Le destin des Ackerman - Tome 1

Chapitre 3 : Tourner une page

4331 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 14/04/2020 01:22

Thomas ouvre lentement les yeux avec un affreux mal de crâne. La vision encore floue, il essaye de se repérer dans l'espace afin de comprendre où il se trouve. Pour l'instant, de ce qu'il perçoit, la fenêtre doit être ouverte puisqu'il sent une douce brise qui s'engouffre dans l'ouverture et lui procure une caresse apaisante, apportant avec elle cette odeur d'herbe humide et de résine de pin, accompagnée du chant des oiseaux.

Il se redresse pour s'assoir et se frotte longuement les yeux pour ensuite détailler la pièce. Le jeune homme reconnaît vite son dortoir où il a dû être déposé tout en étant inconscient, transporté depuis le château d'Utgard qui se trouve à quelques kilomètres seulement d'ici.

De ses mains il parcourt rapidement son corps à la recherche d'une blessure, d'un bandage ou quoi que ce soit d'autre d'anormal mais tout va bien, apparemment.

Sur la malle devant son lit se trouve son uniforme tâché de sang séché à de nombreux endroits mais aussi son équipement tridimensionnel qui - au premier coup d'œil - ne semble pas avoir subi de véritables dégâts sinon quelques éraflures.

Plus de peur que de mal donc mais les souvenirs de la bataille lui reviennent vite en tête. Mikasa Ackerman qui abat le titan qui s'apprêtait à le dévorer, les sons et les odeurs horribles qui l'entouraient et Lise qui le suppliait d'attendre... Elle avait raison, comme toujours.


— Lise..? prononce-t-il, soudainement, en ouvrant les yeux en grands.


Le cri qu'il entendit résonne fortement dans son crâne et ses entrailles se serrent.

Il se souvient de l'avoir entendu hurler puis, dans la direction du cri, avoir vu une personne se faire engloutir par un démon, avant d'être coupée en deux par ses dents. Bouche-bée et glacé par l'effroi de ce qu'il croit être arrivé, il se fige. Nombre de questions fusent dans son esprit et très vite une immense culpabilité l'écrase.

Aurait-il précipité la mort de son amie parce qu'il a été trop présomptueux, parce qu'il a cru pouvoir faire aussi bien que des membres chevronnés du bataillon d'exploration ? Est-ce que ses yeux n'ont pas produit une hallucination quand il a cru voir ce visage - souvent à moitié caché derrière de longues mèches rousses - disparaître dans l'estomac d'un titan ?

Thomas se prend la tête entre les mains et fixe les draps, essayant de reconstituer dans son esprit de façon claire ce court instant de flottement où il a totalement perdu sa concentration, attiré par ce cri et cette silhouette disparaissant dans ces abysses synonymes d'une mort atroce.

Il serre ses doigts dans ses cheveux, presque à se les arracher, ça le rend fou, totalement dingue d'avoir une sorte de trou noir dans ses souvenirs, comme si son cerveau refusait d'accéder à ce morceau de mémoire pour sauvegarder sa raison. Tout est flou, confus.

La porte de la grande chambre s'ouvre et Josh apparaît. Il ne semble pas blessé mais... Quelque chose a l'air différent chez lui : il n'affiche pas son éternel sourire.

Thomas pivote sur ses fesses et pose ses pieds par terre avant d'aborder son compagnon.


— Josh ! appelle-t-il.

Ah tiens, t'es réveillé... Pas trop mal au crâne ? demande-t-il sur un ton désintéressé après ne l'avoir que brièvement regardé, comme s'il lui reprochait quelque chose qu'il garde sous silence.

— Si enfin non je... se coupe-t-il avant de soupirer pour reprendre ses esprits puis remettre de l'ordre dans ce qu'il veut dire. Tu sais où est Li...

— Non désolé, elle n'est pas là, tu devrais savoir pourquoi... termine Josh d'une façon un peu brutale avant de tourner les talons et repartir.


