Les Lumières dans les Ténèbres : La Réalité de la Fée Noire

Chapitre 31 : Faiblesse (Thomas)

7076 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/06/2021 16:54

J’étais complètement cuit.

Comme tout le monde, d'ailleurs. Sora encore plus. À peine s’est-il installé dans le carrosse (enfin, je crois que ça s’appelait comme ça) qu'il s’est endormi à poings fermés. Minehi n'a pas tardé à l'imiter. Les deux alliés de Liam s'occupaient de diriger le véhicule et le maréchal lui-même nous tenait compagnie.

Dans la pénombre, je distinguais à peine le visage de chacun mais ce n’était pas difficile de deviner comment les autres se sentaient.

Nous nous en étions sortis, certes, mais cela avait été très limite. Si nous étions encore en vie, c’est en grande partie grâce à Liam, à Sora et à Minehi. S'il avait manqué ne serait-ce qu'un seul de ces trois-là, nous serions encore dans notre cellule. Voire pire…

Personne ne parlait. J’imagine que nous étions encore troublés parce qu'il venait de se passer. Quand ce type, Dæmonium, nous a attaqué à la sortie, j’étais persuadé que c’était fichu. Mais heureusement, Sora a pu nous sortir de cette situation. Quand le Cadre Supérieur a envoyé son espèce de fumée vers Sora, quelques instants après, ce type s’est retrouvé à genoux, en transe. Comment Sora s’était débrouillé au juste ? Inutile de lui demander : à en juger par l'expression de mon nouvel ami quand j’étais parti le chercher, lui-même ne savait pas. Il avait définitivement fait quelque chose, mais quoi ?

Et puis, ce n’était pas la seule question qui me taraudait… mais ce n’était pas le moment : il fallait d'abord qu’on se repose.

Nous voyagions en silence. Les seuls bruits que l'on entendait étaient les roues du carrosse, celui des animaux qui tractaient le véhicule (enfin, j'imagine que c’étaient des animaux vu les sons, tout sauf humains, que j'entendais à l’extérieur) et les ronflements de Sora.

-         Où est-ce qu'on va ? a finalement demandé Lea.

Liam était absorbé par son heaume. Plus précisément, il avait l'air de regarder l’étoile dessus. Impossible de décrire son expression.

-         Chez Kain et Lys, a-t-il répondu après quelques instants.

-         Ce sont les personnes qui conduisent la carriole en ce moment ? a deviné Dingo.

-         C’est ça. Étant donné que le Premier Cadre nous a reconnu, Minehi, Eeal et moi, impossible d'aller nous réfugier dans nos foyers respectifs.

Ça se tenait.

-         On n’a pas tellement réussi à nous évader furtivement, non ? me suis-je souvenu. J'imagine qu'on a dû lancer des gens à notre poursuite. Alors, comment est-ce qu'on va atteindre leur maison en sécurité ?

-         Nous y arriverons, m'a assuré l'ancien chef de la prison. Mes deux amis connaissent des chemins… disons, particuliers.

J'ai l'impression qu'il a jeté un regard à Minehi (toujours endormie) et à son fils, silencieux depuis le début du voyage. Puis, il s’est attardé sur Sora.

-         Vous devriez vous reposer tant que vous le pouvez, a-t-il conseillé. On a encore quelques heures devant nous. Prenez exemple sur votre ami.

Il avait raison. Moi-même, je sentais mes paupières s'alourdir. Pourtant, j'avais quelques appréhensions. Je veux dire, la dernière fois que je m’étais « endormi », j'avais ouvert les yeux dans une prison ; la fois encore avant, j'avais frôlé la mort dans mon rêve. Mais bon, j’étais vraiment crevé.

Le bois du véhicule n’était pas ce qu'il y avait de plus confortable, mais je ne suis pas difficile. Avant de m'endormir, je me suis demandé une dernière fois où étaient mes amis.

Lydia, Maxwell, j’espère que vous allez bien.

 

 

 

Je me suis réveillé doucement secoué par Liam.

-         Debout, Thomas. Nous sommes arrivés.

Je n'avais aucune idée du temps que j'avais passé à dormir. J'ai tenté de m’étirer mais cela avait été une grosse erreur. J'ai retenu un gémissement de douleur et Lea, bien réveillé, s'en est aperçu.

-         Courbatures ?

-         Ouais.

Il m'a lancé un regard compatissant.

-         Je comprends. Mais évite de trop rester immobile.

