Nebulosa

Chapitre 5 : La morsure du froid

2218 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/07/2025 13:44

Est-ce que tout ceci avait été réel ?

Elle s’était à nouveau changée en son Anti-elle. Elle le savait. Elle s’en souvenait. Mais comment était-elle revenue, cette fois ? Comment avait-elle repris le contrôle ? Les mots de Terra lui revinrent en mémoire, flous. Que disait-il, déjà ? Elle le revoyait s’agenouiller près d’elle, ses lèvres remuaient — sans son. Un écho lointain, déformé.

Avait-elle vraiment repoussé les Ténèbres ?

Elle voulait le croire. Elle voulait croire que son cœur était revenu. Mais quelque chose résistait. Contre toute volonté, contre tout désir, elle avait senti, au fond d’elle, une haine si vive, si tranchante, qu’elle n’avait eu qu’une envie : les faire payer. Tous. Surtout Terra.

De l’avoir abandonné.

Même maintenant, même libérée — du moins en apparence — cette noirceur pulsait encore, indistincte mais présente. Elle lui soulevait le cœur.

Qui étaient-elles, ces Ténèbres qui s’étaient emparées d’elle… encore ? Et son cœur… était-il vraiment vide ?

Elle leva à nouveau les yeux vers Terra. Il avait cessé de parler. Elle le remercia silencieusement pour cela. Son bras ceinturait ses épaules. Elle le regarda, s’y attarda. Il était chaud, solide. L’étreinte était juste — ni étouffante, ni distante. Une présence qui disait je suis là sans prononcer un mot. Elle toucha sa main. Pour s’assurer que c’était réel. Pour s’ancrer. Elle se répéta qu’elle était en sécurité. Qu’elle était elle-même.

Le ressac des vagues lui revint, d’abord lointain, puis plus net. Elle sentit Terra bouger, l’aider à se relever. Elle ne lâcha pas sa main. Elle en avait besoin. C’était une sensation tangible, irréfutable.

Elle sentit l’activation de son armure. Puis celle de Terra. Alors elle ferma les yeux.

Je lui ai laissé un petit souvenir.

La phrase résonna dans sa mémoire, plus vive que jamais. Qu’est-ce que cela voulait dire… ?

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle était allongée dans son lit. La lumière était tamisée, douce. Le plafond familier. Et, dans le coin de la chambre, juste en face de la porte, Terra somnolait dans un fauteuil, la Keyblade posée contre lui. Une partie d’elle se demanda s’il l’avait gardée à portée pour veiller sur elle… ou pour s’en protéger, au cas où. Elle s’assit lentement sur le bord du lit. Ce simple mouvement suffit à le réveiller. Il bondit aussitôt, s’approcha d’elle précipitamment et lui saisit les mains.

- Aqua, tu vas bien ?

- Je vais bien, répondit-elle en retirant doucement ses mains des siennes, sans croiser son regard.

- J’étais si inquiet, je…

- Je. Vais. Bien.

Il se tut, un peu sonné.

- Désolé, je ne voulais pas…

- Ne t’excuse pas… c’est moi qui suis désolée.

Elle se leva avant qu’il ne puisse répondre, s’éloigna vers la salle de bain.

- Je vais me rafraîchir.

La porte se referma derrière elle dans un léger claquement.

Dans la salle de bain, Aqua attacha ses cheveux — elle les avait laissés pousser. Une queue-de-cheval haute, rapide. Automatique. Puis elle fit couler l’eau, s’aspergea le visage. L’eau glacée la frappa comme une gifle bienvenue. Elle resta là, les mains plaquées contre ses joues, les paupières fermées.

Je lui ai laissé un petit souvenir.

La phrase revenait. Encore. Inlassablement.

Quel genre de Ténèbres étaient-ce, au juste ? Elles n’avaient pas de forme. Pas de visage. Pas de nom. Elles parlaient. Elles pensaient. Elles n’étaient ni Sans-Cœur, ni Nescients. Elles étaient autre chose. Des murmures. Des instincts sans enveloppe. Des entités nées du désespoir lui-même.

Elle rouvrit lentement les yeux. Des gouttes glissèrent sur son visage, le long de son menton. Dans le miroir, elle se contempla. Rien d’anormal… en apparence. Mais une gêne persistante, un picotement léger, l’alerta. Elle tourna un peu la tête. Et alors, elle la vit.

