Le destin des Ackerman - Tome 1

Chapitre 0 : Prologue - Un jour de deuil

2072 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/06/2020 05:03

La pluie s'abat bruyamment sur la pierre des tombes qui sont encore fraîchement posées en rang dans ce parc verdoyant et humide. De nombreuses gouttes coulent le long de la texture granuleuse et ruissellent dans les encoches tracées par la main humaine. Sur la stèle devant laquelle se tient un homme encapuchonné et dont les vêtements sont gorgés d'eau, les dix premières lettres visibles forment un nom : « P E T R A    R A L L E ».

Le visage baissé sur ces deux mots, l'homme est immobile et le visage enfoncé dans ce vêtement qui le couvre presque complètement. Dans son dos, sur sa cape, figure un emblème caractéristique qui n'inspire plus le respect ni l'admiration depuis longtemps : deux ailes, l'une bleue et l'autre blanche, sur fond vert.

La silhouette reste là, fixée sur cette tombe de fortune parmi tant d'autres, perdue au milieu de ce champ où les morts tombés au combat contre les titans reposent. Certains sont là, enfermés dans une boîte de bois à plus d'un mètre cinquante de profondeur, mais pour ceux qui ont péri extra-muros ce n'est qu'une plaque rocheuse qui surplombe un trou imaginaire. Malheureusement, dans de très rares cas il est possible de ramener tous les corps parce qu'ils ont complètement été englouti par un titan, parce qu'ils sont bien trop mutilés ou tout simplement parce qu'il était impossible de s'occuper de ces corps sans risquer de perdre d'autres soldats, pour qui la survie ne tient déjà qu'à un fil.

Mademoiselle Ralle ne fait pas exception, contrairement à ses trois camarades de son escouade qui sont morts ce jour là, quelques instants avant elle. Il finit par tomber à genoux et tend la main pour la poser sur la stèle, sa tête se baissant d'autant plus alors que des sanglots se font entendre, gagnant en intensité d'instant en instant.


— Pourquoi toi, pourquoi maintenant..? dit-il à voix basse, les syllabes entrecoupées par ses pleurs et gênées par sa gorge serrée.


La 57e expédition extra-muros est revenue hier mais étant lui-même dans sa caserne à préparer la cérémonie durant laquelle il a dû choisir à quel corps d'armée il souhaite appartenir, il n'avait pas eu l'occasion de contacter sa grande sœur pour savoir comment l'expédition s'était passée. Quelques minutes avant la cérémonie, un officier du bataillon d'exploration qui accompagnait le Major Erwin Smith est venu voir le jeune homme pour lui annoncer une terrible nouvelle.


— Cadet Ralle, Thomas Ralle ? demanda l'officier vêtu d'une cape verte reconnaissable entre toutes.

Le jeune soldat encore sans affectation se retourna et détailla rapidement la personne qui l'abordait.

— Oui... C'est bien m... prononça-t-il avant de se couper lorsqu'il remarque l'insigne des bataillons d'exploration, il comprit vite : quelque chose était arrivé à Petra.


Il se figea et son expression se décomposait. Le regard planté dans celui de l'officier, il n'osa rien dire de plus et attendit sagement la douloureuse nouvelle que s'apprêtait à annoncer l'homme marqué par les années de service.

Ce n'est pas la première fois et sûrement pas la dernière que cet officier allait trouver les proches d'un soldat tombé au combat pour leur annoncer son décès. La première fois qu'il dû s'acquitter de cette tâche, il se rassurait en se disant qu'avec le temps il pourrait le faire machinalement et que l'expression qu'il lisait là, sur le visage du cadet Ralle, ne lui ferait bientôt plus ni chaud ni froid... Mais il se trompait : c'était toujours aussi poignant et désagréable d'être celui qui porte d'aussi macabres nouvelles.

