataclysme imminent. STR porta un bras devant son visage, ses yeux noyés de larmes, incapable de détourner le regard.

Puis, soudain, tout s'interrompit.

Les écrans vacillèrent, grésillèrent, et s'éteignirent brutalement, comme si une main invisible avait arraché la vision de leurs yeux. La salle fut plongée dans un noir absolu, avalée par les ténèbres. Plus de bruit, plus d'images. Plus rien que le silence écrasant.

Un silence qui pesait plus lourd que le tonnerre.

STR resta figée, le cœur battant comme un tambour de guerre. Autour d'elle, même les Krashmals, pétrifiés, hésitaient à respirer. Beurk, lui, ouvrit brusquement les yeux. Dans l'obscurité, ses pupilles rougeoyaient comme deux braises furieuses.

Et STR sut... que ce répit ne serait que l'annonce d'une colère encore plus terrible.


Le noir mordit la salle comme une chute de pierre. Tout à coup, lendroit fut rompu par un rugissement — pas seulement un cri, mais une explosion de colère animale qui sembla déchirer les murs. Beurk hurla, un son venu d'un gouffre : sa voix rebondit sur l'obsidienne, fit trembler les torches, fit tressauter les drapeaux fanés. Les torches clignotèrent, puis jaillirent en gerbes plus haut sous l'effet de sa fureur ; la chaleur monta d'un cran, comme si le trône lui-même respirait le feu.

« ASSEZ ! » tonna Beurk, la mâchoire serrée. Il se leva — immense, terrifiant — et toute la salle se recroquevilla sur elle-même. Ses mains se crispèrent sur les accoudoirs du trône, ses griffes étincelèrent ; quand il leva le bras, l'air sembla se plier à sa volonté. 

Il pointa STR d'un doigt qui n'était plus tout à fait humain.

— Toi ! hurla-t-il. Misérable STR... Tu crois pouvoir jouer avec le souffle des mondes ? Tu vas voir ce que valent tes petits pièges !

Un sifflement aigu monta : Beurk avalait sa colère pour la projeter en un souffle. La grande bouche du Krashmal Suprême s'ouvrit, et l'on crut, un instant, voir l'ombre même d'un incendie prêt à jaillir.

Puis la lumière revint, crue, et avec elle la vision qui coupa le souffle à tous : derrière STR, en rangs serrés, les silhouettes des anciens que nul n'espérait revoir.

Sollonella. Les doyens du Grand Conseil. Dr Grosse Tête au centre, son masque doré immobile — et pourtant ses yeux, sous la lame du masque, luisaient d'un blanc si pur qu'ils paraissaient émettre leur propre clarté argentée. Une aura froide et argent enveloppait chaque membre du Conseil, comme une armure d'éther ; leur présence projetait un cercle de silence autour d'eux, un halo qui étouffait la fureur.

Le claquement des pas du Conseil résonna, solennel, mesuré. Les gardes Krashmals reculèrent d'un pas, surpris, déstabilisés par ce surgissement d'autorité.

Sollonella avança d'un pas, la voix claire comme une cloche de matin :

— La Terre ne subira pas ces ténèbres. Vous êtes cerné. Rendez-vous.

Sa voix roulait, sans hauteur, d'une profondeur sereine qui n'admettait pas la contradiction. Elle parlait moins comme une requête que comme une sentence capable d'infléchir le monde.

Beurk laissa échapper un grognement, mi-sourd, mi-impérial. Ses traits se figèrent, l'ombre d'un rire mauvais tressaillit à ses lèvres.

— Saleté ! balbutia-t-il, haletant d'indignation. C'est... c'est impossible. Qu'avez-vous fait à mes satellites ? Répondez !

Un frisson parcourut la salle. Les Krashmals échangèrent des regards, agités ; les doigts de Beurk pianotèrent sur son sceptre, comme s'il cherchait une commande pour ranimer l'apocalypse.