J'ai répondu que j'allais essayer avant de jeter un rapide coup d'œil à l'intérieur du carrosse. La binoclarde était déjà sortie, suivie par Lea et Liam. Minehi avait l’air d'aller beaucoup mieux, à mon grand soulagement. Son fils avait rejoint Sora, qui lui faisait des grimaces.

-         Difficile de croire que tu étais fatigué, lui ai-je dit.

Sora a ébouriffé les cheveux de Eeal, qui riait aux éclats.

-         T'inquiètes pas pour moi. M'a-t-il répondu. Je suis plus solide que j'en ai l'air ! Je suis complètement rétabli.

La guérisseuse n'a pas eu l'air d’accord.

-         Pas vraiment. C’est vrai que tu es solide, mais ne surestime pas tes forces. Tu as encore besoin de repos. Comme vous tous.

Elle s'est redressée avant de se diriger vers la sortie, suivie de près par Eeal.

-         Allons-y. Les autres nous attendent.

Minehi a soulevé le drap qui couvrait la sortie et quelques rayons de soleil ont pénétré dans la carriole, éclairant encore plus l’espace.

-         Ça marche, a répondu Sora. On y va, Tom ?

 

J'ai hoché la tête et, sur ces mots, nous sommes sortis. À peine avais-je passé la tête à l’extérieur que j'ai été légèrement ébloui par la lumière du jour. Elle avait beau ne pas être très forte, j’ai eu le réflexe de me couvrir les yeux. Liam ne nous avait pas menti, on avait bien dû voyager plusieurs heures. À en juger par la hauteur du soleil, on devait être en début de matinée.

Sora a eu la même réaction que moi en sortant. Puis, il a commencé à regarder autour de lui.

-         Où est-ce qu'on est ?

Nous étions dans un endroit relativement désert. La seule chose dans notre champ de vision était une grande maison en bois à deux étages sur un sol de terre avec non loin de cette dernière, une forêt luxuriante, ce qui contrastait un peu avec le reste du décor, terne et vide.

-         Bienvenue chez nous ! S'est enjoué quelqu'un.

Je me suis retourné en direction de la voix. J’ai reconnu un des deux types en armures qui nous avaient filé un coup de main pour sortir de l'Abîme. Il n’avait plus son heaume, laissant au grand jour ses longs cheveux noirs et ses yeux noisette. J'en ai déduit qu'il s'agissait de Kain. Ensuite, une femme blonde aux cheveux coupés courts (sans doute Lys) l'a rejoint.

-         Ce n'est peut-être pas très luxueux, nous a-t-elle dit, mais c’est notre maison.

-         Ça ira (Liam leur a souri). Nous accueillir chez vous est déjà beaucoup.

Kain a paru gêné.

-         Chef, ce n'est pas grand-chose. Pas la peine de nous remercier.

Pour ma part, vu la réputation que l'on commençait à se forger dans ce monde, j'ai trouvé que c’était justement beaucoup.

Un hennissement soudain provenant de derrière moi m'a fait sursauter. Je me suis retourné dans la direction du bruit et y ai vu…

-         C'est quoi, ça ? ai-je demandé.

Ce qui tirait le carrosse depuis le début étaient indéniablement des chevaux, mais c’était un genre que je n'avais jamais vu avant. Blancs et légèrement étincelants, ils me faisaient un peu penser aux gardiens de l'Abîme : on aurait dit qu'on avait fait exploser une étoile et qu'on s’était servi des restes pour former leur corps. J'avais l'impression que si on leur soufflait dessus, ils pouvaient se dissoudre. Vous voyez un peu l’idée. Pour vous dire la vérité, je trouvais ça assez intéressant à regarder. Je me suis approché des chevaux avant de leur caresser le museau. L'animal magique a émis une sorte d'éternuement (je crois que c'est ça qu’on appelle un ébrouement) qui, je l’espérais, voulait dire « Merci, mec. Ça fait du bien. » et pas « Continue et je te promets de t'envoyer mon sabot stellaire dans ta face. ». Dans le doute, j’ai préféré jouer la prudence.

J'avais l'impression de toucher du sable. La poussière étrange qui formait leur corps se détachait d'eux en permanence et disparaissait avant même de toucher le sol. Pourtant, ils n'avaient pas l'air de subir de séquelles particulières.

-         C'est… fascinant, ai-je laissé échapper.

Lys a paru ravie.

-         Je vois que nos equuleī te plaisent ! 

-         Vos quoi ? a demandé Sora.

-         Disons juste que ce sont des chevaux qui viennent des étoiles, a expliqué Kain. Stellaos s'est servi de son pouvoir pour les créer.

