La nuit, les prédateurs sont gris.
Chapitre 1 : Pas un chat, ni une plante
3927 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 25/08/2025 02:03
Se balader seule, quand on est une célébrité n'était pas vraiment la meilleure des idées ; on l'avait souvent dit à Zoey. Elle faisait l'innocente avec Bobby lorsque le sujet venait et que le manager levait un doigt censeur en récitant « Jamais, jamais : Sécu-ri-té ! »
Zoey pouffait sous cape pendant la leçon, un regard enfantin vers ses deux autres amies, comme un sourire entendu par toutes. Et après, les membres du groupe s'entendaient effectivement ; pour couvrir l'une d'elle dès que celle-ci avait besoin de s'enfuir, entre deux emplois du temps chargés, et une mini sieste bien méritée.
Les petites balades ou autre course solitaire étaient, malgré cet arrangement, très très rares pour la jeune fille brune. Seule Mira abusait de ce privilège d’ailleurs...Rumi, elle, ne semblait pas du tout en profiter, pas sous la protection de ses camarades en tout cas. Dure de dire ce qu'elle avait en tête ; en ce moment plus que jamais.
Zoey était donc dans la rue ce jour-là, rendue méconnaissable grâce à un maquillage très bien appliquée par Mira, ses cheveux longs attachés en deux tresses et des vêtements trop banal pour être suspect, la signature de Rumi.
L’ambiance était propice à la rêverie ; l'air frais et conversations à peine entendues au loin étaient rassurants. Les gens se baladaient en groupe sans la croiser, lui jetaient parfois un regard rapide à elle ‘la jeune fille brindille toute seule, dans une ville trop grande pour ce corps si frêle’. Zoey aimait imaginer les bulles de pensées des gens ; bizarrement celles-ci étaient toujours à son désavantage… !)
La rareté de ce moment, éclairé plus par la lune que les lampadaires autour d'elles, était très précieux pour elle. Normalement, elle n'osait pas trop ‘partir à l'aventure’, même si elle n’était pas mécontente que cela reste une option.
Zoey se contentait plutôt de vagabonder dans l'hôtel : soit pour trouver un coin désert et dessiner/gribouiller sous casque ; soit pour le plaisir de chercher les différentes plantes du lieu, de papoter, et leur donner des noms ; farfelus, de préférence. Plusieurs fois, la sécurité l'avait surprise alors qu'elle essayait de kidnapper une de ses amies en détresse. Elle avait beau avoir honte à chaque fois qu'elle était découverte ainsi : elle ne pouvait pas s'empêcher de faire ce genre de bêtises sous le coup de l'injustice. Par habitude, Bobby savait d'office qu'il valait mieux racheter la plante, que d'espérer que Zoey laisse passer quelque forme de maltraitance que ce soit. Elle avait déjà volé plusieurs demoiselles déshydratées lors de leurs différentes tournées ; et même libéré un oiseau en cage, pendant une nuit noire, après un concert particulièrement exigeant. Personne n'avait soupçonné la jeune fille et ses grands yeux innocents, mais le manager savait très bien quel genre de démon germait parfois dans cette petite tête, et en prenait possession.
On avait grondé Zoey comme une petite fille pour cette même raison juste la veille, d’où cette envie de s’éloigner du lieu du crime. Même si Bobby n'était pas du tout intimidant ; elle n'avait pas eu le courage de subir pendant des heures ces remontrances de grand-frère ‘responsable’.
Elle s'était excusée derechef avec une belle fossette très très contrite. Son manager préféré avait fait semblant de croire à son air gêné, mais Zoey avait beau ressentir toute cette honte, ce petit pot de cactus aussi penaud qu'elle entre ses bras ; ils savaient tous trois que tant qu'il y aurait des âmes en peine ; la récidive serait inévitable.
Au moins le temps de son escapade, elle était sûre de ne pas croiser son regard encore suspicieux.
Ce sentiment de calme ressenti au dehors, alors qu’elle jouait à l’école buissonnière, couvrait un frisson de peur et d'excitation presque maladive ; la nuit s'installait dans le ciel, quelques étoiles se mettaient en place, aussi dans ses yeux, devant ce spectacle. La compositrice n'avait besoin que de ça pour que l'inspiration créative s'empare d'elle. En ce moment, c'était plus mélancolique, plus abstrait : des petites notes douces qu'elle se murmurait à l’intérieur, jaugeant distraitement de leur sonorité alors qu'elle suivait la courbe naturelle de la rue.
Alors que les notes ne définissaient un peu plus parmi d'autres pensées fugaces ; elle entendit une autre voix, une autre chanson dans sa tête et bougea inconsciemment les épaules.