A ces mots, Thomas a l'impression de sombrer, que le sol s'effondre sous ses pieds pour le laisser tomber dans un trou béant et sans fond. Josh vient de lui confirmer ce qu'il redoutait le plus. Comment pareil imbécile a pu devenir soldat ? Qu'est-ce qu'ils ont tous fait pour mériter d'avoir un camarade comme lui ? Il est passé pour un lâche auprès de Mikasa Ackerman et a causé la mort de Lise qui l'a sûrement suivi pour le retenir et le couvrir. C'est lui qui devrait être en morceaux dans les entrailles d'un titan, pas elle...

Il se lève pour enfiler un uniforme propre stocké dans sa malle puis sort du dortoir, direction le réfectoire pour manger un peu même si l'envie n'y est pas, absolument pas.

Avant d'entrer - au moment où il pose sa main sur la poignée - quelque chose l'étonne : il n'y a quasiment aucun bruit qui vient de l'intérieur alors que c'est un endroit habituellement très bruyant où l'on peut entendre des rires, des gens qui se chamaillent et des officiers qui hurlent pour séparer deux types qui se bagarrent après avoir échangé des paroles plus hautes les unes que les autres.

Thomas pousse la porte et entre. Après avoir fait quelques pas il découvre une assemblée qui fait beaucoup de peine à voir.

Au fond de la salle un jeune soldat dont il ne connait pas le nom regarde devant lui, les yeux dans le vague. Son auge est pleine et celle-ci n'a pas l'air de présenter la moindre trace de chaleur puisqu'il n'y a pas de fumée qui s'en dégage : il doit être là depuis un sacré bout de temps.

A sa droite, quatre soldats sont attablés ensemble mais ne se parlent pas et ont même l'air de ne pas oser se regarder. L'un joue lentement et sans conviction avec sa nourriture, un autre regarde en direction de la fenêtre d'un air absent, le troisième se ronge nerveusement les ongles en fixant le bois de la table et la dernière mange en se tenant la tête d'une main avec le coude sur la table comme appui, une larme coulant sur sa joue endolorie.

Il se tourne soudainement quand il entend quelque chose s'écraser au sol - comme d'autres d'ailleurs - mais c'est en fait une nouvelle recrue qui vient d'échapper son écuelle après avoir été servi de cette bouillasse épaisse qui leur sert de ration et, c'est vrai qu'à la voir là étalée au sol, on peut vite s'imaginer que c'est de la chair déchiquetée comme beaucoup ont pu en voir au château d'Utgard. Ce soldat court en toute hâte vers la sortie en mettant sa main devant sa bouche pour essayer de retenir son envie de vomir et, quelques instants plus tard, puisque Thomas est encore près de la porte, il peut l'entendre dégobiller.

Monsieur Ralle décide de ne pas traîner une seconde de plus dans cet endroit à l'ambiance bien trop sinistre. Se promener aux abords du campement à la lisière de la forêt lui fera du bien.

Après deux minutes de marche à éviter tout contact visuel avec le peu de gens qu'il croise, Thomas arrive à cette forêt qu'il longe tranquillement, toujours assailli par les remords et les souvenirs. La conclusion du cheminement de ses pensées est qu'il doit trouver Mikasa pour la remercier de lui avoir sauvé la vie.




Revenant vers les dortoirs une bonne heure plus tard, Thomas s'arrête en entendant pas mal de bruit venant de l'extérieur du camp et regarde brièvement les vingts soldats revenir du château d'Utgard puis remarque ce chariot qui transporte les corps. Honteux et en proie aux regrets, n'ayant pas le courage de voir quelque chose - ou quelqu'un - en particulier dans cet amoncellement de cadavres, il détourne le regard et continue son chemin vers les dortoirs. Une fois arrivé, il s'allonge sur son lit et se tourne dos à la porte.

Les minutes passent et il est accablé par bon nombre de sentiments négatifs, ressassant sans interruption les évènements du petit matin.

Les personnes qui ont leurs quartiers ici commencent à arriver et, quelques instants plus tard, Thomas entend quelqu'un marcher en sa direction puis faire le tour de son lit jusqu'à se planter devant lui. Il ouvre les yeux et effectivement, quelqu'un le fixe à en juger par l'orientation de son corps, en voyant ses jambes. A peine lève-t-il les yeux que cette personne l'attrape par le col et le plaque fermement contre son lit.