J'ai tressailli. Si c’était l’empereur qui s'en était occupé, cela voudrait dire que…

-         Pas d’inquiétude, a immédiatement ajouté le soldat. Stellaos ne nous épiera pas avec eux.

La binoclarde a redressé ses lunettes.

-         Comment pouvez-vous en être si sûr ?

-         Eh bien, il a créé tellement de choses ici que ce serait impossible pour lui de toutes les contrôler. Il s’intéresse principalement à ses monstres les plus puissants ou à ses Sentinelles…

-         Les oiseaux bizarres ? me suis-je souvenu en pensant à notre arrivée.

-         Oui, c'est ça : « les oiseaux bizarres ». Mais ce ne sont que des hypothèses.

-         Ah.

-         Ne fais pas cette tête, est intervenue Lys. De toute façon…

-         Ouah !

Sora, qui m'avait rejoint pour caresser les chevaux stellaires, s'est retrouvé sur le sol… à l'endroit où étaient les animaux quelques secondes plus tôt. Ils avaient tout bonnement disparu.

-         …Il est l'heure, a terminé la femme soldat.

-         Comment ça ? a demandé Sora pendant que je l’aidais à se relever.

-         Les créatures de Stellaos deviennent plus fortes au fur et à mesure de la nuit, a dit Liam, mais elles ne peuvent pas exister de jour, à moins d’être particulièrement puissantes ou spéciales.

-         Spéciales ?

L'ancien chef de la prison a scruté le ciel et les alentours. Je ne voyais absolument rien, mais il avait l'air plutôt inquiet. J'allais lui demander ce qu'il n'allait pas lorsque j'ai senti mes forces m’abandonner d'un coup. Sora a été assez rapide pour m’empêcher de m’écrouler.

Minehi est immédiatement venue à ma rencontre.

-         Il va bien, a-t-elle déclaré. Mais il a absolument besoin de repos.

Elle avait raison. Les quelques heures de sommeil pendant le voyage n'avaient pas suffi. Et puis, j’avais le ventre vide. Je n’étais jamais allé à ce point au bout de mes forces.

-         Allons vite à l'intérieur, a suggéré Kain.

Sur ces mots, nous nous sommes dirigés vers la maison.

 

Je ne me rappelle plus vraiment ce qu’il s’est passé après avoir franchi le pas de la porte si ce n’est juste d’avoir entendu des phrases un peu vagues qui disaient que je n'allais pas tenir longtemps, par exemple. Je me souviens aussi que l'on m'a aidé à monter des escaliers avant de me mettre dans un lit. Rien de plus. J’étais dans le brouillard total. Dès l'instant où j'ai senti ma tête s'enfoncer dans un oreiller, je me suis endormi.

J'aurais espéré pouvoir avoir un sommeil sans rêve, mais il a fallu que je fasse un cauchemar.

 

Je me trouvais sur une grande place entourée de maisons en bois que j'ai immédiatement reconnu : c’était l'endroit où nous avions affronté les Quatre Cadres Supérieurs. Si je me souviens bien : Dingo et Lea se sont retrouvés face à la femme sadique « Twice », je crois, Quat'zieux a atterri face au garçon baraqué : Bullet et Sora a combattu Dæmonium. Quant à moi…

-         Tu es prêt, gamin ? m'a demandé Magnus, une main sur le fourreau de son épée.

J'avais trouvé ça assez sympa de sa part de me prévenir. J'ai pensé qu'il allait y aller doucement avec moi vu que j’étais un « gamin » …

Quelle erreur.

À l'instant où j’ai cligné des yeux, la pointe de son fourreau était sur ma gorge.

Je n'ai pas compris comment cela avait été possible.

J'aurais juré que ce type était à une dizaine de mètres de moi et il a mis moins d'une seconde pour m'atteindre. Je n'ai évidemment pas eu le temps de réagir.

C’était stupide, mais j'ai tenté un coup de Keyblade hasardeux pour me dégager. Je pensais le toucher mais il a littéralement disparu de mon champ de vision.

L'instant d’après, j'ai ressenti une vive douleur dans mon dos. J'ai été projeté au sol. Ce sale type m’avait attaqué par derrière.

-         Tu es beaucoup trop lent, m'a lancé le Cadre Supérieur.

Je me suis relevé aussi vite que j'ai pu. Magnus m'a regardé sans rien faire.

-         Abandonne, petit. Tu n'as aucune chance.