Dr Grosse Tête leva lentement un doigt, immobile, et sa voix, épaisse d'un calme ancien, coula comme du plomb poli :

— Un grand sage ne révèle jamais son pouvoir, mais disons qu'en cette journée... ma grosse tête a eu raison d'être utilisée. Vous êtes perdu, mon cher.

Sa phrase tomba comme un verdict. Le timbre était presque moqueur, mais il y avait, sous l'ironie, une certitude froide : ils tenaient un filet qui, pour l'instant, retenait les ailes du monstre.

Beurk chancela sur son trône comme si l'on venait de lui porter un coup physique. La rage se mua en une furie plus noire encore ; ses yeux flamboyèrent, ses veines se gonflèrent. Il aboya, un son qui fit vibrer les pierres.

— Salete ! cria-t-il. Vous me privez de mon triomphe ! Vous osez... vous osez me défier !

La furie de Beurk devint plus personnelle. Ses yeux brûlèrent d'une flamme intérieure et, pour la première fois depuis longtemps, on perçut, derrière la colère, une pointe de panique : il avait imaginé ce triomphe comme indiscutable, son plan comme inviolable. Le Conseil venait de lui prouver qu'il s'était trompé.

Viak Quedillux, immobile à la droite du trône, restait silencieux. Sa silhouette sombre se découpait contre la lueur mourante ; ses mains étaient jointes, son masque presque inexpressif. Il inclina légèrement la tête, comme si la pièce entière n'était qu'un grand échiquier et que, à cet instant, il avait déplacé une pièce décisive.


Les flammes des torches vacillaient sous la respiration lourde de Beurk. Sa silhouette massive se recroquevilla soudainement, et dans un mouvement théâtral, il leva ses bras devant son visage. Ses avant-bras, formèrent comme deux ailes déployées, camouflant son visage monstrueux.

Un silence presque religieux s'installa, seulement rompu par de sourds grognements, rauques et gutturaux, qui s'échappaient de sa gorge. Puis vinrent... des pleurs. De longs râles étouffés, grinçants, vibrèrent contre les murs de la salle du trône, comme si l'univers entier se contractait avec lui.

Sollonella, droite comme une sentinelle divine, avança d'un pas, son aura argentée illuminant les ténèbres. Sa voix résonna, claire et impérieuse, portant une puissance céleste :

— Tu as perdu, Beurk. Une seconde fois. Ne crois pas pouvoir défier éternellement la lumière. Et surtout, n'ose pas éveiller la colère de STR.

Le nom claqua dans l'air. STR eut un sursaut. Son cœur battait à tout rompre, mais elle croisa le regard incandescent de Sollonella et sentit, pour la première fois, que sa propre voix pouvait peser autant que celle des plus grands. Elle inspira profondément.

— Sollonella dit vrai... Mais pas seulement, Beurk.

Elle fit un pas en avant, ses yeux fixés sur les bras repliés du tyran.

— Tu n'as pas seulement perdu contre nous. Tu as perdu contre toi-même. Ton empire s'effondre non pas sous nos coups, mais sous ta peur. Tu trembles de rage parce que, malgré toute ta force, tu n'as jamais compris une chose : le courage ne naît pas du feu, mais de ce qu'on choisit de protéger.

Un frisson parcourut la salle. Les mots résonnaient avec une sincérité désarmante. STR s'étonna elle-même de son assurance, mais l'effet fut immédiat : Beurk releva la tête dans un élan furieux. Ses yeux injectés de sang brûlaient d'une haine indescriptible.

— Misérable vermine ! rugit-il. Comment oses-tu me défier ainsi ?!

Ses bras se déployèrent brusquement, révélant son visage déformé par la colère. Puis, dans un souffle puissant, il ouvrit sa gueule béante et projeta une colonne de flammes ardentes droit sur STR.

Tout se passa en une fraction de seconde. Une silhouette surgit devant elle : Geyser. Ses mains tremblantes saisirent les verres teintés qu'il portait encore. Dans un éclat de lumière, les lunettes bricolées par STR se mirent à vibrer, libérant une barrière translucide qui se dressa entre eux et le brasier.

