Nebulosa

Chapitre 4 : Le froid en elle

2826 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/07/2025 13:43

Terra shoota dans un caillou, distraitement. Il ricocha une fois sur le sable avant d’être avalé par la mer dans un ploc à peine audible.

- Qu’est-ce qu’on fait ici, déjà ?

- On cherche des indices. Cet endroit pourrait nous aider à retrouver Sora…

- Et qu’est-ce qu’elle a de spécial, cette Marge Noire ?

- Beaucoup d’âmes échouent ici. Ansem y a atterri après s’être sacrifié sur la Rampe du Néant. Riku et Sora aussi, après avoir vaincu Xemnas. Et… elle s’interrompit, la gorge nouée.

- … Et moi aussi.

Terra s’en voulut d’avoir posé la question. Aqua fixait l’horizon, les yeux perdus, absents. Il tenta tout de même de rattraper maladroitement le fil :

- Comment tu sais tout ça ? Pour Sora, Riku… Ansem ?

Elle se tourna vers lui, le visage impassible :

- Si tu lisais les résumés de Jiminy dans ton Gummiphone, tu le saurais aussi.

Elle avait dit cela d’un ton neutre, mais une infime lueur d’amusement perça dans sa voix. Terra l’entendit. Et, miracle discret, elle sourit. Il lui rendit ce sourire, le cœur un peu plus léger — c’était la première fois depuis des semaines.

Le silence, pourtant, retomba presque aussitôt. Plus lourd encore.

Le regard d’Aqua s’était déjà perdu à nouveau vers l’horizon. Terra s’approcha doucement, sans briser la distance qui les séparait, et laissa son regard suivre le sien.

Il n’aimait pas cet endroit.

Chaque recoin du Domaine des Ténèbres le mettait mal à l’aise, mais ici, à la Marge Noire, c’était pire. Il y avait une densité dans l’air, une oppression invisible qui lui broyait la poitrine. Même ses pensées refusaient de s’élever. Ce lieu semblait avaler tout ce qui avait un goût de lumière.

Il jeta un œil vers Aqua. Comment faisait-elle pour simplement rester debout ici ? Elle y avait survécu. Elle y avait vécu. Seule.

Sa gorge se serra. Une douleur sourde, familière. La culpabilité. Il avait récupéré son corps, mais il se souvenait de tout. De la fusion avec Xehanort. Du combat contre elle. De l’autre lui, ce Gardien monstrueux, obsédé par une seule chose : effacer Aqua, effacer tout lien entre eux.

Et si elle n’avait pas gagné ? S’il l’avait tuée — avec ses mains à lui, ou celles de Xehanort dans sa peau ?

Elle s’était sacrifiée. Elle avait plongé dans les Ténèbres pour lui. Erré. Des années. Dix longues années. Pour lui. Par sa faute.

- A cause de toi, oui.

Terra mit quelques secondes avant de réaliser que ces paroles prononcées à voix haute ne venaient pas de ses pensées à lui, mais bien de la seule personne présente à ses côtés sur la Plage. Cependant, il y avait quelque chose d’inhabituel dans les mots d’Aqua. La douceur de sa voix avait totalement disparu, remplacée par un timbre plus grave et distant.

Son sang, déjà glacé, se figea dans ses veines lorsqu’il regarda Aqua ; ses cheveux, d’un bleu si pur d’ordinaire, avaient pâli jusqu’à devenir presque blancs. Comme si toute chaleur s’en était extirpée. Il en était de même pour ses yeux ; habituellement d’un bleu azur, ils étaient devenus jaunes. Un jaune ocre que Terra connaissait bien, pour l’avoir vu sans le voir des millions de fois. Le jaune des Ténèbres. Sa peau semblait absorbée par l’ombre. Et ses mains… rouges, veinées d’une noirceur brûlante.

- Aqua… ?

- J’ai attendu ici qu’on me sauve. À cause de toi.

Terra sentit une goutte de sueur glisser le long de sa nuque. Un frisson parcourut son dos entier. La scène semblait irréelle, et pourtant elle était terriblement concrète.

- Tout ça parce que tu t’es laissé consumé par la haine et la colère. J’ai tout abandonné pour que tu survives, j’ai erré ici… Plus d’une décennie… Tu sais que le temps n’existe pas ici ? On perd le compte des années… Mais la solitude, elle, est réelle. Elle lacère. Elle hurle.