Il avait raison. Et je savais qu'il avait raison. Le problème, c'est que j'ai toujours été quelqu'un de très têtu, même si ça me créait des problèmes. En l'occurrence, comme ici. J’étais convaincu que personne n’était invincible, alors lui aussi devait avoir un point faible. J'allais le trouver et rejoindre les autres !

La partie de moi qui était encore saine me criait de prendre mes jambes à mon cou. Je n’étais pas un de ces héros de fiction qui parviennent à vaincre des ennemis bien trop forts pour eux grâce à un quelconque talent caché. J’étais juste un gamin normal qui s’était retrouvé mêlé à des choses qui le dépassaient. Et qui le dépassent encore aujourd’hui.

Pourtant, je ne pouvais tout simplement pas laisser tomber. Il fallait qu'on s'en sorte pour sauver mon monde et nos amis. En jetant un œil autour de moi, je voyais clairement qu’aucun d'entre nous n'avait l’avantage sur les Cadres, pas même Sora. Cependant, ils se battaient quand même. Je trouvais ça un peu stupide mais courageux en même temps. J'allais passer pour quoi si je fuyais ?

J'ai serré ma prise sur mon arme.

Magnus a soupiré.

-         Je vois.

Avant même que je ne puisse me décider à attaquer, mon adversaire s'est de nouveau retrouvé devant moi.

-         Quoi ? ai-je fait

PAF !

Le coup donné par le fourreau à mon ventre m'a fait voltiger plusieurs mètres plus loin. La douleur était insoutenable. J'avais l’impression que tout mon estomac était compressé et ma vue se brouillait. J'ai porté une main à mon ventre. Impossible de respirer correctement. J'ai tenté de réfléchir aussi vite que possible mais la douleur m'embrouillait le cerveau.

J'ai relevé la tête.

Magnus était là.

Sérieusement, à quel point ce type était rapide, au juste ?

Il m'a donné un nouveau coup qui m'a projeté encore plus loin… et a continué comme ça un certain temps. Au bout d'un moment, je n’avais même plus la forcer de penser. J'encaissais, c’était tout. J’étais un simple punching-ball pour le Cadre, persuadé que j'allais mourir sous ses coups.

Je ne voyais plus ce qui m'entourait. Il m'a semblé entendre des cris horrifiés. Les habitants peut-être. Je crois que l'un d'entre eux a dit : « Ce pauvre garçon va finir par mourir ! »

Il (ou elle) avait raison. Mes forces s'épuisaient et la douleur m’empêchait de réfléchir. Magnus ne me donnait pas une seconde de répit et continuait de me rouer de coups. J'allais mourir.

 

Non.

 

Il me restait une dernière carte.

J'ai laissé la colère m'envahir, ce qui n’était pas difficile, dans la mesure où je ne faisais qu'encaisser.

Sans réfléchir, j'ai frappé à l'aveuglette avec mon bras de Sans-cœur si fort que j'ai levé une rafale de vent. Heureusement, je n'avais touché aucun habitant. Malheureusement, je n'avais pas touché Magnus.

Mais bonne nouvelle, ses attaques incessantes s’étaient arrêtées.

Le pouvoir de régénération que ma forme obscure (ou « Ceno », comme vous voulez) me procurait m'a permis de me soigner petit à petit. Mes blessures me faisaient de moins en moins mal. Je m’attendais à ce que mon ennemi passe de nouveau à l'attaque mais il est resté immobile. Je ne voyais pas très bien ses yeux à cause son masque, mais j’étais convaincu qu'il m'observait. J'avais aussi le sentiment… qu’il hésitait.

-         Toi…

-         Qu'est-ce qui te prends ? a lancé Ceno. Tu as peur ? Allez, amène-toi !

Magnus a repris ses esprits. Mais cette fois, il était hors de question de lui laisser l'initiative.

Je me suis élancé vers lui aussi vite que j'ai pu. Il m'attendait de pieds fermes mais… il n'a même pas porté la main à son arme.

S'il voulait me laisser faire. Tant pis pour lui.

J'ai donné un coup de mon poing obscur, mais j'ai touché… le vide.

Magnus s'est retrouvé à peu plus loin dans mon champ de vision. J'aurais dû me rendre compte que je n'avais pas la moindre chance. Pourtant… Impossible de me débarrasser de cette soif de sang qui m’animait. Voilà pourquoi je commençais à avoir peur de cette force. Peur de ces ténèbres en moi.

Peur de Ceno.