Le souffle du feu s'écrasa contre le bouclier. L'air trembla, les flammes ricochèrent, se tordirent, projetant une chaleur insoutenable tout autour. Geyser, arc-bouté, cria d'une voix rauque :

— Pas... tant que je respire !

Les flammes se dissipèrent enfin, laissant un sol noirci et fumant. STR, haletante, posa une main sur l'épaule de Geyser. Elle voulait le remercier, mais un cri la tira brusquement en arrière.

Une main gantée surgit de l'ombre, l'agrippant fermement : La Justicière Masquée.

— STR ! Ici, vite !

Avant même qu'elle n'ait le temps de protester, la Justicière la tira violemment hors du cercle de combat. Derrière elles, Fiouze bondissait, prêt à lacérer STR de ses griffes, mais la Justicière fit un mouvement de son poing et contra son attaque d'un revers éclatant. Les deux adversaires s'entrechoquèrent, libérant une pluie d'étincelles.

— Cours ! hurla-t-elle à STR.

Le corps de STR réagit avant son esprit. Ses jambes se mirent en mouvement, la propulsant dans les couloirs latéraux du trône. Elle courait à perdre haleine, son souffle sifflant dans sa gorge, ses poumons brûlant comme si chaque inspiration était un brasier. Ses pieds frappaient le sol avec une frénésie désespérée, mais elle ne les sentait déjà plus, anesthésiés par l'adrénaline.

Si elle n'avait pas été en train de fuir pour sa vie, elle aurait pu s'émerveiller devant le spectacle qui se déroulait autour d'elle. La salle du trône s'était muée en un véritable champ de bataille : éclairs, flammes, coups d'acier et cris résonnaient dans une cacophonie apocalyptique. Les Karmadors, étincelants de courage, affrontaient les Krashmals dans des duels titanesques, chaque impact faisant vibrer le sol.

Mais STR n'avait pas le luxe d'admirer cette lutte. Pas encore. Elle savait qu'un jour, peut-être, elle aurait le temps de contempler cette épopée gravée dans le feu et la lumière. Mais pas aujourd'hui.

Aujourd'hui, elle devait survivre.


Les couloirs du manoir vibraient encore des échos du combat. STR fuyait à perdre haleine, ses pas résonnant sur le marbre comme une pluie précipitée. Sa poitrine se soulevait à un rythme effréné, son souffle devenait court, brûlant, comme si chaque inspiration lui arrachait une part de sa force. Elle jetait parfois des regards par-dessus son épaule, mais ce qu'elle vit faillit glacer son sang :

L'ombre de Beurk.

Sous sa forme de dragon, elle se détachait des ténèbres, glissant comme une nappe noire sur les murs et le plancher. Ses contours se déformaient, serpentant, ondulant avec une fluidité cauchemardesque, et chaque fois qu'il ouvrait sa gueule de ténèbres, STR jurait entendre le feu crépiter au loin. Le couloir se rétrécissait autour d'elle, étouffant sa course, et l'ombre gagnait du terrain, prête à fondre sur elle.

Le cœur battant, STR accéléra, ses jambes lui semblant soudain lourdes, engluées dans la peur. Ses pensées se brouillaient, mais une seule chose dominait : survivre.

Et puis, au moment où l'ombre s'apprêtait à bondir, une silhouette surgit d'un croisement.

Mahina.

La Karmadore maorie, drapée de ses tatouages sacrés, planta ses pieds sur le sol avec une force qui fit vibrer les murs. Ses yeux lançaient des éclairs, et sa voix s'éleva, grave et profonde, dans un chant Haka qui résonna comme une clameur venue d'un autre monde. Chaque syllabe claquait dans l'air, chaque geste de ses bras et de son torse formait une barrière intangible.

— Hākaia! cria-t-elle, frappant sa poitrine.

