Les Lumières dans les Ténèbres : La Réalité de la Fée Noire

Chapitre 66 : Jeu de Vie ou de Mort (Thomas)

6675 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/11/2023 20:58

-         Attends, ai-je fait. Attends, attends, attends.

J’étais incapable de comprendre ce que Neku, le nouveau venu, venait de déclarer.

-         De quoi est-ce que tu parles ?! Comment est-ce que nous pourrions être mort ?

La fille, Shiki, m’a lancé un regard compatissant, sans pour autant ajouter quoi que ce soit.

-         Vous plaisantez, pas vrai ? a fait Lea, incrédule. Ça n’a aucun sens !

Dingo et Yuki ne disaient rien, mais cela se lisait sur leur visage qu’ils n’y croyaient pas non plus. Et comment ! Je me suis forcé à réfléchir à toute vitesse, évaluant toutes les possibilités. Nous avons remporté le combat face à Stellaos et ses sbires. O.K., cela avait été dur mais on était tous en vie. J’en étais certain. Dans ce cas, nous serions morts en utilisant le pouvoir de l’empereur pour arriver ici ? Impossible : Stellaos lui-même s’en servait pour se déplacer dans son monde, et n’avait pourtant aucune séquelle. Peut-être la raison était que le bâton avait été utilisé par quelqu’un d’autre ? Ou alors que le voyage entre mondes était dangereux ? Ou alors…

Non. Je sentais encore très bien mon corps, j’avais les pensées claires. Mon esprit semblait trop… Trop vivant. J’ai saisi mon pendentif. Toujours là. Oui, j’avais forcément raison. Pourtant, l’expression de Sora ne m’a pas rassuré.

-         J’aurais dû m’en souvenir plus tôt, a-t-il murmuré.

Son regard s’est dirigé vers le duo. Le même regard que nous adressait Neku et Shiki.

-         C’est cette histoire de « Jeu », pas vrai ? Vous n’avez pas donc pas… Vous n’avez donc pas réussi à vous en sortir ?

Je l’ai regardé. On venait de lui annoncer qu’il était potentiellement mort pour une raison inconnue et il s’inquiétait en premier lieu pour les autres. Shiki et Neku l’ont regardé sans rien dire, confirmant ainsi l’interrogation de Sora, quoi que ça veuille dire.

-         Ça veut dire que nous en faisons partie, nous aussi ? a demandé Sora.

Je n’avais aucune idée de ce dont il parlait, mais Shiki et Neku ont acquiescé. La fille a sorti un badge représentant un crâne stylisé sur fond noir. Il ressemblait un peu à ceux de Sora à l’exception que le fond était gris.

Un instant. Si Sora en a un, alors…

Exact. J’ai fouillé dans mes poches et trouvé le même que celui de Sora. Les autres en ont fait autant. Quand nous leur avons montré, Neku a écarquillé les yeux.

-         Qu’y a-t-il ? a demandé Yuki.

Il ne fixait pas nos badges à proprement parler, mais…

-         Vos mains, a-t-il dit. Vos paumes… Il n’y a rien dessus ?

-         Non…, a fait Lea, un peu perdu. Pourquoi ?

Neku a croisé les bras, pensif. Peu à peu, il m’a semblé que son visage se recomposait.

-         Qu’est-ce qu’il y a ? lui a demandé Dingo.

Toujours en pleine réflexion, son interlocuteur a répondu par une autre question :

-         Sora, te souviens-tu de tout ce que tu as fait avant ton arrivée ici ? Absolument tout ?

J’ai eu l’impression que Neku ignorait tout le monde, focalisant principalement son attention sur le brun. Mais bon, il y avait plus important pour le moment. Sora, malgré son incompréhension et son inquiétude, a fourni un effort. Imitant le garçon, il a croisé les bras à son tour :

-         Eh bien, oui, je crois. Je veux dire, je me souviens bien que nous nous sommes rencontrés à la Ville de Traverse et de nos combats.

Neku a hoché la tête.

-         O.K. On en a même parlé tout à l’heure, a-t-il confirmé. Jusque-là, tout va bien.