Plusieurs fois, j'ai tenté de l’atteindre. Et j'échouais. À l'instant même où je croyais le toucher, il était à un autre endroit. J'ai essayé… essayé… essayé… Mais au final :

-         C'est lent, a fait la voix du Cadre derrière moi.

Magnus m'a donné un coup de son fourreau aux jambes. Fauché, je suis tombé vers l’arrière mais avant même que je ne touche le sol, j'ai vu mon adversaire, debout, en train de lever son arme. Il allait m’attaquer pendant ma chute. J’étais complètement sans défense.

Je l'ai vu abattre son arme au ralenti. Il m'a atteint avec une violence inouïe. Je n'avais jamais eu aussi mal de toute ma vie. J'ai hurlé de douleur. Il me semble avoir craché quelque chose. Du sang, peut-être. Je ne me souviens pas.

J'ai brutalement touché le sol. Tordu par la douleur, je n'avais même plus la force de bouger.

J'avais lamentablement échoué. Et mon adversaire n'avait même pas eu besoin de dégainer son épée. J’étais vraiment…

-         Faible. Tu es trop faible.

 

 

J'ai ouvert les yeux.

Étrangement, pendant quelques instants, j'ai cru que tout ce que j'avais vécu jusque-là n’avait été qu’un long cauchemar. Oui, ce devait être ça. Mes parents adoptifs allaient bientôt m’appeler pour aller manger. Maxwell allait être avec eux en compagnie de Lydia, qui venait souvent manger à la maison. Tout ce qui m'attendait, c’était juste un bon repas et une soirée avec mes amis de toujours. Aucun danger à l’horizon. Pas de monstres à ma poursuite. Mon foyer n’était pas en péril.

Juste… Une vie normale.

Je me suis redressé sur mon lit… et la réalité m'est réapparue en pleine figure.

Il faisait nuit. La seule lumière qui éclairait faiblement la pièce provenait de la lune et des étoiles. Quand on était venu, il faisait à peine jour. J'avais vraiment dormi toute une journée ? La chambre où je me trouvais ne me disait rien. Elle était assez spacieuse. Enfin, c’est l’effet que ça me faisait dans la mesure où il n'y avait pas grand-chose dedans si ce n’est le strict minimum : le lit sur lequel je me trouvais, une grande armoire et une table de chevet avec une lampe. Enfin, c’est tout ce que je pouvais distinguer dans la pénombre.

 

J'ai appuyé sur ce qui m'avait l'air d’être interrupteur. Et ce qu'il s'est passé ensuite m’a surpris. La lampe se composait seulement d'un cylindre de verre qui reposait sur un socle. La chose à laquelle je ne m’attendais pas était la lumière qu'elle a produite. Ou plutôt, ce qui permettait cette lumière. À l’intérieur du verre, on pouvait y voir de la poussière qui flottait, répandant une douce lueur bleutée dans la pièce.

-         Ouah… ai-je laissé échapper.

C’était sans doute de la poussière d’étoile. Je suis resté quelques minutes à regarder cette poussière flotter dans le cylindre jusqu'à ce que j’entende des rires. Des rires d'enfants. J'ai directement pensé à Eeal. J’imagine que Sora le faisait rire avec ses grimaces.

Peut-être qu'il vaudrait mieux que je les rejoigne.

Décidé, je suis sorti du lit aussi vite que me permettaient mes courbatures avant de me diriger vers la porte. Dès que je l'ai ouverte, je me suis trouvé nez à nez avec Dingo.

-         Décidément, a-t-il déclaré avec enthousiasme, tu as le sens du timing !

-         Tu m’enlèves les mots de la bouche, lui ai-je répondu.

C'est alors que j'ai senti l’odeur. Mon estomac a gargouillé. Je me suis gratté la tête, gêné.

-         Désolé, ai-je dit.

-         Aucun problème, ahyuk ! C’est normal. De toute façon, il y a suffisamment à manger. Viens !

Je l'ai suivi jusqu’à des escaliers. Au fur et à mesure qu'on avançait, j'entendais des voix s'intensifier. Une fois au rez-de-chaussée, j'ai reconnu Liam, Lys et Kain (tous les trois sans armure) autour d'une table en compagnie de Lea et Minehi. Sora et Eeal jouaient dans un coin en riant aux éclats. Et comme à son habitude, la binoclarde se tenait plus à l’écart, l’air perdue dans ses pensées.

En me voyant, Sora et Eeal se sont précipités à ma rencontre.

-         Thomas ! A fait Sora. Comment tu te sens ?

-         Tu es encore fatigué ? M'a demandé Eeal.