— Kia kaha! rugit-elle, en martelant le sol.

Le couloir tout entier sembla trembler sous la puissance de son chant. L'ombre-dragon de Beurk, pourtant si menaçante, hésita. Elle ondula, se contorsionna comme une bête blessée, et finit par se dissiper brusquement, comme dispersée par une lumière invisible. STR, haletante, s'arrêta une fraction de seconde, les yeux écarquillés.

— Attention! hurla-t-elle à Mahina, sa voix brisée par l'urgence.

Car déjà, une autre menace surgissait.

Du fond du couloir, un cri dément retentit. Le professeur Nécrophore, le Krashmal à la folie meurtrière, fit irruption en brandissant son énorme pistolet. Ses yeux luisaient d'une démence écarlate, et il riait comme un possédé.

— Vous ne passerez pas! hurla le scientifique, avant de tirer à bout portant.

Des gigantesque rayons, déchirant l'air avec des sifflements assourdissants. Les murs explosèrent sous les impacts, projetant des éclats de pierre et de métal incandescent. Mahina répliqua par un nouveau cri, ses bras croisés devant elle comme un bouclier, mais les tirs la forcèrent à reculer, les éclairs ricochant tout autour d'elle.

STR, elle, n'avait pas le luxe de s'arrêter. Son instinct hurlait plus fort que tout : cours, cours ou tu mourras. Elle lança un dernier regard désespéré vers Mahina, puis reprit sa fuite. Ses pieds battaient le sol à une vitesse folle, mais elle ne sentait plus rien — ni ses jambes, ni ses poumons en feu. Elle ne savait même plus si elle criait ou si seuls ses halètements résonnaient dans le couloir.

Elle aurait pu s'émerveiller de ce spectacle : les éclats de lumière, le chant guerrier de Mahina, l'affrontement titanesque entre Karmador et Krashmal. Elle aurait pu admirer le courage, la beauté sauvage de cette bataille. Mais pas maintenant. Pas tant que la mort soufflait dans son dos.

Elle savait qu'un jour, si elle survivait, elle se souviendrait de cette scène comme d'un tableau gravé dans le feu et le sang. Mais en cet instant, il n'y avait que la fuite. Toujours la fuite.


Le vacarme du combat s'éloignait derrière elle, remplacé par un silence lourd, presque oppressant. STR franchit une haute arche de pierre, et ses pas la menèrent dans une salle bien différente des couloirs qu'elle venait de traverser.

C'était un sanctuaire.

Le lieu avait quelque chose de funèbre, mais aussi de solennel. Les murs gris se dressaient sans ornement superflu, si ce n'était les tableaux austères des anciens Krashmals Suprêmes, accrochés comme des spectres veillant sur l'endroit. Entre chaque portrait, des torches enflammées laissaient danser des ombres rouges sur les pierres. Les vitraux, gigantesques, étaient d'un rouge sombre strié de noir, et la lumière qu'ils diffusaient baignait la pièce d'un éclat sanglant. Chaque rayon semblait transformer le sol en une mer incandescente où l'on craignait de poser le pied.

STR avança lentement, presque à pas feutrés, comme si son souffle haletant risquait de profaner le silence des lieux. Ses yeux se posèrent sur l'autel, simple bloc de pierre rugueuse. Devant lui, une urne sombre, entourée de fleurs fanées aux teintes rouges et noires. Le parfum âcre de la poussière se mêlait à une odeur plus subtile, presque sucrée, celle des pétales qui se mouraient.

Gravée dans la pierre, elle lut d'une voix muette :

« Ici repose en guerre Kiara Viperia Malefia. »

Un frisson la parcourut Un poids invisible s'abattait sur les épaules de STR, une sensation d'intrusion dans un lieu qui ne lui appartenait pas.

Avant même qu'elle ne s'approche davantage, un bruit de pas la glaça. D'instinct, STR se plaqua derrière un pilier massif, retenant son souffle.