-         Et de tous mes amis et nos aventures… Oui. De tout.

Peut-être sentant que son allié ne nous parlerait pas, Shiki s’en est chargée.

-         Et vous ?

Nous avons hoché la tête pour acquiescer, confirmant bien que nous possédions encore tous nos souvenirs. L’expression de Shiki s’est éclaircie. Elle a tout de suite échangé un regard plein d’espoir avec son partenaire. Pourtant, Neku ne semblait pas aussi enjoué qu’elle.

-         Vous n’avez rien perdu ? a-t-il questionné. Rien de valeur ?

Mon pendentif était toujours là. En proie à une panique soudaine, Sora a fouillé dans ses poches ; lorsque sa main a enfin rencontré quelque chose, il a poussé un profond soupir de soulagement. Nos expressions ont suffi à répondre au type au casque. Ce n’est que là que son expression de gravité a laissé place à l’incompréhension. Idem pour Shiki, qui semblait aussi perdue que lui.

-         Pas de prix d’entrée ? a-t-elle murmuré à voix haute. Et ils n’ont pas l’air d’être des Faucheurs vu à quel point ils sont perdus…

-         C’est vraiment bizarre, a ajouté Neku.

-         Quoi ? a demandé Sora.

-         Votre présence ici. Vous ne remplissez pas les conditions pour… pour être là.

Sentant l’espoir me gagner, j’ai osé poser la question qui me trottait dans la tête :

-         Qu’est-ce que ça veut dire pour nous ?

Shiki nous a gratifié d’un grand sourire.

-         Que vous n’êtes pas morts !

Un vent de soulagement s’est fait ressentir parmi nous.

D’un côté, je me disais que c’était logique : comment aurions-nous pu mourir sans nous en rendre compte du tout ? Cela étant… je vivais dans un monde de magie et d’étrangetés à présent. Tout pouvait arriver.

-         Rien n’est sûr, en tout cas, a gentiment ajouté l’autre membre du duo.

Shiki lui a lancé un regard sévère.

-         Tu n’avais pas besoin de plomber l’ambiance, Neku !

Ce dernier a haussé les épaules.

-         Excuse-moi de dire la vérité. Cela dit, (Il a lancé un regard inquiet vers Sora.) j’espère vraiment que tu as raison.

-         Un instant.

La binoclarde a redressé ses lunettes avant de regarder Neku et Shiki tour à tour, droit dans les yeux.

-         Si nous ne sommes pas morts…

-         Et que nous ne sommes pas comme un de ces types avec un compte à rebours sur les mains, a relevé Sora.

-         Que faisons-nous ici, au juste ?

Le duo est resté silencieux, ne sachant quoi répondre. La situation allait rester telle quelle un bon moment lorsqu’une voix féminine nous a interpellé d’en haut.

-         Pour ça, les morveux, je peux peut-être vous répondre !

Deux personnes, un homme et une femme, sont descendues du ciel. Littéralement. En les observant plus attentivement, j’ai compris comment ils avaient pu faire une telle entrée. Des ailes noires. Attention, je ne parle pas d’ailes classiques faites de plumes et tout, non, mais imaginez plutôt le squelette de ces ailes. Là, vous aurez à peu près une idée de ce que j’avais sous les yeux. Bref, la femme avait les cheveux rose, de la même couleur que son rouge à lèvre. Grande et mince, elle portait un genre de long pull ganté resserré par un corset juste au-dessus de son nombril, visible, avec un short en jean noir et de longues bottes blanches. Honnêtement, la nouvelle venue avait un beau visage, je dois le reconnaître, mais ce n’était pas le moment d’y penser plus. Elle paraissait jeune – dans les seize ans peut-être ? –, en tout cas, clairement plus que celui qui se tenait à ses côtés. Lui aussi doté d’ailes (bien plus petites, cela dit), grand, les cheveux orange coiffés en arrière, ce type devait avoir la vingtaine, facile. Il avait un style qui me parlait déjà un peu plus : un pull sans manche à capuche avec une cage thoracique imprimée, suffisamment dézippée pour montrer un tee-shirt blanc, au-dessus d’un pantalon marron et chaussé de mocassins blancs.