-         Ça va mieux, oui.

Sa mère nous a rejoint.

-         Ça m'en a tout l'air, a-t-elle confirmé. Mais ne force pas trop.

J'ai hoché la tête en signe de compréhension.

-         Tu dois avoir monstrueusement faim, a-t-elle ajouté.

Je lui ai répondu que j'avais l'impression qu'un cratère s’était creusé dans mon estomac. Elle a souri avant de me tendre un plat. C’était le même repas délicieux qu’on avait mangé à notre arrivée : la viande de guenodon accompagné de feuilles de Ferris – je n’arrive toujours pas à croire qu'ils ont des arbres qui peuvent ressouder des os – et de la sauce lumi.

-         Viens donc nous rejoindre ! a joyeusement suggéré Kain.

J'ai rejoint les soldats avant d'entamer sans pitié la nourriture. Ça m'a fait un bien fou de manger ! Tellement que ce n’est qu’après plusieurs bouchées que je me suis souvenu de respirer. C’est là que j'ai demandé :

-         Et vous ?

-         Ne t'en fais pas, m'a répondu Lys. Nous avons déjà mangé.

Je suis donc reparti à l'assaut de mon repas. Quelques minutes plus tard, j’étais rassasié. C’est à peine si je pouvais bouger de ma chaise. Liam m'a lancé un regard satisfait :

-         Maintenant que tout le monde est là et… repus, je pense qu'il vaudrait mieux faire le point. Afin de mettre tout le monde au même niveau.

Nous nous sommes tous rapprochés de la table. Sora a fait une dernière grimace à Eeal, qui a explosé de rire, avant de prendre un air sérieux.

-         O.K. D'abord, Lea, Thomas, Yuki, Dingo et moi sommes arrivés ici par accident. Nous avons été séparés…

-         Ou plutôt, l'une d'entre nous s'est tirée, ai-je ajouté.

La concernée m'a lancé un regard noir, mais ça m’était complètement égal.

-         En essayant de nous rassembler, a continué Sora, nous avons affrontés les gardes et Minehi nous a aidé.

-         Ensuite, est intervenu Lea, elle nous a expliqué ce qu'il se passe dans ce monde avec Stellaos et son… gouvernement.

-         C'est donc là que j’interviens, a dit Liam sur un ton de regret. Et puis…

-         Tu m'as emmené sur la grande place pour m’exécuter, a terminé froidement Minehi.

-        Ce n’est pas… a commencé Liam avant de s’interrompre lui-même.

Il se sentait sans doute encore coupable. J’avais vraiment l'impression qu'il y avait un lien particulier entre ces deux-là. Minehi avait toutes ses raisons pour être en colère contre Liam mais quelque chose me disait que sa tentative d’exécution n’était pas la seule chose qu'elle lui reprochait.

-         D'ailleurs, pourquoi l'avoir emmenée ? ai-je demandé.

C'est la guérisseuse qui m'a répondu.

-         J'ai déclaré à voix haute que cet empire ne valait rien du tout après une journée de travail harassant.

Dingo a eu l'air surpris.

-         C’est tout ?

-         Vu ce gouvernement de malades, ce n’est pas étonnant, a commenté Lea.

-         Exactement, a renchéri Minehi. Ils sont tous pareil.

-         Ne dis pas ça, a dit Liam. Nous ne sommes pas tous aussi cruel que Stellaos.

Elle l'a regardé droit dans les yeux.

-         Vraiment ? C'est étonnant d'entendre ça venant de quelqu'un qui est capable de condamner à mort une mère de famille.

-         Je n'avais pas le choix, s'est défendu Liam.

-         Évidemment. Ce n'est jamais ta faute.

Le reste d’entre nous a assisté à la scène en silence. Ce que je venais de voir n'a fait que confirmer ce que je pensais un peu plus tôt : quelque chose s’était passé entre Minehi et Liam et apparemment, Liam essayait de se racheter. Je me suis rappelé ce qu'il m'avait dit en prison. « Au moins, je peux parler à certains détenus ». Il voulait donc parler d'elle.

Kain s'est raclé la gorge, visiblement pressé de changer de sujet.

-         Euh, et ensuite ?

-         Nous avons rejoint la place pour la libérer, ai-je répondu.

-         Mais les Cadres Supérieurs nous attendaient, a complété Sora.

Lys a paru surprise.

-         C'est bizarre.

-         Qu'est-ce qui est bizarre ?