Une silhouette venait d'entrer.

Riu.

Le Krashmal s'avança sans un mot jusqu'à l'autel, ses traits marqués d'une dureté inhabituelle. Mais en s'agenouillant, une autre facette de lui apparut : ses épaules s'affaissèrent, son regard s'assombrit d'une tristesse brute. STR le fixait en silence, dissimulée, et malgré elle, une étincelle de compassion naquit dans son cœur. Riu semblait perdu, consumé par un mélange de colère et de peine, un Krashmal hanté par des souvenirs qu'il ne pouvait effacer.

Il resta immobile, presque en prière, lorsqu'un fracas précipité résonna à l'entrée.

Gyorg.

Essoufflé, la panique gravée sur son visage grotesque, il beugla :

— Chef ! Le vaisseau furtif de Viak est prêt ! On doit partir tout de suite !

La réponse fut immédiate. Un éclair jaillit des mains de Riu, traversant la salle comme une vipère de lumière. Il frappa Gyorg en pleine poitrine, le soulevant du sol avant de le projeter lourdement contre un mur. L'impact résonna comme un coup de tonnerre. Le colosse s'effondra, inanimé, ses bras tordus dans une position grotesque.

Riu, le souffle saccadé, gronda entre ses dents serrées :

— Toujours... toujours interrompu...

À cet instant, STR voulut reculer, mais son pied glissa sur une pierre instable. Le bruit, discret mais distinct, résonna dans l'immense salle.

Les yeux de Riu se rouvrirent d'un éclat de foudre.

— Qui est là ?! rugit-il, sa voix vibrante d'électricité.

Il se redressa brusquement, ses muscles tendus.

— Qui ose troubler MON sanctuaire ?! Montrez-vous, ou je vous réduis en cendres !

Le silence lui répondit. STR, crispée derrière son pilier, sentait la sueur froide couler le long de son dos.

La patience de Riu éclata. Il leva les bras, et des arcs électriques fusèrent de ses mains, claquant dans l'air comme des serpents enragés. Les décharges frappaient au hasard : les bancs de pierre explosèrent, les tableaux se consumèrent dans un crépitement infernal, des piliers se fissurèrent sous la violence de son courroux. Chaque éclair illuminait ses traits convulsés par la rage.

— Sortez ! hurlait-il. Montrez-vous ou je grille chaque recoin de ce maudit sanctuaire !

Il abattit ses mains contre le sol. Une onde électrique parcourut la pierre, et dans un vacarme assourdissant, son corps fut projeté en lévitation. Ses bras ouverts faisaient pleuvoir des éclairs de toutes parts. Le sanctuaire tout entier tremblait, pris dans une tempête incontrôlable.

STR, affolée, ramassait ses forces pour courir, cherchant désespérément une sortie. Elle passa derrière les piliers, son cœur battant comme un tambour, mais chaque décharge la forçait à se jeter au sol ou à changer de direction. La peur la rongeait : elle n'avait plus d'issue, piégée dans cette cathédrale de chaos.

Et soudain, alors qu'elle allait s'élancer vers une porte latérale, une ombre se redressa derrière elle.

Gyorg.

Gyorg mais encore vivant, le colosse s'était relevé en titubant. Sa bouche tordue laissa échapper un râle immonde, et ses bras massifs, puant la sueur et la pourriture, se refermèrent sur elle. STR eut à peine le temps de crier : ses côtes furent broyées dans l'étreinte monstrueuse.

— Enfin... je t'ai... ricana-t-il, son haleine infecte lui brûlant presque le visage.

Prise au piège, STR se débattait de toutes ses forces, mais ses poings frappaient la peau épaisse et graisseuse de Gyorg sans l'ébranler. Son esprit hurlait. Sa seule issue venait de se refermer.


Quelques instants suffirent pour que tout bascule.