-         Vous êtes qui, vous ? a très justement demandé Lea.

La fille a semblé sur le point d’exploser. Décidément, elle s’énervait vite.

-         Ne m’adresse pas la parole sur ce ton, le rouquin, a-t-elle lancé froidement.

Lea a semblé sur le point de lui répondre quelque chose que j’aurais probablement dû censurer, mais l’homme lui a coupé la parole. Une main dans la poche de son pull, l’autre retirant une sucette de sa bouche, il s’est adressé à sa partenaire :

-         Tu devrais y aller doucement, Uzuki. (Il a brièvement balayé notre groupe du regard, ignorant sciemment Neku et Shiki, qui les regardaient avec une expression que je n’ai pas su déchiffrer.) Surtout avec eux cinq : ils viennent d’arriver, tu sais.

-         Toujours aussi laxiste, Kariya, a répondu la dénommée Uzuki. Les Joueurs doivent un minimum de respect à ceux qui s’occupent du Jeu, tu ne crois pas ?

-         Justement, objecté Kariya, le type à la sucette. Ceux-là ne sont pas des Joueurs.

Pendant leur échange, je n’ai pas pu m’empêcher de noter l’énorme différence de caractères entre eux. Ladite Uzuki, semblait avoir du mal à contrôler son tempérament, tout l’inverse de Kariya, à l’attitude posé. Sérieusement, ce type dégageait une telle aura de tranquillité que j’aurais presque pu lui faire confiance d’emblée. Presque. Cela étant, je ne comprenais pas un traître mot de ce qu’ils racontaient, et j’ai horreur de ça.

-         Est-ce que, pour la énième fois, quelqu’un pourrait nous expliquer ce qu’il se passe ici ? ai-je demandé, sentant l’agacement me gagner.

Kariya a posé ses yeux bruns sur moi. Derrière ses lunettes dorées aux verres rectangulaires, son aura m’a semblé légèrement changer.

-         Comment vous le dire en douceur… (Il a sucé sa friandise.)

-         Vous, les nouveaux, participez à un jeu mortel, a enchaîné Uzuki.

Kariya l’a regardé, mais elle a simplement haussé les épaules avec indifférence.

-         Pourquoi tourner autour du pot ?

Le type à la sucette a soupiré, non sans un sourire en coin. La nouvelle nous fait l’effet d’un choc. Ça n’arrêtait pas aujourd’hui.

-         Comment ça ? a demandé Dingo. Quel jeu ?

-         Comme l’a dit ma chère partenaire, a dit Kariya, vous êtes des participants d’un jeu mortel : le « Jeu des Faucheurs ».

Le Jeu des Faucheurs.

Rien que le nom ne m’inspirait pas confiance du tout. Et puis, le message inquiétant que nous avions reçu sur nos mystérieux smartphones apparus par magie, était signé par ces « Faucheurs ».

Attendez voir. Les ailes de ces types. Leur air hautain, ce sentiment qu’ils savent tout, le fait qu’ils ne soient pas surpris de notre présence ou même qu’ils sachent que nous ne sommes pas des Joueurs…

-         C’est vous ! me suis-je écrié. Vous êtes les Faucheurs !

Kariya a levé un sourcil.

-         Oh ? Pas mal, Thomas.

Je ne savais pas si c’était du sarcasme ou non, alors je n’ai pas réagi. Mais ce n’était pas ça qui m’interpellait. Quand il a croisé mon regard de surprise, il a confirmé :

-         Oui. Nous savons qui vous êtes.

Il a posé ses yeux sur chacun d’entre nous, tour à tour.

-         Dingo. Lea. Yuki, et, bien sûr…

Son regard s’est arrêté sur celui que nous considérions comme notre leader.

-         Sora.

Avant même que ce dernier ne puisse dire quoi que ce soit, Kariya a enchaîné :

-         Ce que tu as fait à la Ville de Traverse était… très intéressant.

Uzuki s’est renfrognée.