-         Vous ne trouvez pas ça curieux le fait que l’élite du gouvernement se déplace pour quelque chose d'aussi… (elle a jeté un œil prudent à la guérisseuse) banal ?

Maintenant qu'elle le disait…

-         Des cas comme celui-ci arrivent souvent, a ajouté Kain. C'est très étrange que les Cadres se manifestent pour ça.

Liam avait le regard perdu dans le bois de la table, l'air pensif. Pourtant, il a répondu :

-         Cela n'a rien de bizarre. De ce que j'ai vu et entendu au palais impérial, les gens sont de plus en plus en colère. Les… exécutions se sont multipliées ces derniers temps. La population commence à en avoir marre de ce régime. Stellaos a sans doute envoyé les Cadres pour rappeler à tout le monde sa puissance. L'empire entier retient son souffle, redoutant la plus grande rébellion à ce jour. Là-dessus, vous êtes arrivés.

-         Et vous avez tenu tête aux Cadres, a terminé Minehi en nous souriant.

Sora a soudain écarquillé les yeux, comme s'il venait de comprendre quelque chose.

-         C’est pour ça !

-         De quoi est-ce que tu parles ? a demandé Dingo.

-         Avant que l'on nous emmène dans l’Abîme, j'ai remarqué l’expression des villageois. Ils avaient l'air… déçus.

Liam n'a pas eu l'air surpris.

-         Ça confirme ce que je dis. Les gens vous voient maintenant comme ceux qui vont les libérer.

-         J'imagine que c’est aussi votre cas, pas vrai ?

Son regard s'est attardé sur moi.

-         Je veux dire, me suis-je empressé d’expliquer, je vous ai convaincu de littéralement vous rebeller face au gouvernement malgré votre position un peu trop facilement…

J’exagérais un peu mais je m’attendais à ce que ce soit bien plus compliqué.

-         … Vous avez même noté l'emplacement de nos cellules, me suis-je souvenu. Cela veut dire que, vous pensiez déjà à abandonner l'empire, non ?

C'est Kain qui a répondu à sa place.

-         Oui. Et ça fait un moment qu'il y pense. Il nous en a parlé depuis plusieurs mois à Lys et à moi. Le maréchal…

-         Ex-maréchal, a corrigé le concerné.

-         L'ex-maréchal se doutait que l'un d’entre vous essaierait de le convaincre de changer de camp. Alors il nous a dit de préparer de quoi vous évader avant.

-         C’était un pari risqué, a commenté Lea.

-         Très, a acquiescé Liam, mais… (son regard s'est assombri) J'en ai marre de ne rien pouvoir faire.

Minehi lui a jeté un regard furtif.

-         Et maintenant ? ai-je demandé.

Les soldats ont eu l'air de réfléchir.

-         Il vaudrait mieux que nous fassions profil bas pour l'instant, a suggéré Kain.

-         Surtout vous, a ajouté Lys.

-         Et vous, alors ? a demandé Sora.

-         Aucun problème. Nous continuerons à travailler à la prison, le temps que les choses se calment. Personne ne sait que nous vous avons aidé pendant l’évasion.

-         Et après ? A demandé Lea.

-         Nous aviserons. Ce serait stupide d'attaquer le palais impérial de front.

Liam, en bout de table, tapotait ses doigts sur le bois, en profonde réflexion.

-         Une idée ? ai-je supposé.

-         Peut-être, mais je ne suis pas encore certain.

J'allais lui demander ce qu’il voulait dire par là, mais il s’est levé de sa chaise, mettant fin à la discussion.

-         Ce sera tout pour le moment, a-t-il déclaré. Prenons des forces tant que nous le pouvons encore. Bientôt, les choses sérieuses commenceront. Mais pas d'inquiétudes (il nous a souri avec bienveillance), si ce que j'ai en tête fonctionne, nous ferons d'une pierre deux coups : c'en sera fini de Stellaos et je pense que vous pourrez rentrer chez vous.

L’assurance qu'il avait insufflé à ces mots m'a rassuré. C'est vrai qu'on était que de passage ici. Nous nous étions retrouvés mêlés à tout ça un peu par hasard, mais j'avais l'impression que le seul moyen pour nous de repartir passait par la défaite de ce fichu empereur.

-         Si vous le dites, a déclaré Lea en bâillant. Moi, je pense que je vais aller me coucher.

J’ai jeté un œil aux autres et vu que des valises commençaient aussi à se former sous leurs yeux.