Tu tu tu tutu : Tu dututu tutu.
Elle pinça le nez en se rendant compte que la création dans sa tête avait été annihilé par des paroles bien trop familières.
you're my sodapop ~my little soda pop.
Zoey essaya de virer les paroles entrainantes de son cerveau où elles étaient normalement interdites de séjour, mais une voix de démon les lui susurrait à l'oreille et revenait toujours à cette conclusion : « Youre my soda pop - my... »
Elle se sentit paniquée et marcha un peu plus vite, assez pour distraire un peu son esprit. Juste un petit peu.
Les paroles avaient été remplacé par les battements de son cœur.
A chaque fois qu'elle entendait cette chanson, ce grand tube de l’été des très regrettés Saja Boys, l'angoisse et la culpabilité la reprenait dès les dernières notes du refrain. Elle ne pouvait pas encore s'expliquer tout ce qui était arrivé quand leur mission de chasseuses de démons avait pris fin, il y a un an déjà. Céline et Rumi s'étaient à peine parlé lorsque leur mère de substitution était venue les féliciter chaleureusement. « Vous avez réussi » avait dit leur mentor, fierté dans des yeux luisant de larmes, malgré ce regard qui évitait Rumi à tout prix, et surtout les marques tatouées à vie sur ses bras.
Mira et Zoey s'étaient senties si fortes après, pourtant.
Elles avaient pu exprimer au monde, et surtout entre elles, ce qui les enchainaient à leur passé. Et cet état de liesse, de liberté, les avait empêchées de comprendre exactement ce que ça voulait dire ‘d'avoir gagné’
Ce n'était qu'en voyant le visage fermé de Rumi lors de l'annonce du disband des Saja Boys, sur une immense scène à Tokyo que Zoey avait compris à quel point Jinu avait compté pour son amie et ce qu'elle avait sacrifié.
Du respect, de la reconnaissance, de l’amitié, de l’amour ? Tout ça en même temps ?
Zoey n’avait toujours pas la réponse. Elle avait jeté un regard désespéré à Mira avant de laisser derrière elle le feu des projecteurs, à la suite de Rumi. Elles avaient toutes trois rejoint les coulisses ; le bruit des acclamations atténuées par les rideaux et bientôt leurs propres pensées noires. Elles avaient enlevé leurs micros en silence, les deux membres du groupe scrutant la troisième, derrière elles, qui leur tournait le dos, sans expression.
« On n’en a pas fini avec ‘les démons’, avait murmuré Mira à Zoey avec sa voix grave et un visage à la fois ennuyé et à l’air peu aimable. »
Zoey savait que sous cette apparence revêche se cachait de l'inquiétude.
« On n’en aura jamais fini, répondit-elle avec une voix songeuse. »
Puis, elle essaya de paraître plus gaie, forçant un sourire enjoué :
« Et c'est pour ça qu'on chante et qu'on nous écoute, hein ? Hein Mira, j’ai pas raison ? »
Elles se regardèrent, hochèrent la tête ; retrouvant ainsi un air de connivence dans un peu de légèreté. C'était comme si elles s’étaient mises d'accord d'un petit signe de tête : elles coururent aussi vite que le vent et poussèrent affectueusement Rumi qui venait d'enlever sa veste de scène : elle la laissa tomber au sol de surprise.
« Maintenant c'est suuushiii party ! avait crié Zoey en finissant avec une voix d'opérette. Rumi tu choisis le film !
-Et on défonce notre lit avec notre poids ce soir, ouais ! hurla Mira, terrifiant ainsi le stagiaire venu leur rapporter des bouteilles d'eau. »
A voir ce visage fermé en vis-à-vis ; rien de cet enthousiaste ne pouvait suffire pour colmater la brèche, pensa alors Zoey, une pointe de souffrance au cœur. Aucun effort des deux ne pourrait jamais être assez : pourtant elles ne savaient que faire et se contentaient de répéter des rites anciens.
Est-ce qu’ils avaient déjà marché au moins où avaient-elles fait la sourde oreille jusqu’à maintenant ?
Zoey craignait trop de blesser Rumi, ou de se blesser elle-même d’ailleurs, pour poser la question...
La jeune fille aimait à penser que cela aidait ; que Rumi passait un moment d'insouciance, une trêve ; quelques heures peut-être, au moins quelques secondes…
Dès qu'un mot ou la scène d'un film la ramenait à se souvenir, elle semblait si seule et fragile à nouveau : ses marques de démon luisants, concurrençant sans qu'elle ne le sache le grand écran de télévision.