Il aurait aimé rallumer la flamme de l'espoir dans le regard de ce jeune homme en lui disant que les jours de sa sœur n'étaient pas en danger, qu'elle était seulement gravement blessée... Malheureusement la seule option était de lui servir la propagande habituelle : « Petra est morte en se sacrifiant glorieusement pour l'humanité et grâce à elle nous nous approchons un peu plus de notre victoire finale, elle faisait partie des braves et elle a fait honneur à notre blason. »

Mais il ne croyait plus lui-même en ces mots qui demeuraient vides de sens à ses yeux. Quelle gloire pouvait-il y avoir à mourir bouffé par un titan ? Quel honneur avaient-ils apporté en ayant perdu des centaines de vies pour rien ?


— J'ai le regret de vous annoncer le décès du soldat Petra Ralle lors de la cinquante-septième expédition extra-muros. Je vous présente toutes mes condoléances.

Le ton était solennel et détaché, un ton maîtrisé à la perfection. L'officier tendit ensuite une boîte en bois ciré fermée par un loquet.

— Le Caporal-Chef Livaï a tenu à ce que je vous remette ceci et il m'a dit: « Petra a été l'un des soldats les plus talentueux avec qui j'ai combattu. », ajouta-t-il avant que Thomas n'attrape mollement cette boîte à bijoux qu'il n'ouvra pas complètement.


Le déni lui faisait encore espérer qu'en ouvrant cette boîte, il verrait que rien n'appartenait à sa grande sœur et serait donc la preuve qu'elle était encore vivante.

Pourtant, lorsque ses yeux furetèrent enfin, il reconnut avec horreur que c'étaient bel et bien ses effets personnels qui étaient là. Il y avait ce collier, qui n'avait rien de spécial, mais qu'il lui avait offert avant qu'elle ne parte pour sa première expédition avec le bataillon, un collier qui se voulait être un porte-bonheur. Thomas avait travaillé durement pendant trois mois afin de lui offrir ce bijou, un talisman visant à la protéger.

La dureté de la réalité le frappa en cet instant. Cinq minutes plus tôt le jeune homme avait le sourire jusqu'aux oreilles, pressé de retrouver sa sœur qui faisait prestigieusement partie de l'escouade Livaï, voir ses yeux bleus se poser avec crainte mais tendresse sur lui en l'accueillant avec une joie en demie teinte. Cinq minutes plus tôt il pensait que ce cadeau offert trois ans auparavant - avant qu'il ne s'enrôle - était vraiment doté d'un pouvoir magique anti blessures. Cinq minutes plus tôt il avait une grande sœur douce et généreuse, loyale et courageuse, une de ces rares personnes qui ont encore foi en l'humanité et son avenir. Cinq minutes plus tôt lui aussi avait foi en un futur qui n'était pas plongé dans le désastre et le sang où tous les hommes pourraient vivre libres sans être parqués derrière des murs de cinquante mètres de haut.


— Merci... dit-il après quelques secondes à observer le contenu de la petite boîte.


L'officier qui ne fit pas de vieux os et tourna rapidement les talons pour laisser le cadet seul avec sa peine qu'il ne saurait de toute façon pas apaiser.

Thomas resta planté là, le regard oscillant entre ce qu'il tenait dans ses mains et ce membre du bataillon d'exploration qui s'éloignait.


Cadets, vous êtes priés de vous rassembler devant l'estrade et en rangs ! s'écria le sergent instructeur qui fut responsable de la 128e brigade d'entraînement pendant ces trois dernières années.


Le jeune homme se retourna et son regard se leva vers la fameuse estrade où des officiers haut gradés venaient faire un petit discours sur leur corps d'armée respectif, afin d'attirer les recrues. Enfin... Tous sauf celui des brigades spéciales qui avaient quasiment l'assurance de compter prochainement dans leurs rangs les dix meilleurs cadets de cette promotion.

Le cadet Ralle s'avança lentement en essayant de retenir ses larmes de toutes ses forces mais il sentit que sa gorge lui faisait déjà atrocement mal. Les marques de cette retenue devaient déjà être visibles sur son visage. Le silence se fit dans l'assistance et un homme imposant portant un blason avec deux roses rouges apparut. Pour Thomas tout ce qu'il racontait n'était pas audible, sa vision était obstruée par des souvenirs de Petra : les soirs où il frappait doucement à sa porte parce qu'il n'arrivait pas à dormir à cause du noir et des monstres qu'il croyait vouloir le dévorer, se cachant sous son lit et dans l'armoire.