-         N’empêche, quelle idée d’envoyer des Joueurs là-bas, a-t-elle commenté. Et sans nous, en plus ! Je me demande ce que le Maître du Jeu a dans la tête…

Sora nous a avait dit qu’il avait rencontré Neku et Shiki à cette « Ville de Traverse », un autre monde, pendant son espèce d’examen. Vu leur relation, Sora est sans doute au courant de cette histoire de « Jeu des Faucheurs ». La réaction du brun lorsqu’on nous a annoncé notre prétendue mort le confirmait. Il les avait aidés pour ce jeu, mais, apparemment, cela n’avait pas été suffisant, puisque Neku et Shiki étaient toujours là.

-         Bref, pour revenir à ce que je disais, a repris Kariya. Quand des gens meurent à Shibuya, il est possible qu’ils aient une… seconde chance.

J’ai jeté un œil au duo qui nous avait accueilli, très silencieux. C’était moi ou… Neku fuyait le regard de Shiki ?

Malgré le fait que Neku semblait assez désagréable, je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir pitié d’eux.

-         La seconde chance… S’agit-il du jeu ? a déduit Yuki.

La Faucheuse l’a regardé comme si elle venait d’apprendre son existence.

-         Ouah ! Tu es si intelligente !

Dans d’autres circonstances, j’aurais remercié Uzuki. Aussi, la binoclarde n’a pas réagi ; ce qui me paraissait bizarre vu le puissant parfum de sarcasme qui s’était dégagé de la remarque d’Uzuki. Kariya a eu un petit rire, avant de continuer :

-         Ces gens pénètrent donc dans l’UG et peuvent jouer, à condition évidemment de payer le prix d’entrée.

-         Quel prix ? a demandé Lea.

Il était clair qu’on ne parlait pas d’argent ici, mais quelque chose de bien plus important.

-         C’est simple, a répondu le Faucheur. Juste la chose à laquelle vous tenez le plus au monde.

-         La chose en question peut-être n’importe quoi, a précisé Uzuki. Tangible comme intangible. Ça fait l’affaire, du moment que vous y tenez comme à la prunelle de vos yeux.

Je me suis mis à réfléchir. Tangible ou intangible. Comme des souvenirs. Non, je n’avais rien perdu de tel. Je me souvenais encore de tout le monde, de mon foyer et les gens cher à mon cœur. Mes parents adoptifs, Maxwell, Lydia… Non, ils étaient encore bien tous dans mon esprit.

-         Les gars, a demandé Sora. Vous êtes sûr que… que tout va bien ?

Nous avions tous compris ce qu’il disait par là, mais ce n’était pas le souci ici.

-         Oui, lui ai-je répondu. De toute façon, ces choses ne nous concernent pas.

-         Comment ça ? a demandé Dingo, avant de brusquement changer d’expression.

-         Exact. (J’ai porté le regard sur les Faucheurs.) Ces règles ne s’appliquent pas à nous, car comme vous l’avez dit, nous ne sommes pas des Joueurs.

Kariya a retiré sa sucette, visiblement satisfait.

-         Encore une bonne réponse, Thomas ! Décidemment, t’en as dans la caboche.

-         Bof, a commenté Uzuki avec indifférence.

Je m’en serais honnêtement bien dispensé.

Moi aussi, a commenté Ceno, le squatteur de mon esprit.

Kariya a poursuivi son explication.

-         Je vous rassure : vous aussi êtes de la partie. Mais votre cas est un peu… différent. Vous êtes des « Supports ».

Enfin, Neku et Shiki ont eu une réaction. Le garçon a haussé les sourcils, tandis que sa partenaire s’est écriée :

-          Je… Je n’avais jamais entendu parler de ça !

Uzuki a enfin semblé remarquer leur présence.

-         Ah oui, vous deux…

L’adolescente leur a adressé à tous les deux un sourire étrange mais cruel. Néanmoins, elle a continué :

-         Evidemment. C’est tout nouveau : une nouvelle idée du Maître du Jeu. Même si à mon avis…

-         Ça ressemblerait plus à un coup du Compositeur, a complété Kariya. Comme toute cette histoire avec la Ville de Traverse, d’ailleurs. Il a l’air inspiré en ce moment. Quoi qu’il en soit…

Le Faucheur a repris son sérieux. Enfin, ce qui ressemblait à son sérieux.