Un appel de détresse auquel Zoey voulait répondre. Désespérément.
Revenue à elle grâce à la voix pénible du GPS, Zoey revint également sur ses pas comme il lui répétait, insistant. 30m en arrière et elle retrouva l'enceinte du magasin qu'elle voyait sur son écran de portable « Vous êtes arrivé à destination. »
Le magasin de matériel artistique allait fermer lorsqu’elle débarqua. Elle faillit repartir, la queue entre les jambes, mais le regard bienveillant de la propriétaire l’arrêta nette : elle entra avec la vitesse du vent et fourra tout dans un panier, en un temps record, pour passer à la caisse. Mira lui disait toujours qu'elle passait trop de temps et qu’elle achetait trop : voila de quoi la faire taire.
Fière d'elle, elle avait l'impression de faire de grosses économies par rapport aux autres fois où elle avait acheté des fournitures pour ces petits carnets et autres œuvres.
Le poids nul de son portemonnaie et celui énorme des deux sacs pleins à craquer, tenues dans ses mains devenues presque violettes, semblaient pourtant dire le contraire. Cependant, elle ne voulait pas baisser les bras pour autant.
Rien de ce que put proposer la patronne pour alléger ses mêmes bras ne fut accepté : Zoey ne voulait surtout pas embêter encore la vieille dame ; elle lui avait déjà volé bien 5 minutes entières déjà, ça ne se faisait pas. En plus, elle avait l'air gentille. Son mari un peu moins, nota-t-elle...
Peut-être qu'il m’en veut...?
Elle espérait qu'elle n'avait pas été excessivement impolie en entrant aussi tard dans le magasin, que c'était juste dans sa tête, mais l’homme semblait assez fâché : il devait avoir de bonnes raisons, non ? Elle avait encore ignoré des signes, c’est ça ? Elle avait été trop insouciante et autocentrée, encore une fois ?
Zoey ne put s'empêcher de déblatérer tous un tas de compliments (« Joli boutique » « j’aime beaucoup votre pull » « Merci vous avez été d’une grande aide ») en se dirigeant vers la sortie.
Comme si c'étaient des excuses raisonnables : elle leur avait probablement gâché la soirée sans le savoir.
Elle se rappela aussi que les gens la trouvaient souvent lèche-botte et ça acheva de la conforter dans sa négativité. Elle se voulait être sincère, mais ils n’avaient pas si tort ? Elle était juste hypocrite : c’était sans doute ça.
Quand est ce que je vais apprendre la leçon ?
« Enfin : Merci. Bonne journée... euh soirée et excusez moi pour... bonne soirée ! »
Elle sortit, ravalant son sourire de façade, soudain triste et déçue.
Le poids n'était plus que dans ses bras : tout son corps était soudain épuisé.
Elle ne sentait si vide quand elle se souvenait qu'elle était toujours cette petite fille dépendante du regard des autres. Sur la scène, tout était effacée : elle était Zoey des Huntrix : une battante en armure ; la personne mignonne et parfaite qu'elle voulait être.
Pourtant, elle devrait avoir appris, avec le temps, que cela n'était qu'un masque bien ajusté. Dans ‘la vraie vie’, elle resterait cette éternelle enfant bizarre, trop souriante, trop excitée ou trop solitaire et muette ; trop, trop : TROP ! Elle n'avait donc pas changé malgré sa force physique, malgré le fait qu'elle se ressente parfois star, parfois même guerrière.
Tout la ramenait là. Tout la ramenait au début : lorsqu'elle avait compris la première fois que les plus belles choses qu'elle créait dans sa tête, cet univers aux milles couleurs qui la protégeait, était aussi la raison pour laquelle elle n'arrivait pas à s'adapter à celui dans lequel évoluait les autres ; celui qui existait vraiment et qui faisait lien avec eux.
Comment abandonner toutes ces couleurs et ce ciel dans sa tête pour rejoindre ses ‘autres’ dans un noir total ?
Comment pouvait-elle aider Rumi alors qu'elle n'arrivait pas à s'aider elle-même ?
L’angoisse la reprit. Bizarrement elle sentait le HomMoom à la fois si fort, si brillant et si… fragile.
Ses pas sur les pavés ; les siens, étaient si forts : elle n'arrivait pas à se concentrer sur quelque chose en particulier, d’autre que cette frappe violente au sol. Tout tournait autour d'elle, comme si elle était une boussole sans repère.
C'est bon, se répétait-elle en voyant un énième signe qu'elle était dans la bonne direction. Les larmes, ce sera pour plus tard se promit-elle encore.
Et pourtant, elle ne se faisait pas trop d'illusion : déjà elles piquaient le coin de ses yeux pas assez maquillés pour la cacher.