Elle l'accueillait toujours avec un petit sourire et lui laissait une place près d'elle avant de lui fredonner une berceuse, sa main caressant lentement ses cheveux noirs en bataille.

Oui, il se souvient encore du son de son cœur qui bat, il se souvient de la douceur de ses mains qui cueillaient ses larmes sur ses petites joues humides, il se souvient du parfum de ses vêtements ou encore de ces petites ridules qui se formaient sur son visage lorsqu'elle gonflait ses joues pour le faire rire. Il se rappelle de tous ces dimanches après-midi où ils allaient tous les deux cueillir des fleurs toutes plus colorées et parfumées les unes que les autres pour offrir un joli bouquet à leur mère. Il se remémore les fois où elle s'était dénoncée à sa place à leurs parents pour éviter qu'il ne se fasse gronder, comme très souvent après avoir faire une énième bêtise comme casser un vase ou arracher un bouton à la chemise préférée de leur père.

Il se rappelle de ce moment où, alors que Petra et lui sortaient de la chambre de cette dernière pour aller prendre leur petit déjeuner, leur père les regarda marcher, Petra guidant doucement son petit frère avec ses mains qui couvraient ses yeux jusqu'à la table de la salle à manger.


— Il a encore fait des cauchemars c'est ça ?, adressa-t-il à sa fille avant de baisser le regard sur son fils, quand est-ce que tu vas grandir Thomas ? Ta sœur ne sera pas toujours là pour te rassurer et te dorloter, tu dois devenir un homme ! avait-il dit avec dureté mais ça n'avait pas atteint le garçon pour qui rien ni personne ne pourrait menacer la vie de Petra.


Son esprit se recentra sur l'estrade et il se rendit compte que le discours de l'officier de la Garnison était déjà terminé depuis belle lurette. C'était Erwin Smith, Major du bataillon d'exploration, qui se tenait sur les planches.


— ...à l'abri derrière les murs. Dans les bataillons vos chances de survie seront bien moins élevées, je me dois d'être franc avec vous. Mais si vous voulez aider l'humanité à garder l'espoir, à croire en un futur hors de ces murs qui sont à la fois nos protecteurs et notre tombeau, c'est avec nous que votre sacrifice aura un sens.

Il jaugea l'assistance un instant et vit toutes ces expressions apeurées et stupéfaites devant des mots aussi durs.

Ceux qui veulent rejoindre les Brigades Spéciales ou la Garnison peuvent sortir des rangs et se diriger vers la sortie pour demander leur affectation !


A ces mots, la majorité des cadets tournèrent les talons et se dirigèrent vers le bureau d'admission de la brigade qu'ils souhaitaient rejoindre, sans traîner.

Mettant un poing d'honneur à garder sa fierté, Thomas leva ses yeux humides d'où de chaudes larmes coulaient, les dents serrées à se les casser et restait bien droit, à sa place. Après une bonne minute durant laquelle ceux qui ne voulaient pas s'engager dans la voie du suicide disparaissent, tout redevint calme et une dizaine de cadets seulement étaient toujours là, sur cette place devenue presque déserte.


— Ceux qui sont restés font désormais partie du bataillon d'exploration. Vous avez bien résisté à la peur, vous êtes de valeureux soldats et avez tout mon respect. Offrez votre cœur ! s'écria le Major Smith en faisant le salut militaire que tous les cadets imitèrent, même Thomas qui rangea sommairement la boîte à l'intérieur de sa veste, coincée sous une lanière de cuir.


Oui, son père a eu raison ce jour là. Petra ne sera pas toujours là et ce sourire si radieux qui brillait bien plus que le soleil ne peut plus être fixé sur son visage comme un trait indélébile. Elle est partie et plus jamais elle ne lui chantera de berceuse.



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