Juste derrière son oreille, là où ses cheveux d’ordinaire retombaient en cascade : une veine noire. Fine. Étrangement nette. Comme un poison incrusté sous la peau. Elle l’effleura du bout des doigts. Aucune douleur. Aucune chaleur. Juste… une ligne sombre. Glaciale dans son existence même.

« Je suis toujours là. »

La voix n’était qu’un souffle. À peine un murmure dans son esprit — mais elle l’entendit comme si quelqu’un se tenait juste derrière elle. Elle se retourna aussitôt, sa Keyblade jaillit dans un éclat de lumière, la garde levée, prête à frapper.

Mais la pièce était vide.

Ses yeux fouillèrent chaque recoin, son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Rien. Personne. Elle se retourna. Il y avait juste son propre reflet dans la glace, à demi embuée.

Mais ce n’était pas elle dans ce reflet.

Celui-ci avait des yeux, d’un jaune éclatant, qui luisaient d’une intelligence cruelle. Ses cheveux, devenus blancs comme la cendre, encadraient un visage tordu par un sourire malsain.

Anti-Aqua.

Aqua eut un mouvement de recul. Puis, sans réfléchir, elle leva sa Keyblade et frappa. La garde heurta violemment la surface du miroir, qui éclata sous l’impact. La fissure centrale se déploya comme une toile d’araignée, et dans chaque éclat, dans chaque fragment brisé, les reflets déformés de son double ténébreux se multiplièrent. Dix. Vingt. Cent.

- Sors de ma tête ! Rugit Aqua.

Elle entendit Terra se lever d’un bond dans la chambre. Un choc sourd : il venait de heurter la porte. La poignée s’agita aussitôt, dans un cliquetis précipité. Il tambourinait, l’appelait, paniqué.

- Aqua ! Qu’est-ce qui se passe ? Ouvre-moi !

Elle recula d’un pas, encore haletante. Le miroir ne renvoyait plus qu’un seul reflet — le sien. Normal. Mais elle peinait à y croire. La poignée tournait encore. L’insistance de Terra la frappa comme une dissonance. Trop de bruit. Trop de présence. Elle approcha lentement de la porte, tendit la main vers la poignée, puis la laissa retomber. Elle inspira profondément, cherchant à faire taire la panique dans sa poitrine.

- Laisse-moi, Terra.

Les mouvements cessèrent immédiatement. Plus un bruit. Puis elle perçut un frottement contre le bois — il s’était adossé à la porte, glissant lentement le long jusqu’au sol. Elle fit de même. Une main posée contre le bois, le front appuyé dessus, elle se laissa glisser jusqu’à ce que ses genoux touchent le carrelage froid. Le silence s’installa, dense. Seule l’eau du robinet, toujours ouverte, coulait doucement dans l’évier et perçait l’air.

Un instant passa. Puis un autre. Aqua sentit un mouvement de l’autre côté de la porte. Des bruits ténus, comme des vêtements froissés, un souffle nerveux.

- Je ne suis pas ton ennemi, Aqua… Je t’en prie, ne me rejette pas…

Sa voix était basse, brisée. Elle ferma les yeux.

- Je…

Elle n’avait pas de mots. Rien que ce poids dans la poitrine.

- Tu n’as pas à affronter ça seule, ajouta Terra après une pause. Tu n’es plus seule.

Ces derniers mots, si simples, percutèrent Aqua comme une évidence oubliée. Elle serra les dents. Se redressa lentement, toujours adossée au bois. Une partie d’elle criait de rouvrir cette porte. L’autre, figée dans la peur, résistait encore. Elle se mordit l’intérieur de la joue. Puis, enfin, poussa la poignée.

La porte s’ouvrit sans un bruit.

Terra s’était retourné, à genoux. Ses épaules rentrées. Ses yeux rougis par la fatigue et l’inquiétude. Il leva la tête, prêt à se relever. Mais Aqua ne lui en laissa pas le temps. Elle s’effondra dans ses bras, sans un mot, sans retenue. Elle s’y agrippa avec la force du désespoir, enfonçant ses doigts dans sa chemise, dans ses côtes, dans son épaule. Comme si elle craignait qu’il disparaisse à nouveau. Terra la serra contre lui. Une main dans son dos, l’autre posée avec tendresse derrière sa nuque. Solide. Présent. Vivant.

- Tu te rappelles… quand on était enfants ? Toutes les bêtises qu’on faisait…

La voix de Terra était douce, presque hésitante. Aqua se souvenait, mais ne répondit pas, son souffle s’était calmé contre lui. Alors il continua, sur un ton plus léger :

- Le Maître n’arrivait jamais à nous faire dormir. Il en perdait presque sa queue-de-cheval. Tu sais pourquoi ?