Une Keyblade apparut dans la main d’Aqua dans un éclat noir et sifflant. Elle la pointa vers lui.

- Ce sentiment ne m’a jamais quittée. Il est devenu mon souffle. Et maintenant que je suis de retour ici… tout remonte. Je comprends enfin : je ne serai plus jamais heureuse.

Elle le fixa, avec ses yeux d’or, glaçants.

- À cause de toi.

Aqua se jeta sur Terra, Keyblade en avant.

Terra eut à peine le temps d’invoquer sa propre Keyblade. Le choc des lames éclata entre eux dans un bruit métallique brutal, déchirant le silence de la Plage. Le sable se souleva en tourbillons fous autour d’eux.

Elle frappa avec rage — mais aussi avec douleur. Il le sentait. Dans la crispation de ses muscles. Dans la tension de sa mâchoire. Et dans les larmes qui coulaient, salées, silencieuses, sur ses joues. Il esquivait.

- Je suis désolé, Aqua…

- Je n’ai que faire de tes excuses.

- Résiste, je t’en prie. Ton cœur est fort… Il a toujours été fort.

Elle recula d’un bond souple, sa Keyblade déjà levée. Le sable se souleva à nouveau autour d’elle. Une énergie glaciale se concentra à l’extrémité de son arme. Elle lança un Glacier X. Le sort fusa, une formation géante de glace en spirale, luisante et tranchante, se dirigeant droit sur Terra.

- Brasier !

Il tenta une contre-attaque enflammée, tendant le bras dans un cri, mais la magie n’eut pas la puissance nécessaire. Le feu lécha la glace, sans la consumer. Au contraire, le choc entre les deux sorts provoqua une explosion d’éclats tranchants — des milliers d’aiguilles de givre filèrent dans les airs.

D’un réflexe fulgurant, Terra activa son armure. Un flash doré le recouvrit juste à temps. Les éclats s’écrasèrent contre la protection dans une série de petits impacts secs. Une pluie de givre s’abattit autour de lui.

Il sentit néanmoins la morsure du froid jusque dans ses muscles. Et le ton d’Aqua, lorsqu’elle parla, lui glaça le cœur encore davantage.

- Mon cœur est vide. Le peu de courage qu’il me restait… s’est envolé avec le temps. Ici, il n’en reste rien. Et tout ça… pour rien.

La poitrine de Terra se déchira de douleur et son cœur se rétracta sur lui-même. Comme un écho ancien revenu le hanter. Celle qu’il avait ressentie en affrontant son Maître. Celle de se sentir indigne, faible, incapable d’être à la hauteur. La culpabilité, la médiocrité, le sentiment de faiblesse… Tout cela le rongeait depuis toujours, mais sur cette Plage, face à l’une des personnes qu’il aimait le plus, c’était infernal.

Seulement cette fois, il ne déroberait pas. Il ne referait pas les mêmes erreurs. Il devait être fort. Pour elle.

« Terra, veille sur eux pour moi. »

La voix d’Eraqus résonna en lui comme un serment gravé dans sa chair. Et alors qu’Anti-Aqua bondissait, prête à l’atteindre de plein fouet, Terra fit son choix.

Il ferma les yeux une seconde. Il abaissa sa Keyblade. L’arme disparut dans une pluie de lumière. Il désactiva aussi son armure.

Et il attendit le choc.

Le coup de pied circulaire le frappa violemment au flanc. Tout l’air de ses poumons s’échappa dans un râle. Son corps fut projeté en arrière, roula sur le sable humide. Chaque impact lui arracha une brûlure, les grains râpaient sa peau, mais il ne cria pas.

Il resta allongé un instant, le souffle coupé. Puis il planta une main tremblante dans le sable et se redressa lentement.

- Tu vas vraiment te laisser battre ? Tu crois que ça la réveillera ? Elle a toujours été plus forte que toi, de toute façon.

Les mots, acides, résonnaient dans sa tête autant que la douleur dans son flanc. Mais Terra serra les dents. Il ne céderait pas. Pas maintenant. A genoux dans le sable et malgré les affres physiques, une étrange lueur brillait dans ses yeux.