STR, prisonnière de l'emprise sournoise de Gyorg, avait les pupilles dilatées, comme noyées dans une obscurité artificielle. Ses membres, d'ordinaire pleins d'énergie et de fougue, tremblaient sous une force qu'elle ne contrôlait plus. Son souffle saccadé résonnait dans le silence pesant du sanctuaire, amplifiant sa panique muette.

Un bruit sec fit vibrer le sol. Riu venait d'atterrir lourdement à quelques pas d'elle. Ses traits, tordus par la colère, arboraient ce sourire carnassier qui n'annonçait rien de bon. Ses doigts crépitaient d'une lueur bleutée, la foudre prête à jaillir. Il s'avança lentement, savourant l'instant, et leva son bras tendu vers STR comme pour l'achever. Elle voulut reculer, mais ses jambes refusaient de lui obéir.

Puis, sans prévenir, un fracas fit voler les lourdes portes du sanctuaire. Elles s'ouvrirent violemment sous l'assaut d'un vent brutal, projetant poussière et éclats de pierre dans l'air. Tous les regards se tournèrent instinctivement vers l'entrée.

Geyser apparut, silhouette imposante, le regard incandescent. À ses côtés, Rapido et Éclairs l'accompagnaient, leurs corps vibrants d'une énergie contenue, prêts à déchaîner leur vitesse. La vision était à la fois rassurante et terrifiante. STR sentit ses chaînes invisibles se relâcher sous le choc de l'interruption, comme si la concentration de Gyorg et de Riu venait d'être brisée. Elle s'effondra à genoux, haletante, le cœur battant à tout rompre.

Furieux, Riu gronda, ses yeux jetant des éclairs plus violents encore. Gyorg, son air calculateur toujours figé sur son visage, serra les poings. Mais dans leur aveuglement, ils oublièrent totalement STR. Leur attention entière s'était braquée sur les nouveaux arrivants.

Alors, Geyser leva ses bras vers le ciel. Un grondement sourd, presque animal, secoua l'air. Un nuage gris épais prit forme au-dessus des Krashmals, grossissant en quelques secondes jusqu'à occulter la lumière. Des éclairs l'illuminèrent, suivis d'une pluie de grêle monstrueuse qui s'abattit sur leurs têtes. Le vacarme des impacts résonna dans toute la salle, brisant la symétrie glaciale du sanctuaire.

Dans le même temps, Rapido et Éclairs bondirent en avant. Leurs silhouettes n'étaient plus que des traînées lumineuses, se croisant et s'entremêlant avec une précision fulgurante. Ils commencèrent à tournoyer autour des Krashmals, si vite qu'ils semblaient former une spirale vivante. Le sol vibrait, l'air lui-même devenait instable sous leur passage.

Peu à peu, les ennemis perdirent leur assurance. Pris dans cette danse vertigineuse, ils chancelaient, désorientés. Leurs tentatives pour contrer les assauts échouaient lamentablement, leurs coups frappant dans le vide. L'un après l'autre, les Krashmals se firent happer par la confusion, leurs visages crispés trahissant l'impossibilité de rester concentrés.

Au centre de ce chaos organisé, STR reprenait lentement son souffle, ses yeux écarquillés suivant la scène. Pour la première fois depuis de longues minutes, une étincelle d'espoir brilla dans son regard.


Un craquement sourd, suivi d'un grondement terrifiant, fit trembler les fondations du sanctuaire. Tous levèrent les yeux : le plafond, fissuré de toutes parts, se disloquait lentement sous la pression d'une force invisible. De lourds fragments de pierre se détachaient et tombaient dans un fracas assourdissant, soulevant des nuages de poussière. Pourtant, miraculeusement, aucune pierre ne toucha les Karmadors. C'était comme si une barrière invisible les protégeait, un souffle énergétique émanant du pouvoir combiné de Geyser, Rapido et Éclairs.