-         Comme les Joueurs, tant que vous ne gagnez pas le Jeu, vous êtes coincés dans l’Underground. Le seul moyen pour vous, si jamais vous voulez sortir, c’est de survivre durant une semaine.

-         Sept jours, a traduit Uzuki.

-         Merci, ai-je grogné.

Elle m’a ignoré.

-         Manque de bol pour vous, nous a-t-elle nargué, c’est déjà le troisième jour. Plus que cinq pour vous en sortir !

Uzuki chantonnait sans la moindre compassion pour notre situation. Plus les secondes passaient, moins je l’appréciais.

Je sens que cette fille va être pénible, a glissé Ceno.

Et comment.

-         Euh, a fait Dingo, visiblement inquiet, que se passe-t-il si on perd ?

Le sourire démoniaque d’Uzuki s’est élargi. Elle s’apprêtait à répondre quelque chose qui la démangeait mais Kariya l’a coupée dans son élan.

-         La même sentence que si vous subissez trop de dégâts ou ne remplissez pas une mission à temps : l’effacement.

Rien que le nom m’a fait frissonner. À raison.

-         La mort, hein ? a supposé Lea. Classique.

La fille aux cheveux roses a plissé le nez.

-         Oui… et non. Votre cœur et votre corps disparaissent pouf, plus rien ! Ou presque. Il ne restera plus que votre âme et nous, Faucheurs, pouvons en faire ce que nous voulons. Cool, hein ? C’est ça, l’effacement !

Elle a terminé son laïus en observant nos visages. Voilà donc la signification de la fin du message que nous avions reçu. Et maintenant que je comprenais la signification de ce que la défaite signifiait ici, j’avais du mal à contenir ma peur. Si nous perdions, nous risquions pire que la mort, pire que de ne pas revoir nos amis et nos familles, pire que de ne pas contrecarrer Maléfique, mais notre disparition : notre effacement de la réalité, réduit à l’état d’âme condamnée à errer en tant que jouet de ces sales types... Qui sait le nombre de personnes à Shibuya qui avaient subi ce sort ? Mieux valait ne pas y penser. Je ne savais pas quelle expression je faisais, mais la Faucheuse avait l’air d’apprécier. Comme si ce n’était pas suffisant, elle a ajouté :

-         Aussi, vous, les Supports avez deux possibilités supplémentaires pour être effacés.

-         Quoi ?! s’est indigné Lea.

-         D’abord, a repris Uzuki, vous devez absolument trouver un couple de Joueurs avec qui vous jouerez et vous lier avec. De cette façon, vous leur donnerez des forces supplémentaires.

Je ne savais pas ce qu’elle voulait dire par là : on serait un genre de « bonus » pour ces Joueurs ? Et elle entendait quoi par « se lier avec » ?

-         Je ne vois toujours pas en quoi cela mérite le fait que nous soyons plus en danger que les autres, a dit Yuki.

Kariya a eu l’air de réfléchir.

-         L’un de vos plus gros avantages est que vous pouvez utiliser des psychs seul. Sans aucun problème. Aussi, étant encore vivants, vous n’avez rien payé du tout pour participer à un Jeu, vous donnant une sacrée chance de gagner votre liberté, des informations ou encore des moyens de locomotion pour partir loin d’ici…

-         Quoi ? (Sora a commencé à retrouver son sourire.) Qu’est-ce que vous voulez dire par…

-         Au fait, ça ne me revient que maintenant. Il y a autre chose que vous devriez savoir : vous êtes extrêmement peu comparé aux Joueurs. Bon, ça constitue plutôt un avantage pour vous mais bon…

Sentant que cette information pourrait nous servir, j’ai demandé :

-         Combien y a-t-il de Supports au total ?

