Le destin des Ackerman - Tome 2

Chapitre 2 : Les pions avancent

3272 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/03/2021 17:47

Le commandant Magath fait les cents pas devant sa captive, le regard rivé sur un livre ouvert qu'il tient dans une main. Sa veste, posée juste à côté de ce boîtier qui permet de déclencher le courant directement relié à Julia, interpelle cette dernière en remarquant les restes d'un emballage en papier.



— « La princesse et l'esclave », un conte à première vue très banal, réfléchit-il à voix haute avant de se tourner vers la jeune femme, mais connu des deux côtés de l'océan.



Elle serre les dents en comprenant, après une brève observation, que ce bouquin sort de cette grande enveloppe aperçue l'instant précédant et, à mieux y regarder, la reliure est neuve tout comme le tissu qui le recouvre qui n'est effiloché à aucun endroit, le papier n'a pas bruni non plus : il ne détient donc pas cet exemplaire dans lequel elle a écrit bon nombre d'annotations.



— « Libres ils vivaient, loyaux ils étaient, craints ils furent et fiers ils demeuraient mais, au son de cloche de leurs roi, comme des servants à l'heure du repas, des esclaves ils devenaient. », cite l'officier en fixant l'héritière des Weiss, voici une entrée en matière qui interpelle.



Julia sent cette boule dans son ventre qui lui fait de plus en plus mal à mesure qu'elle grossit. Elle ne saurait dire ce qui est le plus stressant entre l'attente de la première décharge et la façon dont il joue méticuleusement avec ses nerfs. Le regard qu'elle lui lance alors n'est pas compliqué à interpréter : la jeune femme n'est pas du tout ouverte à la conversation.


Magath soupire en refermant le livre, déçu. Au-delà du mépris et du défi qu'il peut lire dans ce regard, ce n'est pas la première fois que le commandant mène un interrogatoire. Il est conscient que les langues se délient toujours, ce n'est qu'une question de temps et elle ne fera pas exception et cet état de fait serait presque amusant si le mahr avait le moindre goût pour l'exercice de la torture. En effet, ce serait divertissant voire jubilatoire de se dire que cette Amélia ne pourra pas résister indéfiniment et finira par trahir ses principes, ses idéaux et sa loyauté entre deux cris de douleur ou deux supplications.


Peut-il blâmer tous ces prisonniers de guerre dont la volonté se retrouve inexorablement anéantie par ces pratiques barbares considérées par certains comme un art ?


Il a connu bien trop de guerres et, malgré son aversion pour ces démons eldiens, ne ressent pas de dédain devant cette fierté du captif qui espère impressionner par ce réflexe désespéré et vain. Après tout, ces supplices élaborés sont prévus pour briser le corps et l'esprit de leur victime et il est impossible d'y être insensible. Lui aussi, sans le moindre doute, trahirait les siens si les rôles étaient inversés.


Alors il soupire, dépose le roman sur sa veste puis se saisit de ce boîtier. Patient et restant dans cette dynamique de faire craquer la jeune femme seulement avec de l'intimidation, le commandant Magath prend le temps de tirer un tabouret en acier, produisant ce son caractéristique du métal qui racle le carrelage, et s'y assoit en poussant un nouveau soupire sonore.


Il s'octroie un instant pour observer les deux boutons qui lui font face, lève brièvement les yeux vers sa prisonnière qui ne peut retenir cet air apeuré qu'elle affiche puis, enfin, presse le second bouton entre son pouce et son index pour régler la puissance de la décharge électrique.



— Commençons lentement, lance-t-il en la fixant droit dans les yeux avec une froideur et un calme déroutants.


Le sang de mademoiselle Weiss ne fait qu'un tour et se sent soudainement infiniment minuscule, comme un insecte sur le point de se faire écraser par une gigantesque botte.


— L'antidote... murmure Julia, l'antidote était ma mission...


Le bourreau hausse un sourcil : c'est la première fois qu'il entend parler d'un antidote. Il pose alors son pouce sur l'interrupteur, bien en évidence, pour encourager la jeune femme à poursuivre.


— C'était il y a un peu moins de deux ans, je crois...



Après quelques jours de repos, suite à la soixante-deuxième expédition extra-muros, Julia avait repris son travail auprès du major Hanji Zoe pour s'occuper de la paperasse administrative, de classer les rapports et documenter les recherches sur les titans.


Le caporal Livaï Ackerman entra dans le bureau sans même frapper et, comme très souvent, Hanji ne demandait jamais à son assistante de recherche de sortir. De toute façon, avec la quantité de rapports et autres documents plus confidentiels les uns que les autres qui passaient entre ses mains, elle n'avait rien à lui cacher, pas même les conversations avec ce sombre nabot qui ne rit que quand il se brûle.