Toujours aucun mot, mais il sentit contre lui un frémissement. Un soupçon de sourire. Il sourit aussi, timidement.

- C’était parce qu’on buvait le fond de sa cafetière. Son café froid. On pensait que c’était une potion magique…

Aqua remua légèrement, resserrant ses bras autour de lui. Il s’interrompit.

- Désolé, je parle trop, marmonna-t-il.

- Non… termina doucement Aqua. On croyait que c’était une potion magique… qui nous aiderait à devenir Maîtres de la Keyblade.

Elle marqua une pause. Puis, plus bas :

- Je t’en prie… continue.

Ce n’était pas dans la nature de Terra d’être bavard. Encore moins sentimental. Mais ce soir-là, il avait trouvé le ton juste. Et même si Aqua ne disait rien, elle l’en remerciait intérieurement.

- Après avoir bu notre “potion magique”, on se sentait invincibles. Alors on filait dans la Salle des Sièges en pleine nuit pour s’entraîner. On faisait des passes avec nos Keyblades imaginaires… jusqu’à ce que quelqu’un nous surprenne.

Un sourire discret flotta sur ses lèvres à ce souvenir.

- Un soir, le Maître est arrivé. Il tenait sa cafetière vide dans les mains. Je crois qu’il avait enfin compris pourquoi, depuis deux semaines, on ne dormait plus.

Aqua ne disait toujours rien. Mais elle écoutait. Ses larmes avaient cessé. Sa respiration était plus calme.

- Ce soir-là, on s’attendait à se faire gronder. Comme d’habitude. Qu’il nous ramène au lit trois fois, comme les autres nuits. Mais non… Il nous a juste emmenés dehors.

Il fit une pause, comme s’il revivait l’instant.

- On est restés là, tous les trois, à regarder les étoiles. Puis… je crois qu’on s’est endormis là-bas, tous ensemble.

Aqua renifla et s’écarta lentement de Terra.

- Où est-ce que c’est passé, tout ça ? souffla Aqua. Toute cette innocence…

Terra baissa les yeux. Il resta silencieux un moment. Elle n’attendait pas vraiment de réponse. Mais il en chercha une malgré tout.

- Je crois… qu’on portera toujours en nous le deuil du Maître et les stigmates de ces dix dernières années. Rien ne les effacera.

Il releva la tête, et ses yeux croisèrent les siens.

- Mais aujourd’hui, on est là. Ensemble. Et c’est peut-être ça, le plus important.

Aqua hocha la tête. Mais un mot, dans sa bouche, l’avait transpercée.

Stigmates.

Elle sentit une pulsation, juste là, derrière son oreille. La veine noire. Elle battait, imperceptiblement, mais présente. Elle se redressa, silencieuse, et tendit la main vers Terra pour l’aider à se relever.

Elle savait que c’était le moment. Qu’il fallait parler. Profiter du calme qu’il avait su lui offrir pour ne pas garder ce secret plus longtemps.

Il se releva avec elle, sans la lâcher des yeux. Elle inspira lentement, puis, dans un geste mesuré, elle rassembla ses cheveux en une queue-de-cheval haute, comme elle le faisait souvent. Puis elle tourna la tête, dévoilant son profil droit.

- Regarde, dit-elle simplement.

Terra s’approcha. Ses sourcils se froncèrent, son regard fouilla l’endroit sans comprendre. Il ne voyait rien. Puis soudain, il se figea. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement, et sa main se crispa malgré lui.

- Qu’est-ce que… ?

La voix de Terra n’était qu’un souffle.

Aqua relâcha ses cheveux sur ses épaules. Elle ne voulait pas le voir paniquer. Ni poser trop de questions. Pas encore.

- Je ne suis pas encore sûre de ce que c’est, dit-elle en détournant le regard. Ni de ce que ça signifie.

Elle entendit Terra inspirer profondément. Puis il leva la main, hésitant, sans la toucher.

- Est-ce que ça te fait mal ?

Elle secoua la tête.

- Non. C’est… là, c’est tout. Je ne la sens pas. Mais je l’ai vue. Et… j’ai entendu sa voix.

Le silence retomba. Un silence lourd, chargé de crainte. Mais aussi de quelque chose d’autre. De détermination.

Terra, enfin, baissa la main.

- Alors on trouvera ce que c’est. Ensemble.

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