Kariya m’a regardé dans les yeux, étonné de me voir poser cette question. J’ai senti les regards des autres sur moi, il m’a semblé qu’ils comprenaient la raison de ma question. Si les autres étaient ici : nous serions au moins onze. Alors…

-         J’en sais rien.

-         Pardon ?

-         Tu m’as très bien entendu, a insisté mon interlocuteur.

Ce n’était pas logique.

-         Vous connaissez nos noms, ai-je dit, non sans impatience. Vous savez que nous venons de loin et êtes au courant des agissements de Sora dans cette « Ville de Traverse ». En plus, nous sommes censés être un petit nombre de Supports seulement, et vous voulez nous faire croire ça ? Alors que vous êtes les Faucheurs ? Vous vous foutez de nous ?

-         Justement, a répondu Kariya. Nous ne sommes pas « les », mais « des » Faucheurs. Tu te dis bien que vu le nombre de morts à Shibuya, on peut clairement pas gérer le truc à deux, non ?

-         Tu es trop paresseux pour ça de toute façon, a placé Uzuki.

-         C’est comme ça que tu parles à un aîné ? lui a lancé son partenaire, amusé.

Uzuki a répondu par un hochement d’épaules indifférent.

Non. Ça n’a pas de sens. Ils doivent mentir à coup sûr.

Le type aux cheveux orange – pas Neku – a placé la sucette dans sa bouche, pour la ressortir quelques secondes plus tard.

-         D’ailleurs, exceptionnellement, on vous laisse deux jours pour trouver votre couple de Joueurs, les gars. Du coup, je vous conseille de vous y mettre maintenant avant de vous atteler à la mission.

-         Ça nous libérera, a fait Uzuki. Nous avons mieux à faire que perdre notre temps avec vous.

Avec cette nouvelle situation très dangereuse qui nous attendait, j’avais les nerfs à vif et Uzuki m’agaçait de plus en plus. Donc, je me suis lâché :

-         Alors dégagez. Personne ne vous retient.

C’était stupide de ma part de m’en prendre à des Faucheurs, membres du staff du Jeu qui déciderait de notre futur, des êtres sans doute bien plus puissants que moi, mais je n’ai pas pu me retenir. J’aurais peut-être fini rayé de l’existence si Kariya n’avait pas coupé une Uzuki bouillante de rage face à mon insolence :

-         Heureusement pour vous, (Il a désigné Shiki et Neku d’un coup de tête.) il y a un couple de Joueurs juste ici. Arrangez-vous pour savoir qui de vous cinq sera leur…

-         Sora.

Neku avait déclaré sur un ton qui ne laissait place à aucune discussion.

-         Mais Neku, a fait Shiki, on ne peut pas…

-         Je suis désolé, Shiki (Le pire, c’est qu’il avait vraiment l’air de l’être, mais pour autre chose.). Mais Sora est la personne en qui j’ai le plus confiance parmi eux cinq.

Shiki n’a pas su quoi ajouter, voyant le regard de son partenaire. Sora a aussitôt ouvert la bouche pour protester, mais Lea l’en a empêché :

-         Ne te prends pas la tête, Sora. On comprend.

Yuki et Dingo ont hoché la tête pour confirmer ses dires.

-         Neku et toi avez déjà vécu pas mal de choses ensemble, a ajouté ce dernier. Pas étonnant qu’il te choisisse !

J’ai hoché la tête.

-         T’en fais pas pour nous, lui ai-je dit en m’efforçant de garder mon sang-froid. On restera ensemble jusqu’à qu’à trouver d’autres Joueurs.

Bien que toujours réticent, Sora a eu l’air de se calmer un peu.

PAF !

Ça, c’était Uzuki qui venait de se taper les mains, comme si elle venait de se souvenir de quelque chose. Et à en croire son expression, ce n’était pas une bonne nouvelle pour nous.

-         Ah oui, au fait, a déclaré la fille avec une fausse sympathie. J’aurais peut-être dû vous le dire plus tôt. C’est l’autre raison qui rend votre Partie plus dangereuse que celle des Joueurs.

Elle m’a regardé droit dans les yeux.