— Quat'yeux, sauf si tu veux que je te force encore une fois à prendre un bain, j'ai d'autres chats à fouetter, déclara le brun avec sa bonne humeur habituelle en guise de salut.


— Bonjour à toi aussi mon mignon. Je sais que tu vas très bientôt partir pour la capitale, convoqué par notre Reine. J'aimerai que tu emmènes Julia avec toi.

Le regard dur de l'officier se posa sur la jeune femme en question puis il haussa les épaules.


— Il faut qu'elle passe par le manoir de sa famille pour récupérer quelques petites choses qui pourraient nous avancer sur notre projet, ajouta Hanji.


La jeune femme aux cheveux blonds fut surprise par cette demande parce qu'elle n'était pas au courant.


— L'antidote pour guérir ceux qui sont enfermés dans ces titans répugnants ? questionna Livaï.


— C'est ça et tu sais pourquoi nous devons en faire notre priorité.


Julia fronçait en dévisageant alternativement ses supérieurs, surprise de ne pas saisir l'allusion faite par le Major.


— Bien. Nous partons dans une heure, lanca-t-il.


Lorsqu'il passa de nouveau la porte et la claqua, la cousine d'Erwin lança un regard interrogateur — voire accusateur — à sa supérieure qui arborait ce grand sourire habituel tout en s'installant au fond de son siège de bureau.


— J'ai dû oublier de t'en parler, désolée... Mais tu dois comprendre que c'est une priorité, nous devons absolument libérer tous ces gens.


Julia feinta sa compréhension — en hochant la tête — avec un petit sourire mais elle se demandait, en réalité, pourquoi soudainement il était si urgent de trouver le moyen de ramener sous forme humaine les habitants de Ragako dont fait partie la mère de Conny.


Après tout, même s'il est horrible d'être coincé dans ces gigantesques corps malodorants avec pour seule ambition de dévorer le moindre humain qui passe à portée de main, ils sont aussi protégés des affres du temps et, à moins que leur nuque ne soit profondément tranchée, sont aussi — théoriquement — immortels, libérés des impératifs de la vie mortelle comme le sommeil, la soif, la faim...


A ce moment là, Julia ne comprenait vraiment pas pourquoi cela devenait soudainement une priorité alors que la reine Historia et son gouvernement commençaient à multiplier les missions diplomatiques à travers le monde pour trouver des appuis face à la menace de Mahr. Le bataillon lui-même était en pleine restructuration, comme le reste de l'armée de la Nouvelle Eldia, d'ailleurs. Alors, à ce moment là, il était beaucoup plus important de fabriquer un nouvel armement, rattraper le retard technologique, développer les infrastructures côtières, etc.


Magath écoute attentivement sa captive raconter ce premier souvenir, s'enfonçant dans son siège puis croisant les bras.



— ...Même si ma famille est celle qui a mis au point ce produit qui permet de transformer les humains en titans, le secret de fabrication a été perdu et sûrement que le matériel aussi. De toute façon, les gens que nous devions libérer n'étaient que des campagnards, des vieillards et enfants qui ne nous apporteraient rien dans le conflit à venir...


Julia soupire et baisse la tête, dépitée.


— Vous avez découvert plus que vous n'êtes venu chercher, n'est-ce pas ? intervient l'officier mahr.


Elle se mord nerveusement la lèvre, le regard oscillant entre monsieur Magath et ses pieds.


— Oui... avoue la jeune femme en sentant une envie soudaine de fondre en larmes, ce conte était l'un des nombreux livres pour enfants que j'ai lu plus jeune et il n'est jamais sorti du lot... Avant que je ne me plonge dans ces recherches.


— Qu'est-ce qui se cache derrière cette histoire d'amour impossible à dormir debout ? Quelle découverte avez-vous faite grâce à cela ?


La membre de l'escouade Arlelt secoue faiblement la tête en signe de refus. Elle en a déjà trop dit et bien que son récit n'apprenne pas grand-chose sinon rien, Julia ne veut pas plus trahir les siens même avec cette menace pesante symbolisée par les électrodes disposées sur son corps.


— Ce secret ne vous appartiendra jamais ni la personne qui en a profité, défie-t-elle avec une conviction qui ne se lit pas dans sa gestuelle qui, elle, laisse paraître le contraire.



Frustré parce qu'il pensait qu'elle était décidée à tout raconter, impatient parce qu'il ne dispose pas non plus d'un temps infini pour régler cette affaire, le commandant a un coup de sang et se lève brusquement pour attraper ce boîtier qu'il avait remis à sa place pendant que la jeune femme racontait ce souvenir. Les lumières de la pièce se mettent à scintiller de façon irrégulière, un cri étouffé se fait entendre, la chaise au milieu de la pièce tremble puis, l'instant suivant, tout redevient calme.