- Elle ? répéta-t-il, en même temps que l’air pénétrait à nouveau dans ses poumons.

Les yeux jaunes d’Anti-Aqua s’écarquillèrent dans un souffle. Comme surprise. Elle lançait toujours un regard menaçant à Terra, mais ne répondit pas. Le silence lui permit d’insister.

- Qu’est-ce que tu es ? murmura-t-il, presque calmement cette fois.

Elle ne répondit toujours pas. A la place, la version ténébreuse d’Aqua se téléporta derrière Terra, et tout en faisant tournoyer sa Keyblade dans un Afflux Magique de lumière, elle le frappa dans le dos d’un coup sec. Encore une fois, Terra prit le coup sans riposter et son corps heurta le sol puis roula jusqu’à frapper un rocher.

Tout son corps tremblait, comme vidé de force. Et pourtant…

Et pourtant, une lueur persistait. Une idée tenace, incrustée dans sa chair : ce n’était pas elle.

Il se redressa lentement, s’appuya contre le rock sombre, le souffle court.

- Tu ne veux rien dire ? …Très bien.

Terra glissa une main dans sa poche, et ses doigts se refermèrent sur la Wayfinder. Cette présence infime, chaude, familière. Celle qui le raccrochait à elle.

- Quoi que tu sois… je sais qu’Aqua est toujours là, quelque part.

Elle s’arrêta net. Puis elle reprit sa marche. Lente. Inexorable. Sa Keyblade traînait dans le sable, laissant une trace sinueuse derrière elle. Terra inspira, chassa le tremblement dans sa poitrine. Il se força à ignorer la panique qui montait en lui — celle qui l’étranglait depuis le premier instant où il avait vu ses yeux devenir ocre. Il s’accrocha à cette vérité. À elle.

- Et je suis certain qu’en ce moment, elle se bat. Qu’elle lutte de toutes ses forces pour revenir. Pour reprendre le contrôle.

Anti-Aqua n’était plus qu’à quelques mètres de lui. Sa voix fendit l’air, aussi tranchante qu’une lame :

- Tu veux savoir ce que je suis ?

Elle était maintenant toute proche de Terra.

- Je suis le désespoir d’Aqua. Tout simplement.

Elle s’accroupit face à lui. Son regard glacé plongea dans le sien. Les larmes sur son visage avaient disparu.

- Son cœur… est aussi creux qu’un gouffre. Il a suffi d’un murmure. De quelques mots. Et j’ai semé le doute, la peur, le chagrin. Ils ont pris racine… tout seuls.

Terra serra les dents.

- Résiste, Aqua… Reste avec moi.

Anti-Aqua eut un rire moqueur presque silencieux.

- Avec toi ? Tu rêves. Je lis en toi comme dans un livre ouvert. Tu crois pouvoir la sauver. Être sa lumière.

Elle se redressa lentement. Et ses yeux ne quittèrent pas les siens.

- Mais tu te racontes des histoires, Terra. Elle n’a…

Quelque chose flanchait dans sa voix. Juste un battement trop long. Une faille. Sa keyblade disparue dans un nuage sombre. Elle se prit la tête dans ses mains.

- pas… besoin… de toi.

Ce trouble n’échappa pas à Terra. Bien que tout son corps fût endolori, il puisa en lui pour se redresser à son tour.

- Je sais que tu es là Aqua.

Anti-Aqua se reprit le visage entre les mains.

- Je ne… perdrais pas… le contrôle.

C’était elle. C’était bien elle. Terra sentit son cœur se serrer et, malgré les élancements dans ses membres, il s’approcha prudemment.

- On a besoin de toi, murmura-t-il. Moi, j’ai besoin de toi.

Elle tomba à genoux, toujours serrée contre elle-même, les tempes prises dans un étau invisible.

- Terra…

Il s’agenouilla à son tour, tendit une main tremblante vers son épaule. Il n’était plus qu’à un souffle d’elle, sa paume prête à la toucher.

- Aqua…

Mais à cet instant, elle écarta sèchement sa main et, dans un sursaut, matérialisa à nouveau sa Keyblade.

- Non.

Tout s’enchaîna.