— Ne me fais plus jamais peur comme ça ! Idiot, crétin, imbécile ! s'écrie son agresseur. Pourquoi tu ne m'as pas écoutée, hein ? termine Lise qui le dévisage avec une expression furieuse pendant une poignée de secondes avant de dégringoler sur lui, le front contre son torse et les mains sur ses trapèzes s'étant relâchées, commençant à sangloter.


Pas bien sûr d'avoir compris ce qu'il s'est passé, Thomas reste immobile pendant un instant, juste le temps de se rendre compte que c'est bien Lise Niso qui vient de le réprimander avant de s'affaler sur lui pour pleurer.


— J'ai vraiment cru qu'ils t'avaient bouffé... Crétin ! Crétin ! Crétin ! s'énerve-t-elle encore, frappant sans conviction le buste du jeune homme à chaque insulte sans que son front ne s'en détache.


A travers la fine couche de tissu qui le couvre, il peut sentir l'humidité des larmes traverser son vêtement et mouiller sa peau.

Lise est là, bien vivante à l'insulter et elle a toutes les raisons de le faire. Il s'en est voulu toute la journée, il commençait à se faire à l'idée que par sa faute elle avait été tuée. Ses bras viennent donc l'enlacer et les sanglots de la jeune femme augmentent en intensité mais elle ne prononce plus un mot. Elle laisse toute cette peur, cette inquiétude et cette nervosité accumulées ces dernières heures s'exprimer.




Le lendemain matin, Thomas se lève à l'aube, comme tout le monde. Il enfile son uniforme puis ses cuissardes de cuir brun. L'équipement continue par le harnais puis le baudrier qui soutient tout l'attirail tridimensionnel pour enfin harnacher ces boîtes de métal qui stockent les lames et sur lesquelles sont fixées les bouteilles de gaz.


— Écoutez-moi tous ! Demain matin réveil à l'aube on part pour Trost, tâchez d'être prêts ! s'écria un officier qui fit irruption dans le dortoir avant l'extinction des feux, la veille.


Thomas s'est décidé. Il ne veut plus que quelqu'un vienne lui sauver la vie, il ne veut plus que Lise s'effondre en larmes contre lui parce qu'il a pris des risques inconsidérés pour seulement la mettre en danger, il ne veut plus être faible ni abandonner l'espoir de survivre pour voir un jour à quoi ressemble le monde en dehors de ces murs.

Pendant qu'il vérifie le bon fonctionnement de son équipement et les branchements, la fin de la conversation de la veille avec Lise lui revient.


— Désolé, Lise... Je suis vraiment désolé... prononça-t-il lentement, stoppant quasiment les sanglots de la rousse qui se redressa quelque peu en levant les yeux vers lui.

Lui il se mit à regarder le plafond de façon déterminée, après avoir croisé son regard.

— Je te promets que... Que je vais devenir meilleur, avait-il continué sur un ton décidé.

Lise ne sut quoi dire mais elle se redressa et sécha ses larmes tout en reniflant bruyamment, avant d'acquiescer avec un petit sourire aux lèvres.

— Je me battrai jusqu'au bout, renchérit-il.


Thomas secoue la tête pour se ressaisir, ce n'est pas le moment de se remémorer tout ça. Étant donné la tête que tirait l'officier, sûrement qu'il y a quelque chose d'important qui se trame, surtout si les recrues sont elles aussi appelées à participer. Pas besoin d'être Erwin Smith pour arriver à ces conclusions : Trost est l'avant-poste de la lutte contre les titans depuis que la porte a été bouchée. Une offensive sera donc certainement lancée à partir de là.

Maintenant prêt, le soldat passe sa cape verte qu'il boutonne au niveau du cou et quand celle-ci retombe sur son dos, il serre l'un de ses poings.


Je vais te le prouver Lise, je ne serai plus jamais un boulet que tu traînes au pied, se jure-t-il avant de se mettre en marche vers la sortie.


Toutes les nouvelles recrues se mettent en rang et à ce moment là une dizaine de cavaliers arrivent au galop avant de s'arrêter à quelques mètres d'eux. Tout le monde reconnaît le Major qui descend de cheval et se dirige vers ses soldats qui vont tous le saluer en mettant le poing sur le cœur, geste qu'il va aussi effectuer.