Nous nous sommes alors dispersés dans la maison, certains en quête d'un matelas, d'autres de nourriture supplémentaire (à ce stade, je pense que vous aurez compris de qui je parle). La binoclarde avait disparu, mais je n'ai pas cherché à en savoir plus. Je n'allais pas lui courir après, déjà parce que j'avais la flemme et surtout parce que je tenais à rester en vie.

N'ayant pas sommeil tout de suite, j'ai préféré sortir pour prendre un peu l'air. Je voulais juste… penser à autre chose en regardant les étoiles.

Juste devant la maison, il y avait deux chaises balançoires qui offraient un bon endroit pour regarder le ciel. Je m'y suis assis avant de lever les yeux vers les étoiles.

J’aime beaucoup regarder le ciel. J'avais une impression de liberté et de légèreté immense quand je plongeais mon regard dans ces eaux infinies. Tante Nerva (la mère de Maxwell) trouvait d'ailleurs marrant le fait que j'ai les yeux de l'exact même couleur que ce que j'aimais tant admirer (en plein jour en tout cas, vous m'avez compris). Le vent légèrement frais du soir caressait agréablement mon visage. Tout allait bien pendant quelques minutes… mais mon cerveau étant ce qu'il est, je n'ai pas pu m’empêcher de revoir certaines images et me rappeler certaines paroles.

Je me suis souvenu que j'avais dit à Lydia que tout irait bien, mais je ne savais pas à quel point je me trompais. En peu de temps, j’ai vécu tellement de choses et tellement combattu… Avec nos victoires successives, j'ai pensé que je servais à quelque chose. Je veux dire, j'avais quand même participé aux combats, quoi ! Mais au final, quand je réussissais quelque chose, c’était presque exclusivement grâce à Ceno, pas vraiment ma propre force. Mon combat contre Z, le guerrier fantôme, dans les Enfers du Colisée de l'Olympe était un parfait exemple. J'aurais pu m'en contenter, tant que ça fonctionnait, mais… la rencontre avec Magnus m'a fait changer d'avis. Ceno ne m'avait pas sauvé.

« Faible. Tu es trop faible. »

Malgré moi, j'ai commencé à trembler. Et ce n’était pas à cause du froid. J'ai porté instinctivement la main à mon collier.

J'ai passé la totalité du combat contre le Second Cadre à me prendre des coups sans rien pouvoir faire. Même ma forme obscure avait été inefficace contre lui.

Magnus ne m'avait pas battu… Il m'avait détruit.

-         Salut ! a fait une voix d'un ton guilleret.

-         Ouah !

Je me suis brusquement levé de ma chaise et mes courbatures m'ont fait trébucher. Heureusement, le nouveau venu m'a empêché de tomber.

-         Je ne savais pas que je faisais aussi peur, a déclaré Sora.

-         Moi non plus, ai-je répondu. La prochaine fois, pense à manifester ta présence plus discrètement. C'est pas super cool de donner des crises cardiaques aux gens.

-         Promis !

J'ai épousseté mes vêtements avant de lui demander :

-         Qu'est-ce que tu fais là ?

Ses yeux se sont dirigés vers le ciel.

-         Comme toi, je pense. Je veux juste prendre un peu l'air.

Ça m'a un peu surpris. Quand je voyais la facilité avec laquelle il se jetait sans peur dans les combats, je croyais qu'il ne s’en lassait jamais, voire qu'il aimait ça. On dirait que j'avais tort. Il en avait peut-être marre, lui aussi. Décidément, il était plus humain que je ne le croyais.

-         Je comprends.

Nous sommes restés quelques instants sans rien dire à regarder les étoiles.

Et c'est là que l’idée m'est venue.

J'en avais marre de ne compter uniquement sur Ceno. Je voyais bien que Sora n'aimait pas que je me serve de lui, mais je n'avais jamais le choix. Ou plutôt si… mais j’étais trop dépendant de lui. Mais voilà, j'avais appris à mes dépends qu'il ne pourrait pas toujours me sauver. Sora non plus. Je ne pouvais pas éternellement me reposer sur les autres. Si on tombait sur d'autres types comme Magnus et que je restais tel que j’étais maintenant… Je ne pourrais jamais revoir mes amis, ni même sauver mon monde. Et ça…

 

Il en était hors de question.

 

J'ai serré la pierre de mon collier. Mais cette fois, je ne tremblais plus.

-         Sora, j'ai une faveur à te demander.

Il m'a regardé avant de sourire :

-         Tout ce que tu veux, Tom !

J'ai plongé mon regard dans le sien.

-         Pourrais-tu… m'aider à devenir plus fort ?

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