-         Les Supports ne peuvent pas rester ensemble dans la même zone plus de vingt minutes par jour. Sinon, (Uzuki a passé le doigt sur son cou.) effacement !

Sora a écarquillé les yeux.

-         Quoi ?!

-         C’est une blague ?! a fait Lea.

-         Ce n’est que maintenant que vous le mentionnez ? s’est emportée Yuki.

J’étais d’accord avec eux. Soudain, quelque chose m’a glacé le sang. Une mauvaise impression qui se résumait en une seule question :

« Depuis combien de temps avons-nous atterri ici ? »

J’ai pensé à regarder le téléphone, mais autre chose m’a interpellé ; un genre de fourmillement dans ma paume droite. En la regardant, j’ai étouffé un cri. Tout à l’heure, quand Neku avait vérifié, rien n’y apparaissait. À présent, on pouvait y voir écrit en violet quelque chose. Des chiffres pour être précis. Le plus effrayant, c’étaient justement les valeurs.

« 01 : 30 »

« 01 : 29 »

-         On doit partir, ai-je averti, cédant peu à peu à la panique. Tout de suite.

Les autres ont suivi mon regard, avant de comprendre aussitôt.

Nous avons échangé des regards, mais c’est Sora qui a tranché.

-         O.K. (Il avait l’air dépité pendant quelques secondes, puis il nous a lâché un de ses habituels sourires super réconfortants.) Restez en vie, les gars. Dès que possible, on se rejoindra pour retrouver les autres s’ils sont ici.

-         Ils doivent l’être, a assuré Lea avant de se tourner vers le reste d’entre nous. Ne vous faîtes pas effacer d’ici demain.

Puis il s’est dirigé vers une des ruelles. Yuki s’est ensuite adressée à Sora.

-         On se reverra demain.

Ensuite, à ma grande surprise, elle m’a dit :

-         Ce serait vraiment pitoyable si tu mourais maintenant, Aiden.

Avant de détaler à son tour. Dingo, voyant mon expression, a posé une main sur mon épaule.

-         Faisons de notre mieux, et on pourra commencer les recherches ensemble !

-         Promis, Dingo, a déclaré Sora.

Il nous a adressé à tous les deux un hochement de tête, avant de s’éloigner à son tour.

-         Thomas.

Sora ne m’a rien dit ; son regard faisait tout le boulot.

-         T’inquiète, ai-je assuré. Je peux me défendre avec mon psych. Même tout seul.

Un sourire s’est dessiné sur ses lèvres.

-         J’en doute pas. Surtout depuis ton combat face à Magnus.

Donc il est au courant…

Sora m’observait avec une étincelle de fierté dans le regard. Non. Je n’allais pas le décevoir.

-         À demain.

Ceux-ci ont été les derniers mots que je lui ai adressé ce jour-là. Enfin… je le croyais. Parce que, je ne le savais pas encore, mais j’allais revoir Sora bien plus tôt que prévu. Oui. Car ma journée était bien loin d’être terminée.

 

 

Quelques minutes plus tard, je vagabondais dans les rues de Shibuya. Honnêtement, tout là-bas me paraissait énorme, bien plus grand que mon monde. En y repensant, je me suis arrêté net. Maléfique avait fait quelque chose à mon foyer, quelque chose que je n’explique pas. D’après le Numéro III de cette « Organisation XIII », mon monde avait perdu quelque chose. Comme disait-il ? Oui. « Quelque chose qui le définit. Un peu comme son cœur. » Une chose si importante que mon foyer avait été attaqué et les habitants plongés dans un sommeil surnaturel. Jusqu’alors, je n’avais aucune idée de la raison pour laquelle ni Maxwell, ni Lydia, ni moi n’avions été atteint par ça. Pourquoi donc ? Ce qui nous reliait tous les trois…

La Keyblade ?

J’ai essayé de la faire apparaître, tendant la main et y pensant de toutes mes forces, en vain. Sans surprise là-dessus. Déjà que j’avais du mal à y parvenir en temps normal, dans un monde où cette dernière ne répond pas…

Vous avez écouté le nouveau morceau de ce nouveau groupe ? Il est énorme !