— Prenez les chevaux, on part pour Trost ! Départ dans cinq minutes ! ordonne Erwin Smith en balayant rapidement de son regard froid et calculateur l'ensemble des soldats qui se dressent devant lui, au garde à vous.

— A vos ordres Major ! répondent tous ensemble les membres du bataillon avant de se hâter pour se préparer à partir.




Une fois arrivés au district de Trost c'est un spectacle pour le moins surprenant qui leur est donné de voir. En effet, plusieurs dizaines de soldats des brigades spéciales sont là, apparemment placés sous les ordres du Major Smith pour une opération dont personne ne connait encore les détails.


Tsss... Regarde-moi ça, regarde ces chiffes molles. Ils sont payés à rien foutre dans la capitale, bien au chaud et tout confort mais quand ils sont appelés pour quelque chose de concret ils se pissent dessus... râle Josh en dévisageant deux soldats avec cette licorne verte brodée dans le dos qui ont l'air perdus et apeurés.

— Pas si fort, autant ne pas les froisser, ça serait bien que leur coup de main devienne une habitude... tempère Lise qui est en train de se recoiffer puisque les kilomètres parcourus à cheval ont eu raison de sa coiffure faite à la hâte avant de partir.

— Un coup de main pour quoi d'ailleurs ? questionne Josh, en retour.

Thomas tapote l'épaule de son ami et désigne d'un mouvement de tête une direction. Là, Josh peut voir plusieurs monte-charges à l'arrêt.

— J'ai l'impression qu'on va participer à une expédition extra-muros improvisée, conclut le soldat Ralle.


Pendant les deux prochaines heures ils vont rester à l'ombre à attendre, sans rien faire. Ils devront se contenir face à l'impatience des membres des brigades spéciales - qui se plaignent d'être là pour rien alors qu'ils ont beaucoup à faire dans la capitale - mais aussi contre la leur. L'un d'eux l'exprime d'ailleurs un peu trop fort et est tout de suite remis à sa place par le Caporal-Chef Livaï qui est tranquillement assis dans un chariot avec l'un des membres du culte du mur.


— Mes pauvres vous avez l'air bien déçus. Navré que les titans vous aient posé un lapin. C'est dommage pour cette fois... Mais attendez d'aller en expédition parce que, dorénavant, on pourra aller affronter ces monstres tous ensemble, pas vrai ?


Après ces mots, plus aucun soldat des brigades n'ose broncher ni même se plaindre et le silence règne dans les environs. Tous ceux qui portent fièrement les ailes de la liberté ont un sourire satisfait aux lèvres.

Quelques minutes plus tard un soldat arrive en trombe, paniqué.


— Il faut prévenir le commandant Pixis !


Là, il déballe tout ce qui s'est passé plus tôt : la révélation que dans la 104e brigade d'entraînement il n'y avait en fait pas seulement trois titans - Eren Jäger, Ymir et Annie Leonhart - mais bien cinq, Eren aurait été enlevé par le titan colossal et le titan cuirassé et, en plus de ça, le détachement mené par la capitaine Hanji Zoe est dans l'incapacité de les poursuivre sans chevaux.


— Bien, nous allons faire monter tous nos chevaux sur le mur et nous allons les rejoindre avec tous les monte-charges disponibles. Nous devons nous lancer à la poursuite de ces traîtres afin de récupérer ce qu'ils nous ont volé ! ordonna Erwin.


Après trente minutes à hisser chevaux, hommes et matériel au sommet du mur, toute la troupe se lance au galop pour rejoindre - à une dizaine de kilomètre de là - les hommes de Hanji.

Si galoper dans une plaine verdoyante ou au bord d'une falaise sont des choses grisantes, sûrement qu'elles ne valent pas d'être lancé à vivre allure sur le mur, à cinquante mètres du sol, permettant ainsi de surplomber des hectares d'un paysage certes peu diversifié mais agréable à regarder. Ce sont les yeux brillants que Josh, Lise et Thomas profitent de ce spectacle peu commun.

Ce dernier serre le pendentif entre ses doigts et se mord la lèvre, sa promesse faisant écho dans son esprit, cherchant le courage de se surpasser. Josh le remarque.