Le souffle court, suant à grosses gouttes, les doigts fermement crispés sur les accoudoirs, la plupart de ses muscles raidis, Julia s'affaisse en avant, tenue relativement droite par une sangle qui entoure le haut de son buste et la tient fixée à cette chaise.



*



Annie peine à ouvrir les yeux, son esprit encore assaillit par des bruits d'explosions et de coups de feu. Pourtant elle n'est plus face contre terre, couverte de boue à joncher le sol givré de ce pays glacial. La vision encore floue pour une poignée de secondes, elle essaye de déduire où elle se trouve mais son attention est tout de suite happée par ce qui s'apparente à un attroupement de plusieurs personnes autour du lit voisin. Le lieutenant Leonhardt se redresse lentement jusqu'à se mettre en position assise, se masse les tempes puis se frotte les yeux avant de les ouvrir plus grands afin de mieux discerner son environnement, maintenant en pleine possession de sa vue.


Lorsqu'elle les ouvre et fixe devant elle, une impression éphémère et étrangement rassurante s'impose à son regard : elle se trouve dans une grande salle familière. L'espace de cet instant, elle se croit de retour à Paradis tant la couleur des briques et le revêtement au sol sont semblables au bâtiment dans lequel était l'infirmerie du bataillon d'exploration.


Il y a quelques semaines encore, Annie était membre de ce corps d'armée et les souvenirs liés à la caserne de Trost sont forcément légion. Comme cette fois-là, quelques jours après la soixante-deuxième expédition extra-muros et tous les évènements tragiques qui se sont produits pendant celle-ci. Elle passa plusieurs jours là-bas, dans cette infirmerie, auprès de Julia puis de Mikasa, aussi étrange que cela puisse paraître concernant cette dernière. Toutes deux ne discutaient pas beaucoup — pour ne pas dire pas du tout — mais la présence de chacune était réconfortante pour traverser un drame qui les affectait toutes les deux.


Cela faisait longtemps que Annie n'avait pas ressenti colère, tristesse, culpabilité et injustice face à la mort d'un camarade. Tout le monde le sait, elle n'est pas sociable et se faire des amis est chose très rare, c'est pourquoi il lui est d'autant plus difficile de les perdre.


Mais la perte était d'autant plus grave pour Mikasa et il était choquant de la voir si diminuée, si absente, si... Normale. Cela est sans doute l'un de leurs points communs qui sont certainement plus nombreux qu'elles ne veulent bien l'admettre.


Le titan féminin se souvient d'une nuit en particulier où le sommeil de Mikasa était agité, perturbé par des cauchemars. Quand Annie a essayé de la réveiller pour la calmer, la brune s'est arrêtée de pleurer puis s'est saisie de la main de sa camarade avant de l'entourer des siennes pour enfin l'amener contre son cœur.

Etait-elle encore en plein rêve et s'imaginait être avec une autre personne ou... Etait-ce autre chose ? Annie soupire.


Tout cela semble si loin et si récent en même temps...


Tant de choses se sont passées en deux ans...


Elle relève la tête pour chercher quelqu'un du regard. Ses yeux se posent d'abord sur la raison de cet attroupement près d'elle et reconnaît Kathrin qui est mal en point : bandée de la tête aux pieds, tout son côté gauche est ensanglanté et meurtri, son œil gauche est injecté de sang au point qu'il est difficile de discerner l'iris.


La jeune femme cherche encore et trouve enfin Samuel Berner qui dort paisiblement, un peu plus loin, et à première vue n'a aucune blessure apparente puisque qu'il ne présente ni bandage ni moindre trace de sang, même séché. Sans doute était-il assez loin pour ne pas prendre la déflagration, il a simplement été victime du souffle et a perdu connaissance en tombant mal.


Revenant à elle-même, ses yeux se fixant sur ses mains jointes, ses pensées se tournent vers Armin. Annie se surprend même à sourire mais l'étirement des commissures de ses lèvres s'affaisse rapidement parce que le jour où elle pourra le revoir, lui et son optimisme à toute épreuve guidé par la promesse de voir un jour à quoi ressemble le monde extérieur au-delà même de toute civilisation, est très certainement lointain.


En cette époque moderne, les guerres menées par le pouvoir des titans ne sont plus éclair. L'armement des autres nations a évolué et certains canons pourraient facilement avoir raison d'un titan primordial. Larguer des titans purs n'est plus non plus une stratégie aussi fiable et décisive que auparavant. Mais, après tout, se sentir en danger malgré son pouvoir quasiment divin n'est pas une nouveauté pour Annie comme pour ceux qui sont allés à Paradis.