Aqua leva brutalement son arme. Terra eut le réflexe d’activer l’amure de son amie avant de prendre le coup. Puis une onde de choc saturée de Ténèbres le frappa de plein fouet, le propulsant en arrière. Son corps s’écrasa sur le sable, mais il se redressa aussitôt, haletant.

Et là, sous ses yeux, un geyser d’ombres jaillit d’Aqua.

Il voulut hurler son nom, courir vers elle, mais les ténèbres l’engloutissaient déjà.

Et puis… le silence.

L’obscurité se dissipa peu à peu, fondant en une brume fine qui s’évapora dans l’air salé. Et dans ce voile qui se levait, il la vit. À genoux. Immobile. Les bras ballants dans son armure.

Oubliant toute forme de douleur, Terra courut dans sa direction. Lorsqu’il s’agenouilla en face d’elle, la Keyblade et l’armure d’Aqua se dématérialisèrent. Ses cheveux, redevenus bleus, tombaient en mèches désordonnées sur son visage.

Puis elle tomba lentement dans ses bras, à demi inconsciente. Il la serra doucement contre lui, une main contre son dos, l’autre lui retenant la nuque. Il sentit son souffle irrégulier sur sa gorge.

- Elle a finalement… réussi à m’éloigner…

La voix ne venait pas d’elle. Terra posa doucement Aqua sur le dos et se redressa aussitôt, en matérialisant Trembleterre. Son regard accrocha une silhouette sombre flottant à quelques mètres de là.

Elle était vague, instable, comme une silhouette prise dans un feu noir. Elle n’avait pas de visage. Elle semblait faite de fumées mouvantes, de cendres et de malveillance.

- Qu’est-ce que tu es ? lança Terra en serrant les dents, prêt à bondir.

- Je suis, répondit la voix. Tout simplement.

C’était une voix sans genre, sans source. Elle résonnait plus qu’elle ne parlait, comme si elle naissait du vent lui-même — un écho entre les mondes.

- Comment ça, tu es ?!

Les Ténèbres se téléportèrent au-dessus des abysses de la Marge Noire.

- J’ai été laissé ici, il y a bien longtemps. Mais j’existe depuis plus longtemps encore.

Terra grimaça. Tout dans cet être exsudait une forme de connaissance antique, comme une infection fossilisée.

- Pourquoi t’en prendre à Aqua ?!

Elle réapparut plus près, juste au-dessus d’elle. Aqua gémit faiblement. Terra se plaça aussitôt en bouclier vivant entre elle et l’entité.

- Je te l’ai dit. Parce que c’était facile. Et parce qu’une partie d’elle voulait souffrir.

- C’est faux !

- Vraiment ? Alors pourquoi est-elle revenue ici, selon toi ?

Terra jeta un regard en arrière. Aqua s’était recroquevillée sur elle-même, les bras autour du ventre.

- Parce que tu murmures dans sa tête ! Personne ne souhaite souffrir gratuitement !

Un silence. Puis :

- Je n’ai pas dit que c’était gratuit.

La voix s’approcha encore, presque tendre.

- Elle le méritait. Après toutes les erreurs qu’elle a faites, elle voulait se punir, je l’ai juste aidé.

- Tu mens !

- Peut-être. Mais ça n’a pas n’importance. Ni pour moi. Ni pour elle.

Les Ténèbres se téléportèrent à nouveau au-dessus du rivage.

- Je lui ai laissé un petit souvenir.

Et sans un mot de plus, elle se fondit dans les profondeurs, avalée par les eaux sombres comme si elle n’avait jamais existé.

Un vent glacé souffla alors sur la plage. Terra resta figé, tremblant, le regard rivé sur l’endroit où les Ténèbres s’étaient fondues dans l’abîme. Une rage sourde battait dans ses tempes, mêlée à une impuissance qu’il haïssait. Mais derrière lui, une respiration haletante, un souffle brisé, le ramena à l’essentiel. Il se tourna, s’agenouilla à côté d’Aqua, et l’enlaça sans rien dire. Son bras entoura ses épaules. Elle ne pleurait pas. Elle ne parlait pas. Elle tremblait. Alors, sans un mot, il activa l’armure d’Aqua, puis la sienne, matérialisa un portail et s’y engouffra avec elle.

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