— Ça me rappelle chez moi... lâche Josh dont le regard tombe sur l'espace entre les murs Rose et Maria, un territoire qui appartient maintenant aux titans, depuis cinq longues années.

Thomas et Lise se tournent vers lui, l'oreille attentive.

— Mon village avait le même genre de paysage. Il était sur une falaise qui dominait toute une vallée. A l'Ouest il y avait une grande forêt où on allait souvent chasser ou faire de la cueillette, à l'Est une superbe rivière qui reflétait les rayons du soleil l'après-midi, elle brillait de mille feux, comme si des millions de petits diamants couvraient son lit.

Ses deux compagnons écoutent avec intérêt son récit et essayent d'imaginer à quoi ça pouvait bien ressembler, surtout qu'ils ont tous les deux grandi dans une ville.

— A l'époque c'était normal pour moi, je voyais ça tous les jours. Je ne saurai pas comment décrire l'impression que ça fait d'être au bord d'une falaise à regarder le monde s'étendre à ses pieds. J'avais l'impression d'être invincible et intouchable, j'avais l'impression de pouvoir pisser sur le monde.

Ses deux compagnons ont un sourire amusé mais le laissent poursuivre.

— Et puis un jour, on a entendu le sol résonner, la terre trembler. Au début on croyait tous que c'était le tonnerre mais en pleine journée sans un seul nuage... Quand on a compris, il était trop tard. Plusieurs titans étaient déjà arrivés dans le village et ont commencé à bouffer tout ce qui passait à portée de leurs grandes mains puantes. J'ai couru chez moi et en arrivant j'ai vu mon père en train de consoler ma mère qui était à genoux en train de pleurer toutes les larmes de son corps, devant la porte d'entrée.

Thomas se mord la lèvre et baisse la tête, Lise observe son ami avec une mine triste.

— Je n'avais pas compris sur l'instant alors j'ai couru à l'intérieur et là j'ai vu un titan de trois mètres dans la salle à manger en train de grignoter mon grand frère. Il lui manquait déjà la moitié du buste et une jambe. J'ai vu son regard vide et sombre, sans expression ni vie, tourné par hasard vers moi. Je suis resté figé là, pendant je ne sais pas combien de temps, à ne rien pouvoir faire d'autre que regarder ce titan se faire un casse-croûte avec celui qui m'avait appris à cracher, à chasser le daim, à faire des ricochets dans l'eau d'un étang pas loin, à faire chier les vieux qui jouent aux cartes... Mon père a fini par m'attraper sous le bras et on est parti avec deux chevaux.

Thomas ne sait pas quoi dire ni faire pour soulager son ami de ce souvenir douloureux et ce dernier se tourne vers le soldat Ralle avec un petit sourire.

— Le retour à la réalité a été brutal, moi qui me sentais invincible au sommet de ma falaise... Alors je me suis dit que m'enrôler serait un bon moyen de me venger de ces fils de pute avec leur air si débile. Je ne pensais vraiment pas y arriver après les premiers entraînements mais je suis tombé sur toi Thomas. Tu me fais penser à mon grand-frère parfois. Tu n'es pas le meilleur d'entre nous, ni celui qui est le meilleur meneur d'hommes, mais je ne vois pas à qui d'autre je pourrai parler de mes problèmes ou de mes doutes... Et je sais que c'est pareil pour Lise, c'est pareil aussi pour d'autres. J'aimerai que tu n'oublies jamais ça Tom : être un bon soldat ce n'est pas seulement être comme le Caporal-Chef avec des dizaines de titans tués en solo au compteur, ni être comme le Major Erwin à être un génie tactique. C'est aussi être le liant d'un groupe, permettre à une unité d'être plus unie et plus forte ensemble et c'est ce que tu es.

Thomas qui est touché par ce discours surprenant, ne pensait vraiment pas que tout ce récit mènerait là. Pourtant, il lui apparaît que cette description ne colle pas avec ce qu'il est.

— Il a raison tu sais... Tu ne dois pas te mettre la pression parce que tu as tout juste passé les épreuves d'admission. Je reste persuadée que tu peux devenir bien meilleur, il suffit juste que ça se réveille en toi, ajoute Lise en affichant un sourire rassurant.