Puis, au-dessus d'eux, la voûte éclata entièrement, laissant s'ouvrir un gouffre vers le ciel nocturne. Des éclairs zébraient l'obscurité, révélant les contours d'un immense vaisseau qui se matérialisait lentement dans les nuages. Son apparence était terrifiante : une masse d'acier luisante, hérissée d'antennes et de plaques sombres, se mouvant silencieusement dans l'air comme un spectre mécanique.

Le nom « Viak Quedillux » apparaissait brièvement, gravé sur sa coque dans une langue inconnue.

Un grondement sourd monta des turbines géantes. Puis, sans prévenir, un rayon d'énergie jaillit du ventre du vaisseau. D'une lumière violette pulsante, il frappa le sol du sanctuaire, créant un souffle de vent violent.

Riu, encore debout, fut le premier à être happé. Son cri se perdit dans le tumulte alors que son corps s'élevait, tournoyant sous la force du rayon. Gyorg, à moitié inconscient, se réveilla brusquement, le regard fou, avant d'être lui aussi aspiré vers le ciel. Leurs silhouettes se mirent à flotter au-dessus des débris, leurs corps tordus par la lumière avant d'être avalés par l'intérieur du vaisseau.

Un silence glacé suivit. Puis, une voix éclata dans les haut-parleurs du vaisseau, résonnant dans tout le sanctuaire et jusque dans la vallée.

Une voix rauque, monstrueuse, chargée de haine.

— Je n'ai pas dit mon dernier mot !

Vous allez le payer, misérables Karmadors !

Je vous ferai regretter d'avoir osé me défier !

C'était Beurk. Sa colère semblait secouer l'air lui-même. Chaque mot vibrait dans les tympans comme un coup de tonnerre.

Geyser serra les poings, son visage ruisselant de pluie et de poussière.

— Il nous a trouvés... murmura-t-il, la voix grave, presque résignée.

À ses côtés, Éclairs observait le ciel avec un mélange d'effroi et de défi, ses yeux reflétant les éclairs qui lacéraient les nuages.

— Il faut prévenir Sollonella. Ils savent maintenant que nous sommes prêts à nous battre, dit STR d'un ton ferme malgré la tension.

Rapido, haletant, posa un genou au sol, le regard fixé sur la lumière qui s'éteignait peu à peu.

— On n'a pas fini avec eux... pas encore, souffla-t-il.

Autour d'eux, le sanctuaire n'était plus qu'un champ de ruines. Le vent hurlait à travers les colonnes brisées, emportant la poussière et les débris. STR, encore secouée par ce qu'elle venait de vivre, porta la main à son cœur. Son souffle était court, mais son regard était désormais empreint d'une détermination nouvelle.

— Il faut qu'on les arrête... dit-elle, sa voix tremblante mais sincère.


Au loin, un bruit sourd se fit entendre. Les habitants du village de Saint-Élie-de-Caxton, réveillés en sursaut par le vacarme, sortaient de leurs maisons. Certains pointaient le ciel du doigt, d'autres restaient immobiles, la bouche ouverte. Le vaisseau colossal, suspendu au-dessus de la colline, projetait une ombre démesurée sur les toits et les champs. Le sol vibrait sous les ondes sonores de ses moteurs, et un halo violacé baignait tout le village d'une lueur irréelle.

Les gens s'attroupaient, incrédules. Des cris de stupeur fusaient :

— Mon Dieu... qu'est-ce que c'est que ça ?

— C'est... c'est pas humain !

— Regardez, là-haut ! Y'a des formes qui bougent !

Certains reculèrent, d'autres se signèrent, sans même comprendre ce qu'ils voyaient. Ce soir-là, le voile entre le monde ordinaire et celui des Karmadors venait de se déchirer.

Les humains voyaient enfin la vérité : les Krashmals existaient.

Un rugissement tonitruant retentit une dernière fois dans le ciel. Puis, dans un flash aveuglant, le vaisseau furtif se volatilisa, filant à la vitesse de l'éclair vers les nuages.

Ne resta qu'un silence immense, une pluie fine tombant sur les visages levés, et la certitude que le monde ne serait plus jamais le même.




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