Et la musique revint en tête comme un chant de sirène : « my little soda pop ». Dingue comment le refrain pouvait la rassurer alors que le reste l'amenait dans les tréfonds de la culpabilité.
L'anticipation de la souffrance était entêtante : c'était normal qu'elle la ressente vu ce qu'elle était : trop, jamais assez comme une boisson trop gazeuse qui n'étanchait jamais la soif. Pour l'instant, les notes gardaient ces pensées emprisonnées mais dans quelques secondes, elle n'arriverait pas à garder les joues sèches.
Alors qu'elle attendait la fin du refrain et de la trêve il redémarra. Ce n'était pas normal ça. Elle connaissait pourtant la musique par cœur.
Ça la bouscula et elle s'arrêta, posa ses deux gros sacs et tendit l'oreille. Ça venait de l'extérieur, à capella avec la musique juste sifflée. Elle ne s'en était pas aperçu : elle était revenue à l'endroit où elle avait entendu la musique plus tôt.
On voyait des silhouettes au loin dans la grande rue commerçante qu'elle venait de quitter : mais à part quelques sons étouffés venant de fenêtres éclairées mais fermées ; il n'y avait pas un chat.
C'était de la ruelle quelques mètres tout à droite qu'elle entendait ce bruit, cet éternel refrain.
Zoey laissa ses sacs derrière elles : il y avait plus important que de s'en soucier. Plus silencieuse qu'un félin, elle avança dans la ruelle à petit pas ; prête à dégainer ses griffes et frapper sa proie au moindre signe d'hostilité.
Toutes ses pensées étaient concentrées maintenant sur le fond mal éclairé de cette rue étroite, donc elle distinguait juste des formes mal dégrossies. Ce pouvait tout aussi bien être une décharge sauvage, un jardin coincé entre deux bâtiments ... elle ne savait pas vraiment quoi ; enfin, quelque chose, tapi, semblait l'attendre.
Elle pouvait très bien prévenir ces acolytes, mais rien ne laissait penser qu'une menace surnaturelle se profilait ; c’était terminé tout ça, à priori.
Au pire ce serait un fan un peu ou très très cinglé.
S'occuper d'un humain ce n’était pas si difficile, essaya-t-elle de se dire mais elle le savait ; pour elle c'était plus simple de frapper des démons que de discuter avec quiconque toute seule ou hors champs.
Attendant de distinguer à quel danger elle avait affaire, elle avança toujours aussi doucement vers la voix, ses yeux s'habituant peu à peu à la pénombre. Elle arrivait presque à voir la masse de l'homme, enfin elle supposait que c'était ça, un humain, mais il paraissait... assez massif.
La voix s'arrêta. Plus de chanson joyeuse ; on entendit un bruit de verre cassé, venu d’on ne sait où mais pas d’ici ; Zoey faillit sursauter.
« Monsieur, tout va bien ? »
Elle ne sentait pas de danger mais le silence soudain la perturba. Elle avait l’impression de répéter des trucs entendus dans les films, c’était assez gênant.
« N'ayez pas peur... je suis... »
Des marques en forme de fissure brillèrent dans la nuit, éclairant un corps musclé, tirant sur le mauve.
Zoey déglutit.
Si elle était tombée dans un guet-apens la dernière chanson qu'elle entendait... elle aurait préféré que ce soit autre chose que Soda Pop.
« Marrant de te retrouver là, Princesse ! »
Zoey fut surprise d’entendre une voix naïve et goguenarde, plein de joie enfantine et niaise, venant d'un démon qui n'avait plus rien à cacher de sa nature.
« Tu vas me faire croire que cette rencontre est une coïncidence ? »
La nouvelle Zoey ne pouvait pas frapper ce démon aussi facilement sans savoir ses intentions...elle ne pouvait même pas voir encore son visage, juste en deviner un peu. Elle pensait trop à Rumi et à l'amitié qu'elle avait failli briser.
Sa voix sur la défensive et sûre d'elle la rendit fière néanmoins.
Elle le fut beaucoup moins quand elle tressaillit lorsque l'inconnu s'avança.
« Non, Princesse, c'est toi que je cherchais. J'ai eu un peu de mal ; j'ai entendu que vous reveniez en Corée, les Huntrix, et me voilà : on dirait le destin. »
C’est vraiment absurde : qui disait ça ?
La guerrière restait sur ses gardes.
Elle n'entendit qu'un souffle, que ses bruits de pas à lui. Elle n'allait pas reculer, elle n'était pas si faible.