Hé les gars, qu'est-ce que vous me faites là ? s'étonne Thomas qui a peur de pleurer à chaudes larmes si Lise lui sort un discours du même acabit que Josh, à cause de sa fragilité émotionnelle du moment.

— J'ai toujours grandi en ville et je n'ai jamais eu une vie très intéressante, c'est bien pour ça que je n'en parle jamais. Ma mère m'apprenait à coudre, à faire des courbettes, à rire de façon "civilisée". J'apprenais à devenir une bonne petite femme d'intérieur pour homme de pouvoir. Malheureusement ça ne m'a jamais fait vibrer, non pas que je ne veuille pas me marier et avoir des enfants ni mener la belle vie mais je ne suis vraiment pas faite pour rester à la maison pour l'entretenir en attendant que monsieur rentre de sa journée de travail. Ça énervait beaucoup ma mère d'ailleurs quand je lui faisait part de mes envies d'aventures...

— Attends, t'étais une fille de bonne famille toi, vraiment ? demande Josh sur un ton légèrement moqueur.

— Oui et toute ma vie était déjà tracée, réglée comme du papier à musique. Quand je me suis enfuie de chez moi c'est parce que j'entendais ma mère proposer à mon père de me trouver un fiancé, un bon parti à qui me marier rapidement. Donc quelque part, heureusement que les titans ont décidé de nous attaquer. J'en ai profité pour leur laisser une lettre leur disant que mon destin est de me battre pour l'humanité et que si j'arrive à y survivre, alors je serai prête à devenir une femme comme ils l'entendent.

— Lise, c'est... commence Thomas avant de se faire interrompre.

— Pitoyable, je sais. Josh a vu son frère se faire dévorer sous ses yeux et veut le venger, toi tu as rejoint les bataillons d'exploration pour retrouver ta sœur que tu adorais tant et maintenant tu te bats pour faire honneur à sa mémoire en reprenant le flambeau. Tous les deux vous êtes là pour une raison respectable, je vous admire pour ça. Moi, j'ai juste fui mes obligations...


Thomas tombe des nues. Lui qui se sentait inutile, incapable et un fardeau pour tout le monde depuis ce qu'il s'est passé au château d'Utgard, là il entend de la bouche de personnes qui comptent pour lui que sa présence leur est nécessaire et que ses propres objectifs sont nobles. Jamais il n'avait entendu quelqu'un lui dire de telles choses, jamais on ne lui avait fait de compliment ni expliqué en quoi son existence a un sens. Personne sauf Petra, il y a longtemps.


— Ne t'en fais pas Tom, bientôt l'humanité ne devra plus se cacher et on pourra cueillir des fleurs d'au-delà du mur tous les deux, des fleurs qui auront le parfum de liberté. Tu es capable de grandes choses et si tu mets ton cœur au service de l'humanité, je suis certaine qu'elle y gagnera beaucoup, avait dit Petra en uniforme, sur le pas de leur porte, le jour où elle était sur le point de partir pour sa première expédition avec le bataillon d'exploration.


Toute apprêtée dans son uniforme symbole de liberté, Thomas n'avait pas assez de ses yeux pour l'admirer. Elle était si charismatique, jolie, forte et impressionnante dans ces vêtements militaires. Les mots de sa sœur sont ceux qui l'avaient poussé à devenir soldat et, trois ans plus tard, à rejoindre le bataillon.

Petra l'avait serré dans ses bras avant de chatouiller le bout de son nez avec le sien, un grand sourire aux lèvres, avant de partir.


— Merci pour ce que vous dites, ça me fait chaud au cœur... Je vous promet qu'on survivra à cette guerre contre les titans, qu'on verra le jour où le dernier d'entre eux sera abattu. On pourra aller voir tous les trois cette falaise où tu as vécu Josh... Et toi Lise, on pourrait prouver à tes parents que l'humanité a bien plus gagné à t'avoir parmi ses soldats plutôt que dans son aristocratie, déclare Thomas à ses deux amis alors qu'ils continuent de galoper au sommet du mur Rose.


Ils acquiescent tous les trois avec un grand sourire, une détermination sans faille dans le regard.

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