Aussi invraisemblable que puisse être cet état de fait, il lui apparaît que si les canons anti-titans sont encore relativement inoffensifs par leur manœuvrabilité limitée, le coût de leur production et leur difficulté à toucher une cible en mouvement, des armes bien plus rudimentaires mais reposant sur une technologie ingénieuse et surprenante sont bien plus létales.


Un obus s'entend quand la gueule du canon le crache, quand il fend l'air et quand il tombe mais un humain qui virevolte avec son matériel tridimensionnel et bien plus difficile à percevoir — du moins pour ceux qui ne sont pas familiers avec ces manœuvres.


Alors cette campagne pourrait se transformer en conflit ouvert dans lequel les forces de Mahr s'enlisent, comme au Moyen-Orient. Toutefois, Annie ne s'en inquiète pas tellement. Outre les grandes chances que le temps avant son prochain face à face avec Armin Arlelt doive sûrement se compter en mois, sa mission est bien plus importante que la victoire finale sur des pécores alcooliques dans un pays aussi froid qu'inintéressant.


Elle se lève finalement et se dirige vers les vestiaires, prenant sous le bras l'uniforme propre qui a été déposé juste devant son lit, afin d'éviter d'être plus longtemps dérangée par le bruit causé par les lamentations et pleurs de ses nouveaux camarades au chevet de Kathrin.


Quelques minutes plus tard la voilà sur le pas de la porte de ce grand bâtiment qui a été réquisitionné par l'armée de Mahr, bordant l'une des artères principales de la ville de Zelevsk.


Plusieurs véhicules remplis de soldats mahr passent devant elle, direction la grand place de la ville, sur sa gauche. D'ici elle peut apercevoir que bon nombre de silhouettes s'activent pour faire descendre de lourdes caisses de camions, installer des sacs de sable et autres fortifications comme des canons anti-aériens.


Sur sa droite quelques soldats lourdement équipés se rassemblent sous les ordres beuglés dans la langue locale par un officier. La jeune femme les observe plus longuement et remarque que chacun d'entre eux montre des marques significatives de combat : bandages, minerves, uniforme tâché de sang ou de boue et troué par endroits. Les deux hommes qui ferment la petite colonne discutent à voix basse et Annie remarque qu'ils fixent avec un air dédaigneux un autre groupe de soldats mais faisant partie du corps expéditionnaire de Mahr.


Troublée et ne voulant pas plus s'attarder, elle se met en route pour trouver le capitaine Augstein qui doit être sur la grand place à n'en pas douter.


Après quelques centaines de mètres de marche, la voilà au milieu de cette foule quasiment intégralement composée de militaires ou miliciens. Elle balaie les alentours du regard à la recherche d'officiers et trouve rapidement son capitaine, penché sur une carte avec une boussole dans une main et un crayon dans l'autre. Le lieutenant Leonhardt s'approche et effectue un salut militaire.



— Bonjour, Capitaine.


— Lieutenant, répond seulement monsieur Augstein qui ne prend pas la peine de se redresser pour regarder son interlocutrice.


L'officier relève la tête après quelques instants parce qu'il s'attendait à ce la guerrière ne soit venue pour lui demander quelque chose mais il la trouve les yeux rivés sur une escouade de miliciens de Zelevsk.


— J'imagine que vous n'êtes pas venue pour me proposer votre aide lieutenant alors si vous me permettez j'ai du travail.


Annie revient à son supérieur qu'elle n'a écouté qu'à moitié.


— Les habitants de Zelevsk n'ont pas l'air de nous porter dans leur cœur.


George Augstein soupire en posant son crayon à papier sur la table.


— La majorité de ces gens détestent ceux d'en face mais ils nous détestent plus encore. Je ne serai pas surpris que beaucoup nous trahissent si la coalition nous met en difficulté ne serait-ce qu'un peu. L'un des franc-tireurs qui nous a pris en embuscade venait d'ici, nous en sommes quasiment certains.



La jeune femme avait déjà saisi l'ambiance électrique et la tension entre les mahr et les locaux, les mots de son capitaine ne sont pas du tout rassurants.


Ses yeux tombent sur la carte où des pions représentent les forces alliées et celles de l'ennemi. Elle est surprise de voir que ces derniers sont bien plus proches que prévu. Vont-ils assiéger la ville, donner un assaut total et violent, temporiser ? Difficile de prévoir le prochain mouvement mais la bataille semble plus imminente que jamais.


Elle commence à tourner les talons mais le capitaine l'interrompt.



— Veillez à ce que votre escouade soit sur le pied de guerre ce soir, les premiers bombardements pourraient avoir lieu.


— Oui capitaine.

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