Un groupe de filles venaient de me passer au travers ; l’une d’entre elles pour être exact. Ses pensées avaient simplement surgi dans ma tête, chassant totalement les miennes. Ça m’avait d’abord agacé, mais au final, j’ai été reconnaissant. Trop réfléchir n’était pas une bonne chose. Pour le moment, je devais mettre de côté mes inquiétudes, et me concentrer sur ma survie et la victoire à ce Jeu pourri.

Et maintenant ? a fait Ceno.

Il fallait trouver des Joueurs. Je déciderai de la suite à partir de là. En observant les gens autour de moi, je ne voyais rien qui sortait de l’ordinaire. Aucun type aussi perdu que moi. Aucun monstre. Rien. Juste des gens normaux, sans doute du RG, qui vaquaient à leurs occupations. Concluant que je n’arriverai à rien en restant là, j’ai poursuivi mon chemin, évitant un maximum les habitants ; chose assez difficile dans la mesure où ils ne me voyaient pas.

Du mouvement.

J’ai regardé tout autour de moi. Sans que je ne sache trop pourquoi, mon rythme cardiaque s’est accéléré. Par réflexe, j’ai failli appeler mon épée, avant de brutalement me souvenir que ce n’était pas possible pour le moment. Sans cesser de jeter un œil devant et derrière, j’ai continué d’avancer.

Je n’aime pas ça. Il y a quelque chose d’étrange ici.

« Quelque chose » ? Non. Quelqu’un.

Un bruit de pas s’est fait entendre dans mon dos.

-         Trouvé, a dit une voix totalement étrangère à mes oreilles.

Je me suis retourné. Quelques mètres plus loin, un type, de ma taille à peu près, en robe d’un violet si sombre qu’on aurait dit du noir, une capuche masquant son visage. J’ai d’abord pensé à l’Organisation, mais j’avais le sentiment que non, à part si chacun des membres avaient une robe ou un manteau différent.

Instinctivement, j’ai saisi mon pendentif, ce qui a eu l’air de faire tiquer le nouveau venu.

-         Oui. Aucun doute, ce visage, ce pendentif. C’est bien toi.

-         Qu’est-ce que tu me veux ? lui ai-je lancé.

À sa voix, c’était un adolescent. De mon âge peut-être ? Ou légèrement plus jeune ? Ignorant ma question, il a poursuivi.

-         La sorcière avait bien dit que je te trouverai ici. Elle n’avait pas menti en fin de compte.

Il me barrait complètement le passage. Le seul moyen pour m’en aller était de faire volte-face. D’un autre côté, je ne pouvais pas. L’inconnu me paralysait mais aussi… il avait piqué ma curiosité.

-         Enfin, a-t-il continué à murmurer. J’attends ce moment depuis si longtemps !

J’en ai eu marre de ne rien comprendre.

-         Hé ! Qui es-tu, à la fin ?

Je me suis blindé, paré pour un affrontement, au cas où.

-         Ah oui, a-t-il fait. C’est vrai que comme ça, tu ne risques pas de me reconnaître.

J’avais réussi à utiliser mon psych un peu plus tôt, ça allait être suffisant. Dans le pire des cas, il y avait une autre solution. Aussi déplaisante soit-elle.

-         Mon nom est Seth. Seth… Aiden.

Une seconde.

Je…

Quoi ?

Avais-je bien entendu ?

Le garçon a retiré sa capuche… Et mon cerveau s’est arrêté de réfléchir.

Devant moi, un adolescent d’une quatorzaine d’années environ. Des cheveux d’un noir d’ébène mi-long, une peau d’une pâleur presque maladive, et des yeux rouge aniline, semblant même percer jusqu’à votre esprit. Pourtant, ce n’était pas ça qui m’interloquait le plus. Ce qui m’empêchait toute réflexion, ce qui me rendait incapable de tout mouvement. La raison de tout ceci ? Son visage. Exactement le même que le mien.

Le.

Même.

Un sourire malicieux a étiré les lèvres de mon jumeau.

-          Salut, grand frère.

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