« Tu es tout seul... observa-t-elle, toujours méfiante. Où sont tes amis ? »
Le démon hocha la tête en riant franchement :
« Quand on a cette apparence, on ne se fait pas beaucoup d'ami ; c'est dingue, hein ? »
Le Saja Boy reprit, après s’être lissé les cheveux avec modestie :
« Les nanas et gars ne sont pas si fans ... et pourtant qu'est-ce qu'il criait devant la scène... c'était fou ! Comme quoi, il ne faut présager de rien…Enfin, tant pis, tant mieux, comme on dit ! ill haussa les épaules avant d’enfiler les mains dans les poches de son jean sans avoir l’air vraiment ébranlé par cette conclusion, un sourire et un clin d’œil dans la direction de Zoey.
Et toi tu en penses quoi, Princesse ? »
Comment un démon peut avoir l'air aussi bête et avoir un corps comme ça ?
Oui dans son genre, Zoey ne pouvait pas le nier, même s'il ressemblait maintenant à Satan lui-même beaucoup de gens serait prêt à se damner pour lui... ou faire des sacrifices de bras, ou de vierges, en son nom.
Au moins afficher deux ou trois posters dans leurs chambres, conclut-elle, s’ils ne trouvaient pas de bras, ou de vierges.
Devant l'air sceptique de Zoey, l'ancien Saja Boys, nul autre qu’Abby, ne quitta pourtant pas son sourire bêta :
« Quoi ? Je suis si laid que tu veux me tuer ? »
Zoey hésita. Malgré cette confiance qu'il dégageait : il n'était pas difficile de croire que ces derniers jours avaient été compliqué pour Abby, vu les marques de coup et vu sa tenue déchirée. Il avait perdu du muscle, aussi, depuis l'année dernière, mais Zoey était sûre qu'il continuait à faire beaucoup de sport, car son gabari restait impressionnant.
Zoey étant Zoey, elle ressentit un soupçon de compassion, malgré un semblant de dégoût envers ce monstre, en face d’elle.
« Je ne vais pas te tuer alors que tu es si ... déshydraté, lâcha-t-elle, sentencieuse. Et puis tu pourrais t'habiller avant, Torse ! »
Ce serait la moindre des choses.
Elle se sentait rire jaune devant cette situation grotesque.
« M'habiller ? Mais je... »
Le colosse au poitrail massif, un peu déstabilisé, regarda vers son torse, justement, et perdit son sourire.
« Oh—key... gênant. »
Un bouton de chemise ou plutôt quelques-uns n'avaient pas résisté ; ses beaux pectoraux avaient eu encore une fois raison d'eux.
« Je suppose que je dois recoudre ça... encore, murmura Abby, songeur. »
Zoey fixa les deux coupables avec un « mouais ... » tout aussi songeur.
Quand Abby releva la tête, elle la releva aussi en vitesse :
« Alors, fit-elle soudain rouge, pourquoi tu... qu'est ce que tu fais à...au milieu des... poubelles ? »
Elle aurait essayé d'avoir plus de tact si elle avait été moins gênée (et s'il n'était pas un ennemi). Il ne s'en formalisa pas : son sourire s'épanouit à nouveau, aussi radieux qu'un rayon de soleil pendant la nuit pouvait l'être.
« Je te l'ai déjà dit : je t'attendais, Princesse ! Ah, toi...! Tu es vraiment trop trop marrante ! Tu n’écoutes jamais rien, dis donc ; je te reconnais bien là ! »
Il se marra. Ce type était très déroutant.
Avec cet air, difficile de croire qu’ils se parlaient pour la première fois…Zoey était quasi sûre que le démon avait oublié son prénom ou ne s’était pas donné la peine de l’apprendre, vu ce sobriquet de ‘princesse’ (non, elle n’allait pas en rougir). C'était déjà pas très correct de stalker quelqu’un, pensa-t-elle férocement, et ça l'était d'autant moins de le faire sans savoir comment s’appelait la personne. Ça devait même être tabou et écrit en rouge dans le manuel de la stalkerie ; Zoey le parierait. Elle n’arrivait même pas à savoir si elle était énervée par lui, éberluée ou quoi : sa bêtise était assez contagieuse pour la faire vriller du ciboulot et lui faire croire que cet idiot était inoffensif. Et pour un stalker : même avec sa canine qui dépassait, il avait l'air effectivement si innocent que s'en était presque touchant.
Zoey souffla.
Elle avait donc devant elle une belle plante carnivore bien déshydratée du cerveau, en somme. Et la secouriste en herbe ne savait pas si elle voulait s’embêter avec cette plante là alors que celle-ci était sans doute très très affamée, et autant dangereuse.